Thinking out loud (Théia)

Affalé sur son canapé tel une vraie carpe, Liam grommelait dans son sommeil. A le voir s'agiter ainsi, on se demandait bien de quoi il rêvait. Dans tous les cas, cela ne semblait pas réjouissant. Peut-être subissait-il de nouvelles remontrances de la part de sa Charley nationale. Ou bien revivait-il des instants malheureux de son existence, comme bien souvent ces dernières années. Il ne voyait plus rien. Mais les images, elles, restaient bien gravées dans son esprit. Heureusement, un bref coup donné sur la porte de son mobil-home le fit s'éveiller en sursaut. Quelle heure pouvait-il bien être ? Totalement déphasé, il ne savait pas que l'après-midi touchait à peine à sa fin. Il allait faire nuit blanche, ce soir, comme à son habitude. Un nouveau coup le tira définitivement de sa léthargie. Il râla un "J'arrive" peu avenant. Se relevant et se passant la main dans ses cheveux tout ébouriffés, il tâtonna en direction de la porte. Pas totalement éveillé, il se tapa, bien sûr, l'orteil contre la table basse. Il savait pourtant qu'elle était là, cette bougresse, mais il se la prenait à chaque fois ! Lâchant une flopée de juron, il parvint enfin à la porte, qu'il ouvrit sans ménagement, s'apprêtant à remballer l'invité inopportun. Mais une petit voix, qui le salua, calma aussitôt ses ardeurs. Il fronça les sourcils et demanda : "C'est toi, Théia ?"

Trois coups. Trois coups frappés sans réfléchir, le poing serré et impatient. Postée devant la porte de ce mobil-home où elle s'est déjà rendue plusieurs fois, Théia attend que Liam se décide enfin à ouvrir la porte. Elle attend avec un sourire comme à chaque fois qu'elle vient le voir, et ça même si il la fait attendre devant cet habitat encore plus petit que sa propre chambre. Elle garde les yeux grands ouverts, pressée de revoir ses boucles décoiffées, son regard vide, et ses fossettes aux coins de ses lèvres. N'entend rien de l'autre coté de la porte, Théia toque à nouveau lorsqu'un mot à peine audible résonne à l'intérieur. Enfin, le propriétaire du mobil-home lui ouvre, la laissant voir un Liam visiblement à peine réveillé et aux traits du visage fermés. Elle lui lâche un petit bonjour enjoué, et la voix ensommeillée du garçon l'interroge sur son identité. « Bien sûr que c'est moi, je te réveille ? » demande-t-elle avant de faire un pas à l'intérieur sans même lui demander si elle peut rentrer. Elle se met sur la pointe des pieds et dépose un baiser sur sa joue mal rasée avant de faire quelques pas jusqu'au canapé qui, visiblement, vient d'être utilisé. « Dis-moi, ça fait combien de temps que tu n'es plus sorti de chez toi ? Trois heure de l'après-midi, c'est pas une heure pour être encore en train de roupiller, M'sieur. » Elle lève les yeux vers lui et sourit, même si elle sait qu'il ne peut pas le voir. Comme elle, Liam est un être incomplet. À lui, il manque la vue. À elle, il manque environ cent grammes à son cœur.

Il fallut quelques secondes à Liam pour retrouver ses esprits. Il était tellement dans le coaltar qu'il avait besoin de confirmer l'identité de l'invitée. Théia, bien évidemment. Sa petite voix joviale suffisait à le confirmer à sa place. Un bref instant, Liam se demanda s'il avait prévu de la voir aujourd'hui, mais il semblait bien que cela soit une visite impromptue. Ce qu'il appréciait grandement. Alors qu'elle lui demanda si elle venait de la réveiller, il répondit sans hésitation : "Pas du tout." Disait-il avec une belle trace d'oreiller sur la joue et un air faussement innocent qui annonçait tout le contraire. Il lui rendit son baiser sur la joue, refermant derrière elle. Ce fut à ce moment-là qu'elle lui sortit le grand discours faussement moralisateur qui fit sourire Liam. "J'ai l'impression d'entendre ma mère là !" Il lui lança un regard taquin, reprenant le plus naturellement possible : "Que veux-tu, je suis devenu un grand athlète dans la catégorie "sieste". Je me prépare pour les jeux olympiques." Autant tourner la situation à la dérision. Il ne pouvait pas dire qu'il était en repli total avec la société, même si Théia était à même de le comprendre. Elle aussi avait vécu des choses peu réjouissantes, même s'il n'était pas encore au courant de tout. Il l'invita à s'installer, alors qu'il demanda : "Tout va bien ?" ça aussi, c'était son petit rituel. Il avait besoin de savoir comment elle allait. Encore plus quand elle débarquait comme ça, à l'improviste.

Ça lui fait tellement plaisir de le revoir, Liam. C'est fou comme seulement la présence d'une personne suffit parfois à vous remonter le moral à bloc, à croire qu'il possédait ce pouvoir magique d'effacer toute son histoire et de lui en créer une nouvelle pour une journée. Sa réflexion la fait rire, il n'est même pas le premier à le lui faire remarquer qu'elle agit de manière un peu trop maternelle. Elle a toujours eu trop tendance à s'en faire pour les autres, et à se démener pour qu'ils puissent être heureux. Elle sait que Liam souffre encore aujourd'hui de la perte d'un de ses cinq sens car, même si il ne laisse rien paraître, personne ne peut réagir aussi positivement face à un tel événement. « Bah tu t'entraîneras plus tard, t'as encore deux jours pour ça. Aujourd'hui, t'es à moi ! » s'exclame-t-elle en souriant. Si elle a fait le chemin jusqu'à son mobil-home, ce n'est pas seulement parce qu'elle a été prise d'une soudaine pulsion qui lui a donné envie de passer du temps avec son hippie préféré. Il y a une part de ça évidemment, Théia n'arrive pas à passer plus d'un mois sans qu'elle ne squatte chez lui ou le contraire. La véritable raison, c'est qu'elle a eu besoin de quelqu'un. Non, pas de quelqu'un, de lui. Lui qui sait lui faire penser à autre chose, lui qui a cette force mentale pour eux deux. « La forme, je pourrais presque faire un dix mètres haies sans mourir sur place. » Elle pourrait être sincère avec lui, et lui avouer que ses habituels rendez-vous chez le médecin ont fini par devenir plus sérieux, et moins réjouissant. Sauf que Théia n'a pas envie de penser à la possibilité que son cœur ne soit plus assez suffisant pour elle, et elle n'a pas non plus envie de le tracasser si, au final, il n'en est rien. « Et toi ? » demande-t-elle en le regardant, assise en tailleur en face de lui.

Théia, c'était son petit rayon de soleil. Elle était le genre de personnes qui ne le dérangeait jamais - et pourtant, Liam pouvait se comporter tel un vrai ermite asocial quand il était dans ses mauvais jours. Mais avec elle, il n'y avait pas ce problème-là. Elle lui ressemblait. Elle avait le coeur en vrac, même si pour elle, cela était au sens propre comme au sens figuré. Alors qu'elle lui affirma qu'aujourd'hui, il n'était rien qu'à elle, Liam afficha un sourire taquin, qui montrait clairement qu'il allait dire une bêtise. "Ah... si tu savais le nombre de filles qui ont pu me dire ça !" Il plaisantait, bien évidemment. Pourtant, il ne mentait pas. En partant de Bowen, il avait perdu énormément de repères. Et il s'était complu dans les bras de nombreuses filles. Théia savait qu'il n'était pas comme ça. Et encore moins vantard... Il attendit de savoir comment elle allait, esquissant un léger sourire quand elle lui affirma avoir la forme, comparant cela aux dix mètres haies. Au fond, ni l'un, ni l'autre ne pouvait le faire ce dix mètres haies et c'était peut-être ce qui les rapprochait le plus. "C'est vrai, ça ?" Il la connaissait bien. Il savait qu'elle pouvait cacher en réalité son vrai état de santé. Et lui avait le don pour mettre le doigt sur la vérité. Son passé de flic, probablement. Alors qu'il lui retourna la question, il haussa les épaules : "ça va aussi, j'ai presque les yeux en face des trous, aujourd'hui." Humour un peu douteux, certes, mais il était sincère. Même s'il était épuisé, il restait quand même dans un état bien plus appréciable que les jours de gueule de bois. Sa main frôlant les meubles, il se dirigea jusqu'au réfrigérateur qu'il ouvrit, sortant une bouteille de jus de pomme  : "Je n'ai que ça à t'offrir, désolé." Dit-il en riant. C'était le signal qui lui montrait qu'il fallait absolument faire des courses. Il revint vers son amie, posa les verres sur la table basse et s'affala sur le canapé. Il servit le jus de fruit, manquant quand même d'en mettre légèrement à côté et reprit, tout sourire : "Qu'est-ce que tu me racontes de beau ?"

Cette phrase qu'elle a prononcée et qui aurait pu être dotée d'un sous-entendu n'a cependant pas résonné comme tel venant de Théia. Liam, elle pourrait le considérer comme une sorte de grand frère. Le genre d'homme qu'elle aime embêter, taquiner, mais pour qui elle sera toujours présente quoi qu'il arrive. Elle sait que c'est réciproque, ce qui renforce encore plus l'affection qu'elle porte pour lui. À sa réponse, elle ne peut s'empêcher de rire avant de lui donner un léger coup dans l'épaule. « Pas dans ce sens là, imbécile ! » s'exclame-t-elle avec un grand sourire accroché aux lèvres. Elle a toujours aimé son humour qu'il arrive à garder malgré la situation. Ce doit être parce que Théia a été habitué à ça à force de passer du temps avec une bande d'adolescents rebelles. Ou tout simplement parce que, venant de Liam, tout lui semble plus amusant et si peu sérieux. Sans s'en rendre compte, il l'aide beaucoup à penser à autre chose qu'à son état de santé et, rien que pour ça, elle lui est déjà très reconnaissante. À sa question, elle hésite un moment avant de répondre. « Bon, peut-être pas en fait. Mais ça c'est plus une question de flemme. » Elle rit légèrement avant de s'intéresser à lui, à son mental. Connaissant Liam, elle l'imagine être dans cette caravane depuis déjà plusieurs jours sans jamais avoir mis le nez dehors. Théia le suit du regard pendant qu'il se dirige vers le frigo. « Ça tombe bien, j'adore le jus de pomme. » Elle appuie sur le mot "adore", parce qu'après tout elle ne s'attendait pas à ce qu'il lui sorte du champagne alors qu'elle débarque totalement à l'improviste. Comme souvent, d'ailleurs. Pendant qu'il sert, elle a envie de l'aider mais se concentre sur sa question. « Mmh, laisse-moi réfléchir. J'ai pas une vie très palpitante tu sais, il n'y a rien de bien particulier à dire à part, bah, je suis toujours vivante. » Elle dit ça sur le ton de l'humour, un humour cependant bien décalé. « Pas de petit ami, pas de boulot, pas de voiture. J'ai déménagé par contre ! » s'exclame-t-elle enfin. « Mais vu que je suis toute seule, il va vraiment falloir que je pense à un boulot, » ajoute-t-elle en soupirant.

Liam adorait retourner dans tous les sens les phrases de ses interlocuteurs. Théia ne dérogeait pas à la règle, même si, dans ce cas-là, cela relevait de la plaisanterie. Avec elle, il ne la jouait pas à la Casanova. Mais plutôt comme un grand frère. Il se mit à rire quand il entendit sa réponse, se contentant de répondre : "ça aussi, elles me le disent souvent." Il afficha un air dépité, qui sonnait clairement faux. Elle était habituée à son humour parfois douteux. Souvent douteux, même. Alors qu'il lui redemanda si elle allait vraiment bien, il sentit quand même qu'elle hésitait, mais sa réponse le fit lever les yeux au ciel : "On est une belle équipe de bras cassés, quand même." Un sourire se dessina sur ses lèvres, même si au fond, c'était bien vrai. Au moins, ils savaient se soutenir. Ils savaient s'arrêter quand l'un ou l'autre n'avaient pas envie de parler de leur état de santé. Ils n'avaient pas besoin de mots pour comprendre quand ils n'allaient pas bien. Parce qu'ils avaient tous les deux connu les examens à foison et les séjours à l'hôpital. Même si pour Théia, c'était depuis sa plus tendre enfance. Alors qu'il sortit du jus de pommes - faute d'avoir mieux - Liam prit des nouvelles de la demoiselle. Quand elle lui lâcha qu'elle était vivante, sur un ton humoristique, cela fit sourire Liam, même s'il eut un pincement au coeur. Parce qu'il avait toujours du mal à imaginer Théia comme un être malade. Elle ne le méritait pas, elle qui était si pleine de vie, si joyeuse, si adorable. Il ne pouvait s'imaginer que, du jour au lendemain, son état pouvait se détériorer. Il ne voulait pas l'imaginer. Il préféra donc ne rien répondre à ce sujet, s'amusant plutôt de la suite de ses paroles. "Un boulot, ça peut se trouver. Une voiture aussi. En revanche, le petit ami... c'est parfait comme ça. Je veux que tu ne me présentes personne avant tes 28 ans. Minimum..." Il éclata de rire, secouant la tête, avant de reprendre : "Je plaisante, tu t'en doutes bien. Je suis sûr qu'il y a un parfait petit jeune qui n'attend qu'une chose : que tu poses tes yeux sur lui. Et là, il aura intérêt à ne pas te faire de mal, sinon, je serai dans l'obligation d'aller lui dire deux mots." Oui, Liam s'emballait quelque peu, mais au moins, cela prouvait qu'il était là pour elle. Il leva son verre de jus de pommes pour trinquer et en but une gorgée. "Tu aurais pu me dire que tu déménageais. Je serai venu t'aider, quand même." Pas sûr qu'il soit d'une grande utilité, mais au moins, il aurait été là. "Du coup, tu cherches quoi comme boulot ? Tu pourrais essayer de te trouver un colocataire aussi. C'est plus sympa et tu partages les frais."

Malgré son handicap, Théia n'a pas vraiment de mal à s'imaginer Liam entouré de femmes. En dépit de leur relation très fraternelle, elle ne peut que voir bien plus de points positifs que négatifs chez lui. Déjà, il a cet humour parfois lourd qui n'a pourtant jamais manqué de la faire rire. Et puis, il suffit de s'attarder quelques minutes sur lui pour se rendre compte d'à quel point c'est un être merveilleux, rempli de gentillesse et de bonté d'esprit. En plus, elle même doit bien avouer qu'il n'est physiquement pas moche, Liam, malgré son coté négligé et ses cheveux qui partent dans tous les sens et que Théia a bien envie de recoiffer. « J'aurais pas dit mieux, » ajoute-t-elle avec un demi-sourire. Et pourtant, malgré leurs problèmes, elle comme lui ont continué à vivre. Ils se sont adapté, ont petit à petit trouvé les repères qui arrivent à ne pas leur faire perdre pied. Du moins, c'est le cas pour Théia. Malgré les quelques mauvaises passes qu'elle a traversées, elle se sent aujourd'hui bien mieux et prête à profiter de la vie qui lui est offerte. Pendant qu'elle parle, elle joue avec le verre de jus de pomme qui vient de lui être servi. Elle le fait tourner entre ses doigts, regarde le liquide bouger de gauche à droite, puis relève lentement les yeux vers Liam. Sa réponse la fait rire. « Parce que maintenant, j'ai besoin de ton accord pour avoir un petit-ami ? » demande-t-elle en haussant les sourcils. Malgré sa réaction étonnée, elle ne peut s'empêcher de trouver l'attention que lui porte Liam touchante. Rares ont été les fois où quelqu'un a pris soin d'elle comme lui le fait depuis qu'ils se connaissent. « J'aime l'idée d'avoir un garde du corps en cas de pépin, ça me fait carrément une bonne menace si quelqu'un m'emmerde un jour. » Elle sourit, les yeux levés vers le plafond. Même si il lui arrivait un jour une embrouille avec qui que ce soit, Théia n'aurait pas envie que Liam s'en mêle. Non pas qu'elle ne lui fasse pas confiance, mais elle tient trop à lui que pour risquer qu'il ne soit blessé à cause d'elle. À son tour, elle lève son verre et trinque avec lui avant de boire. « Désolééée, » s'excuse-t-elle avec une voix de bébé. « J'avais envie de me débrouiller, d'être une grande fille pour une fois. » Elle écoute ses conseils, hochant pensivement la tête. « J'y pensais pour la coloc, mais... on verra. Puis pour le boulot, j'en ai aucune fichtre idée, » ajoute-t-elle en riant.

Avec Théia, il n'y avait pas de filtre. Il avait trouvé en cette "petite" de vingt ans, une personne qui l'écoutait et le comprenait. Elle était bien plus mature que ces personnes que Liam côtoyait. Ses problèmes de santé l'avaient peut-être faite grandir bien plus vite que la normale. Elle dévorait la vie et appréciait chacune des secondes que cette dernière lui offrait. C'était ça qu'il aimait chez elle. Même si, oui, ils restaient une belle bande de bras cassés, ce qu'elle confirma, par ailleurs. Liam lui adressa un sourire, en secouant la tête, amusé. Alors qu'il prit une gorgée de son jus de pomme, le sujet du petit ami était venu sur la table. Pour la taquiner, Liam lui avait posé une limite d'âge. Pas avant 28 ans, disait-il. C'était radical, voire même tyrannique. Mais le regard de Liam s'était animé d'une lueur malicieuse, allant même jusqu'à répondre, en hochant vigoureusement la tête : "Bah oui !" Avec un sourire toujours aussi taquin, Liam reprit doucement : "T'inquiètes, Raiponce, je ne vais pas t'enfermer dans la plus haute tour de Bowen. Mais, fais juste attention. Nous, les garçons, on a tendance à être un peu cons avec les filles." Même si Liam avait été en couple pendant sept ans et qu'il succombait désormais au charme d'une belle blonde, il fallait dire qu'il avait aussi eu une période où il jouait avec le coeur des filles. Heureusement, cela n'avait pas duré longtemps. Il s'en était pris quelques unes dans la  figure, ce qui lui avait remis les idées en place. Il éclata ensuite de rire quand elle le qualifia de "garde du corps" et de "bonne menace". "Si ça venait à arriver, parle de ma carrière de flic. Parce que bon, si on me voit arriver dans cet état-là, pas sûr que je parvienne à faire peur..." Liam n'était pas dupe. Il n'était plus du genre à impressionner, si un problème venait à avoir lieu. Quoique... s'il fallait taper, peut-être qu'il arriverait à atteindre sa cible, avec un peu de chance. Beaucoup de chance, même. Elle lui apprit alors qu'elle avait déménagé. Le jeune homme voulait savoir pourquoi elle ne l'avait pas prévenu. Et sa réponse ne le convint pas plus que cela. Doucement, il rétorqua : "Tu sais, être une grande fille ne veut pas forcément dire qu'il faut se priver de bras lors d'un déménagement. Si tu as encore besoin d'aide, tu sais où me trouver." Quant à son besoin de trouver un boulot, là encore, elle trouva le moyen de le faire rire. "Voilà qui est clair et net !" Pour le coup, il ne pouvait pas faire grand chose. Il but une nouvelle gorgée de son jus de pomme, avant de se redresser. "Bon... qu'est-ce que tu veux faire ? ça te dit que l'on fasse un tour sur la plage ? Ou alors, on se regarde un film ?" ça, c'était l'une de leurs activités fétiches. Dans ce cas-là, Théia étaient ses yeux.

Bien que malade, Théia n'a jamais voulu être celle sur qui on s'apitoie. Celle qui fait de la peine, celle qui attire les regards remplis de compassion et qui fait chuchoter les gens entre eux. Au contraire, elle a toujours préféré vivre, s'amuser comme si elle n'était rien d'autre qu'une personne banale. Une adolescente parmi tant d'autres, une gamine qui peut s'amuser et qui comptent bien profiter de ces années qui lui offrent la vie. Au sourire de Liam, Théia ne peut tout bonnement pas s'empêcher de sourire elle aussi. Malgré le fait qu'elle n'aie pas envie de passer pour la brisée de service, elle doit bien admettre que leurs cassures à elle comme à lui ont fortement aidé à les rapprocher. Cela a crée une complicité entre eux qui fait que, sans avoir à parler, ils savent quand l'autre n'a pas le moral. Ils savent tous les deux ce que c'est, que de ne pas être dans la norme. « J'avais remarqué, » répond-elle en gloussant après sa réflexion sur les garçons. « Mais pas toi. Toi t'es différent, » ajoute-t-elle d'un ton rieur censé souligné une plaisanterie, même si au fond Théia pense absolument ses paroles. Elle sait qui il est, et elle apprécie Liam peut-être plus que d'autres hommes dans sa vie. Elle ne saurait pas dire pourquoi elle affectionne tellement cet être assis devant elle, ni même la raison qui la pousse à être là pour lui, quoi qu'il arrive. Elle en a simplement envie, il est de ceux qu'elle ne veut pas voir finir par sombrer. « Je crois surtout que t'es trop gentil pour faire peur à qui que ce soit. T'as une petite tête de bébé, » lâche Théia en posant ses deux mains sur les joues de Liam avant de se mettre à rire. Et pourtant, avec sa barbe de quelques jours et ses cheveux mal coiffés, il a en ce moment plutôt l'air d'avoir quelques années en plus. Des fois, Théia est tentée de le faire sortir pour lui offrir un petit relooking, sauf qu'elle craint toujours de la réaction de son ami par rapport à cette idée. Elle l'écoute ensuite, hoche lentement la tête, puis pousse un léger soupir. « Je sais bien. » Oui, peut-être qu'elle aurait dû demander de l'aide, mais elle avait eu pour une fois l'envie de se prouver qu'elle était capable de se débrouiller. Elle rit à sa réflexion, puis écoute ses propositions en se pinçant les lèvres pour y réfléchir. « Le tour sur la plage me plait bien ! » s'exclame-t-elle avec un immense sourire. Théia se lève, va poser son verre vide dans l'évier, puis se tourne vers Liam. « C'est très romantique comme proposition, fais gaffe je vais croire que t'essaies de me draguer. » Elle plaisante évidemment, elle sait très bien que Liam ne ferait jamais ça avec elle. Le dire tout haut l'amusait juste, et Théia n'a jamais été le genre de personne à garder pour elle les pensées absurdes qui lui traversent l'esprit.

Entre eux, la conversation était toujours légère. Ils pouvaient parler de sujets sérieux, sans tomber dans l'ennui. Ils avaient le don pour rebondir et c'était ce qu'il aimait le plus dans sa relation avec Théia. Tout les séparait pourtant : leur âge, leur vie, leurs hobbies. Mais de suite, ils avaient su trouver en l'autre un être complémentaire, qui se comprenaient sans avoir à sortir de grands discours. Comme à cet instant durant lequel Liam associait le mot "con" aux garçons. C'était sa manière de la protéger, de la mettre en garde, tel un grand frère qui surveillait sa petite soeur, sans l'étouffer pour autant. Quand elle lui sortit le fameux "Mais pas toi. Toi, t'es différent", Liam plissa des yeux, perplexe. "Je ne sais pas si je dois le prendre pour un compliment ou non. Vous les filles, quand vous sortez ça, ce n'est jamais bon. C'est comme le fameux "il n'est pas beau, mais il a du charme. Il a un truc !". Vous êtes impitoyables !" Comment ça, il exagérait ? Liam ?! Non, il n'était jamais dans l'excès. Jamais ! Un rire ponctua sa phrase, afin de montrer qu'il avait néanmoins bien saisi le message. Il savait que Théia l'appréciait, mais c'était toujours drôle de la mettre dans une situation gênante. Du coup, il avait enchaîné sur sa carrure de flic, même s'il n'était pas dupe. Il n'impressionnait plus grand monde. La jeune femme en rajouta même une couche, en lui affirmant qu'il avait une tête de bébé, le tout en posant ses mains sur ses joues. Il ne manquerait plus qu'elle les lui pince et elle aurait sorti tout l'attirail. Liam, pourtant, ne le prit pas mal. "Tu viens de briser toute ma virilité, là. Merci Théia. Merci beaucoup !" Il lui adressa un large sourire, même s'il détourna le regard un bref instant. Il ressemblait plutôt à une loque ces derniers temps, cela ne servait à rien de se voiler la face ou d'arrondir les angles. Il lui manquait plus que le t-shirt Heineken et la bedaine qui dépasse pour atteindre le summum du glamour ! Se redressant, Liam lui demanda ce qu'elle souhaitait faire. Théia opta pour la virée sur la plage. Il hocha la tête, terminant son verre de jus de pomme. Mais elle choisit ce moment-là pour lui sortir la pensée absurde de l'instant. Le jeune homme manqua de s'étouffer avec son jus, sa toux se transformant en rire, alors qu'il rétorqua : "Ne me donne pas des idées. J'ai de nouvelles techniques de drague à tester, en plus !" Elle jouait à ça, Liam jouait aussi. Mais ils savaient l'un comme l'autre que ce n'était que des taquineries. Preuve étant en la phrase qu'il sortit ensuite : "Cette virée, ça va surtout faire bouger toute notre graisse. Romantique, hein ?!" Oui, il avait osé, le bougre. Il lui sourit de toutes ses dents et ouvrit la porte de son mobile-home, lâchant joyeusement :"Allez, bouge tes fesses, Hamilton !" De vrais gamins, ces deux-là !

Parfois même sans s'en rendre compte, Théia a toujours été très taquine envers ceux qu'elle apprécie. Elle aime embêter, gentiment, elle s'amuse à chercher sans jamais aller dans la provocation. Parce qu'au fond, elle n'est pas méchante pour un sous l'étudiante. Surtout pas avec Liam, lui qui représente à ses yeux une de ses amitiés les plus sincères. Elle rit à sa réponse avait de faire semblant d'être choquée. « Quel préjugé ! » s'exclame-t-elle d'une voix aiguë avant de tout de suite reprendre. « Si je le dis c'est que je le pense, arrête de chercher le message caché ou je ne sais quoi, je suis loin d'être aussi manipulatrice que d'autres ! Tu me connais quand même, » finit-elle par ajouter alors qu'elle sait parfaitement que lui aussi, plaisante. Quoi qu'au final, Théia n'a jamais pu se retenir de se défendre face à ce genre de propos généralisateur. Elle n'est pas de celles qui parlent sans parler, elle a toujours été assez franche si pas un peu trop. Après lui avoir gentiment dit qu'il ressemblait plus à un bébé qu'à un homme rempli de virilité, elle laisse tomber ses bras le long de son corps et décide de laisser l'humour sur le coté histoire ne pas finir par lui faire perdre totalement confiance en lui. « Tu sais Liam, si t'entretenais un peu ta barbe et que tu sortais un peu plus, je suis certaine que t'aurais une horde de femmes à tes pieds. Le style hobo, ça a toujours eu son petit charme. Il te manque juste la guitare au dos et les sandales ouvertes. » Au final, impossible pour elle de rester sérieuse trop longtemps. En réalité, Théia n'a jamais été très agile quand il s'agit de complimenter les gens. Elle n'est tout simplement pas douée pour ça, alors elle se contente de cacher le véritable sens de ses paroles sous un humour léger que trop peu de personnes comprennent. En voyant Liam manquer de s'étouffer suite l'absurde réflexion qu'elle a lâchée sans y réfléchir, un sourire fier et amusé vient étirer ses lèvres. « Arrête, tu attises un peu trop ma curiosité là ! » s'exclame-t-elle en haussant les sourcils. Elle aimerait bien voir ça, même si elle n'est pas certaine de si elle arriverait à contrôler son rire, ce qui foutrait un peu en l'air sa crédibilité. Ce qu'il lui dit ensuite la fait plisser les yeux. « TA graisse de paresseux, » dit-elle en plantant son index dans le flan de Liam, sans gène. Il l'incite à bouger, et c'est avec joie que Théia sautille telle une enfant en direction de l'extérieur. Elle regarde devant elle avant de se tourner vers Liam, ne pouvant s'empêcher de vérifier discrètement si il n'a pas besoin d'une aide quelconque. « Tu sais, je trouve qu'on devrait sortir plus souvent toi et moi. Aller boire un café, ou simplement écouter les conversations des gens dans la rue et se moquer de leurs ridicules peines de cœur. Je préférerais te savoir en bonne compagnie -la mienne- qu'enfermé ici. » Et puis, c'est une bonne excuse pour le voir plus souvent. Faisant un tour de cent-quatre-vingts degrés, Théia se place à coté de lui et marche en plongeant ses mains dans les poches de son jeans.

Entre eux, il n'y avait aucun filtre. On pouvait croire qu'ils se lançaient quelques vacheries à la figure, mais rien de tout cela. Quand Théia et Liam se taquinaient, le second degré était de mise. A l'heure actuelle, c'était surtout Théia qui prenait le dessus. Et elle ne le ménageait pas, la bougresse ! S'il avait été susceptible, Liam aurait pu faire sa tête de mule en voyant le mal là où il n'y en avait pas. Mais il n'était pas comme cela. Pourtant, quand il lui annonça qu'elle avait brisé sa virilité en lui disant qu'il avait une "tête de bébé", Liam fut surpris d'entendre tant de sérieux dans la voix de la jeune femme. Il fronça légèrement les sourcils, mais Théia restait Théia. L'humour revenait toujours très vite. Le jeune homme secoua la tête, amusé. "C'est bon, j'ai la barbe et la guitare. Il ne me reste plus qu'à acheter les sandales ouvertes et je peux aller sur la plage, pour chanter la sérénade à ma horde de femmes." Il resta songeur un instant, avant de reprendre, un vague sourire sur les lèvres : "Quoique... la horde, ça ne m'intéresse pas. Une femme, ce serait déjà bien." Une en particulier, manqua-t-il d'ajouter, mais ça, c'était une autre histoire. Heureusement, le ton léger persista. Encore plus quand ils parlèrent de drague et des techniques qu'il pourrait tester. Il avait attisé sa curiosité, disait-elle, et Liam, lui, continua ce petit jeu débile, en secouant la tête, un air hautement sérieux sur le visage. Il se retenait surtout de rire, encore plus quand il annonça, avec gravité : "La curiosité est un vilain défaut, Hamilton. Tu te rends compte, tu es la seule fille dans les parages, si je venais à tester ces techniques de drague, tu y prendrais goût. Et tu finirais par tomber amoureuse de moi. Et je te briserais le coeur. Tu resteras des journées et des journées entières, dans ta chambre, à écouter du Adèle, couchée en boule dans ton lit. Non vraiment, je veux t'épargner cela." Il tapota même l'épaule de la jeune femme, dans un geste pseudo-réconfortant, avant d'éclater de rire. Il aimait enfiler cette casquette de goujat, même si cela était bien loin de la personne qu'il était. Enfin, le coup de la graisse, ça restait mauvais, même si Théia trouva de quoi répliquer. Il prit un air outré, avant de rétorquer : "Va pas croire, j'ai encore des tablettes de chocolat. Elles ont un peu fondues, mais elles sont encore là." Sa graisse de paresseux, non mais oh ! Il la suivit à l'extérieur, refermant la porte derrière eux. Quand il arriva à sa hauteur, Liam esquissa un nouveau sourire face à la proposition de Théia. Il était touché de voir qu'elle s'inquiétait quand même de le voir si renfermé. "Tu sais que j'aime bien être avec toi, alors je ne peux qu'être d'accord avec ce que tu me proposes. Je vais finir par me bouger, je te le promets." Et ce n'était pas des paroles en l'air. Des promesses, il en avait fait. Et il y en avait beaucoup qu'il n'avait pas tenu. Mais il avait envie de se reprendre en main et il savait que Théia serait un moteur pour lui. Quand il était avec elle, tout devenait bien plus léger, comme si elle pansait ses nombreuses plaies avec ses rires et ses blagues à deux balles. C'était une belle amitié qu'il chérissait particulièrement. Sur ces mots, ils prirent la direction de la plage, où ils restèrent une bonne partie de la soirée, à refaire le monde à leur manière.