there's no running that can hide you ▬ nelligan

L’éditrice de Juliet lui mettait des délais de plus en plus serrés pour la sortie du troisième tome de la saga dont elle était l’auteure. Cela faisait en sorte que Nelligan et elle avaient de moins en moins de temps pour se voir. Au départ, ils s’arrangeaient pour se voir quand même, quitte à ce que Juliet écrive à côté de lui pendant qu’ils jouaient à des jeux vidéo, mais au fil du temps, la concentration de la rouquine n’était plus assez grande pendant ces moments en amoureux. Elle avait besoin d’être dans sa bulle et d’oublier tout le stress en lien avec la sortie et la promotion du livre. Nelligan comprenait, même si ça ne l’enchantait pas de se retrouver de nouveau seul, en quelque sorte. Il avait l’impression de retomber dans la même situation que celle vécue avec Lola. Ils étaient ensemble sans être ensemble. Nelligan étant quelqu’un de très affectueux, il avait un besoin constant de la présence de l’autre. Il s’ennuyait rapidement. Et Juliet lui manquait. Ce midi, il en avait eu assez de manger en tête à tête avec une chaise vide, alors il se décida à sortir, même si c’était pour être toujours aussi seul au beau milieu de gens ensemble. Au moins, ce ne serait pas le silence total. Il se rendit donc au bar-restaurant auquel il avait l’habitude d’aller pour un repas rapide et pas trop cher, et s’installa au comptoir, ne voulant pas monopoliser une table à lui seul. Quand il leva les yeux vers la serveuse, quelle ne fut pas sa surprise de se retrouver face à face avec Olivia. Plutôt qu’un tête-à-tête avec une chaise, il en aurait un avec un fantôme. Ou du moins, une revenante. « Livia ? » Nelligan fronça légèrement les sourcils. Il était partagé entre le bonheur de revoir son amie d’enfance, celle qui avait connu tant de ses premières fois, et la colère qu’elle soit à Bowen sans même donner signe de vie, ni à lui, ni à Asriel. Surtout à Asriel. « Où étais-tu ? De-depuis quand t’es là ? » Bredouilla-t-il, encore sous le choc.

Olivia haussa les sourcils, un mince sourire aux lèvres. Cette réaction froissa Nelligan, parce qu’elle agissait seulement comme si elle avait été prise la main dans le sac, pas comme si elle revoyait son ami d’enfance à qui elle n’avait donné aucune nouvelle depuis des mois. Même qu’elle ne répondit même pas à sa question et se tourna vers un autre homme, un employé ou un patron, peu importe, mais elle lui parla à voix basse pendant un moment. Aucun mot échangé avec Nelligan pendant tout ce temps, juste ce sourire coupable qu’elle lui avait offert un court moment. Les sourcils de Nelligan étaient toujours froncés, et ne s’adouciraient que lorsqu’Olivia se montrerait sous une différente attitude et qu’elle s’expliquerait un minimum. Ils n’avaient pas traversé toutes ces années côte à côte pour qu’elle le mette de côté aussi facilement. Peu importe les raisons de sa douleur, peu importe sa souffrance suite au décès de sa fille. Olivia était partie comme une voleuse. Elle devait des explications à tant de personnes ici, à commencer par Asriel et lui-même. Quand son interlocuteur fut disparu en cuisine, Olivia se tourna enfin vers Nelligan, semblant chercher son courage. Elle s’appuya sur l’évier qui les séparait et lui répondit enfin, lui expliquant où elle se trouvait pendant tout ce temps, depuis combien de temps elle était revenue, et où elle se trouvait maintenant. Tout cela, elle le balança d’un coup à la figure de son ami d’enfance, qui essayait de gérer ce flot d’informations. « Oui, j’ai bien remarqué que t’avais quitté la ville. Asriel aussi. » Avait lâché Nelligan, sec, alors que ce n’était pas son genre d’être rancunier. Mais la situation était trop à part pour qu’il puisse se raisonner. « Deux semaines, putain Livia, de quoi tu te caches ? De quoi t’as peur, ici ? » Demanda Nelligan, confus, parce qu’il avait beau ne pas croire qu’elle ait eu quoi que ce soit à voir avec le décès de son enfant, le jeune homme ne comprenait pas pourquoi elle se faisait aussi petite depuis cette histoire. Il ne comprenait pas non plus pourquoi ce n’était pas chez lui qu’elle était allée. Pourquoi elle n’avait pas couru jusqu’à sa porte à son retour. Tout ça ne faisait aucun sens à ses yeux.

Déchiré entre le bonheur de la revoir et la peur de connaître la vérité derrière la mystérieuse disparation d’Olivia, Nelligan hocha tout de même la tête quand elle proposa d’aller prendre place à une table, puisqu’elle n’aimait pas parler ici. Devant tout le monde. Trop près des oreilles indiscrètes. À découvert malgré ses secrets. Certes, elle n’avait rien dit de tel, mais Nelligan arrivait facilement à se faire ce genre de scénarios. Certains diraient qu’il avait tout simplement joué à trop de jeux vidéo dans sa vie mais, sachant qu’Asriel n’écartait pas non plus l’éventualité de la culpabilité de sa fiancée, Nelligan osait avoir ses doutes lui aussi. Même si ça le torturait d’en avoir. Olivia étant déjà en train de contourner le bar pour se diriger vers la salle où les tables s’enlignaient les unes à côtés des autres, Nelligan se leva et alla la rejoindre, déglutissant au moment de s’asseoir face à elle. Ils étaient bien à l’écart, et le jeune homme se doutait bien que ce choix n’était pas aléatoire de la part de son amie d’enfance. Après avoir croisé ses longues jambes qui l’avaient souvent fait rêver quand ils étaient plus jeunes, Olivia prit la parole et lui parla de ses peurs. Celles qui l’avaient poussée à partir, ou plutôt, à fuir. Quand elle parla du regard presque accusateur d’Asriel concernant la mort d’Oksana, Nelligan blêmit et fuit le regard de son amie. Il allait répondre – du moins il planifiait le faire – quand Olivia reprit la parole pour ajouter que c’était stupide, mais que c’était son ressenti. Nelligan essaya de cacher son trouble, essaya de cacher le fait qu’en fait, ce n’était pas stupide, et que ce n’était pas que son ressenti. Il ne voulait pas aggraver sa situation avec Asriel. Ils avaient besoin de se parler, tous les deux, sans que Nelligan ne s’en soit mêlé. « Peu importe ce que pensait Asriel, devais-tu avoir peur de lui au point de partir sans explication ? » Cette peur, si elle n’était pas justifiée par une réelle culpabilité, était insensée. Ils auraient pu passer au travers de cette épreuve ensemble. La réaction d’Olivia n’avait engendré que souffrances pour tout le monde. « Livia, tu n’as pas aidé ta cause en disparaissant comme ça … Tout le monde se pose des questions. » Il baissa les yeux, avant de les relever vers elle, hésitant. « Moi le premier. Je ne comprends pas pourquoi tu n’es pas venue à moi bien avant. » Eux qui avaient tout vécu ensemble, eux qui avait fait les quatre cents coups – un de plus ou de moins …

Olivia reprit son discours en réitérant le fait que ses peurs ne se limitaient pas à Asriel, mais à toute la vie qui l’attendait sans son enfant, aussi. « Je sais, Livia, et loin de moi l’envie de diminuer le mal que ça fait de perdre un enfant … » Il s’arrêta quand la serveuse vint prendre sa commande. Il n’avait plus faim, tout d’un coup, alors il se contenta d’un verre d’eau gazéifiée, rien de plus. Nelligan sentait que son amie s’énervait et pourtant, lui conservait tout son calme malgré toutes les questions qui fusaient dans son esprit. Tout ce qu’il désirait, c’était ses explications, pour lui permettre une meilleure compréhension. Et pourtant, plus elle s’expliquait, plus des morceaux manquaient au casse-tête. Ce n’était pas un tout complètement sensé. Il manquait des bouts à l’histoire. Ça inquiétait Nelligan. « Je ne comprends toujours pas pourquoi en parler à Asriel t’était impossible ? Il a souffert autant, Olivia, sinon plus parce qu’en plus de perdre votre bébé, il t’a perdue toi, sans savoir où t’étais. Il aurait compris, tu sais. Vous auriez pu, ensemble, vous reconstruire. Vivre ailleurs, j’en sais rien, mais le faire à deux … » Olivia gardait le silence, les yeux plein d’eau, et Nelligan baissa les yeux un moment. Il se sentait affreusement mal de lui faire autant de peine, mais elle devait comprendre que tous ceux qu’elle avait laissé derrière avait eu mal, eux aussi. La blonde reprit finalement la parole pour lui dire que perdre un enfant était si douloureux qu’aucun mot n’existait pour le nommer. Il hocha la tête, sentant son cœur se serrer à son tour. « Je sais. Tu sais, pendant ton absence, Lola a fait une fausse couche … J’avais encore jamais vu cet enfant et pourtant la souffrance a été horrible. Je ne veux même pas imaginer ce que tu as ressenti. » Nelligan ne lui partageait pas cette information pour la faire culpabiliser ou pour s’attirer sa compassion, non. Il tentait de lui faire comprendre qu’il comprenait, mais que pourtant, d’autres solutions s’étaient présentées pour lui autre que la fuite. « T’avais tout le soutien nécessaire, ici. Auprès de qui, de quoi, cherchais-tu réconfort, là-bas ? » Peu importe où ce là-bas était vraiment.

Nelligan baissa les yeux dès qu’Olivia lui reprocha, en élevant un tantinet la voix, de croire qu’elle n’avait pas pensé à Asriel, à toute la souffrance qu’il ressentirait. Il resta muet, c’était ça ou un haussement d’épaules, et il se doutait bien que s’il haussait les épaules, Olivia s’énerverait davantage contre lui. En réalité, il était juste confus, incapable de réfléchir correctement. Ces retrouvailles étaient bien trop houleuses à son goût et il n’avait aucune idée de comment se sortir de cette merde dans laquelle il avait plongé à pieds joints. Il ne savait pas de quoi il parlait, il ne pouvait aucunement se mettre à la place d’Olivia et pourtant, le voilà qui était en train de la juger. C’était sans doute ses propres blessures qui parlaient, parce qu’il s’était senti abandonné, et aussi parce qu’il avait été troublé par ce qu’Asriel avait pu penser du départ de sa fiancée. Nelligan avait trop d’idées contradictoires en tête. Déchiré entre l’envie de passer l’éponge avec Olivia et l’idée de se méfier d’elle, il disait n’importe quoi, ne se rendant même pas compte qu’il se montrait injuste et égoïste par rapport à elle. Olivia avoua finalement n’avoir pensé qu’à elle, et tout d’un coup le jeune homme se trouva stupide de l’avoir poussée à avouer ça. « C’est normal, Livia … t’étais sous le choc. Tes idées ne devaient pas être claires. » Encore une fois il avait l’impression d’avoir été maladroit dans ses paroles, mais Nelligan ne savait pas comment réagir face à cette situation. Personne n’était prêt, un jour, à affronter un tel retour en de telles circonstances. Trouver les bons mots était une mission quasi-impossible. Il voulait défendre Asriel tout en défendant son amie d’enfance, et faire les deux en même temps, ce n’était pas chose facile.

Dans un autre élan de maladresse, Nelligan avait osé dire qu’il comprenait sa souffrance, d’une certaine façon, puisque Lola avait fait une fausse couche durant l’absence d’Olivia. Dans sa tête, cela ne sonnait pas comme une comparaison, plutôt comme un signe qu’il savait en quelque sorte ce qu’elle avait ressenti. Nelligan était bien conscient que ce n’était pas du tout la même perte. Son embryon n’avait même pas eu le temps de se développer au point d’en devenir un être ressemblant un minimum à un petit enfant. Nelligan n’avait même pas eu le temps de savoir si ce serait un garçon ou une fille. Il n’avait eu le temps que de se projeter dans le futur en tant que papa, mais ça lui avait suffi, à lui, pour avoir le cœur brisé à l’annonce de la fausse couche. Il ne méritait donc pas toute la hargne que lui jeta Olivia au visage suite à cette révélation. Nelligan n’avait sans doute pas bien choisi les mots ni le bon moment, mais il ne méritait pas cet accès de colère. « J’ai pas dit que c’était la même chose. » Répondit sèchement le trentenaire, fuyant le regard d’Olivia. Il n’arrivait pas à croire qu’ils en soient arrivés là. Eux qui n’avaient jamais – ou très rarement – eu de disputes. Eux qui se laissaient aller au quotidien, ensemble, surfant la vague depuis tant d’années. Les voilà qui étaient au bord du gouffre. Parce que leurs plaies béantes saignaient abondamment, tachant cette amitié si longuement entretenue. « J’ai jamais même comparé, pas vraiment. C’est toi là qui es en train de minimiser ma souffrance comparativement à la tienne. C’pas juste, ça non plus, Olivia. » Son verre d’eau avait beau être devant lui, Nelligan n’avait pas envie d’y toucher, sauf si c’était pour l’envoyer valser sur le plancher.

Mais Olivia fondit en larmes, la tête dans ses mains, et Nelligan n’arriva pas à alimenter sa colère plus longtemps. Elle s’excusa, se justifia, et évidemment, le jeune homme comprit d’où toutes ces paroles provenaient. Elle releva la tête et tendit ses mains vers son ami, qui n’hésita pas à les attraper. « C’est moi qui suis désolé, Olivia. À force d’être avec Asriel, je pense que … que j’ai un peu pris de ses sentiments pour me les approprier, et ça a fait en sorte que je t’en ai voulu plus que ce que je ne le devrais … » Il soupira, attristé de voir son amie en détresse à ce point. Il se sentait impuissant. « Tu as mon soutien, je te le promets. Ok ? Je m’excuse. Je suis soulagé de te retrouver, de savoir que t’es en santé, que … bref, je suis soulagé de te savoir ici. » Il serra ses mains dans les siennes.

Afin d’alléger l’ambiance, Nelligan rigola lui aussi suite au reniflement d’Olivia qui était loin d’être subtil. Son rire fut bref, léger, et nostalgique, mais il fut là quand même. Un regard tout d’un coup beaucoup plus tendre se posa sur son amie d’enfance alors qu’elle le remerciait probablement d’avoir déposé les armes, d’avoir adoucit son discours. Il avait fait passer le message qu’il avait à passer, pour lui, pour Asriel. Maintenant, Nelligan devait changer de côté et être là pour la blonde, puisqu’ils avaient toujours été là l’un pour l’autre. Le jeune homme porta ses mains à son verre d’eau gazéifiée une fois qu’Olivia les eut lâchées. Elle fouillait dans son sac à main, visiblement à la recherche d’un mouchoir puisqu’elle redéposa son sac après en avoir retiré un. Nelligan, pendant ce temps-là, se confondait encore en excuses, expliquant que les sentiments d’Asriel avaient sans doute déteints sur lui, ce qui expliquait tous ses reproches. Olivia ne manqua pas de relever cette information, visiblement surprise. Quand la blonde jeta son mouchoir, Nelligan prit la parole, ayant profité de ces quelques secondes pour réfléchir. Encore une fois, il venait de se mettre les pieds dans les plats. « Non mais, je veux dire que … ben, que … j’ai traîné pas mal avec Asriel et euh … ben, forcément, il était pas … il était pas dans son assiette, hein et … on dirait que j’ai voulu prendre un peu du poids qu’il portait sur ses épaules pour le soulager, mais … mais ça a été lourd pour moi aussi du coup. Donc j’ai … j’ai sans doute eu plus de colère envers toi que je n’en aurais eue en temps normal. » Il baissa les yeux. « C’est tout ce que je voulais dire par là. » Il y avait bien plus mais ça, c’était entre Asriel et Olivia. Nelligan n’avait aucunement le droit, ni l’envie d’ailleurs, de se mêler du reste de leurs règlements de compte. Asriel avait ses doutes, ses peurs et ses inquiétudes face à toute cette histoire, mais Nelligan n’était pas celui qui les dirait à Olivia.