c'est quand qu'on mange ? ◭ JULIE

Une foule incroyable se déversait ce jour-là dans les rues commerçantes, rendant le moindre déplacement difficile. Il fallait zigzaguer entre les vieilles personnes trop lentes, les mamans et leurs marmots bruyants, tout en faisant attention à ne percuter personne qui irait dans le sens opposé au sien. Et quand on arrivait à pénétrer dans la fraîcheur d'un magasin, la lumière artificielle finissait bien vite de vous achever. Ezra détestait le shopping. C'était quelque chose qu'il mettait au clair dès que quelqu'un lui proposait une quelconque sortie dans les rues commerçantes de Bowen. Pour une ville de 7 000 habitants, il était curieux d'en retrouver un bon quart tous les jours à cet endroit. Probablement parce que la plupart n'avait rien d'autre à faire. Et aujourd'hui, Ezra n'était pas plus occupé qu'eux. C'était Julie qui était parvenue à l'extirper de son appartement afin de l'accompagner dans un nouveau périple shoppinguesque en vue d'un prochain mariage. Ezra s'était d'ailleurs toujours demandé pourquoi une personne aussi dégoutée que lui par l'idée même d'engagement était devenue organisatrice de mariages. Ah, l'ironie de la vie, quand tu nous tiens. Toujours était-il qu'il était coincé avec elle pour une bonne partie de la matinée, bien que ce ne soit pas le problème. Il la suivait dans le magasin d'un air boudeur, traînant des pieds et jetant des regards mornes sur les produits exposés. Cela ne faisait qu'une demi-heure qu'ils étaient entrés dans la boutique et déjà il avait repéré des guirlandes de fleurs avec lesquelles se pendre si Julie était trop longue à faire son choix.

« Juliiiiiiie... » fit Ezra d'une voix traînante. « C'est quand qu'on mange ? Il est près de onze heures passées... Tu veux ma mort, hein, c'est ça ?»

Julie avait beau être différente de la plupart des jeunes filles de son âge, elle n'en conservait pas moins un goût particulier pour le shopping. De toute façon, avec son métier, elle était obligée de passer le plus clair de son temps dans les magasins. Elle était continuellement en quête d'objets qui pourraient embellir la décoration d'une salle, orner l'accoutrement de la mariée (oui, oui, l'accoutrement) ou donner un style à chacune des tables. Bref, elle devait sans sens innover et passer son temps dans les boutiques de Bowen pour trouver les idées les plus originales possibles. Ce matin-là, elle avait décidé d'emmener son meilleur ami avec elle. Elle savait qu'il était loin d'être fan du shopping, mais elle n'avait pas eu envie de sortir seule. Elle l’avait donc extirpé de force de son appartement et s’était joyeusement dirigée vers une boutique du centre-ville en vue de trouver tout ce qu'il lui fallait pour la prochaine réception qu’elle avait à organiser. Comme d'habitude, le centre-ville était bondé. Mais cela ne la dérangeait pas plus que cela ; en réalité, elle adorait l’effervescence des petites villes et voir du monde la réjouissait. Elle n'était pas vraiment fan de la solitude et elle préférait largement devoir se frayer un passage parmi la foule que de marcher seule, comme une âme en peine, dans les rues désertes. Une fois parvenus à la boutique, Julie tira Ezra par le bras pour qu'il la suive sans ronchonner. Elle le connaissait par cœur et savait pertinemment que ce n'était qu'une question de minutes avant qu'il ne se mette à jouer les gamins capricieux. Ce qui l'amusait beaucoup, d'ailleurs. « Juliiiiiiie... C'est quand qu'on mange ? Il est près de onze heures passées... Tu veux ma mort, hein, c'est ça ? » Bingo. La jolie blonde continua à inspecter des verres en cristal, feignant de ne pas avoir entendu les jérémiades de son meilleur ami. Elle se tourna vers lui quelques secondes plus tard, un sourire aux lèvres. « Qu’est-ce que tu penses de ses verres ? Ils sont parfaits, non ? J'hésite, en fait. Ceux-là ne sont pas mal non plus », continua-t-elle en prenant un autre verre dans les mains. Elle l’agita devant les yeux d’Ezra, essayant tant bien que mal de masquer son amusement. Hors de question de capituler maintenant. Il n’était que onze heures et elle n’avait pas l’intention de quitter cette boutique tant que son choix définitif ne serait pas fait.

Ezra posa un oeil vitreux sur le verre en cristal que sa meilleure amie s'amusait à agiter devant lui. Julie faisait de son mieux pour garder un air sérieux mais la lueur malicieuse qui brillait dans ses yeux trahissait son amusement. « Qu’est-ce que tu penses de ses verres ? Ils sont parfaits, non ? J'hésite, en fait. Ceux-là ne sont pas mal non plus. » Il observa sa meilleure amie un long instant sans rien dire. Son avis était que non seulement c'était le verre le plus moche qu'il avait jamais vu mais qu'en plus il commençait à avoir une faim de loup. Un temps. « Tu m'écoutes au moins ? » reprit Ezra d'un ton exaspéré. Il se doutait bien que Julie avait parfaitement entendu ce qu'il avait dit. Mais qu'elle avait tout simplement décidé d'ignorer ses protestations. Chose qui était loin d'être nouvelle. Ce n'était que la phase une de son plan d'évasion: avant toute chose, agacer l'ennemi pour affaiblir motivation et sang-froid. Il est conseillé d'agir comme un enfant de cinq ans, l'appeler « maman » à de multiples reprises (en prenant toutefois le risque de se prendre une gifle, auquel cas mieux vaut être réactif pour l'éviter), en bref: la tourner en ridicule devant tous les autres clients. Julie reposa le verre sans répondre et continua de s'enfoncer dans le magasin sous les bruyants soupirs de son meilleur ami. Qu'avait-il donc fait pour mériter ça ? « Mamaaaaaaan... allez, s'il-te-plaît, j'vais mourir si j'mange pas. Tu sais comment ça marche non ? J'vais défaillir et faudra que tu appelles une ambulance et je finirai à l'hosto parce que tu m'auras refusé mon déjeuner. Allez quoiiii... » Insister sur les mots en étirant les voyelles est aussi une bonne tactique: cela rend vos gémissements encore plus insupportables pour votre ennemi. Ezra oubliait cependant une chose: Julie n'était pas un ennemi comme les autres. Si la vie était un jeu vidéo, elle serait le boss final. Et il était toujours difficile de gagner du premier coup. Et alors que la blonde se penchait sur des assiettes d'un blanc nacré, Ezra se rapprocha d'elle dans son dos et vint lui murmurer à l'oreille d'une voix gutturale : « Moches ces assiettes sont. Manger nous devons. M'écouter tu dois, jeune padawan. »

Julie savait que son meilleur ami allait tout mettre en œuvre pour obtenir gain de cause et sortir de ce magasin au plus vite. Mais c'était sans compter sur sa détermination hors-pair et sa patiente innée. Autrement dit, elle ne céderait pas aussi facilement. Elle était persuadée qu'il se fatiguerait bien avant elle ! « Tu m'écoutes au moins ? » La meilleure tactique était probablement de faire celle qui ne l'entendait pas, de l'ignorer purement et simplement, et de continuer à déambuler dans les rayons de la boutique comme s'il n'était pas là, derrière elle, à pleurnicher comme un gamin. Elle reposa donc le verre qu'elle avait en main pour aller explorer d'autres recoins du magasin, sous les soupirs agacés d'Ezra. « Mamaaaaaaan... allez, s'il-te-plaît, j'vais mourir si j'mange pas. Tu sais comment ça marche non ? J'vais défaillir et faudra que tu appelles une ambulance et je finirai à l'hosto parce que tu m'auras refusé mon déjeuner. Allez quoiiii... » Maman, vraiment ?, pensa Julie. S'il croyait que ce petit jeu allait suffire à la faire changer d'avis, il se trompait affreusement ! La jeune femme n'avait pas peur du ridicule et elle se moquait bien que la plupart des clients du magasin la regardent. De toute façon, elle n'était pas responsable des gémissements de son meilleur ami. Au final, il se ridiculisait dix fois plus qu'elle. Restant impassible, elle reporta son attention sur une pile d'assiettes, qu'elle examina avec attention. « Moches ces assiettes sont. Manger nous devons. M'écouter tu dois, jeune padawan. » La jeune femme se mordit la lèvre pour ne pas éclater de rire. Où allait-il chercher tout cela ? Elle se tourna légèrement pour lui faire face, relativement près de son visage, puis elle planta ses yeux rieurs dans les siens. « Essayer encore tu dois. Rester dans ce magasin nous allons », répondit-elle sur le même ton que lui avant de lui offrir son plus beau sourire. « En plus, je fais un bien meilleur Yoda que toi. » Elle le toisa un instant, l'air fier, avant de se mettre à rire et de l'attraper par le bras pour être sûre qu'il la suive. « Et si tu te rendais utile, au lieu de bouder ? J'ai besoin d'un homme grand, beau et fort pour me porter ça. » Sa phrase à peine terminée, elle lui fourra une énorme pile d'assiettes dans les mains. Elle venait de décider qu'elles convenaient parfaitement à ce qu'elle cherchait et qu'elle devait les acheter. Juste histoire d'ennuyer encore un peu plus son meilleur ami, évidemment.

Du coin de l'oeil, Ezra pouvait voir sa meilleure amie se mordre la lèvre pour éviter d'éclater de rire et par la même occasion, de lui donner la satisfaction de l'atteindre de quelque manière que ce fut. Le jeune homme ne bougea pas d'un pouce, attendant sa réponse. Le visage rayonnant de Julie se tourna alors doucement vers le sien et elle répliqua, son regard amusé planté dans le sien: « Essayer encore tu dois. Rester dans ce magasin nous allons. » Oh non, elle n'avait pas retourné son propre humour contre lui. Elle était forte, très forte, dans son genre. Enfin, elle n'était pas sa meilleure amie pour rien. Cette dernière lui offrit d'ailleurs son plus beau sourire avant de poursuivre: « En plus, je fais un bien meilleur Yoda que toi. » Ezra ne sut que répondre alors qu'elle le toisait du regard, visiblement satisfaite de sa réplique. Le garçon reprit son air boudeur, se laissant néanmoins entraîner par la blondinette qui lui attrapa le bras, le gardant fermement près d'elle pour éviter qu'il ne s'échappe. Ce ne fut qu'un peu plus loin dans le rayon des assiettes que Julie le lâcha, pour mieux lui fourrer une pile d'assiettes dans les mains sur ces mots: « Et si tu te rendais utile, au lieu de bouder ? J'ai besoin d'un homme grand, beau et fort pour me porter ça. » Intérieurement, Ezra se mit à légèrement paniquer. Il ignorait si c'était un test de la part de sa meilleure amie, ce dont il était sûr en revanche, c'était qu'il avait toujours été d'une maladresse de maître. Et avant que Julie ait pu faire un pas de plus dans l'allée, il pesta, les membres tremblant: « T'es folle ? Tu veux que je casse tout ? Je te jure que si je fais tomber ces assiettes, ça sera de ta faute. Et si on allait chercher un caddie ? J'suis pas du tout rassuré. » Là-dessus, la blonde l'ignora avec suprême et continua son chemin sans plus de commentaire, le laissant planté là. « Julie ! Allez quoi ! » reprit Ezra en haussant la voix, s'attirant les regards réprobateurs des autres clients. N'obtenant aucune réponse, il suivit les pas de sa meilleure amie qui venait de disparaître dans l'allée d'à côté, tout en faisant de son mieux pour ne rien casser.

La jeune femme devait avouer qu'elle était plutôt fière d'elle. Elle avait réussi à clouer le bec d'Ezra et savourait ce moment avec délectation. Bien évidemment, il n'allait pas rester muet éternellement et une fois la surprise passée, il allait certainement se remettre à traîner des pieds tout en la suppliant de l'écouter. Mais elle avait gagné une bataille et ce n'était pas rien ! « T'es folle ? Tu veux que je casse tout ? Je te jure que si je fais tomber ces assiettes, ça sera de ta faute. Et si on allait chercher un caddie ? J'suis pas du tout rassuré. » Et voilà. Comme elle s'y attendait, son mutisme n'avait été que de courte durée et il recommençait à se plaindre. Malgré tout, elle le trouvait très attendrissant. Le voir paniquer parce qu'il avait une pile d'assiettes dans les mains était extrêmement mignon. Mais elle n'était pas encore prête à céder. Elle s'était prise au jeu et sa détermination demeurait sans faille. L'ignorant de plus belle, elle continua son périple à travers les allées de la petite boutique, laissant Ezra se charger des assiettes sans lui venir en aide. « Julie ! Allez quoi ! » Julie esquissa un nouveau sourire mais se retourna pas pour autant. Elle préférait l'ignorer, il finirait bien par la suivre. Elle s'engouffra alors dans une nouvelle allée et admira des boites en plastique remplies de décorations parfaites pour un mariage romantique à souhait : des coeurs, des plumes blanches, des perles... Bref, la panoplie parfaite du mariage presque parfait. « Ezra ? », appela-t-elle en haussant légèrement la voix pour qu'il l'entende. « Tu veux bien prendre ça, aussi ? », dit-elle en posant deux des boites au sommet des assiettes qu'il portait, sans même prendre la peine d'attendre sa réponse. Elle savait qu'il allait probablement rétorquer quelque chose de négatif, alors elle le coupa avant même qu'il ouvre la bouche : « Plus tu porteras de trucs, plus vite on sortira. On va perdre du temps si on retourne à l'entrée du magasin pour prendre un caddie. Et puis, ça va te faire les muscles », argumenta-t-elle avant de lui faire un clin d’œil. Ne lui laissant même pas le temps de répliquer, elle se remit en quête de nouveaux "trésors" et tourna dans une nouvelle allée. Elle n'était pas pressée et pourrait très bien passer les prochaines heures dans ce magasin, à inspecter chacun des objets posés sur chacune des étagères de chacune des allées. Voyant qu'il n'était pas derrière elle, elle retourna vers lui et lui sourit. « Allez, allez. On se motive. Pense à toute la bonne nourriture qui s'offrira à toi une fois qu'on aura fini nos emplettes ! » Elle, remuer le couteau dans la plaie ? Jamais.

Ezra s'immobilisa quelques instants en voyant sa meilleure amie se pencher d'un air intéressé sur des boîtes d'immondes décorations remplies de petits coeurs en papier, de perles, de plumes et d'autres horreurs qui ne devraient même pas exister. Les traits du jeune homme s'étirèrent en une franche grimace tandis qu'il la rejoignait d'un pas mal assuré. Il n'avait pas oublié qu'il tenait dans ses bras une pile d'assiettes qui menaçaient à chaque seconde de se casser la figure. Loin de là. Rien que ce détail occupait une bonne partie de son attention. Et il avait la capacité d'attention d'une cuillère à café. Mais à peine fut-il arrivé près de son amie que cette dernière sollicita de nouveau son aide. « Ezra ? » l'interpella Julie. « Tu veux bien prendre ça, aussi ? » Et, sans laisser le temps à sa victime de protester, elle déposa deux boîtes d'immondices au-dessus des assiettes, fragilisant de ce fait l'équilibre précaire du tout. Alors qu'il disparaissait derrière les fameuses boîtes, Ezra tenta de répliquer quelque chose mais ne fut pas assez rapide face à la vivacité de sa meilleure amie. A peine eut-il ouvert la bouche que celle-ci le coupait déjà: « Plus tu porteras de trucs, plus vite on sortira. On va perdre du temps si on retourne à l'entrée du magasin pour prendre un caddie. Et puis, ça va te faire les muscles. » Comment ça, "ça va te faire les muscles" ? Ezra espérait sincèrement qu'elle plaisantait là-dessus. Son sport quotidien le musclait bien assez et ça se voyait. En tout cas, il n'avait jamais eu autre chose de la part de ses différents amants et amantes que des regards admiratifs. Et ça, ça voulait dire quelque chose. Le visage figé en une expression outrée, Ezra s'apprêtait à rétorquer mais sa meilleure amie avait de nouveau disparu dans un rayon voisin. Seulement, cette fois, Ezra ne la suivrait pas. Il allait rester là, dans cette allée, et ne plus bouger. Jouer au caddie humain, c'était pas son truc. Julie ne se rendit compte de son absence qu'au bout de cinq bonnes minutes au terme desquelles elle revint vers lui, rayonnante. Pendant ce temps, Ezra avait reprit son air exagérément boudeur et lui adressa un regard noir en la voyant réapparaître. « Allez, allez. On se motive. Pense à toute la bonne nourriture qui s'offrira à toi une fois qu'on aura fini nos emplettes ! » fanfaronna-t-elle avec un large sourire. « Je ne bouge pas d'ici. Poursuis donc ton périple seule et retrouve-moi ici quand tu auras tout ce qu'il te faut. Je n'irai pas plus loin. » Là-dessus, le brun déposa assiettes et boîtes sur le sol et croisa les bras, décidé.

Julie se demandait qui finirait pas craquer en premier. Aurait-elle raison d'Ezra ou serait-ce lui qui aurait le dernier mot ? Ils pouvaient tous les deux faire preuve de ténacité lorsqu'ils le voulaient et la jeune femme était bien trop têtue pour baisser les bras aussi facilement. Après l'avoir chargé davantage, elle continua son périple dans les allées étroites de la boutique mais retourna bien vite sur ses pas en s'apercevant que son meilleur ami n'était plus dans les parages. Le regard noir qu'il lui lança quand elle alla à sa rencontre ne laissait rien présager de bon. « Je ne bouge pas d'ici. Poursuis donc ton périple seule et retrouve-moi ici quand tu auras tout ce qu'il te faut. Je n'irai pas plus loin. » Puis il déposa les affaires sur le sol et croisa les bras, l'air résigné. Julie soupira. Quel gamin, celui-là ! Elle le regarda fixement pendant quelques secondes, impassible. « T'es vraiment chiant, que tu t'y mets ! », soupira-t-elle d'un air agacé. Elle croisa les bras à son tour, adoptant également une attitude désagréable. Bouder et n'en faire qu'à sa tête, elle savait le faire aussi. Il n'était pas le seul à exceller dans le domaine des gamineries. « Sérieusement, tu comptes vraiment m'attendre là, sans rien faire ? » Un nouveau soupir s'échappa de ses lèvres et elle attrapa les assiettes et autres boites que son ami avait posé sur le sol quelques minutes plus tôt. « Okay, très bien. Reste là et fais ta mauvaise tête, si ça te fait plaisir », déclara-t-elle finalement avant de le laisser en plan et de partir dans un autre rayon pour poursuivre ses achats sans lui jeter le moindre regard, les bras plus que chargés.

« T'es vraiment chiant, quand tu t'y mets ! » soupira Julie après un long silence, visiblement agacée. Là-dessus, elle croisa les bras à son tour, prenant le même air boudeur. Dans la catégorie "Je fais l'enfant mieux que toi.", la compétition était assez serrée entre Ezra et Julie, si bien que parfois, ils prenaient ça un peu trop au sérieux. Jouer aux gamins pouvait assez mal tourner lorsque l'autre n'était pas d'humeur. Et sa meilleure amie ne semblait pas amusée du tout par son comportement, bien au contraire. Ezra ne bougea pas d'un poil, l'air impassible malgré la culpabilité qui commençait déjà à lui monter dans la gorge. C'était une bataille qu'il ne souhaitait pas perdre. « Sérieusement, tu comptes vraiment m'attendre là, sans rien faire ? » Même si, tout compte fait, son entêtement commençait à flancher face à l'exaspération de Julie. Ezra savait déjà qu'à la minute où elle s'éloignerait, il laisserait tout tomber et la supplierait de lui pardonner ses gamineries, qu'il ne voulait pas l'énerver à ce point et qu'il se sentait con. Il sursauta lorsque la blonde vint récupérer les assiettes et les boîtes qu'il avait déposées par terre. Ses gestes brusques transpiraient l'agacement. Il était allé trop loin, il le savait, mais cependant il ne dit rien, la regardant faire, désemparé. « Okay, très bien. Reste là et fais ta mauvaise tête, si ça te fait plaisir » Le ton était sec, cassant, et ce qu'il sous-entendait l'agressa d'avantage. Puis, sans un regard pour lui, elle alla s'enfoncer dans un autre rayon, les bras chargés. Il ne fallut que quelques secondes à Ezra pour qu'il se rende compte à quel point il avait été con sur le coup. Organiser un mariage n'était pas une tâche facile et si Julie l'avait invité à faire les courses avec elle, c'était qu'elle avait réellement besoin d'aide. Or là, il n'aidait pas du tout. Se mordant la lèvre, Ezra se dépêcha de la rejoindre. Ne lui laissant pas le temps de protester, il lui reprit assiettes et boîtes des mains avant de dire: « Excuse-moi, Julie, j'ai été franchement con sur ce coup-là. Je sais que c'est pas facile pour toi, tout ça, que tu voulais t'amuser et que j'ai un peu tout gâché... »

Julie ne jouait plus. Oui, au départ, elle avait tout fait pour énerver un peu Ezra et se moquer de sa tendance à jouer les gamins capricieux. Mais là, c'était terminé. Elle n'avait plus envie de rire, plus envie de continuer à repousser les limites pour voir lequel des deux étaient le plus persévérant - ou le plus puérile, au choix-, plus envie de perdre davantage de temps à le convaincre d'avancer. Il voulait rester dans son coin, les bras croisés et l'air boudeur ? Parfait ! Rien ne l'en empêchait, après tout. Mais elle se demandait pourquoi il avait accepté de l'accompagner s'il n'en avait pas envie. À croire que faire les magasins avec elle était un véritable supplice. Elle soupira doucement, essayant de faire retomber la colère qui l'animait. Tout ce qu'elle désirait, à présent, c'était terminer ses achats au plus vite et rentrer chez elle. Alors qu'elle déambulait dans les allées du magasin, regardant les rayonnages sans y prêter grande attention, quelqu'un lui prit ce qu'elle avait dans les mains. Ezra, le visage rongé par les remords et la culpabilité, évidemment. « Excuse-moi, Julie, j'ai été franchement con sur ce coup-là. Je sais que c'est pas facile pour toi, tout ça, que tu voulais t'amuser et que j'ai un peu tout gâcher... » La jeune femme se contenta de la regarder fixement, aucune émotion particulière ne transparaissant sur son visage fin. Elle garda le silence pendant de longues secondes puis finit par soupirer bruyamment. Elle aurait aimé lui en vouloir beaucoup plus que cela et lui faire la tête jusqu'à ce qu'il la supplie à genoux de lui pardonner son attitude grotesque, mais elle en était incapable. Il suffisait qu'il s'excuse ou qu'il prenne cet air de chien battu pour qu'elle oublie sa rancœur et que sa colère s'envole aussi vite qu'elle était arrivée. « T'es nul », soupira-t-elle avant de se mettre à sourire. Il était nul, oui. Mais c'était le meilleur des nuls et elle l'adorait. Elle l'aurait volontiers serré dans ces bras pour sceller ces réconciliations, mais il avait les bras chargés et elle ne voulait pas risquer de lui faire lâcher les assiettes qu'il tenait maladroitement contre lui. « Allez, viens. On va payer tout ça et après, je t'invite à manger quelque part », dit-elle en retrouvant sa joie de vivre légendaire. Elle n'avait pas trouvé tout ce qu'il lui fallait mal ce n'était pas si grave, au fond. Elle pourrait continuer à peaufiner ses idées chez elle, afin d'avoir une idée encore plus précise de ce qu'elle recherchait, et revenir au magasin plus tard. Ezra avait fait l'effort de s'excuser, elle se devait de mettre un terme à sa souffrance en écourtant leur petite virée shopping.

Ezra maintint son air de chien battu de longues secondes tandis que sa meilleure amie le jaugeait du regard. Il savait qu'il avait gagné, même si ce n'était pas le but. Il voulait simplement revoir ce sourire si familier sur le visage de Julie, la faire rire, lui faire retrouver ses airs joyeux. Après de longs instants, ses traits se détendirent et elle marmonna: « T'es nul. » Un large sourire se dessina alors sur le visage d'Ezra qui manqua presque de laisser tomber ce qu'il avait dans les bras pour étreindre sa meilleure amie. Ses yeux de cocker marchaient toujours du tonnerre, apparemment. Leur petite dispute était déjà loin derrière eux, enterrée comme des milliers d'autres par leurs sourires retrouvés et leur joie de vivre communicative. « Allez, viens. On va payer tout ça et après, je t'invite à manger quelque part. » Ezra faillit une deuxième fois lâcher leurs futurs achats, l'envie de fendre l'air de son poing le reprenant lorsqu'il entendit Julie prononcer le mot magique: "manger". « Je pourrais t'embrasser, là, maintenant. » s'exclama Ezra, son regard brillant d'émotion alors qu'ils se dirigeaient vers les caisses. « Tu m'adores trop pour me faire la tête bien longtemps, hein ? » Il déposa assiettes et boîtes sur le tapis de caisse et laissa Julie s'occuper de régler ses achats. Quoi de mieux qu'une réconciliation autour d'un bon déjeuner ?

« Je pourrais t'embrasser, là, maintenant. » Le sourire de Julie s'agrandit davantage et ses yeux retrouvèrent cette lueur de malice qui la caractérisait parfaitement bien. « M'embrasser ? Parce que tu m'adores ou parce que tu vas bientôt manger ? », s’enquit-elle en haussant légèrement les sourcils. Elle plaisantait, bien évidemment. Même si elle était persuadée qu'il y avait un peu des deux et que l'annonce de ce repas imminent avait fortement contribué au retour du sourire d'Ezra. Elle passa un bras autour de lui – en prenant soin de ne pas faire tomber ce qu’il avait dans les mains – et se dirigea joyeusement vers les caisses du magasin afin de mettre un terme à leur petite virée shopping. « Tu m'adores trop pour me faire la tête bien longtemps, hein ? » La petite blonde prit un air parfaitement détaché, regardant son meilleur ami poser leurs courses sur le tapis de caisse. « Peut-être bien », répondit-elle après un court silence. « Mais n'en profite pas trop non plus, hein ? » Elle lui adressa un sourire parfaitement adorable et régla ses achats en vitesse, avant de sortir du magasin. « Te voilà libre ! », s’exclama-t-elle alors qu’ils foulaient le sol pavé de la rue commerçante. Elle s'arrêta soudainement et regarda Ezra avec sérieux. « Premièrement, tu me dois un câlin. Et deuxièmement, où est-ce que tu veux manger ? » Le câlin, c'était parce qu'il s'était comporté comme un idiot et qu'elle ne lui avait pas encore tout à fait pardonné - en théorie, bien entendu. La question, quant à elle, était purement pratique. Elle voulait juste se renseigner sur la direction qu'ils devaient prendre. Elle se moquait de savoir s'ils allaient manger chinois, italien ou même dans un fast-food. L'important était de pouvoir passer du temps avec Ezra et peu importe où ils étaient et ce qu'ils faisaient, elle était toujours contente d'être avec lui.

« Peut-être bien » finit-elle par répondre avec un sourire. « Mais n'en profite pas trop non plus, hein ? » Prenant un air magnifiquement crétin, Ezra secoua vivement la tête. « Tu me connais, je n'en profite jamais trop ! » Julie paya tandis qu'il rangeait ses achats dans des sacs, dans lesquels ils seraient à l'abri de s'écraser brutalement au sol. Puis ils sortirent du magasin, se retrouvant de nouveau dans les rues commerçantes bondées de monde. Ezra espérait que ce ne soit pas le cas des restaurants, auquel cas y déjeuner serait un problème. « Te voilà libre ! » annonça avec entrain sa meilleure amie avant de se tourner vers lui, prenant alors un air plus sérieux: « Premièrement, tu me dois un câlin. Et deuxièmement, où est-ce que tu veux manger ? » Voilà qui était une question difficile. Il n'avait aucune idée d'où aller manger, tous les restaurants lui faisaient envie. Ô désespoir, Ô faim ennemie ! Il se rendit compte quelques instants plus tard qu'il n'avait rien répondu en voyant l'air perplexe de Julie. « Euh... où est-ce que TU veux aller manger ? Je n'arrive pas à choisir... » dit-il enfin avec un regard désolé. « Mais ton câlin, tu peux l'avoir maintenant ! Il me suffit simplement, par un tour de magie HORS-PAIR, de déposer ces sacs sur le sol, et ensuite... » Ezra executa ses dires puis entoura sa meilleure amie de ses bras, la serrant fort contre lui. « POUF ! ça fait des chocapics. » ajouta-t-il sans baisser le ton de sa voix, s'attirant les regards médusés des passants.

Julie ne s'était pas doutée une seule seconde que poser une question aussi simple que "où est-ce que tu veux manger ?" pourrait déclencher une telle réflexion. Ezra semblait perdu dans ses pensées, probablement en proie à un débat intense avec son moi-intérieur. Elle lui offrit un regard perplexe, attendant patiemment sa réponse, et éclata de rire lorsqu'il déclara qu'au final, il était préférable que ce soit elle qui choisisse. « Mais ton câlin, tu peux l'avoir maintenant ! Il me suffit simplement, par un tour de magie HORS-PAIR, de déposer ces sacs sur le sol, et ensuite... » Elle se retrouva bien vite dans ses bras et lui rendit son étreinte en souriant, ravie qu'ils se soient rabibochés si rapidement. Ils n'étaient jamais fâchés bien longtemps mais elle devait avouer qu'elle n'échangerait leurs chamailleries pour rien au monde ; les réconciliations étaient bien trop plaisantes pour y renoncer. « POUF ! ça fait des chocapics. » Julie ignora les regards insistants des passants et se mit à rire de bon cœur. Elle se détacha finalement de son meilleur ami et lui donna une petite tape sur l'épaule, l'air amusé. « Tout le monde nous regarde, maintenant. C'est malin. » Son ton se voulait dépité mais le sourire qu'elle affichait montrait bien qu'elle ne pensait pas du tout ce qu'elle disait. En réalité, elle se fichait éperdument que tout le monde les regarde du moment qu'ils passaient un bon moment et qu'ils se sentaient bien. Et c'était visiblement le cas. Elle n'avait jamais accordé beaucoup de crédit à l'opinion des autres - sauf si les autres en question étaient des personnes dont elles étaient proches, des gens qui comptaient pour elle et qu'elle ne voulait en aucun cas décevoir. « Bon et en ce qui concerne le déjeuner, », reprit-elle en insistant bien sur le mot pour faire languir un peu Ezra. Elle marqua une courte pause, destinée à faire monter le suspense. « Qu'est-ce que tu dirais si on allait au chinois au bout de la rue ? » C'était sans conteste le restaurant le plus proche et Julie adorait la nourriture chinoise. Elle était persuadée qu'au point où il en était, son ami aurait été capable d'avaler n'importe quoi. Ne prenait pas la peine d'attendre sa réponse - de toute façon, elle était presque sûre qu'elle serait positive !, elle lui remit le sac de commission dans les mains et l'attrapa par le bras pour se mettre en route, prenant le chemin du restaurant dont elle venait de parler. « Quand j'y pense, t'es un véritable ventre sur pattes », déclara-t-elle soudainement sans perdre son sourire. « Tu devrais être critique gastronomique, ou un truc dans le genre ! » C'était probablement le métier idéal pour tous les amateurs de bonne nourriture ; ils passaient leurs temps à déguster des plats dans les plus grands restaurants et pouvaient critiquer autant qu'ils le voulaient sans que personne ne leur dise rien. Le rêve, en somme !

Spoiler:

Julie rit à ses bêtises, ignorant elle aussi les regards désapprobateurs des passants. Leurs retrouvailles étaient toujours les meilleures et Ezra n'échangerait cela pour rien au monde. Pas même contre un buffet à volonté. « Bon et en ce qui concerne le déjeuner, » fit Julie alors qu'ils se séparaient. Ezra leva un sourcil intéressé, impatient d'entendre son choix. Son ventre grognait tellement qu'il était prêt à accepter n'importe quoi, du moment que ce fut dans un périmètre de cinquante mètres maximum. « Qu'est-ce que tu dirais si on allait au chinois au bout de la rue ? » Bingo. C'était de loin le meilleur restaurant chinois qu'il pouvait connaître et il était juste au bout de la rue commerçante. Elle le comprenait si bien en ce qui concernait la nourriture que c'en était effrayant, parfois. Comme si elle lisait dans ses pensées. Quoique ce ne fut pas bien difficile de déchiffrer son air affamé. Il pouvait dévorer un déjeuner copieux le matin que deux heures plus tard, son ventre en réclamait encore. Et il n'était pas très discret sur le sujet. Julie ne lui laissa pas le loisir de répondre, lui fourrant le sac à commission dans les bras avant de poursuivre. « Quand j'y pense, t'es un véritable ventre sur pattes. » Ezra lui offrit un large sourire en guise de réponse. « C'est pas faux... » approuva le brun. « Tu devrais être critique gastronomique, ou un truc dans le genre ! » ajouta Julie, rayonnante. « Si seulement... On pourrait le faire, non ? Abandonner notre vie pour la nourriture. Le rêve. » répondit Ezra, légèrement dans la lune. Bien vite, ils arrivèrent au restaurant et prirent place au fond, au calme. Ezra déposa le sac près de sa chaise et attrapa sans plus de cérémonie la carte pour faire son choix.