heatwave -r.

Le soleil recommençait à se pointer le bout du nez sur l'Australie en cette fin septembre, la chaleur faisant sortir les boweniens à nouveau. Jordan prenait réellement goût à la vie ici, à Bowen. Peu à peu, elle se reconstruisait, doucement, mais sûrement. Dans les dernières semaines, elle s'était presqu'entièrement consacré à son boulot, ayant décroché un petit contrat pour une boutique locale sur la place de la ville. La designer avait créé de toutes pièces une micro-collection à leur effigi, des hauts colorés et d'autres plus sobres. Pour célébrer cette petite réussite personnelle, Jordan était rentrée chez elle avec l'idée de se rendre au Elm Street un peu plus tard. Vingt-et-une heure quarante-cinq, elle se retrouvait devant le comptoir, un verre à la main. On aurait facilement pu croire qu'elle venait noyer une quelconque émotion dans l'alcool et la solitude, mais pourtant, c'était l'inverse. C'était sa façon de s'amuser et de célébrer, puisqu'elle avait toujours été seule, au fond d'elle, et qu'elle avait toujours atteint ses petites réussites dans la solitude. Autrefois fervante des boîtes de nuit, depuis l'incident d'il y a quelques mois, Jordan avait littéralement adopté le Elm Street. Jordan fit demi-tour sur son tabouret, posant son regard sur un groupe de musiciens invités. Lorsqu'ils eurent terminé leur chanson et elle son verre, Jordan sortit à l'extérieur, où elle s'alluma une cigarette. En sortant son briquet de son sac à main, ses doigts rencontrèrent un petit morceau de papier froissé, qu'elle déchiffra rapidement. Des chiffres griffonnés rapidement d'un crayon à l'encre. La jeune femme attrapa son portable et fit parvenir deux mots au propriétaire de ce numéro: Un verre? Elle y avait joint la localisation de l'endroit où elle se trouvait, comme à son habitude. Une fois sa cigarette terminée, Jordan retourna prendre place à l'intérieur du bar, se commandant un nouveau verre, question de se rafraichir dans cette chaleur. Elle était loin de l'Angleterre et de ses journées grises, froides et pluvieuses.

Arthur avait les yeux fermés. Étendu sur ce long divan qu’il avait fait installer près de la grande fenêtre qui donnait sur sa cours arrière, il écoutait de la musique, profitant du petit courant d’air qui faisait doucement danser les rideaux légers de son salon.  Il émit un grand bâillement et apprécia le fait de pouvoir laisser son visage se déformer sans mettre la main devant sa bouche. Il était chez lui après tout, même s’il devait avouer qu’il allait encore devoir s’habituer à cette idée.

Il appréciait plus ou moins ce moment de solitude. Cela devait bien faire des années qu’il n’avait pas vécu dans une forme de colocation quelconque... Il jeta un œil à son ordinateur. Dans un soupire, il se releva sur les coudes et laissa son regard se perdre devant lui. Il avait du travaille pensa-t-il. Son corps semblait peu enclin à se bouger pour s’y mettre.

C’est à ce moment que son cellulaire déposé sur la table émit une lumière bleutée. Machinalement, il l’attrapa du bout des doigts.

«Un verre?»

Il plissa les yeux dans un effort pour se rappeler à qui pouvait bien appartenir le numéro d’expéditeur. Il jeta à nouveau un regard à son ordinateur puis sourit. Ce serait dommage  de ne pas le découvrir après tout…Il reboutonna sa chemise, la plaça dans ses pantalons, glissa ses clés dans ses poches et se rendit au Elm.

En arrivant au bar, il pris tout de même le temps de s’allumer une cigarette avant d’entrer.  Il appuya son dos au mur et baissa les yeux. Il remarqua alors son écriture sur un petit bout de papier froissé. Il se pencha et le ramassa.  Un sourire se glissa sur ses lèvres. Il se rappelait maintenant.  Il écrasa sa cigarette dans le cendrier placé au mur et se rendit à l’intérieur.

Il parcourut rapidement le bar des yeux. Un groupe de musique se réinstallait après ce qui semblait avoir été une pause.  Il aperçut une femme à la chevelure blonde installée sur un tabouret.  Il s’approcha lentement observant qu’elle boisson elle avait déjà entamée (elle l’avait presque terminée d’ailleurs). Il s’assit sur le banc d’à côté et s’adressa au serveur.

« Servez-lui un autre Long Island, s’il vous plaît, et ajoutez un Manhattan. »

Il se tourna vers elle avec un regard amusé et lui dit doucement.

« J’espère qu’on pourra prendre plus qu’un verre quand même. »

Les membres du groupe se remettaient en place, tout comme elle s'était installée à nouveau à ce bar, les avant-bras posés sur le comptoir. Elle faisait tourner le liquide dans son verre, un sourire au coin de ses lèvres. Un sentiment de fierté, comme elle en avait peu vécu. Une réussite, une petite, mais cela en était quand même une. Son portable face contre le comptoir, Jordan avait déjà effacé de son esprit l'homme à qui elle avait envoyé ce court texto, absorbant ce qui restait d'alcool dans son verre. Ce n'était pas vraiment une invitation, mais elle ne pu s'empêcher d'esquisser un réel sourire lorsqu'elle pu entendre sa voix. «Servez-lui un autre Long Island, s’il vous plaît, et ajoutez un Manhattan.» Elle tourna légèrement la tête en sa direction, haussant un sourcil. «C'est si bien me connaître» souffla-t-elle, le regard amusé. «J’espère qu’on pourra prendre plus qu’un verre quand même.» Célébrer seule était bien, elle avait toujours cru que c'était mieux ainsi, d'ailleurs, mais ce soir, elle ne dirait pas non à une célébration accompagnée. À une soirée différente. «Tout dépendera de toi», lui répondit-elle simplement. La blonde détourna son regard vers le groupe de musique qui entamait sa première chanson, ils n'étaient pas mauvais du tout, même que le chanteur avait une belle gueule. Le barman revint auprès du duo, déposant les verres sur le comptoir. Du bout du doigt, la jeune femme fit glisser les verres, inversant leurs destinataires, puis elle porta le Manhattan à ses lèvres. En fait, il ne la connaissait pas du tout, et c'est ce qu'elle aimait. «Visiblement, il te faudra rester pour un deuxième verre», dit-elle avant de pincer ses lèvres ensemble, tentant de camoufler son sourire, trahie par l'amusement dans son regard. Elle avait calculé son coup, elle avait un pas d'avance sur lui ce qui était loin de mettre fin à leur soirée.

- Tout dépendera de toi.

Arthur hocha la tête, amusé. Il fit tourner le banc et posa les coudes sur le comptoir. Il observa le groupe de musicien commencer à performer. Le chanteur était mignon, mais le guitariste avait beaucoup plus de charme. Arthur n’avait jamais eut ce genre d’expérience…mais il était de nature curieuse... Il finit par répondre à la jeune femme, lui lançant un regard en biais. Il faisait chaud, le rythme de cette soirée allait être particulier.

- Ce qui dépend de moi dépend aussi de toi…

Il la regarda inverser leur verre. Il éclata de rire.

- Visiblement, il te faudra rester pour un deuxième verre

Amusé, il observa les lèvres de la jeune femme prendre une gorgée de son Manhattan, qui, disons-le, était maintenant le sien. Il attrapa le Long Island et en but une bonne quantité. Le problème avec les Long Island, c’est qu’ils goutaient le thé glacé, mais qu’en réalité ils contenaient cinq alcools forts différents. Il aimait bien donner cette boisson traite aux filles qu’ils rencontraient.  

- Visiblement répondit-il après avoir avalé l’alcool.

Il parla lentement, son regard rieur fixant le sien. Le visage de la belle blonde semblait impassible, mais c’est ses yeux qui souriaient. ll devait le lui donner. Elle avait gagné le premier round de cette soirée qui s’annonçait intéressante. Il ne connaissait rien d’elle et elle rien de lui et cette situation l’arrangeait bien…Ce soir il avait envi de s’amuser et être cinéaste, être veuf, être un ami ou un patron ne l’intéressait pas, il avait envi de laisser les petites cases derrière lui pour un moment et simplement de profiter de la rencontre. Cette fille qui l’avait texter était finalement pas mal canon…Il ne comprenait pas trop pourquoi d’ailleurs elle avait prit contact autant de temps après leur rencontre et son prochain but serait de déterminer pourquoi…elle voulait quelqu’un à qui parler? Elle voulait baiser? Elle voulait se sentir tout simplement moins seule? Elle était folle? Tout cela restait à déterminer.

Il regarda le Long Island et fit tourner le liquide dans le verre. Il l’amena à sa bouche et le termina d’une traite. Il se tourna vers le serveur derrière le comptoir.

- Je vais te prendre une autre Manhattan.

Il jeta un œil à sa nouvelle rencontre. Il lui fit une petite moue nonchalante.

- Tu avais un verre d’avance…

Il pris du bout des doigts le verre qu’on lui glissa sur le comptoir et le leva vers elle.

- Alors, on célèbre quelque chose …?

Il ignorait son nom.

Jordan avait toujours été un peu joueuse, le jeu du chat et de la souris ne lui avait jamais déplu. L'ambiance était agréable, ce soir, l'alcool était bon et la jeune femme se sentait bien elle à nouveau. Comme si Naxa refaisait surface le temps d'une soirée. Elle ne changerait pas du jour au lendemain, et au fond d'elle, Naxa était bien présente derrière ce masque et de fausses cartes d'identité. «Ce qui dépend de moi dépend aussi de toi…» Du coin de l'oeil, elle regarda le brun, un fin sourire aux lèvres. Et quand leurs verres arrivèrent et qu'elle en fit le changement, il éclata de rire avant d'acquiscer ses propos. La soirée était jeune, la nuit leur appartenait. Elle avait dix-neuf à nouveau, avec les responsabilités d'une jeune femme d'affaire, avec les traits d'une famille qu'elle préférait oublier. Elle avait carte blanche, à Bowen. Jordan consomma quelques gorgées de son verre alors que lui en avait déjà entamé l'entièreté. Il ne se fit pas prier avant d'en commander un autre, prétextant son avance au niveau de l'alcool. «Tu n'as pas besoin de te justifier», souffla-t-elle en guise de réponse, amusée par celui qui avait accepté son invitation à l'aveugle. C'est alors qu'il leva son verre dans les airs, devant elle, s'exclamant: «Alors, on célèbre quelque chose…?» La châtaine aurait pu simplement être honnête, mais elle ne voyait pas l'intérêt de se dévoiler à cet homme. Du moins, pas sur sa vie privée. «À cette soirée, qui on ne sait où nous mènera.» C'est armée de son plus charmant sourire que Jordan trinqua, son verre se retrouvant rapidement vide. Elle le posa sur le comptoir avant de porter à nouveau son regard vers la scène.

Au moins les portions en alcool semblaient honnêtes. C’est ce qu’il se dit en trempant ses lèvres dans son verre. Il n’avait pas besoin de se justifier lui dit-elle. Il ne put s’empêcher d’esquisser un sourire.

- Encore heureux, répondit-il. La soirée fait que commencer après tout.

À sa question, elle répondit par une déclaration plutôt vague, par une ode à cette soirée qu’ils entamaient. Il ignorait son nom. Elle ne lui avait même pas dit son identité dans son invitation. Et maintenant elle évitait de lui dire la raison pour laquelle ils se retrouvaient ici, hormis pour avoir du bon temps. Peut-être était-ce simplement ça sa raison. De nature curieuse, il trouvait cela peu satisfaisait, mais de nature joueuse, il trouvait ça plutôt divertissant. Elle plaqua sur son visage encadré par une chevelure blonde un sourire qui se voulait avenant et vida son verre. Arthur leva un sourcil. Alors que le regard de la jeune femme se perdait à nouveau sur la scène, il appela le serveur d’un geste.

- Vous pouvez la resservir. Encore un Manhattan? L’interrogea-t-elle.

Son visage se retourna vers lui et le serveur. Les couleurs des lumières de la scène se reflétaient sur sa peau et dans ses yeux. Elle commanda ce qu’elle désirait et Arthur tendit sa carte au serveur.

- Vous pouvez monter une facture dessus dit-il simplement avant de lui aussi reporter son attention sur le groupe. Il approcha son visage du sien pour se faire entendre à travers la musique. Il parla en souriant, amusé par l’attitude jusqu’à maintenant plutôt nonchalante qu’elle abordait.

- Dis…tu te rappelais de mon visage quand tu m’as envoyé ce text? Ou tu attendais la surprise?

Ce début de soirée se marquait d'échanges de sourires et de sous-entendus. Des soirées comme elle les aimait. «Encore heureux. La soirée fait que commencer après tout.» Jordan ne put que sourire à ces mots, haussant légèrement un sourcil, en guise d'approbation. Tout portait à croire qu'ils s'amuseraient bien, tous les deux. Leur premier verre s'était vidé à vue d'oeil et les prochains prendraient sûrement le même chemin. La jeune femme regardait les membres du groupe qui avaient reprit en main la soirée, tapissant le bar d'une ambiance festive et décontractée. «Vous pouvez la resservir. Encore un Manhattan?» Au son de sa voix, Jordan tourna la tête vers l'inconnu, sans bouger son corps de son tabouret. Elle ne pouvait lui refuser un second verre, après tout, c'était elle qui l'avait invité à la rejoindre. «Je ne pourrais décliner cette offre», souffla-t-elle, un fin sourire aux lèvres, avant de quitter à nouveau son regard. Il la regardait, elle pouvait voir son regard posé sur elle du coin de l'oeil. L'homme s'approcha doucement d'elle, mais Jordan ne réagit pas, le regard toujours fixé sur la scène. Ce n'était pas de l'indifférence ou de l'impolitesse, malgré qu'on lui ait souvent répété et reproché. C'était simplement sa façon d'être. Distante, sans l'être physiquement. «Dis… tu te rappelais de mon visage quand tu m’as envoyé ce text? Ou tu attendais la surprise?» La blonde laissa son regard s'éloigner lentement vers le sol, puis bifurqua, allant à la rencontre de celui de son invité. «Comment oublier un tel visage?» dit-elle instinctivement d'une voix plutôt basse, mais juste assez élevée pour qu'il puisse l'entendre. Le brun des yeux de l'homme s'éclaircit alors, ou peut-être était-ce l'effet des projecteurs de lumières. Jordan était pourtant convaincue que sa réponse ne l'avait guère rendu indifférent.