i will follow you into the dark (aisling)

Fraîchement revenu de son escapade inopinée avec Ezekielle, durant laquelle ils avaient renoué avec ceux qu’ils étaient au plus profond d’eux-mêmes, ceux qu’ils étaient au moment de leur rencontre, Isaiah avait mis du temps à s’habituer de nouveau à la routine qu’il avait à Bowen. Le reste du monde lui manquait déjà. Au final, pendant ces quelques années passées de façon sédentaire en Australie, Isaiah avait eu le temps d’apprivoiser ce mode de vie qu’il voyait maintenant, de nouveau, comme lassant. Le fait d’avoir recommencé à voyager, d’avoir goûté à nouveau à ce sentiment de liberté, rendait la tâche tellement plus difficile maintenant qu’il était de retour dans son logement. Il n’en parlerait pas tout de suite à Ezekielle, il attendrait de voir si après quelques semaines, son cœur renouerait un peu avec les raisons de son installation à Bowen. Sinon, il avait bien peur qu’ils frappent un mur. Qu’ils réalisent que ce n’était pas fait pour eux, être ici. Qu’ils n’avaient pas d’autre choix que de repartir, pour ne jamais revenir. Cette idée faisait peur à Isaiah, quand même, parce que même s’il se sentait déjà étranger à cette ville, même après un seul mois passé ailleurs, il avait aussi qu’il était enraciné, en quelque sorte. Que ces racines ne tarderaient pas à se rattacher de nouveau à ses jambes, le clouant sur cette terre australienne. Il avait des amis, des projets. Un semblant de vie. Lui dire adieu du jour au lendemain n’était pour le moment pas envisageable pour le jeune homme, même s’il savait cette situation inévitable. Il préférait se voiler la face encore un peu. En espérant qu’Ezekielle avait les mêmes réserves que lui face à un nouveau départ autour du monde. Bref, après avoir déposé ses valises et qu’Ezekielle soit partie rencontrer son patron pour lui donner l’heure juste sur son brusque départ un mois plus tôt, Isaiah décida d’aller rejoindre l’une des personnes à qui il avait sincèrement beaucoup pensé durant ce voyage. Lui qui se disait libre de toute attache, Aisling lui avait bien prouvé le contraire même à des kilomètres et des kilomètres de lui. Il prit donc une douche rapide, enfila des vêtements propres et se dirigea vers le logement de la blonde. Il toqua à sa porte, bien prêt à l’emmerder de nouveau. Il savait que ça lui aurait sans doute manqué. Il était loin de se douter qu’elle avait eu bien d’autres chats à fouetter en son absence. Qu’elle traversait une période difficile, et qu’il avait échoué dans son rôle d’ami en ayant disparu de la surface de la terre. Ou du moins, de Bowen.

Ca faisait des jours qu'elle pleurait sur son sort à s'en désespérer elle-même. Elle n'aurait jamais pensé qu'un jour des homes pourraient la mettre dans un état pareil. La Aisling sans attache, la Aisling sans cœur, elle était bien loin celle là. Elle n'était, dans son état actuel, qu'une adolescente en chagrin d'amour. Elle se sentait pathétique, ridicule. Elle se détestait et elle n'avait personne à qui parler pour remonter la pente. Elle aurait voulu aller voir Isaiah, une fois encore, mais il était absent. C'était dans ces moments là qu'elle se rendait compte à quel point elle pouvait être seule. Si d'ordinaire ça lui importait peu, elle avait, les jours passés, cruellement manqué de confident, de personne à décrire à quel point elle appréciait Perry et comment, en désespoir de cause, elle avait tenté de le retenir. Mais ça avait échoué. Et puis, elle pourrait aussi raconter ce moment où Chase avait quitté son appart' alors qu'elle réalisait qu'elle ne voulait pas qu'il s'attache à elle, elle qui pourtant, faisait tout pour ça. Injuste qu'elle était.
Roulée en boule dans son lit, elle regardait divers vidéos, des films pour tenter de se changer les idées avec plus ou moins de succès. Alors qu'elle entendit frapper à la porte, elle ne réagit pas pendant quelques minutes, jusqu'à ce qu'elle se dise qu'elle avait peut-être commander un truc. Soupirant, elle sortit un culotte et en sweat-shirt (coton ouaté il paraît) de son lit. Elle savait qu'elle avait les yeux rouge, bouffit par les larmes qui avaient coulés pendant de longs moments. Elle avait des cernes aussi d'avoir si peu dormi à cause de son foutu cerveau qui ressassait sans cesse de mauvaises choses, des souvenirs. Toutes ces images qui lui faisaient si mal. Marchant jusqu'à la porte, elle ouvrit cette dernière. Reconnaissant Isaiah, elle resta figée pendant quelques secondes avant de se décider à ouvrir la bouche.

-T'es pas mort toi ?

Elle avait raillé sa question. Elle n'allait pas mentir, elle avait prit son absence comme une trahison et elle était bien décidée à lui faire ressentir. Et puis, elle n'était pas d'humeur à avoir du tact.

L’attente à la porte se faisait plus longue que prévu, assez pour qu’Isaiah se fasse à l’idée qu’Aisling n’était sans doute pas là, tout simplement. II était déçu, pour être honnête, parce qu’il n’avait aucune idée de comment la rejoindre autrement, et il avait envie de la voir. Il avait envie de savoir comment elle allait, ce qui s’était passé de son côté durant le dernier mois. Puis il avait hâte de lui raconter tout ce qu’il avait vu et appris au Chili, la connaissant elle aimerait bien entendre ses anecdotes cocasses et farfelues, même si elle n’oserait jamais lui avouer qu’elle aimait bien leurs conversations qui divaguaient à tout bout de champ. Bref, Isaiah s’apprêtait à retourner d’où il était venu et se trouver une autre occupation pour la soirée quand, sans prévenir, la porte s’ouvrit. Il se retourna de nouveau vers l’entrée, et aperçut Aisling qui se tenait dans l’encadrement de la porte, les yeux bouffis et rouges. Ses cheveux retombaient en bataille le long de son corps, visiblement elle n’utilisait pas le shampooing naturel et biologique qu’il lui avait concocté. Elle avait mauvaise mine, son amie. Son cœur se serra devant cette image, et encore plus quand elle s’exclama avec une certaine hargne qu’il n’était pas mort, finalement. Isaiah secoua la tête, doucement, coupable. « Non, je suis désolé d’avoir été AWOL tout ce temps, sans prévenir surtout … Ez’ et moi, on est partis sur un coup de tête. » Il s’avança prudemment vers elle, comme si tout d’un coup, Isaiah avait l’impression d’être de retour à la case départ, quand Aisling se confondait aux autres animaux du zoo de par ses airs sauvages. « Mais je suis là, maintenant. » Il tendit une main qu’il vint poser sur l’épaule de la blonde. « Aisling, qu’est-ce qui s’est passé ? » Demanda-t-il avec inquiétude dans la voix.

Aux excuses d'Isaiah, Aisling se contenta de hausser les épaules. Elle se foutait bien des bonnes raisons qu'il pouvait avoir. Elle se foutait aussi qu'il soit désolé. Il n'avait pas été là quand elle en avait eu besoin et en bonne égoïste c'était absolument tout ce qu'elle voyait. Et puis même, il aurait au moins pu prévenir au lieu de ne penser qu'à lui, c'était lui l'égoïste.

-Dans un pays où le réseau ne passe pas je présume.

Enfin, elle ne devrait pas s'énerver ainsi, elle connaissait Isaiah, elle ne devait pas s'attendre à ce qu'il change ses habitudes pour lui faire plaisir. Quand elle sentit sa main se poser sur son épaule, la blonde détourna le regard. Ca ne servait certainement à rien de lui en vouloir mais elle était bien trop malheureuse pour être rationnelle. Et puis peut-être que comme ça, la prochaine fois qu'il s'en irait il n'oublierait pas de la prévenir.

-Tu reviens après la bataille.

La comparaison était presque judicieuse puisque son cœur était un réel champ de bataille. Pauvre petite chose qu'elle était. Elle finit par faire un pas en arrière, lui faisant comprendre qu'il pouvait rentrer avant de fermer la porte derrière lui. Elle s'installa sur une chaise, s'asseyant en tailleur avant de lever ses yeux vers son ami, parce que même si elle lui faisait la tête c'était ce qu'il était.

-Je suis pas sûre que tu veuilles savoir à quel point je suis horrible.

Et elle n'était pas sûre de vouloir lui dire parce qu'elle avait honte.

Soit elle était de mauvaise foi, soit il l’avait vraiment blessée. Dans les deux cas, Isaiah ne se sentait pas dans une position agréable, loin de là. Dans toute sa vie, jamais il n’avait pris le temps de s’attacher autant à des gens, ou de les laisser s’attacher à lui. Il ne savait pas ce que c’était que d’entretenir une relation à long terme. Pour le coup, il préférait arroser et maintenir en vie ses plantes de marijuana. Ça, il savait faire, visiblement mieux qu’une relation humaine. « Come on, Ais’, tu penses vraiment que ce truc est capable de se connecter à un wi-fi quelconque ? » Dit-il en brandissant son téléphone portable version dinosaure des temps modernes. C’était un flip-phone, il ne fallait pas trop lui en demander. « J’dis pas que y’avait aucun moyen de te mettre au courant, mais c’était pas si facile que ça non plus, une fois là-bas. » Expliqua-t-il, tentant de la raisonner, mais il voyait bien qu’Aisling était fâchée, qu’elle s’énervait rien qu’avec sa présence maintenant inattendue. En grand entêté qu’il était, Isaiah ne recula pas, au contraire il fit quelques pas vers elle pour poser sa main sur son épaule. Elle détourna le regard. « Peut-être, mais y’a toujours un grand besoin d’aide après les batailles aussi, non ? » Ramasser les dégâts, guérir les blessés, remettre de l’ordre. Tout cela était peut-être confiné au seul petit corps d’Aisling, et entre ses deux oreilles sans doute, mais Isaiah savait qu’il pouvait être là pour elle. La blonde recula finalement assez pour le laisser rentrer chez elle, et il la rejoignit sur une chaise à ses côtés, s’asseyant à son tour en tailleur. « Tu sais aussi bien que moi que j’arrive toujours à voir le positif même parmi toutes les horreurs que tu te plais à montrer de toi-même. » Bon, visiblement, là elle ne prenait pas un malin plaisir à se montrer sous un mauvais jour, mais tant pis. Peu importait, au fond, en autant qu’Aisling comprenait qu’Isaiah n’allait jamais lui tourner le dos.

Aisling arqua un sourcil à son excuse. Non, elle n'imaginait pas que son téléphone capte le wifi, puisqu'il faisait exprès d'acheter des antiquités.

-Non mais il peut envoyer un sms, même à l'étranger, je pense.

Après le prix de ce sms, c'était une autre question. Pas si facile. Ouais, il pouvait bien se rassurer avec cette excuse. Si ça pouvait l'empêcher de culpabiliser. La blonde se contenta de hausser les épaules, qu'est-ce qu'elle pouvait bien lui répondre après tout ? Elle n'était pas sa copine, ni sa sœur alors elle pouvait bien lui faire des scènes, ça semblait plus ridicule qu'autre chose. Et puis au fond, il ne pourrait pas comprendre, et elle préférait qu'il ne sache pas à quel point elle pouvait être possessive.

-Je n'ai jamais eu besoin d'aide.

C'était certainement un gros mensonge mais elle s'en fichait, elle avait décidé de faire sa mauvaise tête. Néanmoins elle le laissa entrer. Parce qu'au fond elle était heureuse de le voir, même si la rancœur prenait le dessus.
Ils se retrouvèrent installer sur des chaises et avant de commencer à parler Aisling soupira.

-Et dire que je ne me force même pas.

Elle avait honte, trop honte pour le regarder dans les yeux alors elle avait baissé son regard vers le sol.

-Je ne sais même pas par où commencer.

Il s'était passé trop de chose dans sa vie ce dernier mois pour qu'elle arrive à dire quelque chose de clair.

-Y a un homme qui est revenu dans ma vie. Il a disparu pendant un an... Et je crois pas que ce serait quelqu'un que t'apprécierait beaucoup. Et puis aussi... Tu sais, j'étais en pseudo-couple avec Perry mais à cause de ma relation avec Chase et bah... il m'a laissé.

Elle n'y arrivait pas, non, elle n'arrivait pas à empêcher ses larmes de couler. Elle s'essuya d'un revers de la main, tentant de se contenir avant de secouer doucement la tête.

-Je ne sais même pas si je t'ai déjà parlé de Chase.

Sa vie était vraiment un grand n'importe quoi.

Isaiah leva les yeux au ciel quand Aisling lui parla des sms qu’il aurait pu envoyer, par contre, depuis l’autre bout du monde. Il secoua la tête, exaspéré par tous les arguments que lui envoyaient la blonde, alors qu’elle devait bien savoir qu’il aurait une réponse devant ceux-ci. « J’ai préféré manger et avoir un toit au-dessus de la tête durant la nuit, tu vois, et imagine-toi que ça n’a même pas été le cas à chaque soir ! » Lui lança le jeune ébéniste, même pas énervé. Il conservait son calme, sa douceur. Cela ne servait à rien de lever le ton sur Aisling quand elle était dans cet état. Et puis, ça ne servait jamais à quoi que ce soit, devant qui que ce soit, de lever le ton. Isaiah l’avait compris depuis bien longtemps, ça. Elle finirait par descendre de sur ses grands chevaux, tôt ou tard. Il n’était pas parti pendant cinq ans non plus. Quand Aisling prétexta ne jamais avoir eu besoin d’aide, Isaiah n’en cru pas un seul mot, mais il rentra tout de même dans son jeu. Il avait causé bien assez de tort pour le moment. « D’accord, ne parlons pas d’un besoin alors, parlons plutôt d’un … bonus ? » Proposa-t-il. Qui pouvait refuser un bonus ? Aisling serait bien bête de refuser la main qu’il lui tendait, d’autant plus qu’elle savait que s’il y avait bien quelqu’un qui était prêt à tout pour sécher ses pleurs, c’était Isaiah.

Il se retrouva enfin à l’intérieur du logement de la blonde, assis en tailleur sur une chaise devant elle. Rien de bien sérieux à priori. « Par le début, ça m’aiderait. » Il esquissa un mince sourire amusé. Dédramatiser. Alléger l’ambiance. Calmer Aisling. Voilà où étaient concentrés tous ses efforts du moment. La jeune femme commença donc par lui parler d’un homme disparu pendant un an, de sa rupture d’avec Perry à cause de sa relation avec Chase. Même le regard rivé vers le sol, Aisling avait sans doute imaginé les sourcils d’Isaiah se froncer, parce qu’elle reparla de Chase. « Non, non, je n’en ai pas le souvenir. Petite cachotière. » Il voyait bien ses larmes rouler le long de ses joues, et il eut pour réaction de rapprocher sa chaise de celle de son amie et de poser une main sur son genou, le caressant de son pouce. « Cet homme que je n’apprécierait pas m’intrigue, mais mettons-le de côté un moment. J’y reviendrai t’en fais pas. » Dit-il en la pointant du doigt, faussement menaçant. Puis il se radoucit. « Parle-moi de cette relation avec Chase. » Celle avec Perry, il la connaissait, mais il ignorait qu’elle en entretenait une parallèlement avec un autre homme fixe.

Aisling haussa les épaules à sa réponse. Sérieusement, comme si ça coûtait aussi cher. De toute façon, ça ne servait à rien de débattre avec lui. Il n'admettrait jamais totalement ses torts et elle encore moins. Elle se savait bien mal placé pour reprocher à quelqu'un de ne pas vouloir changer pour ses beaux yeux, mais elle s'en foutait pas mal. La dernière fois qu'elle avait proposé une telle chose, l'intéressé l'avait abandonnée sur la plage.

-Comme si ça te dérangeait.

Elle imaginait aisément Isaiah dormir à la belle étoile, sur le sol froid, sous la pluie.
Il tentait de négocier, négocier pour l'aider. Ca semblait surréaliste quand on ne connaissait pas Aisling, quand on ne savait pas la capacité qu'elle avait à refuser une main tendue. Mais depuis le temps, il savait comment la prendre pas de pensées étranges please.


-Mouais.

Elle finit par le faire entrer et aller s'installer sur une chaise, le regardant faire de même. Elle leva les yeux au ciel quand il lui dit de commencer par le début. Sûrement faisait-il ça pour la faire rire mais ça ne marchait pas vraiment. Pas dans l'état dans lequel elle était.
En sentant la main d'Isaiah sur son genou, elle releva les yeux vers lui. Des yeux humides. Elle savait bien qu'elle lui avait caché l'existence de Chase, si on pouvait dire les choses ainsi. Parce qu'elle n'en était pas fière. Elle savait que la fidélité et la monogamie étaient la norme. Même pour Isaiah. Bien qu'il puisse comprendre certaines choses, elle doutait qu'il comprenne ça. Parfois, elle ne comprenait pas elle-même comment elle avait pu en être capable. Elle se doutait bien qu'il fallait qu'elle parle de sa relation avec Chase pour tenter une explication, par contre qu'il oublie totalement Ciàran l'arrangeait assez. Même si elle doutait que ça arrive.

-On couche ensemble, souvent. Enfin à la base c'était juste ça mais... Enfin tu sais, j'ai pour principe de pas coucher deux fois avec le même homme et avec lui je me suis même pas posée la question. Je me suis pas imaginée une seconde lui dire non.

Son regard s'était détourné de nouveau. Ouais, ils couchaient ensemble, il y avait une alchimie entre eux, et même si elle voulait se convaincre que ce n'était que sexuel, il y avait sûrement bien plus.

-Il y a pas longtemps, il m'a dit qu'il s'attachait et je l'ai fait sortir de chez moi. C'était stupide mais... j'voulais me protéger, et le protéger aussi.

Elle n'était pas une fille fréquentable, elle n'était pas le genre de fille que les hommes bien courtisaient. Elle n'était pas de ses filles à qui on offrait des fleurs et des chocolats, et pourtant elle aurait aisément imaginer Chase pouvoir faire ça.

-Je sais que c'est mal Isaiah, mais je voulais pas que Perry me laisse, je voulais pas... Je l'aimais moi.

Elle l'avait dit, pour une putain de fois dans sa vie. A ce moment là, au moment où il était partit, elle s'était rendu compte qu'elle l'aimait. Elle qui pensait depuis bien longtemps en être incapable. Il fallait croire que la seule chose qu'elle était capable, dans tous les cas, c'était de tout faire foiré, avec tout le monde.

Là, par contre, Aisling marquait un point. Entre dormir à la belle étoile ou au premier niveau d’un lit superposé, le choix était facile pour un homme aussi amoureux de la nature qu’Isaiah. En autant qu’il ne risquait pas de se faire dévorer par des bestioles méchantes, ça lui allait. Il ne demandait pas plus de ce monde, il n’en attendait pas davantage de la vie. Par contre, cela ne changeait pas le fait qu’il n’avait pas envie de dépenser des sous pour faire des appels à l’autre bout de la planète. Certes c’était Aisling, certes elle était importante à ses yeux, mais il ne s’imaginait pas qu’un mois à l’extérieur du pays allait générer autant de colère de sa part. Il réalisait qu’il était pas mal plus important qu’il ne le pensait, pour elle aussi. Il adorait la taquiner sur le fait qu’elle l’aimait bien, au fond, mais en fait, elle l’aimait plus que bien. Elle comptait sur lui. Et il l’avait déçue. « T’as raison, ça ne me dérangeait pas. Mais tu comprends ce que je veux dire par là. » Le bottom line n’était pas qu’il ait eu à dormir dehors ou pas, c’était plutôt qu’il avait gardé son argent pour autre chose. Ça pouvait peut-être paraître injuste pour elle, qu’il considère un petit appel pour la mettre au courant comme étant une dépense de trop. Sans doute l’était-ce, maintenant qu’Isaiah comprenait à quel point ce mois avait été éprouvant pour elle. Mais, back then, back there, au Chili, il ne pouvait pas le savoir.

Après une argumentation pacifique, Isaiah réussit à faire en sorte qu’Aisling le laisse rentrer. Elle ne baissait peut-être pas les armes, mais elle s’ouvrait un peu. En percevant toute la douleur de son amie, le jeune homme tenta de la réconforter de par son regard tendre et attentionné, et le contact de sa main sur son genou. Elle releva ses yeux humides vers lui, et le cœur de l’ébéniste se serra. God, il détestait la voir comme ça. Et ce n’était pas la première fois, pourtant, à chaque fois ça lui revirait le cœur à l’envers. La blonde lui parla premièrement de Chase, cet homme avec qui elle couchait et pour qui elle avait visiblement d’autres sentiments qu’une simple attirance physique. Mais, fidèle à elle-même, Aisling s’était protégée de l’amour, et protégeait les autres d’elle-même. « Tu vois bien que tu ne te protèges en rien en agissant comme tu le fais … Je n’t’ai jamais vue aussi malheureuse que depuis que tu mets des freins à tes relations. » Certes, il n’avait jamais connue Aisling autrement, mais avant de s’attacher, elle était bien. Maintenant qu’elle s’attachait, à chaque fois, elle en souffrait parce qu’elle ne vivait pas pleinement ses relations. Pourquoi ne s’abandonnait-elle pas, pour une fois, goûter à la sensation que ça lui procurerait ? Puis, Aisling lui apprit qu’elle l’avait fait pour que Perry ne la laisse pas, parce qu’elle l’aimait. Il s’arrêta de caresser son genou, comme pris au choc par cette annonce. L’amour, le verbe aimer, conjugué par Aisling. C’était du jamais vu. « L’aimais ? Ou l’aime ? » Demanda-t-il avec douceur.

Aisling se contenta de hausser les épaules quand il lui avoua que ça ne le dérangeait effectivement pas. Au moins on ne pouvait pas nier qu'elle le connaissait bien. Et, oui, elle comprenait ce qu'il voulait dire, mais quand la Néo-zélandaise avait décidé de faire la tête, elle pouvait se trouver les meilleures raisons du monde.

Ils avaient fini par s'installer tous les deux, lui écoutant, elle parlant. Cette situation commençait à être un peu trop redondante pour Aisling. Elle ne supportait pas pleurer, se sentir vulnérable, pitoyable. C'était vraiment quelque chose qu'elle avait en horreur. A sa remarque, elle ne sut pas quoi lui répondre. Depuis qu'elle mettait des freins à ses relations ? Mais il ne comprenait pas qu'avant elle n'avait simplement pas de relations ? Elle savait se distancer bien plus tôt des autres... avant.

-Si je n'en mettais pas, je le serais encore plus.

Il y avait bien une raison à ces freins... Elle ne voulait pas que tout ça finisse encore plus mal. Elle ne voulait briser le cœur de personne et surtout pas le sien. Mais elle ne pouvait pas nier ce que disait Isaiah. La, présentement, elle était malheureuse. Et ça l'énervait beaucoup.

-Je sais jamais quoi faire avec mes sentiments Isaiah...

A la question de son ami, elle releva les yeux vers lui avant de détourner le regard, fixant le ciel par la fenêtre pour s'interroger. Est-ce qu'elle l'aimait encore ? Elle ne s'était même pas posé la question. Elle finit par soupirer, lassement.

-Je ne sais pas. Je crois que je l'aimais seulement. Tu sais, je lui ai dit que je changerais pour qu'il reste mais il m'a abandonné quand même. Je lui en veux, vraiment.

A ses mots, elle se leva, sortant du placard une bouteille de vodka et deux verres, des fois qu'Isaiah veuille l'accompagner. Elle s'en servit un premier qu'elle but cul-sec. Elle avait vraiment besoin de ça pour se sentir un peu moins au bout du rouleau.

Isaiah attrapa la main d’Aisling, pour attirer son attention mais surtout pour lui donner toute sa tendresse, son réconfort. Parce que la blonde ne pouvait pas continuer à vivre de cette façon. Elle ne pourrait vivre pleinement en se fermant aux autres à tout bout de champ. Ce n’était pas une bonne manière de vivre. « Tu peux pas continuer à vivre selon des si, Aisling. Faut pas laisser tes peurs dicter ta vie, tu vas passer à côté de tout. » Peut-être que l’homme qui ferait un bon bout de chemin avec Aisling n’était ni Chase ni Perry, ou alors peut-être que si, elle ne le saurait pas si elle n’essayait pas. Et si elle bloquait l’accès à son cœur et à son quotidien à tous les hommes qui croisaient son chemin, parmi ceux-là se trouverait l’homme en question. Isaiah ne l’aurait pas dit quelques années auparavant mais, le fait d’avoir une même personne sur qui se reposer, le fait de toujours s’endormir dans les mêmes bras et de se réveiller devant le même sourire, ça avait quelque chose de magique. Même si ça pouvait ne pas durer éternellement. Même si ça pouvait faire mal éventuellement. « Ne fais rien avec, justement … vis-les, c’est tout. » Il haussa les épaules, secouant doucement la tête. Il savait que ce ne serait pas aussi facile que cela, mais il fallait commencer à quelque part.

Et la soirée débutait avec une bouteille de vodka, qu’Aisling alla chercher après avoir accordé son verbe aimer au passé. « Je te comprends de lui en vouloir … Mais … Peut-être qu’il essayait de se protéger lui aussi … Comme toi tu l’avais fait. » Elle posa les deux verres devant eux, et se versa un verre à elle seule, qu’elle but cul-sec. Isaiah haussa légèrement les sourcils, attrapa la bouteille et versa un second vers à la blonde, puis le premier d’une longue lignée pour lui. « Vous ne vous êtes pas reparlé depuis ? » Demanda-t-il, essayant d’avoir le meilleur portrait possible de la situation de son amie. C’était difficile d’être à l’extérieur du problème, de ne pas connaître tous les détails, d’autant plus qu’il lui manquait un mois dans la vie d’Aisling pour rassembler tous les morceaux.

C'était facile de dire ça quand. Isaiah lui, il était en couple avec quelqu'un qui lui ressemblait et il était heureux, ils étaient heureux. Il avait sauté le pas et ça avait marché. Elle si elle faisait la même chose, ça ne marcherait pas, elle en était convaincue. Elle avait tenté d'avancer avec Perry, et ça n'avait pas marché. Enfin, c'était facile de lancer la pierre au jeune homme mais au fond, c'était totalement de sa faute. C'était à cause de sa relation avec Chase, c'était la faute à son incapacité à être un minimum exclusive. Ouais, même un minimum il avait fallu que ça foire.

-Peut-être qu'il vaut mieux que je passe à côté plutôt que je me prenne les pieds dedans.

Elle avait beaucoup trop peur Aisling. Tout semblait tellement simple quand ça sortait de la bouche d'Isaiah. Il avait ce dont, de ne pas voir les problèmes, ou plutôt de savoir les affronter. Là où la néo-zélandaise reculait et contournait l'obstacle, lui prenait de l'élan et sautait. La voie de la facilité devait lui sembler bien fade.

-Je sais pas Isaiah...

Elle haussa les épaules à la réponse de son ami. Oui sûrement qu'il essayait de se protéger. Et donc ? Elle ne devait pas lui en vouloir pour cette unique raison ? Oui, sa réaction avait certainement été légitime mais elle n'en était pas moins blessée, et rancunière. Elle le laissa se servir un verre sans rien dire, sans lui répondre. Le portant à ses lèvres, fermant les yeux pour en boire une gorgée avant d'écouter sa question.

-Non, et j'ai pas particulièrement envie que ça arrive un jour.

Isaiah soupira, n’essayant même plus de cacher son mécontentement ou sa déception face aux paroles d’Aisling. Elle baissait les bras trop vite devant un potentiel chemin vers le bonheur. Il l’avait toujours connue négative de la sorte, mais il ne pouvait envisager qu’elle fasse un trait complet sur l’amour, sous n’importe quelle forme, pour la seule raison qu’elle avait peur de souffrir. Certes, souffrir n’était souhaité pour personne, et Isaiah aussi cherchait à se protéger des peines d’amour, mais son cœur aurait constamment été en peine d’être seul s’il n’avait pas sauté le pas avec Ezekielle. « Es-tu prête à passer une vie sans attache, sans ancrage ? Sans avoir cette personne bien spéciale sur qui tu peux compter, avec qui tu pourras partager toutes tes vieilles années ? » Il esquissa un sourire, parce qu’en énumérant ces éléments, il pouvait tout aussi bien s’imaginer lui dans ces images avec Aisling. « Je sais que tu peux retrouver ça dans tes amitiés … mais … ça ne comble pas nécessairement le même vide que laisse le manque d’amour constant. » Le jeune homme secoua la tête avec un léger rire. « Arf, écoute-moi parler. Je m’excuse, j’ai l’air d’essayer de te vendre au concept de l’amour éternel. C’est pas vraiment ça le message que j’veux te transmettre … Juste que … Parfois, les peurs que tu n’affrontes pas deviennent tes chaînes. J’ai pas envie que tu te sentes prisonnière de toi-même. » Isaiah prônait la liberté, et la liberté de choix aussi, mais selon lui le choix confortable n’était pas celui qui permettait à un humain de s’épanouir. Aisling demeurait dans sa zone de confort et cela ne la mènerait nulle part qu’ici, dans ses pleurs, avec sa bouteille de vodka. Et lui. Et Isaiah ne s’aimait pas au point de dire que sa présence suffirait au bonheur de la blonde. Il buvait tout de même, avec elle, parce que pour le moment c’était tout ce qu’il semblait pouvoir lui offrir comme réconfort. Quand la blonde mentionna ne pas avoir envie de lui reparler un jour, Isaiah posa ses mains sur ses propres genoux et la regarda, bien sérieux. « Quel est le pire qui pourrait arriver ? » Elle semblait déjà avoir atteint le fond de leur relation, alors au pire, ils en resteraient aussi bas, ou au mieux, ils s’élèveraient ensemble.

Les questions d'Isaiah la perturbait. Est-ce qu'il avait vraiment besoin de la personne dont il parlait ? Ou plutôt, est-ce que la personne dont il parlait devait forcément être quelqu'un dont elle était amoureuse ? Il y avait des personnes spéciales pour elle, à commencer par Isaiah ou bien même son frère avec qui elle pourrait passer ses vieilles années. Ils n'était pas obliger de penser tout de suite à "l'homme de sa vie". Ce prince charmant, ce personnage fictif qui n'existerait certainement jamais pour elle.

-Je ne suis pas sûre d'être en manque d'amour...

Et pourtant, elle ne pouvait pas nier qu'elle aimait quand Chase la prenait dans ses bras, ou bien qu'elle avait adoré embrasser Perry sans qu'il ne se passe quoique ce soit ensuite. Elle s'était mise à apprécier ces gestes d'affection elle qui, autrefois, les fuyait.

Elle finit par lever son regard bleu vers celui d'Isaiah avec une pointe de tristesse. Comment est-ce qu'elle pouvait mériter avoir un ami pareil ?

-Tu as peut-être raison.

Faire admettre à Aisling qu'elle avait tort était sans aucun doute la plus grande victoire que pouvait obtenir le néo-zélandais. Ce qui ne l'empêcha pas de boire un nouveau shot de vodka, sûrement pour fuir les réflexions un peu trop sérieuses.

-Il pourrais me blesser.

Et, oui, pour Aisling ça devenait inconcevable qu'on lui fasse encore du mal, après avoir brisé son cœur. Elle n'aimait pas se considérer comme un petit chaton faible, mais c'est ce qu'elle était en ce moment. Elle avait envie de reformer sa coquille, de montrer au monde qu'elle pouvait se débrouiller toute seule, qu'elle n'avait besoin de personne. Elle avait besoin de se le prouver à elle-même aussi.

-J'en ai marre d'avoir mal Isaiah.

Elle ne savait même plus combien de fois ça faisait qu'elle venait chouiner dans les bras de son ami, lui qui ne méritait sûrement pas ça.

Tout de suite, Aisling releva les mêmes doutes qu’avait Isaiah en entendant son propre discours. L’amour était-il le seul sentiment capable de combler le vide d’une vie ? L’amour était-il la réponse à tous les tourments ? Non, bien sûr que non. Il aurait été le premier à le dire, à le clamer du haut de tous les toits, auparavant. Sans doute que le confort et le bonheur trouvé au creux des bras d’Ezekielle avait changé sa perception, mais il n’en demeurait pas moins que cette perception n’était pas la seule vérité. Aisling le ramenait peu à peu à la réalité, ou plutôt, à toutes les réalités possibles. « Peut-être pas en manque d’amour, non … Mais il te manque certainement quelque chose pour que tu sois dans cet état … » Releva-t-il, tentant de ne tout de même pas perdre le fil de la conversation, de ne pas perdre les conseils qu’il pourrait donner à Aisling. Il n’était pas venu ici pour que ce soit elle qui détruise ses arguments les uns après les autres. C’était lui qui désirait abattre toutes les raisons de sa peine et lui donner tous les outils pour se rétablir. Il justifia ses paroles bien idéalistes de l’amour en concluant qu’il voulait tout simplement que son amie évite d’être prisonnière de ses propres barrières. Là-dessus, elle lui donna raison. Isaiah haussa les sourcils avec un sourire en coin. « Ça mérite effectivement un shot, ça. » Lança l’artiste alors qu’elle s’en préparait un. Il en but lui aussi un cul-sec, pour fêter le fait qu’Aisling avait dit qu’il avait raison. Le jeune homme redevint toutefois bien vite sérieux, afin de ne pas s’éloigner du sujet principal. Tous les deux pourraient rapidement se perdre et déraper, mais s’il était là cette fois, ce n’était pas pour aider Aisling à fuir. Pas tout de suite du moins. « Il t’a déjà blessée … » Ce n’était peut-être pas une raison pour retourner tête première au combat, mais autant battre le fer pendant qu’il était encore chaud. Si elle attendait que la poussière retombe, elle ne pourrait peut-être plus se replonger dans cette histoire avec Perry. La porte semblait encore être légèrement ouverte, aussi bien essayer de la rouvrir. « Je sais, Ais’, je sais … » Il approcha sa chaise de la sienne et la prit dans ses bras, refusant de l’entendre rouspéter contre ce contact. « Au fond, c’est toi qui sais ce qui est le mieux pour toi, LingLing … Si tu penses vraiment que le laisser partir de ta vie est le mieux, alors fais-le. Mais si tu as le moindre doute … penses-y bien. Tu pourrais le regretter. » Toute sa vie, même.