being sorry isn't enough + chennox

J’avais pilé sur mon orgueil pour leur demander une chaise roulante. Parce que mes pas n’allaient pas suffisamment rapidement à mon goût. Avec les roues, c’était plus facile. On m’avait dit qu’on me garderait sous observation encore quelques jours sous prétexte que j’étais pompier et qu’ils voulaient s’assurer de mon état avant de me retourner sur le terrain. J’y ai cru par logique, mais j’ai aussi vu la crainte dans leurs yeux. La crainte d’une dépression, la crainte de crise d’angoisse nocturne. Et je ne devais pas céder. J’allais quelques chambres plus loin, où celle de Lou était. Celle où elle se reposait dans le coma... Mais elle n’était pas seule cette fois, non. Je le voyais, celui dont j’avais tant entendu parler. « Lennox. » soufflais-je donc en m’approchant doucement du lit de Lou. J’aurais voulu lui présenter mes excuses, mais il y avait une sorte de silence dans ma bouche. Je n’avais été capable que de dire son prénom. Je retenais mes larmes parce qu’au fond, Lennox devait clairement être plus amoché que moi. Émotionnellement, du moins... Parce que physiquement, je réclamais la palme. Je déglutissais. J’aurais voulu lui dire que le viaduc s’était écroulé sur nous, j’aurais voulu lui dire que je n’avais pas bu, que je voulais uniquement le bonheur de sa douce et non pas de la réduire dans un état entre la mort et la vie. J’aurais voulu me présenter, j’aurais voulu lui dire une énième fois que j’étais désolé. Mais aucun son ne sortait de ma bouche. Je n’étais que l’homme dans un vêtement laid d’hôpital, un peu amoché qui regardait l’homme.

Son visage était si paisible. Avec les jours, malgré la lenteur de son système, le corps de Lou guérissait tranquillement de ses blessures. Sa peau était encore abîmée de quelques ecchymoses dont les couleurs s’affaiblissaient. Ses cicatrices semblaient moins être sur le point de s’ouvrir sur un flot incessant. Si Lou donnait finalement l’impression d’avoir trouvé une certaine paix intérieure, Lennox, lui, se transformait en malheureux chaos. Plus les jours passaient, plus les médecins perdaient espoir que Lou se réveille un jour. Plus les nuits passaient, plus Lennox se détachait. Il respirait. Il culpabilisait, mais il respirait. Comme si l’étau se refermant sur lui avait fini par lâcher le combat. L’exonérer de sa condamnation. Il se sentait horrible de se libérer d’elle alors qu’elle luttait pour sa vie, qu’elle ne pouvait se défendre contre rien et surtout pas contre lui. Lennox se trouvait dégueulasse d’avoir choisi ce moment précis pour réaliser que ça ne tournait pas rond. Qu’ils ne tournaient pas rond. Sans doute avait-il eu besoin de ce recul, de son absence, pour réaliser qu’il n’avait pas besoin d’elle autant qu’il l’aurait cru. Ou plutôt, qu’il avait besoin d’elle pour les mauvaises raisons. Lennox aimait encore Lou, Lennox aimerait toujours Lou. Constamment. Sans relâche. Mais l’aimer avait toujours eu un fond de douleur, parce qu’il avait l’impression de trop l’aimer, justement. Sans en recevoir autant en retour. Enfin, tous ces doutes s’étaient développés après qu’elle l’eut trompé. Mais plus les jours passaient, plus cette idée était renforcée par les actes de la brunette. Sa fuite avec Chase avait été la goutte de trop. Il aurait voulu être celui venant à sa rescousse à ce moment-là. Il aurait voulu être le numéro sur son speed dial pour qu’il passe la chercher et la sortir de sa torpeur, la sortir de cette ville étouffante. Ça n’avait pas été le cas. Lennox n’était pas cet homme pour elle. Pourtant, s’il l’avait été, Lou ne se trouverait pas ici aujourd’hui. Lou serait à ses côtés, sa vie tenant à plus qu’un fil. Une voix derrière le notaire le fit alors sursauter. Il tourna la tête sur le côté et vit un homme, en fauteuil roulant, le corps aussi violenté que celui de Lou. « Chase ? » Sans aucun doute. Il y avait une certaine interrogation dans sa voix, mais au final, c’était une affirmation à moitié convaincue. Lennox le lâcha du regard pour retourner vers Lou. « Alors c’est toi … c’est de toi dont elle a besoin plus que de moi. » Déclara-t-il alors, d’une voix faible.

Les jours étaient difficiles que ce soit pour moi ou même pour Lou. Je passais chaque jour ou chaque deux jours lorsque la force n’y était pas, sans jamais croiser Lennox. Celui qui était au cœur de Lou. Les médecins n’étaient guère optimistes concernant la condition de Lou et ça m’attristait d’un côté, tout en m’empoignant de plus belle. Je ressentais cette culpabilité, comme si c’était moi qui l’avais mis dans le coma. J’avais l’impression que tout était de ma faute, que j’étais celui à blâmer. Et chaque jour qui passait me faisait réaliser davantage ce que je perdais à ne pas devenir médecin pour m’impliquer davantage du cas de Lou. J’avais peur, je réalisais que la vie ne tenait qu’à un fil. Je pensais à Aisling, que je ne pourrais pas toujours sauver avec de simples bandages. Je pensais à Lou, à Louka, à Ruby. Tous ces gens qui ne profiteraient plus de mes services à l’occasion. En attendant le réveil de sa douce, Lennox sursautait de me voir. « Chase? » J’opinais, c’était bien moi. « Je suis désolé, Lennox. » admis-je avant qu’il ne prenne la parole. Par contre, lorsque lui la prenait, je me sentais comme un homme touché par un poignard. « Alors, c’est toi... C’est de toi dont elle a besoin plus que de moi. » Je secouais la tête négativement en m’approchant de l’homme. « Pas du tout. Elle ne veut simplement pas être faible pour celui qu'elle aime. » Tentais-je d’expliquer en vain dans un premier temps. « Elle voulait qu’on passe te voir. On était sur le chemin. » lui dis-je en le regardant droit dans les yeux, comme si j’étais le coupable lors d’un procès. Pourtant, je ne l’étais en aucun cas. Je n’étais que rescousse dans le cas de l’ange qui dormait paisiblement près de nous. Après tout, j’étais pompier. J’étais le premier intervenant dans des cas de détresse comme celui de Lou. Et j’avais du respect pour les gens qui perdaient leurs sens, comme elle me l’avait montré, il y a de cela de nombreuses années. Cette femme pour qui j’éprouvais de profonds sentiments.

D’un hochement de tête, l’homme confirma à Lennox son identité. Le notaire hocha la tête à son tour, comme pour sceller cette première rencontre qui ne serait pas des plus heureuses. Il régnait entre eux une sorte de respect, du moins dans à travers leur attitude, mais au fond de lui Lennox bouillonnait d’une rage indescriptible, d’une rage silencieuse. Il avait essayé de taire sa colère envers lui, envers elle, mais le fait était qu’il s’était senti trahi par Lou, et qu’il était le dommage collatéral de cette querelle qui n’aurait jamais lieu. Chase s’excusa, comme s’il pouvait lire en Lennox ce qu’il pensait à ce moment précis. Sauf qu’il n’était ni voyant ni magicien. Il savait, tout simplement, que Lennox devait le prendre pour fautif, comme lui-même se sentait responsable de l’état de Lou. Sans relever ses excuses, sans accorder un pardon prématuré et faux, Lennox parla seulement du fait que Chase était celui dont Lou avait eu besoin plus que de lui. Plus que de son fiancé. Il entendit les pas de Chase se rapprocher de lui, et si le lit de Lou n’avait pas été à quelques centimètres de lui, Lennox aurait fait quelques pas pour se distancer de l’homme. Un animal sauvage qui ne faisait plus confiance à qui que ce soit. « Mais c’est pourtant ça, aimer. C’est savoir se montrer vulnérable devant l’autre sans avoir peur de décevoir. C’est être vrai, et avoir confiance. » Raisonna Lennox, même si sa perception de l’amour ne valait pas celle de tous les autres. Chaque être humain a sa perception de la vie, de l’amour, de la mort. Mais il aurait tant désiré avec la même définition que Lou. Chase expliqua alors qu’ils étaient en chemin pour passer le voir. Lennox le regarda droit dans les yeux, lui aussi. « Je sais. » Dit-il, prenant le temps de réfléchir, de peser ses mots. « Je me suis imaginé à de nombreuses reprises ce qu’elle m’aurait dit. Comment elle aurait expliqué son besoin pressant de partir de Bowen sans moi. » Lennox avait posé son regard sur sa douce endormie. Il releva les yeux vers le pompier. « Que t’a-t-elle dit ? » Demanda-t-il, désespérément à la recherche de réponses qui sauraient l’éclairer.

« Mais c’est pourtant ça, aimer. C’est savoir se montrer vulnérable devant l’autre sans avoir peur de décevoir. C’est être vrai et avoir confiance. » Je tressaillais et je me rasseyais dans le fauteuil roulant près de la porte que je ramenais vers lui. Les frissons me secouaient de tout mon être. La notion de l’amour de Lennox me mettait dans tous mes états... Était-ce cela au final avec Aisling? Je n’en étais pas certain. « Je crois que la vulnérabilité prend plus de temps avant de... de se montrer. » Je n’étais pas certain du choix de mots, ni même de ma théorie. Actuellement, je n’étais plus sûr de rien. Lennox savait que nous allions le voir, au moins une chose sur laquelle nous étions d’accord. « Je me suis imaginé à de nombreuses reprises ce qu’elle m’aurait dit. Comment elle aurait expliqué son besoin pressant de partir de Bowen sans moi. » Je répondais d’office. « L’anxiété, la pression. Pas provenant du couple, mais d’un tas de facteurs. » Oui, c’était certain que Lou avait un tas de facteurs avec sa crise d’anxiété. On passait de ses larmes au téléphone, de sa crise d’angoisse avec moi, de ses explications nébuleuses. « Je ne pense pas que ce soit toi qu’elle cherchait à fuir, mais plutôt la situation générale. Avoir un handicap, ça ne simplifie pas la vie. » Confiais-je alors au notaire alors que je me disais que j’en savais quelque chose avec les années qui passaient.

« Que t’a-t-elle dit? » Je tressaillais de plus belle. Et j’avais beau me dire que j’avais oublié, je n’avais pas oublié. Je ne pouvais pas oublier. Je me disais que de repartir au départ aiderait. « Elle m’a appelé en pleurant. J’suis allé la rejoindre illico. J’ai vu des vases cassés, j’ai vu ses mains ensanglantées. J’ai pansé avec ce que j’ai pu trouver. » J’inspirais et j’expirais alors que je revoyais toute la scène se dérouler dans ma tête. « Elle avait un discours peu cohérent. Elle voulait que tout s’arrête. Lou paniquait, elle faisait une crise d’anxiété. Elle a parlé d’un type qui s’appelle Jupiter, que tu aurais vu. Elle parlait de son désir de mourir, à cause du malheur qu’elle apportait à ceux qu’elle aimait. » Mes yeux s’embrumaient malgré moi. Et si j’étais le dernier à qui la belle brune avait parlé avant son décès? J’en ressentais une culpabilité énorme. J’détournais le regard vers la fenêtre, c’était honteux de pleurer alors que lui avait celle qu’il aimait dans le coma. Je relatais. J’me disais que je ne supporterais pas de trouver Aisling dans cet état. « Elle voulait de l’air. Elle voulait sortir, comme si elle asphyxiait. » Je poussais un long soupir, comme pour m’aider à tout faire sortir. « Elle voulait passer à ton bureau, elle ne voulait pas disparaitre. Elle ne voulait pas que tu vois ses mains, elle ne voulait pas que tu t’inquiètes. Moi non plus, parce que les quelques heures ou quelques jours, tout au plus, j’aurais pris soin d’elle. » Je déglutissais amèrement, avec de la tristesse. Je replantais mon regard vers la fenêtre.

Je repensais aux mots de Lou. Je n’avais pas parlé de la question de l’infidélité. Parce que c’était délicat de le faire, trop même. Parce qu’il ne méritait pas tout ça, parce que son orgueil en prendrait un coup. Parce que je n’étais pas suffisamment à l’aise de lui en faire part. Je repensais aux mots exacts de Lou. « Les promesses de Woody raisonnaient dans ma tête. Je voulais fuir, mais mes membres bougeaient pas et de toute façon... Mon homme avait voulu se suicider à cause de moi... Où aurais-je été? » Bordel, parce que même dans un moment de faiblesse, ce dénommé Woody avait profité d’un moment de faiblesse de la brunette et ça me rendait soudainement fou, hors de moi. Je serrais les poings et je ravalais la douleur en me disant que Lennox en avait peut-être eu suffisamment pour ce soir. Je me sentais faible, faible de ne pas avoir su protéger Lou lorsqu’il le fallait. J’me sentais comme un piètre connard de cacher à l’un ce que l’autre avait dit. J’me haïssais de détenir cette vérité à cause de mon trouble. J’me détestais d’avoir su décoder cette triste vérité. Alors que mon regard était retourné à la fenêtre pour observer la nuit. J’me disais que Lou ne pouvait pas emporter avec elle ce terrible secret et que Lennox méritait de savoir que Lou l’aimait vraiment. « Elle ne te l’aurait pas dit, pas plus qu’elle ne me l’a dit à moi. Enfin, pas ouvertement, du moins. Mais elle n’a pas été infidèle volontairement, si tu vois ce que je veux dire. » Mes poings se serraient de plus belle alors que je repensais à ce connard.

« Je crois que la vulnérabilité prend plus de temps avant de... de se montrer. » Lennox haussa les épaules face à cette réponse. Sans doute que l’amour se traduisait de mille et une façons, tout dépendant de la personne qui le vivait. Chaque être humain possède ses propres lunettes pour voir le monde, sa propre grille d’analyse, ce qui faisait en sorte que Lennox n’était pas forcément en accord. Et comme ils parlaient bien de son couple à lui et non pas celui de Chase, il avait bien de la difficulté à accepter que Lou ne voulait pas se montrer vulnérable face à lui, alors que lui l’avait été dès la première seconde. « Je n’ai pas caché ma fragilité à Lou, jamais. Je n’avais aucun secret pour elle. » Alors qu’elle semblait accumuler les siens, et peut-être que la perte de sa vue avait fait en sorte qu’elle ne se rendait même plus compte que Lennox en était bien conscient. Qu’il en souffrait. Réfléchissant à voix haute, n’ayant pas consciemment l’intention de se confier à Chase, Lennox se demanda ce qui expliquait son besoin de partir sans lui. « L’anxiété, la pression. Pas provenant du couple, mais d’un tas de facteurs. Je ne pense pas que ce soit toi qu’elle cherchait à fuir, mais plutôt la situation générale. Avoir un handicap, ça ne simplifie pas la vie. » Lennox ressentait bien que Chase était un bon gars, qu’il essayait de le réconforter, de le rabibocher à Lou. Mais il était déjà bien trop loin. « Je comprends tout ça. Je le comprends très bien. C’est plutôt la partie « sans moi » qui m’attriste … Lou a été là pour moi dans les pires moments. J’aurais aimé qu’elle me donne la chance d’être là pour elle à mon tour. » C’est alors que Lennox réalisa que Chase était sans doute le seul à avoir toutes les réponses concernant cet épisode, qui serait peut-être le dernier de la vie de Lou. Il lui demanda alors ce qu’elle lui avait dit. Il lui décrivit la scène, les échanges, et Lennox l’écouta avec chagrin. Elle avait tenu les mêmes discours que lui-même avait tenus si souvent. Il avait pourri l’existence de Lou. Il était tellement noir qu’il avait étouffé sa lumière. Sa belle et douce lumière. Lennox aurait dû savoir qu’il n’était pas love material. Il drainait toute l’énergie positive de tout le monde. Il ne pouvait plus faire ça à qui que ce soit, pas même à Andreas, malgré ce qu’ils s’étaient dits. Les yeux de Lennox s’embrumaient tout comme ceux de l’autre homme, et le notaire détourna le regard afin de leur laisser un minimum d’intimité. « Elle voulait passer à ton bureau, elle ne voulait pas disparaitre. Elle ne voulait pas que tu vois ses mains, elle ne voulait pas que tu t’inquiètes. Moi non plus, parce que les quelques heures ou quelques jours, tout au plus, j’aurais pris soin d’elle. » Lennox ferma les yeux, tentant de calmer sa tempête interne. Il serra légèrement les poings. Il avait besoin d’être seul. Chase aurait beau se répéter et se répéter, ça ne le calmait pas. Ça n’expliquait pas que Lou ait préféré un autre que lui. « C’était à moi de prendre soin d’elle. » Répondit-il sèchement. Puis, sans prévenir, l’homme revint sur l’infidélité de Lou. Qu’il aborde ce sujet délicat ne plaisait aucunement au trentenaire. Ce n’était pas de ses affaires. Il n’avait pas besoin de le savoir. Pourquoi tout le monde était-il au courant ? Lou aimait-elle faire savoir au monde entier qu’il était cocu ? « Non, non, je ne vois pas ce que tu veux dire. Parce que pour moi, une femme qui se rend dans un bar, qui danse avec un autre homme, qui boit sans modération et qui accepte de monter dans la chambre d’un inconnu, ça me semble très volontaire. » Dit-il, visiblement vexé que Chase ose aborder ce sujet alors que Lou se trouvait entre la vie et la mort. Ce n’était pas juste. Ni pour Lennox, ni pour elle.

« Je n’ai pas caché ma fragilité à Lou, jamais. Je n’avais aucun secret pour elle. » Que pouvais-je ajouter à ce propos? Il était celui qui l’avait vécu, pas moi. Elle aussi, elle l’avait vécu, mais tant qu’elle gisait dans ce lit, il y avait de l’espoir. Et l’espoir faisait vivre. Lennox croyait comprendre la situation, c’était la partie sans lui qui l’attristait et autant que je pouvais en dire. Je le comprenais. Après tout, c’était comme ça qu’elle était partie, il y a quelques années. Il comparait ses pires moments aux siens et je me contentais de garder le silence. Que pouvais-je diable lui dire? Je me contentais de baisser le regard vers mes pieds, j’étais bien penaud. Il disait que c’était à lui de prendre soin d’elle. Le silence n’était que la réponse que j’offrais. Peut-être bien. « Et les amis dans tout ça? » demandais-je simplement, voulant peut-être lui donner une simple idée. Il était vexé et pourtant, je me sentais lion encagé. « Une femme qui se rend dans un bar, qui danse, qui boit, qui flirte, qui se rend dans une chambre et qui ne donne pas son consentement est une toute autre histoire. » J’en cumulais des conquêtes, mais j’attendais d’avoir l’autorisation et quitte à faire une croix sur une soirée et finir ça au strip club. J’me doutais que Lennox ne voulait voir que ce qu’il souhaitait, mais en réalisant qu’il ne comprenait pas réellement. Je relevais mon regard furieux larmoyant vers lui. « Lennox, Lou a été violée. » Et non, ce n’était pas la chose la plus facile à vivre. Elle n’avait pas été capable de fuir, elle avait voulu de l’air, comme si elle asphyxiait et je me mettais à trembler en me disant que Lou n’avait pas pu le faire. Et au même moment, les machines qui étaient stables commençaient à s’affoler et à sonner. Des couleurs encore jamais vues apparaissaient. « Lou... » susurrais-je plus pour moi-même. J’m’en voulais d’avoir dit ça à voix haute. Peut-être avais-je déclencher tout ça?

Lennox lui parla d’amis, mais il ne voulait rien entendre. Entre Lou et lui, ça avait été tellement fusionnel au départ, ils n’avaient jamais eu besoin d’amis. Ils pouvaient compter l’un sur l’autre, ils s’étaient promis de le faire. Il devait se rendre à l’évidence : dans les derniers mois, leur relation avait changée, et sans doute s’étaient-ils perdus en eux-mêmes à force de ne jurer que par eux. Lennox était resté sur place alors que Lou avait voulu élargir ses horizons. Il n’aurait pas dû lui en vouloir pour ça, et pourtant, c’était le cas. Il haussa les épaules. « Je ne sais pas, j’ai l’impression que c’était plus que ça. » Que Chase était plus que ça. Ce dernier lui revint ensuite sur cette nuit d’écart de Lou, sans que Lennox le désire vraiment, lui qui luttait jour après jour pour passer par-dessus cet acte. Quand Chase parla de consentement, Lennox tourna un regard confus vers lui, les sourcils froncés. Voyant l’incompréhension dans son regard, le pompier lui apprit durement que Lou avait été violée. Il secoua la tête, sans même s’en rendre compte, et ses poings s’étaient légèrement serrés alors qu’il tentait d’intégrer l’information. « Qu-quoi … ? » Et à bien y repenser, Lennox réalisa que Lou avait tenté de le lui dire, sans doute incapable de mettre des mots sur son vécu. Et il n’avait jamais été capable de capter complètement toute l’ampleur de ses paroles. Lennox n’eut toutefois pas le temps de réfléchir plus longtemps car des alarmes affolées vinrent déranger le bruit statique et calculé de la machine de Lou. « Non … non ! » Lança Lennox en s’approchant du lit de la jeune femme, alors que des infirmières rentraient dans la salle en leur demandant de quitter. Contre leur gré, les deux hommes furent amenés à l’extérieur, où ils ne pouvaient que regarder, impuissants, le dernier combat de Lou. « Elle ne peut pas mourir, Chase. Pas comme ça. Pas maintenant. » Les larmes roulaient le long de ses yeux, la panique l’envahissait, la colère aussi, parce que maintenant qu’il savait la vérité, elle emmènerait avec elle, six pieds sous terre, le souvenir d’une relation qui s’effritait.

Il me disait que ça avait été plus que ça. Je hochais la tête simplement. Il n’y avait rien à rajouter et s’il y avait quoi que ce soit, je le garderais pour moi. Mais je ne pouvais pas garder pour moi les évènements récents concernant la brunette, celle qui reposait angéliquement dans ce lit d’hôpital. Lennox se crispait alors que je le regardais. « Ça me semble évident, maintenant. Elle me l’a dit : Les promesses de Woody raisonnaient dans ma tête. Je voulais fuir, mais mes membres ne bougeaient pas et de toute façon... Où aurais-je été? » J’avais coupé une partie de la citation pour ne pas torturer Lennox davantage. Je secouais la tête. « J’ai une mémoire eidétique. » confiais-je alors comme si ça expliquait plus. Les infirmières nous écartaient rapidement alors que je gardais le regard rivé sur la femme. « Elle ne peut pas mourir, Chase. Pas comme ça. Pas maintenant. » J’aurais voulu avoir un discours optimiste, j’aurais voulu savoir quoi lui dire. « Elle est forte, elle va revenir. » Je posais une main instinctivement sur l’épaule de l’autre homme. « Je le sens, je le sais. » Non, je ne sentais rien et je savais rien. J’étais aussi désemparé que le brun. L’état du coma de Lou me faisait penser à celui d’Alana, ma cadette. Je pouvais relativement le supporter. La mort, le décès... Ça, je ne pouvais pas.

Après plusieurs minutes d’acharnement, je voyais les infirmières parler entre elle et le médecin rédiger. Ça n’annonçait rien de bon. Les larmes coulaient maintenant le long de mes joues, le cœur serré. Le médecin ressortait et nous disait les mots que ni l’un, ni l’autre ne voulions entendre. Mon ouïe s’est bloquée à cet instant et mes larmes roulaient de plus belle. Elle n’avait pas le droit de partir comme ça en nous laissant ainsi. En nous laissant brisés.

Il ne voulait pas entendre les détails, il ne voulait pas avoir les images dans sa tête, pas sans savoir si Lou pourrait un jour les remplacer par d’autres, par son regard azur rivé sur lui, par ses yeux grands ouverts. Il ne voulait pas que les dernières images qu’il enregistre d’elle proviennent d’un tel événement. Mais Chase prononça le prénom de cet homme, Chase lui rapporta les paroles de Lou, et Lennox ne pouvait fuir sa propre tête. Où aurait pu aller Lou ? Mais dans les bras Lennox ! Là où elle aurait toujours dû être ! Quand Chase lui dit qu’il avait une mémoire eidétique, son commentaire lui passa six pieds par-dessus la tête, parce que les paroles de Lou restaient également imprégnées à jamais dans les souvenirs de Lennox. Surtout lorsqu’il s’agissait de paroles aussi sérieuses, aussi troublantes. Si seulement ça avait été à lui qu’elle les avait prononcées … Sans doute avait-elle essayé, d’une certaine façon, mais Lennox s’était montré sourd. Il s’en voulait terriblement, aujourd’hui, d’autant plus que les infirmières et les médecins arrivèrent rapidement quand le son de la machine s’éternisa, tout d’un coup, sans prévenir. Elle partait. Elle les laissait là. Seuls. Décomposés. Quand Lennox s’alarma, Chase tenta de le rassurer en lui assurant qu’elle reviendrait, qu’il le sentait. Ils furent forcés à sortir de la chambre, d’où ils regardaient la scène, impuissants. Quelques minutes plus tard, le médecin ressortit et, les traits crispés, leur annonça qu’ils avaient perdu Lou. Lennox avait perdu Lou. Depuis bien plus longtemps. « Oh my god … » Souffla Lennox alors que la réalité le frappait de plein fouet, bien plus fort que n’importe quel coup jamais reçu auparavant. Il porta une main à son front et se laisse glisser contre le mur qui le séparait du corps de Lou, maintenant inanimé. Chase ne savait rien, il n’avait rien senti. Et lui non plus. Maintenant, tout ce qu’il lui restait, c’était un vide immense dans son être. Parce qu’une partie de lui-même venait de s’envoler, et ne lui reviendrait jamais.

Lennox ne disait plus un mot. Je ne disais plus un mot. Et pourtant, j’aurais tellement voulu en dire plus. En faire plus. Et je n’arrivais plus à rien, si ce n’était que de l’angoisse. Je posais ma main sur le bras de Lennox, sympathisant. J’aurais voulu parler, mais aucun mot ne sortait de ma bouche. Aucun. J’adressais un regard empathique à l’homme puis lentement je m’éloignais. Je me disais que c’était mieux ainsi, de ne rien dire. De me contenter de ravaler, j’allais marcher ce soir, marcher longtemps. « Je suis désolé. » admis-je à mi-voix. Je ne supporterais pas de voir la brunette plus longtemps dans ce lit si froid. Puis, arrivé à ma voiture, je craquais. Les larmes coulaient sans que je ne puisse y faire quoi que ce soit. J’allais trouver ce Woody et me charger de la suite, le reste n’avait plus aucune importance. J’allais la venger point barre. Ce devait être pour me faire justice à moi aussi quelque part. Peut-être étais-je plus égoïste que ce que je croyais?