Need help ? (Neal)

Reprendre les cours après les récents événements de sa vie ont été pour elle un véritable soulagement. Ça a immédiatement suffi à lui remettre les idées en place et surtout, ça lui change des couloirs lugubres de l'hôpital qu'elle a arpentés pendant bien trop longtemps à son goût. Suite à son opération, Théia a toujours quelques sutures au niveau de la poitrine qui l'empêchent de faire des mouvements amples, et qui l'obligent à se reposer le plus possible. Sauf qu'évidemment, elle n'est clairement pas le genre de personne à gentiment rester en place, attendant que le mal s'en aille telle une gentille petite patiente. Une fois le développement de son film terminé, elle l'enroule autour d'une bobine et le regarde quelques secondes avec une immense fierté qui illumine son visage. Son voyage avec Nate lui a permis d'avoir beaucoup de belles images, des images qu'elle n'aurait jamais cru pouvoir capturer ici en Australie. Après avoir jeté un coup d'oeil rapide à l'horloge accrochée au plafond, elle réalise qu'elle n'a déjà plus qu'un quart d'heure avant la fin de sa pause de midi. Glissant sa bobine sous son bras, elle sort de la pièce et marche d'un pas rapide jusqu'à la cafétéria. Elle n'a pas faim, mais elle sait que son corps a besoin de force pour se remettre entièrement de l'opération. Alors qu'elle fixe le vide, elle remarque alors du coin de l'oeil un garçon, peut-être un peu plus âgé qu'elle, qui semble totalement perdu sur ce campus trop grand. Serrant sa bobine contre elle, Théia s'approche de lui, un sourire chaleureux étirant ses lèvres. « Hey, tu cherches quelque chose ? » lui demande-t-elle simplement. Depuis que les médecins l'ont autorisée à sortir, Théia apprécie peut-être un peu trop la compagnie d'individus autres que les aides-soignants. Elle a toujours ce sourire aux lèvres, cette joie de vivre qui illumine son visage, elle donne l'impression d'être la personne la plus heureuse sur cette Terre.

Son cœur battait la chamade tandis qu’il marchait sur le campus de l’université. Lui, qui enchaînait les délits les uns après les autres, pour la première fois depuis longtemps, se sentait profondément imposteur. Que faisait-il là? À quoi pensait-il? À chaque pas qu’il faisait, l’envie de rebrousser chemin le prenait avec force. Il n’allait pas être capable de suivre ce tracé là….c’était pas pour lui. Qui pensait-il leurrer? Et ses amis aller se foutre de sa gueule s’ils le voyaient revenir  les livres aux bras comme une écolière. Qui le prendrait au sérieux?

Il avait lu sur internet que certains programmes existaient pour ceux souhaitant intégrer l’université après 21 ans sans tous les diplômes nécessaires. Un espèce de programme de base en sciences humaines. Une partie de lui savait exactement ce qu’il faisait là : étudier, trouver un domaine qui l’intéressait réellement…et sortir de la criminalité….Mais une autre la faisait taire avec force, si bien qu’il se retrouvait là, les bras ballants, hésitant. Tout cela l’intimidait énormément. Il tournait en rond sur le campus depuis un moment déjà et lasse de passer son temps à ne rien faire, il se dit qu’il était tout aussi bien de manger alors qu’il se trouvait là attendre que le temps passe, à attendre qu’il trouve le courage de trouver le bureau d’inscription. Il marcha beaucoup, un peu au hasard et finit par trouver un pavillon possédant une cafétéria.

Il regardait la nourriture qui s’étalait devant lui. En réalité, il n’avait pas très faim…une boule dans l’estomac lui coupait l’appétit. Comment paierait-il tout cela ? Et s’il ne réussissait pas? Et s’il ne trouvait jamais ce foutu bureau d’inscription?

« Hey, tu cherches quelque chose ?»

Une voix douce le sortit de ses pensées. Il tourna la tête. Une fille, probablement quelques années plus jeune que lui, s’était adressé à lui. Elle tenait un drôle de truc dans ses mains. Elle abordait un énorme sourire qui le déstabilisa quelque peu. On pouvait être aussi gratuitement gentil et charmant dans la vie? Il sourit, un sourire étrange. Il se sentait comme le Grinch, laid vert et pas de bonne humeur devant une  jolie jeune demoiselle pleine d’énergie positive.

« Euh…je…,pour là, je chassais un sandwich…»

Il ne voulut pas la mettre mal à l’aise, elle voulait l’aider après tout. Il n’avait parlé à personne de ce projet et de le verbaliser à voix haute l’intimidait.

« J’suis un peu perdu, en vrai. Et m’arrêter ici me donnait l’impression de moins l’être.»

Il rigola, un peu nerveusement, et passa une main dans ses cheveux. Comment ça discutait deux étudiants? Est-ce que ça parlait mieux que les gens normaux? Avec un espèce d’accent intelligent?

Au départ, Théia n'était pas certaine que reprendre les cours si tôt soit une bonne idée. Elle sortait à peine de l'hôpital, elle possédait encore des marques visibles de son opération et peut-être qu'il aurait été plus judicieux qu'elle reste chez elle pour se reposer. Sauf qu'elle ne tenait plus en place. Elle s'ennuyait, surtout depuis qu'elle avait laissé tomber son caméscope en plein centre-ville lors du tremblement. Heureusement pour elle, elle a été capable de récupérer ses films et c'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle se trouve ici, ne suivant pour le moment que quelques cours et non tout le cursus. Elle s'est promis d'y aller doucement, de ne pas brusquer son nouveau coeur au risque de le déglinguer lui aussi. Le jeune homme devant qui elle s'est arrêté la regarde elle, puis la bobine qu'elle a sous le bras. Son sourire la fait sourire à son tour et elle se balance d'avant en arrière en attendant sa réponse. Cela lui semble remonter à une éternité, la dernière fois qu'elle a eu une interaction sociale avec un autre élève. Bien que cela puisse paraître étrange, l'université lui a manqué. « Tu chassais un sandwich, » répète-t-elle en riant doucement. Elle tourne la tête vers la cafétéria et regarde pendant un court instant les étudiants occupés à terminer leur repas. En l'écoutant, elle se remémore ses premiers jours sur ce campus. Elle aussi était perdue, elle a même réussi à confondre les toilettes avec sa classe. Théia jette ensuite un rapide coup d'oeil sur la montre qui entoure son poignet puis porte à nouveau son attention sur l'étudiant. « J'ai encore du temps devant moi, je peux te servir de guide si tu veux. » Elle serre un peu plus sa bobine contre sa poitrine, cachant ainsi sa cicatrice encore rouge. Jamais elle n'a servi de guide à qui que ce soit, son sens de l'orientation trop précaire le lui en a toujours empêché. Mais cet endroit, Théia le connait presque par cœur. Et puis, en tant que personne trop sociale, trop généreuse et trop extravertie, elle ne peut s'empêcher de venir en aide à une pauvre âme égarée. Peut-être la refusera-t-il, dans ce cas elle se contentera de continuer son chemin jusqu'à son cours d'histoire du cinéma. Mais en attendant sa réponse, elle s'amuse à enrouler une mèche de son longs cheveux châtains autour de son index.

Heureusement pour lui, la jeune femme répondit par un sourire à sa touche d’humour. Cela le rassura quelque peu, bien qu’il ne pouvait leurrer personne, surtout lui-même : il se sentait aussi à l’aise dans ces corridors qu’un chat dans l’eau. Partir au plus vite était l’idée qui l’obsédait le plus et ironiquement il était ici pour s’inscrire, donc pour s’assurer de revenir.

Les yeux de Neal étaient vifs et son esprit d’analyse assez rapide, dans un seul coup d’œil il pouvait balayer une pièce du regard et savoir qui parlait à qui, qui échappait son café par terre, qui regardait l’horloge posé haut sur le mur derrière eux…une mémoire photographique qu’on lui disait, l’air impressionné souvent. Inutile, donc, de mentionner qu’il avait non seulement remarqué cette cicatrice qu’elle portait sur la poitrine, mais aussi le geste qu’elle entama pour tenter de la dissimuler quelque peu. ll fronça les sourcil. Une blessure à cet endroit ne pouvait pas qu’être une mince affaire…et elle expliquait peut-être aussi pourquoi l’étudiante lui semblait aussi frêle, comme une feuille orangée qui est sur le point de se poser au sol. Il ne parlait probablement à quelqu’un qui était au sommet de sa forme.

Malgré cela, elle avait ce charme qu’ont les belles filles qui ne sont pas excessivement conscientes de leur charme. Ses gestes attiraient le regard. Son corps était plutôt expressif. Il écouta, légèrement surpris, sa proposition. Décidemment. Il y avait encore des bons samaritains. Ou peut-être était-ce parce qu’ils étaient en Australie? Il tenta de s’imaginer dans une situation semblable à Portland et il en avait du mal. Il passa la langue sur sa lèvre inférieure et racla légèrement sa gorge avant de répondre en enfonçant ses mains dans les poches de son jeans.

- Pourquoi pas?

Ses yeux, sans qu’il n’y fasse trop attention se reposèrent sur sa cicatrice…

- Quelque chose me dis que toi aussi cela ne fait pas longtemps que tu as remis les pieds ici?

La file s’avança et il fit un pas.

- Laisse-moi au moins t’offrir le lunch avant…à moins que tu sois très pressée?

Il tenta de parler de normalement, même si le fait de réaliser qu’il paierait avec son propre argent de la nourriture pour la première fois depuis un moment déjà le rendait nerveux. Cette constatation le consterna un peu intérieurement. Il fallait absolument qu’il revoit ses choix de vie…

Et pourtant, Théia est loin d'être une Australienne pure souche. Elle a passé près de onze ans en Amérique, soit plus de la moitié de sa vie, et elle pourrait même presque dire qu'elle a été forcée de venir lorsqu'elle n'avait pas encore le choix de prendre ses propres décisions de vie. Le fait est qu'elle a toujours été comme ça, trop curieuse, trop extravertie, trop à se mêler de ce qui ne la regarde pas. Elle n'a jamais eu de problème à entrer en contact avec de parfaits inconnus, quitte à en devenir presque trop envahissante. Heureusement pour elle, le jeune homme ne refuse pas son aide, ce qui suffit à la faire sourire un peu plus. « Cool ! » s'exclame-t-elle, prête à commencer par la cafétéria car, elle doit bien l'avouer, elle ne dirait pas non à un de leurs fameux sandwich jambon-fromage remplis de mayonnaise. Elle remarque bien son regard qui descend sur sa cicatrice mais ne dit rien par rapport à celle-ci jusqu'à ce qu'il n'évoque de manière indirecte le sujet. « Exact, c'est même mon premier jour depuis que je sors de salle d'op'. Mais c'est une longue histoire, je ne voudrais pas déjà t'effrayer avec ça alors qu'on ne se connait que depuis quelques minutes. » Avoir cette cicatrice ne la dérange pas, Théia n'a de toute façon jamais été le genre de fille à se soucier à ce point-là de son apparence physique. Alors qu'il lui propose de lui offrir le lunch, son regard se met à briller. « Avec plaisir ! » répond-elle immédiatement, lui emboîtant déjà le pas vers la cafétéria. « Au fait, je m'appelle Théia. » Elle tourne à nouveau la tête dans sa direction sans se défaire de son sourire. On pourrait croire que Théia sourit tout le temps, sans arrêt, ce qui est en partie vraie depuis qu'elle a échappé à la mort le jour du séisme. Elle n'a pas toujours été comme ça, elle a comme tout le monde connu des jours sombres qu'elle préfère garder derrière elle.