How did we get here ? | Liam

Comme chaque jour je me dépêchais pour arriver au travail, pour ne pas être en retard et recevoir les remarques de mon patron et de la personne qui travaillait avec moi. Autant dire que je n’en avais rien à foutre de ce qu’il pensait, vraiment, c’était juste le fait de perdre mon boulot qui me faisait peur, je ne pouvais vraiment pas me permettre de tout perdre maintenant il y avait encore la maison qui avait décidé de se fissurer avec le tremblement de terre et je n’avais rien payé pour faire réparer ça. Je ne voulais pas me retrouver avec des briques sur la gueule au milieu de la nuit. Et encore une fois, malgré mes colocataires, j’avais décidé de bosser plus que prévu, comme quand j’étais seule et ce n'était vraiment pas des horaires qui m’allaient. Mais de toute façon, rien dans ce boulot ne me plaisait. Juste peut-être le soir entendre des gens raconter des choses sur les gens de la ville ou voir de mes propres yeux ce qui se passait. Pas de chance, on était loin d’être l’heure où les bourrés se défoulaient. Je me contenterais de servir les gens en salle ou au bar, nettoyer un peu tout. Pour l’instant, je prenais ma pause et même si je ne fumais pas beaucoup et tout le temps, je me prenais une clope. Puis après une longue pause bien méritée, pas vraiment en fait. Je retournais en salle pour continuer mon travail. Je zieutais tout le monde en salle, au bar avant de tomber sur un type, seul et sans rien. Parfait ! « Qu’est-ce que je peux vous servir ? » Je détaillais l’homme des yeux avant de m’arrêter deux secondes. Ça me disait étrangement quelque chose, mais des gens, j’en avais croisé un tas qui se ressemblait. Mais Bowen était Bowen, c’était pas forcément trop grand, même s’il y avait un nombre certain d’habitants. Je secouais rapidement la tête. « Oula … euh … Excusez, vous disiez ? » En vrai, je ne savais même pas ouvert la bouche, juste, j’étais bien trop plongé dans mes souvenirs pour mettre un nom sur cette personne ou bien même réfléchir à si je le connaissais vraiment. Peut-être qu’entendre sa voix m’éclairerait, même si j’avais  l’impression que ça datait cette histoire. Ou bien même je délirais.

Depuis quelques jours et en dépit du drame qui avait secoué Bowen, la vie de Liam semblait enfin se stabiliser. Il avait retrouvé ses fondations, à savoir Charley, Devan et son fils, Sasha. Ces personnes suffisaient à lui rendre le sourire et à tenter de le faire sortir de ce carnage qu'était devenue son existence. Il ne lui restait plus qu'à trouver de quoi s'occuper la journée et tout reviendrait à la "normale", si ce mot avait encore un sens pour le jeune homme, bien évidemment. Sa canne blanche en main, Liam flânait dans les rues de Bowen. La catastrophe naturelle avait été décrétée et toutes les équipes techniques de la ville essayaient de remettre Bowen sur pieds. Liam avait la "chance" de ne pas voir l'étendue des dégâts et c'était peut-être mieux comme cela. Lui, il gardait en tête Bowen dans toute sa splendeur, ce qui lui permettait de garder un état d'esprit plutôt serein. Alors qu'il continuait de marcher, sans but précis, la sonnerie de téléphone retentit. Il attrapa son portable et répondit au téléphone. C'était sa mère. Sa mère qui avait fondu en larmes dans les bras du benjamin de la famille, quand elle avait compris que Devan et Liam avaient renoué contact. Plus les années passaient et plus elle avait cru que ses deux fistons se feraient la guerre jusqu'à la fin. Tout ça pour dire qu'elle organisait un dîner, le lendemain et qu'elle tenait à ce que ses fils soient présents. Elle demanda à Liam de faire passer le message à Devan, ce qu'il accepta sans hésitation. Après avoir raccroché, le jeune homme se dirigea vers le lieu de travail de son frère. Autant lui passer le message de vive voix, se disait-il. Arrivé au bar-resto, il prit place près du bar, attendant patiemment de croiser l'un des employés. Ce fut une voix féminine qui l'interpella. "Bonjour, je prendrai une bière, s'il vous plaît." Il avait tourné la tête vers l'endroit où elle semblait se trouver et plissa des yeux quand elle lui demanda de répéter ce qu'il avait dit. Il articulait si mal que cela ?! Il était mal barré si c'était le cas. "Euh... je demandais simplement une bière" Pourtant, Liam avait tiqué sur la voix de la jeune femme. C'était le genre de détails sur lequel il s'attardait à présent et qui pouvait éveiller des souvenirs lointains. Comme à cet instant. Mais si vraiment ils se connaissaient, elle l'aurait interpellé, n'est-ce pas ?! Liam reprit doucement la parole : "Est-ce que vous savez si Devan travaille aujourd'hui ?"

Je passais mon regard par-dessus le bar pour détailler l'homme face à moi. Il ne m'avait pas l'air si inconnu et c'était une des seule chose qui me torturait ; croire se souvenir de quelqu'un, mais ne pas être sûr. J'essayais de me souvenir où est-ce que je pouvais l'avoir vu, mais rien ne me revenait en tête pour le moment, ça viendrait avec les minutes, j'espérais que ça allait revenir avant qu'il s'en aille. Et en même temps, je ne pouvais pas m'empêcher de me dire que sans doute je me trompais de personne, que je cherchais pour rien, comme bien souvent depuis que je travaille ici et que je vois défiler un certain nombre de tête, il était fort possible que je me trompe. « Je vous donne ça. » J'essayais de me remémorer sa voix, la faire tourner dans ma tête. Je connaissais cette fois, ça c'était sûr, mais d'où elle venait ? Est-ce que les gens pouvaient avoir la même voix ? C'était peu probable pour moi. Du moins, c'était uniquement parce qu'il me restait un accent que j'savais que je ne trouverais jamais une personne avec la même voix que moi. Puis il y eut une sorte de bride de souvenirs qui refaisaient surface, mais c'était flou. Et j'avais bien peur que ce soit mon cerveau qui était en train de se créer un souvenir pour avoir quelque chose de possible à me proposer, pour me satisfaire. Merde. J'écoutais une nouvelle fois le blond devant moi qui cherchait Devan, l'homme qui me faisait chier à m'empêcher de martyriser deux ou trois clients parce qu'ils me mettaient la main au cul. Mais sans doute l'homme aussi qui m'empêchait de perdre mon travail. « Mh … j'en sais rien, peut-être. » Je ne pouvais pas être plus précise que ça. Depuis le temps que je travaillais ici, j'aurais peut-être pu apprendre l'emploi du temps des autres, mais ça ne me venait pas à l'esprit. Alors, pour moi, oui il était là, mais non je ne voulais pas aller le voir, il allait croire que je m'en prenais à quelqu'un. « Hop, votre bière, honey. » Je la posais sans doute trop brusquement devant lui, mais si ça coulait, j’m’en foutais pour le moment, mon esprit était bien trop perturbé par autre chose. « Vous pouvez me donner votre nom et je peux aller lui dire que vous êtes là, si vous voulez. » Et bien sûr que moi j’avais envie qu’il me donne son prénom, ça m’aiderait bien. Parce que j’avais l’impression d’avoir tout entre les mains, mais ne savoir rien faire. Mais non, j’avais pas envie d’aller voir mon cher collègue, parce qu’il allait croire que j’avais fait quelque chose de mal, alors qu’en l’occurrence, il ne s’était rien passé, encore.

Liam esquissa simplement un sourire quand la demoiselle s'apprêta à lui donner sa bière. Il avait l'étrange impression que cette rencontre n'était pas comme les autres. Comme s'il y avait un air de déjà-vu. Comme si elle ne lui était pas totalement étrangère. Peut-être se creusait-il la tête pour rien ou que son cerveau lui jouait des tours, mais cette impression ne le quittait pas. Liam avait toujours été un grand physionomiste. Il avait cette faculté à associer un visage à un nom. Mais depuis qu'il avait perdu la vue, seule son ouïe lui était utile. Sauf dans cette situation. Cette voix lui rappelait de vagues souvenirs, mais il ne pouvait pas s'appuyer réellement dessus. Tant pis. Ses interrogations resteraient en suspens. Il se voyait mal lui dire : "hey...on se connaît ?!", au risque de se prendre un vent. Il préféra donc laisser ses pensées de côté pour se rapporter à la raison principale de sa venue, à savoir Devan. La jeune femme ne savait pas s'il travaillait aujourd'hui. Elle ne semblait même pas savoir s'il était là. "D'accord." se contenta-t-il de répondre avec un léger sourire aux lèvres. Il ne devait pas y avoir une vraie communication ici. Ou alors, elle ne pouvait pas se voir Devan en peinture. Ce qui était également possible. Liam allait devoir se rendre chez son frère ou lui passer un coup. Quand elle lui amena sa bière, il entendit le claquement de la bouteille sur le comptoir. "Merci. A la vôtre." rétorqua-t-il en levant brièvement sa bière, avant d'en boire une gorgée. Ce fut à cet instant que la jeune femme lui demanda son prénom. "Dites-lui qu'il y a son agent de probation qui est là. Il comprendra." Un sourire malicieux se dessina sur les lèvres de Liam. Au fond, il y avait une part de vérité dans ses paroles, puisque c'était lui qui avait coffré Devan, quelques années auparavant. Mais il reprit : "Je plaisante. Je suis Liam. Le frère de Devan." Il but une nouvelle gorgée de sa boisson, avant d'enchaîner : "Et vous ? Autant faire connaissance avec les petits collègues de mon frère." En voilà un qui ne perdait pas le nord.

Je pourrais continuer de le servir toute la journée s'il le fallait, pour que je retrouve qu'il était. C'était vraiment intriguant, bien que dérangeant. Je n'avais pas une mémoire de merde quand il s'agissait de ne pas boire, alors je me demandais où est-ce que lui j'aurais pu le rencontrer. Ou bien, où est-ce que j'avais bien pu rencontrer son sosie. Je savais que c'était dans cette ville, mais je venais ici depuis tellement d'années que ça faisait trop de personnes à qui penser, j'aurais aimé avoir la réponse sous les yeux ou qu'il me dise qu'il me connaissait. J'en sais rien, qu'il m'aide un peu. Mais c'était sans doute aussi la preuve que nous nous connaissions peut-être pas, que j'inventais tout. Putain d'mémoire et souvenirs qui se créer tout seul. Et je suis quasi-certaine que, bien qu'il n'était pas moche, ce n'était ps le genre de mec dont je rêvais. Je tournais les yeux, prenant la dernière perche qu'il me tendait pour essayer de trouver son identité en lui demandant son prénom. Rien que ça et j'pourrais être sûre que je me foire totalement ou non. Mais au lieu de ça, il me disait qu'il était agent de probation et mon visage se décomposa ou bien il se figeait, un peu des deux. Je clignais des yeux, tournant la tête rapidement vers la cuisine. « Quoi, euh ... pardon !? » J'ne pouvais pas dire que Devan était là si c'était vraiment un agent de probation, ça jamais ! Puis je soupirais, regard blasé quand il me disait que c'était une blague. Trop drôle. Puis je me mettais à rire, un faux rire, celui qu'on fait pour les pièces de théâtre. Je percutais ensuite sur son prénom. Liam Matthews, hein ? En même temps qu'il me parlait, mon cerveau faisait le travail. Puis tout ce qui était flou devenait plus claire, je sentais mon cœur tambouriner un peu plus. Bien sûr que je le connaissais. Je revoyais sa tête avec le reste de la bande il y avait des années de ça. Je nous revoyais nous demander où est-ce qu’il était passé, pourquoi il était parti aussi soudainement, sans rien dire à personne, sans plus jamais reparler. Quel connard. C’était certain que c’était lui ! « Liam ... » Mon ton devenait plus froid, je le regardais avec un peu d’amertume.« Oui … connaissance ... » Si c’était bien lui, alors j’le connaissais et j’en avais pas besoin de savoir lui sur lui, il n’était qu’un lâcheur. « Aino. Aino Eklund. Ça doit te dire quelque chose, hein, connard ! » Ça sifflait entre mes dents et tant bien même que j’me trompais sans doute de personne, je doutais fort qu’il y ait deux personnes qui lui ressemble, qu’il y ait deux personnes qui s’appellent comme lui. J’n’hurlais pas, parce que j’voulais pas attirer l’attention des autres clients qui pouvaient s’occuper d’leurs culs plutôt que notre conversation.

Cette rencontre était décidément bien étrange. Liam sentait que quelque chose clochait, sans pour autant être capable d'en donner les raisons. Il y avait un certain malaise, comme si... oui, comme si tout pouvait exploser d'un instant à l'autre. Et en général, l'instinct de Liam ne le trompait que très rarement. Alors qu'il récupéra sa bière, il se permit d'en boire une légère gorgée, avant de se présenter comme l'agent de probation de Devan. Pour la majorité des personnes, cela pouvait passer pour de l'humour douteux, mais pour Liam et Devan, c'était différent. Quand on connaissait le passé de Devan, on savait que Liam avait été le genre de frère un peu relou, qui passait son temps à scruter les faits et gestes de son frère aîné, comme s'il s'attendait à ce qu'il fasse une connerie. Bien longtemps, Liam s'était donné comme mission d'être celui qui mettait les bâtons dans les roues de Devan, afin de l'empêcher de sombrer vers l'illégalité. Voilà pourquoi cette plaisanterie sonnait différemment aux oreilles de Liam, par rapport à celles de la jeune serveuse, qui lâcha un rire qui sonnait bien faux. Niveau théâtralité, il y avait des choses à revoir. Mais voilà, comme il le pressentait, la situation tourna rapidement au vinaigre. La jeune femme donna son prénom. Un prénom qui lui était familier. Il lui fallut quelques secondes pour la replacer dans un contexte bien particulier. Liam lâcha un juron. Il s'en souvenait. Aino faisait partie de sa bande d'amis - si on pouvait appeler ça des amis - avec qui il passait ses journées à se défoncer. Liam avait pris la poudre d'escampette, un beau jour, les laissant à leur triste sort. Et bizarrement, c'était une chose qu'il ne regrettait pas. Alors, quand elle l'insulta, Liam resta de marbre, répondant calmement : "Ouais... ça me dit quelque chose." Son ton avait changé, s'était dénué de toute chaleur. Quand on l'attaquait, Liam était du genre à répliquer avec calme et sérénité. C'était la pire provocation. Sur cette idée-là, il continua : "Tu as un problème, Eklund ?"

Ça semblait plutôt évident que c'était Liam, il me fallait juste un nom pour remettre tout le mécanisme en route, tous les souvenirs bien que floues avec les années et un peu trop de consommations en tout genre. Je restais le regardé un instant, refroidie, je ne saurais pas dire si j'étais en colère. Mais juste me dire que je l'avais en face était trop bizarre. Il ne m'avait pas reconnu non plus, est-ce qu'il l'avait fait exprès ? Je n'en savais trop rien, je serrais les dents, tournant deux secondes le regard. Mais j'ne pouvais pas vraiment cacher ce que j'étais, une personne un peu trop colérique et même si j'étais au boulot et que je devais faire attention à fait paroles, à mes gestes, à un peu tout pour ne pas me voir sans boulot dès demain. J'me retenais pas pour l'insulter et c'était plutôt soft, encore. Pas que j'avais été in love de lui quand j'étais plus jeune, loin de là, j'le considérais comme un pote, ça semblait être trop. Parce que lui nous avait vus comme rien du tout pour partir comme ça. Je fronçais les sourcils quand ça semblait lui dire quelque chose. Pour sûr que ça lui disait quelque chose. Je soupirais ensuite, levant les yeux en l'air. « Un problème ? Oh, vraiment. » Je riais nerveusement, le regardant, calme, ou je ne sais pas trop comment il était. Impassible. Totalement mon inverse. C'était plutôt à moi de lui demander ce qu'il avait ce type, qu'est-ce qui faisait qu'il fuyait du jour au lendemain. Comment il pouvait avoir un caractère pareil dans c'groupe, on ne peut pas changer du jour au lendemain pour rien. « J'ai toujours eu un problème avec les lâches. » Surtout de ces lâches comme ça. Et ça me mettait toujours mal de me dire que je m'étais trompé sur quelqu'un, mais je ne devais pas être la seule comme ça. « Merde j'y crois pas. T'es qu'un enfoiré. »  J’avais tellement de choses qui me passaient par la tête que j’savais pas par quoi commencer tout en essayant de me contenir, c’qui était plutôt frustrant. J’voudrais lui faire bouffer l’comptoir ou lui enfoncer sa canne dans l’cul. D’ailleurs pourquoi il avait une canne lui ? J’me concentrais de nouveau sur lui. « Pourquoi t’es devenu un type de c’genre, Liam ? »

Liam détestait de telles situations. Il n'aimait pas les conflits, même s'il n'hésitait pas à devenir provocateur pour se protéger. Seulement, à cet instant, il y avait aussi un certain malaise. Sa cécité y était pour beaucoup. Il avait l'impression d'être vulnérable, de ne pas être en mesure d'affronter son interlocuteur. Il n'avait pas encore compris qu'il existait en tant qu'être à part entière, même en étant estropié d'un sens capital. Bizarrement, il sentait le regard noir d'Aino sur lui et il regrettait de ne pas pouvoir le lui rendre. Ses doigts se crispèrent sur sa canne blanche, tentant de garder ce calme si agaçant. Ce serait trop simple de s'énerver. Ce serait mettre le feu aux poudres. Et là, ce serait l'explosion. Le rire nerveux de la blonde le fit sortir de ses pensées, un léger sourire mesquin se dessinant sur ses lèvres, au fur à mesure des paroles qu'elle débitait. "Un lâche, un enfoiré... je t'en prie, continue." Cela ne l'atteignait absolument pas. Oui, il s'en était voulu d'être parti comme un voleur, mais cela avait été pour son bien. Parfois, il fallait sacrifier certaines relations pour mener à bien ses objectifs personnels. A la dernière question de la jeune femme, Liam lâcha un long soupir : "Un type de ce genre ? Sérieusement, tu ne crois pas que c'est un poil exagéré ? Enfin... ouvre les yeux, Aino. Je ne vous devais rien. Absolument rien. On n'était pas des potes. On était juste des gamins complétement paumés, qui avaient besoin d'un peu de compagnie pour se défoncer. Et toi comme moi, tu savais qu'on fonçait droit dans le mur... tous ensemble. Il était hors de question que je termine comme un camé, alors ouais, je me suis barré. Et tu sais quoi, je ne le regrette absolument pas."

S'il voulait une liste alors j'pourrais lui en faire une grande, représentant ce que je pensais de lui à l'instant, cette amertume qui me revenait quand je repensais à lui, à ce qu'il avait fait. Ça m'aurait sans doute moins dérangé s'il avait prévenu, ou juste au moins dire quelque chose après, pour ne pas nous laisser comme des cons à penser qu'il était sans doute mort d'une overdose ou quelque chose dans le genre. Mais finalement il se trouvait là, bien plus vivant que j'le pensais bien qu'handicapé. J'écoutais ce qu'il disait en serrant les yeux, roulant des yeux. « Ouais, pas des potes. » J'ai cru comprendre, même si je pensais du contraire à l'époque, mais heureusement aujourd'hui j'ne suis pas pote avec un gars comme ça. Et j'espère pour les gens qui le sont avec lui, qu'il ne va pas leurs faire le coup. « Et dire aux autres qu'ils te faisaient chier, c'était en option ? T'avais perdu tes couilles ? Oh j'ai mieux ; t'aurais très bien pu faire des leçons d'vie, puisque tu m'en fais une maintenant. » Je râlais encore, parce que je détestais que l'on me fasse des remarques sur comment je vivais, j'savais très bien me remettre en question toute seule, c'était aussi le pourquoi j'avais quitté aussi bien plus tard cette bande. De toute faon, je ne les voyais que quand je venais à Bowen. Ces gens-là avaient quand même fait partie de ma vie pendant un moment, même si c'était pour une mauvaise chose. J'pouvais pas me barrer comme ça, mais Liam devait se sentir sûrement au-dessus de ça. « Y'en a qui avec d'la volonté s'en sorte bien aussi. Mais c'est bien, que tu ne regrettes pas d'être un con alors. » J'm'en étais sortie moi, personne ne m'avait forcé à arrêter, rien que ma conscience et si aujourd'hui je peux recommencer de temps à autre c'n'est pas pour autant que je suis camé.

La situation était délicate. Aino lui rappelait une partie de sa vie qu'il avait occultée. Cela avait été un élément déclencheur pour Liam. Alors qu'il était au plus bas, il avait fini par trouver sa voie dans son propre malheur. Il était devenu policier grâce à cette bande de gamins paumés, dont il avait fait partie. Alors oui, il était parti comme un voleur mais il s'était en quelque sorte sauvé en agissant de la sorte. C'était petit, mesquin, mais aujourd'hui, il était encore vivant pour s'en rendre compte. Il soupira quand Aino reprit la parole. Cela ne servait à rien. C'était un discours de sourds où chacun resterait campé sur ses positions. "Oh arrête, ne me fais pas dire ce que je n'ai pas dit. Je ne te fais aucune leçon de vie, Aino. Tu es assez grande pour le faire toi-même. Enfin... je l'espère." répondit-il avec dédain. "Et mes couilles, je les ai eu justement. Parce que j'ai fait ce que tout le monde voulait faire. Je n'ai pas été le seul à me barrer, d'après ce que j'ai pu comprendre. Tu as fini par partir, toi aussi, non ? Alors tes leçons, tu pourrais peut-être les garder pour toi. ça me ferait un bien fou." Elle commençait sérieusement à l'agacer. Sa main s'était refermée sur son verre. Un verre qu'il serrait fortement, à s'en blanchir les phalanges. De nouveau, elle ouvrit la bouche pour l'attaquer, sortant toute cette histoire de bonne volonté et compagnie. Liam leva les yeux au ciel et soupira fortement, hochant la tête, non pas pour approuver ses paroles, mais par pure nonchalance, pour montrer qu'il s'en foutait royalement. "Oui voilà, c'est bien, tu as tout compris, je ne regrette pas d'être un con. Allez maintenant, sois gentille, va bosser un peu. Tu es payée pour ça, pas pour casser les couilles à tes clients...." Un Liam irrespectueux était d'une grande rareté. Mais elle le poussait à bout. Et il savait aussi qu'avec de telles paroles, il pouvait éveiller la bête.

Je soufflais, agacée en l'écoutant. Finalement, avec les années il était devenu chiant ou peut-être que j'étais du genre à l'idéaliser plus jeune. « Ouais, j'sais faire un tas de choses seules. » Je mettais cassée parce que je devais retourner à Perth de toute manière, Bowen n'est pas la ville où je rêvais d'être, j'y étais seulement parce que je tenais à des souvenirs que finalement, en y réfléchissant un peu, je ferais mieux de lâcher. Je n'aimais pas me confronter au passé et ici ce n'était qu'un ramassis de gens qui me donnaient la gerbe rien qu'en pensant à mon adolescence. Pas que ce que j'ai fait à Perth soit mieux, je n'étais pas une actrice, je ne changeais pas mon comportement en changeant de ville. Mais cette phase de mon enfance était nulle. De toute façon, je n'étais pas le genre de personne qui pouvait se venter d'avoir eu une vie sympathique. Ma vie était à rayée de long en large. « J'l'ai pas fait comme un chien. » Parce qu'après tout on avait quand même existé pour lui, on n'était pas des fantômes ou des simples gens de passage, ce n'était pas comme si on avait fait des vacances de deux semaines ensemble. J'n'arrivais pas à me dire qu'il ne répondait pas comme un salopard, même si au fond, j'arrivais à le comprendre. « Oh. Mais regarde autour de toi, tout le monde est servi, j'suis pas la seule à bosser ici, j'te f'rais signe. » C'était bas, s'en prendre à un aveugle par rapport à sa vision, j'me dégoûtais presque moi-même. En plus, en donnant des coups d'oeil par-ci par-là, je pouvais bien voir quelques clients qui attendaient avec un fond de verre ou simplement des verres vides. « T'as raison, ceci-dit, être avec toi es une perte de temps, salut Liam. » Et sans attendre de trop, j'débarquais dans la cuisine, sifflant l'autre Matthews pour prévenir que son frère était présent et qu'il l'attendait.