to the beat of our noisy hearts -r.

Bowen, fin septembre.

Oksana. Il pense à elle, à cette petite boule d'énergie qu'il avait aimée plus que tout au monde. À cette petite tête châtaine qui rapidement, s'était mise à courir dans toute la maison. Asriel pense à elle, à plus rien autour. Il n'a même plus l'impression d'être, il ignore où il se trouve. Il se souvient d'un sentiment de panique, de peur, d'urgence. Asriel se sent coincé, étouffé. Complètement dissocié de son enveloppe corporelle, prise entre tous ces débris, dont l'un bien ancré en lui. Heureusement, la poutre lui ayant perforé le dos n'a pas traversé son abdomen en entier. Asriel ignore les longues minutes qui défilent, l'aide qu'Olivia est allée chercher et les gens qui se sont mobilisés pour l'aider. Il ignore qu'ils ont du faire appel aux services d'urgence parce que vraisemblablement, ils avaient peu de chances de pouvoir l'en sortir seuls. L'homme fût rapidement transporté vers l'hôpital le plus près qui, heureusement, avait été épargné par le séisme. Il y avait malheureusement foule à l'urgence et dans un peu tous les blocs de l'édifice. Asriel fût stabilisé, avant d'être amené en bloc opératoire, où eut lieu la délicate intervention pour retirer la poutre de son corps. Par miracle, son coeur et ses poumons avaient été épargnés. Les médecins ignoraient comment cela avait pu être possible, mais ils ne tarderaient pas d'informer leur patient de sa chance, dans sa malchance, à son réveil. Mais les heures défilaient et Asriel ne se réveillait toujours pas. Sur sa civière, l'homme avait été transféré dans une autre chambre, où il serait soigneusement surveillé jusqu'à ron réveil. Asriel était bien là, sous cette enveloppe corporelle qui refusait de se réveiller. Ou était-ce peut-être un peu sa conscience qui refusait de se réveiller. Les paupières closes, mais ouvertes sur un autre monde, il pensait à sa fille. C'était si réel, qu'il avait l'impression d'être avec elle, l'impression qu'Oksana était bien réelle. Elle avait grandit, son rire était toujours aussi charmeur et c'est les yeux brillants qu'elle dansait autour de son papa. Les infirmiers avaient invité Olivia à rester au chevet d'Asriel, convaincu qu'un homme voudrait voir sa fiancé à son réveil, après un tel évènement. Le trentenaire ne pouvait toutefois pas déceler la présence de la blonde dans la petite chambre, son esprit était occupé ailleurs, le maintenant dans un autre monde. Sa respiration était lente, presque inaudible.

Oksana dansait, virevoltant autour de son papa. Ses longs cheveux blonds, aussi dorés que ceux de sa maman, bougeaient au rythme de ses mouvements. Tranquillement, l'image de sa fille s'estompait, comme aveuglé par la lumière. C'était beaucoup trop clair, beaucoup trop blanc. Puis noir. Le moniteur cardiaque résonna jusque dans le couloir, les médecins arrivant en trombe et échangeant des courtes phrases incompréhensibles, du jargon médical. Ils en oublièrent presque la femme du patient, se trouvant à quelques pas d'eux. On l'amène au bloc, maintenant. Hémorragie interne, expliquèrent-ils à l'ex fiancée d'Asriel. Ils ignoraient comme cela avait pu arriver, ce n'était néanmoins point surprenant, vu ce qu'il lui était arrivé. Les heures s'écoulèrent à nouveau, les infirmières défilant chacune leur tour dans la chambre du Grec, offrant au passage un sourire à Olivia. Elles avaient fait fit des règlements pour les visites, si bien qu'au moment où Asriel ouvrit finalement les yeux, la jeune femme était toujours présente. Cela devait bien faire deux jours, ou peut-être trois, qu'il se trouvait dans cette pièce froide. Le soleil éclatant sur les murs pâles l'aveugla, Asriel plissant ses paupières. Son coeur battait lentement, mais sûrement. Ses paupières s'ouvrirent à nouveau, ses pupilles s'habituant tranquillement à la lumière. Celle qu'il n'avait pas vue depuis des jours. Il dinstingua doucement la silhouette féminine endormie sur la chaise berçante, cette crinière blonde qui se démarquait parmi mille. Ses membres refusaient de bouger, son corps était lourd et sa tête lui faisait mal. Asriel soupira, cherchant à récupérer des pièces du casse-tête, à comprendre ce qu'il lui était arrivé. Les derniers moments qu'il avait passé en dehors de cet hôpital étaient encore flous dans sa mémoire, mais ils ne sauraient tarder à s'éclaircir. Il déglutit difficilement, lui qui détestait les hôpitaux, encore plus depuis la mort de sa fille. Il pouvait se compter chanceux d’être encore en vie, même s’il devrait tôt ou tard affronter ses démons.

La femme à la chevelure dorée se leva doucement, posant les quelques pas qui les séparaient. Elle avait beau avoir passé des jours entre ces quatre mures pâles, Asriel reconnaissait son odeur. Une douce fragrance qui chatouillait ses narines, qui faisaient presque battre des ailes les papillons qui s’étaient enfouis, qui s’était enfuis en lui.  «Asriel... enfin... comment te sens-tu...?» Ses paupières vacillèrent, rapidement, puis à un rythme bien plus régulier. Ses pupilles fixaient les carreaux du plafond, sa main glissa le long du matelas jusqu’à entrer en contact avec celle d’Olivia. Il avait agi instinctivement, par réflexe. Il arrivait difficilement à mettre des mots sur son état, ignorant en partie ce qu’il lui était arrivé et ce qui le maintenait dans cette chambre. Asriel se racla la gorge, avant de prononcer d’une voix rauque : «Ça… je crois que ça va…» En fait, l’homme était loin de se douter que le séisme avait non seulement été ravageur sur Bowen, mais sa propre personne n’avait pas été épargnée non plus. Et lorsqu’il entendit sa voix à nouveau, des bribes de leur histoire lui revinrent, le faisant frissonner de la tête aux pieds. Leur rencontre totalement imprévue, leurs fiançailles, le petit bout d’humain auquel ils avaient donné vie et qu’ils avaient perdu en un clignement d’yeux… et puis le néant. Tout blanc, tout noir. Jusqu’à ce que leurs regards se croisent pour une nouvelle fois. Asriel serra les dents, la mâchoire crispée. Il était complètement perdu et la morphine qu’on lui administrait n’était pas en cause, ne l'aidant toutefois pas. Il passa dans ses cheveux cette main autrefois posée contre celle de Livia, prenant une grande inspiration. Il ne pouvait pas lui tourner le dos, lui demander de partir – à nouveau –. Elle était là, c’est elle qui avait veillé sur lui durant ces interminables journées, il le savait. Oksana ne l’aurait pas autant hanté, s’il n’avait pas été question d’Olivia.

«Tu te souviens de ce qui s’est passé?» Ses iris quittent le plafond blanc pour retrouver ceux de la blonde. Ses mâchoires se serrent ensemble, tout comme son cœur le fait à l’intérieur de sa poitrine. Ce visage qui le rendait heureux plus que jamais, ces traits qui l’ont hanté des semaines durant. L’hôpital était bien le dernier endroit où il pouvait espérer un jour retrouver celle avec qui il avait tant partagé. En fait, ce lieu synonyme de bonheur pour certains, accueillant la vie jour après jour, n’était plus que synonyme de mort aux yeux de l’entraîneur et s’il n’en tenait qu’à lui, il n’y aurait plus jamais mis le pied. Asriel fronça les sourcils. Il avait beau cherché dans sa mémoire, il n’y avait plus une parcelle de souvenir des dernières heures, des derniers jours. «J’essaie… mais… non», marmonna-t-il avant de se racler la gorge à nouveau. Asriel toussota et étira son cou afin de regarder autour de lui, à la recherche d’un liquide pouvant l’hydrater. Les médecins avaient beau lui fournir le nécessaire par les différents tubes qui entraient dans la peau de son bras, il avait la bouche sèche et rien en vue. Il se tourna difficilement vers la blonde, les muscles de son dos semblant se déchirer. Asriel grogna de douleur, puis posa son regard sur son ex-fiancée. L’homme avait de l’orgueil, même s’il tentait de ne pas laisser cet aspect de lui paraître. «Olivia, pourrais-tu demander de l’eau à une infirmière, s’il-vous-plaît?» Asriel termina sa phrase par un soupir. Après toutes ces heures, tous ces jours passés dans le coma, un rien épuisait le Grec. Il espérait malgré tout que celle avec qui il avait tant partagé puisse l’éclairer sur ce qu’il s’était passé.

Olivia quitta la chambre quelques instants. Asriel ferma les yeux, cherchant à récupérer la moindre information qui lui rappelleraient l'accident. Il fronça les sourcils. Tout ce que sa mémoire lui offrait était le visage d'Olivia, leurs corps enlaçés lorsqu'il l'avait demandé en mariage, sur la plage, son parfum délicat et la douceur de sa peau. L'homme cherchait à effacer ces souvenirs - ou plutôt, à les mettre de côté - lorsque la blonde revint à son chevet. Elle posa sa main sur la sienne, lui, ne bougea pas. Asriel n'avait pas la force de se battre, encore moins de revenir sur la disparition de son ex-fiancée. Il se contenta de sa présence et de sa bienveillance. La voix de Livia brisa lentement le silence. « Il y a eu un tremblement de terre. Tu as été pris dans l'effondrement de la façade de l'église et tu es resté quelques temps sous un tas de débris. » Un frisson parcoura son corps comme le ferait un choc électrique. Les muscles de sa mâchoire se crispèrent, ses sourcils étaient froncés. Malgré que la douleur était à son apogée, Asriel ne la ressentait soudainement presque plus. C'était impossible. Un tremblement de terre à Bowen, c'était impossible, Asriel ne pouvait le croire. Comment se faisait-il qu'il n'arrivait pas à mettre d'images sur ces mots? Comment Olivia pouvait-elle savoir? Que faisait-elle ici, à Bowen, alors qu'elle avait disparue des mois durant? « Non, c'est... » Asriel tenta de se relever sur son lit, mais une douleur comparable à un poignard l'en empêcha. Il soupira - grogna - de douleur, les muscles de ses bras se relâchèrent. « Je ne comprends pas, Livia, je... je ne me souviens de rien », prononça-t-il, sa phrase parsemée de pause où il reprenait son souffle. Une infirmière apparu à ce moment dans le cadre de la porte, puis s'avança auprès des anciens amoureux. Elle remit un petite verre de plastique rempli d'eau à Asriel, il posa ses lèvres sur la paille et en bu quelques gorgées. L'infirmière se présenta, annonça qu'elle vérifierait chacun de ses signes vitaux afin de s'assurer que tout était en ordre, mais Asriel ne l'entendait pas vraiment. Sa voix sonnait lointaine. Il était figé. Son autre main n'avait pas bougé et à cet instant, le Grec appréciait le contact d'Olivia.

Une fois l'ensemble des tests terminé, la jeune femme s'adressa à son patient, lui posant quelques questions auxquelles Asriel ne pouvait évidemment pas ou peu répondre. Il ignorait quel jour on était, dans quel hôpital il se trouvait et surtout, la raison pour laquelle il y était. « C'est bien ce que l'on pensait », débuta l'infirmière. Elle expliqua alors à la blonde et au brun que ce dernier souffrait d'un type d'amnésie que le médecin en chef ne pouvait confirmer à cette heure-ci, n'ayant pas encore rencontré le patient. Ceux-ci avaient prit connaissance du dossier d'Asriel et du diagnostic de syndrome du choc post-traumatique avec lequel il vivait. Asriel toussa lorsque la jeune infirmière prononça ces mots, il n'avait pas besoin qu'on le lui rappelle, encore moins qu'on informe son ex-fiancée du fait qu'il n'était pas normal. Elle poursuit en ajoutant qu'il était fort possible qu'il s'agisse d'amnésie traumatique. Asriel soupira. L'infirmière ajouta d'autres explications, mais il se retrouva comme déconnecté. Il était épuisé. Olivia restait attentive. Asriel savait qu'il pourrait compter sur elle pour l'aider à démystifier tout ce charabia plus tard.

L'infirmière quitta finalement la chambre, laissant à eux-mêmes ce qui devait lui paraître être un jeune couple. De longues secondes s'écoulèrent sans que rien ni personne ne bouge dans la chambre. Le silence régnait, Asriel perdu dans ses pensées, combattant son propre esprit; Olivia, elle, toujours à son chevet, sa main contre la sienne. Il n'aimait pas les hôpitaux, il les détestait, mais la présence de la jeune femme le rassurait, en quelques sortes. Olivia et lui y avaient passé beaucoup de temps, entre les pauses-repas où il venait la rejoindre et les rendez-vous de suivi pédiatrique d'Oksana. Certains souvenirs reliés à cet hôpital - puisqu'il supposait être toujours à Bowen, malgré les évènements - étaient plus agréables que d'autres. Tout en douceur, la voix d'Olivia le tira de ses pensées. « Tu préfères que je m'en aille et que je te laisse te reposer ? » Ses paupières s'ouvrirent, puis Asriel posa son regard sur elle, fronçant légèrement les sourcils. Instinctivement, il lui aurait répondu de rester, parce qu'il était vulnérable et que son besoin de sécurité était plus fort que les autres. Si les médecins, les infirmiers venaient à lui poser des questions, Olivia serait la meilleure placée pour y répondre. Elle veillerait à ce qu'il aille bien. Elle saurait réagir si quelque chose d'inattendu se produisait. Malgré les mois qui s'étaient écoulés, malgré tout ce qu'il avait pu penser de celle à qui il avait voulu s'unir pour la vie, Asriel était persuadé qu'Olivia en ferait autant, pour lui. Malgré sa disparition, qu'il avait vécu comme un abandon, le Grec savait que son ancienne compagne était une bonne personne. Il inspira doucement, puis entrouvrit les lèvres. « Rentre... ça doit faire des heures, que tu es ici... » Asriel marqua une pause, reprit sa respiration, puis poursuit: « Tu as besoin de te reposer, moi aussi d'ailleurs... » Le bout de ses doigts caressa si doucement, subtilement, la main de la blonde. « Olivia... tu reviendras? » Le coin de ses lèvres s'étira difficilement en un rictus, ne la quittant pas des yeux.