rough holidays + libre

« Un peu de monnaie, s’il-vous-plaît? » C’est la rue commerçante dans laquelle je suis. Assis sagement sur un trottoir avec mon verre et mon chien qui dort à mes pieds. « Un peu d’argent pour un sans-abris. » Je quête et je quête. J’suis allé porté des bouteilles ce matin pour me faire quelques sous. « De l’argent pour donner à manger à mon chien! » que je tente désespérément en regardant les piétons qui m’ignorent. Depuis une heure, j’dois avoir reçu deux ou trois coups de pied – j’ignore encore s’ils étaient volontaires ou non. « De l’argent pour un café! » Suggérais-je alors devant ces passants qui n’ont d’yeux que pour leurs emplettes de Noël. Je désespère un peu pour l’une des rares fois. J’ai froid, j’ai les pieds mouillés et mon chien dort. Le dernier point n’est pas triste en soi, mais j’aime bien quand Einstein me tient compagnie. J’m’arrête et je fixe le sol tristement. La période des fêtes approche et ma famille me manque plus que d’accoutumée. Si au moins j’pouvais avoir un peu d’argent pour manger ou faire un cadeau à mon chien, ce serait le comble.

La situation à Bowen n’était pas la même qu’à Sydney. À Sydney, on participait à la grande parade qui avait lieu le 23 décembre pour Noël. On allait chanter à la messe, on participait parfois même aux pièces de théâtre que notre église organisait. Après tout, Sienna et moi nous étions mariés dans cette église. Mais plus ça allait, plus les souvenirs me revenaient et rendaient la situation plus complexe qu’elle ne l’était déjà. Je pensais à Audrina qui sirotait son chocolat chaud seule le 24 décembre alors qu’habituellement, je l’accompagnais. « Un peu d’argent pour un sans abris... » quétais-je alors davantage, les yeux mouillés par le froid et les souvenirs durs qui revenaient. Une gentille demoiselle arrivait donc devant moi avec un café. Mes yeux brillaient cette fois et les larmes de joie coulaient sur mon visage. Un bon café bien chaud. « Mademoiselle, merci mille fois! » lui dis-je en bondissant de mon endroit pour l’enlacer rapidement. Je réveillais même Einstein du même coup et je laissais mes larmes couler pour une fois. « Je vous souhaite un joyeux temps des fêtes. » « Vous pareillement, Mademoiselle, Madame... Ma sauveuse du jour! » lui dis-je avec un sourire qui s’agrandissait puis, je voyais le billet trop généreux sous le porte-gobelet alors que je rougissais vivement. « Mais Mademoiselle, Madame... C’est beaucoup trop généreux. » commentais-je alors en baissant le regard honteux vers le sol.

Pour elle, ce n’était rien. Pour moi, c’était une partie de mon monde quotidien qui se montait peu à peu et qui me faisait sentir mieux. J’avais peur qu’avec ma thèse, que j’aille envie de tout abandonner... et il s’en ai fallu de peu aujourd’hui pour que j’abandonne. Je secouais un peu son manteau des saletés que j’aurais pu y mettre même si je ne voyais que mes yeux embrumés. Je remarquais son regard vers Einstein et je souriais malgré moi. « C’est mon chien, Einstein. Vous pouvez le caresser si vous voulez. » soulignais-je encore sous l’émotion. Elle se présentait comme étant Solenn et ça lui allait bien comme prénom. Elle me disait que ce n’était rien alors que c’était beaucoup et je le savais. « Et mon chien aura à manger cette semaine grâce à vous. » Moi aussi j’aurais à manger, j’aurais même un repas de Noël convenable si je me gardais une partie du montant. Solenn me demandait si j’avais un endroit où dormir. Je buvais un peu de café en cherchant ma réponse. « Pas pour le moment. » confiais-je en répondant à sa première question. À la deuxième... Je réalisais que la première réponse convenait aussi. Mais j’avais des trucs, il y avait certains marchands qui jetaient de nombreuses choses encore bonnes, comme des sandwichs. « Je n’ai pas encore mangé, aujourd’hui. » lui dis-je alors simplement en haussant les épaules, comme si ce n’était pas grave. Alors que ça faisait deux jours que je ne me nourrissais que de petits crackers. Mon alimentation depuis que je jouais le jeu du sans-abri avait grandement affecté ma personne. J’avais perdu du poids, considérablement. Ça me prendrait un certain moment avant de me remettre de tout ça et je le savais. Une dame qui me donnait un énorme billet méritait bien que je réponde à toutes ses questions.

À ses yeux, ce n’était rien. Aux miens, c’était une toute autre chose. Je me réjouissais d’avoir un café. D’avoir quelques sous pour Einstein, pour Noël. Et elle aimait les chiens, elle le caressait même avec une joie. Elle ne semblait pas se forcer et ça, ça me serrait le cœur davantage. Elle se relevait alors que je l’observais. Prendre un truc à manger et elle serait ravie de nous héberger. Je souriais, mes yeux s’agrandissaient. Le temps des fêtes changeait les gens et ça me faisait chaud au cœur. Alors que la brunette suggérait un café. J’avançais timidement une autre option. « Je peux aussi cuisiner, je n’en ai pas l’air. Mais j’adore faire la cuisine, quand j’en ai la chance. » lui admis-je alors. Avant d’être un sans-abri, j’étais avant tout un homme. Un homme qui aimait la cuisine, qui raffolait des livres de psychologie, des études. Celui qui raffolait de culture générale et de différents apprentissages. J’étais l’homme amoureux des chiens, des femmes (et hommes) et celui qui adorait la vie. Elle me proposait une douche alors là, je brillais pour vrai. L’eau de la plage avait récemment été très froide et je me débrouillais avec le tout, mais un vrai endroit où se laver, où profiter du chaud, je ne pouvais pas refuser. « Je suis dans l’obligation de dire oui, je ne saurais pas comment refuser. » Je rougissais et j’aurais voulu faire quelque chose d’important pour elle. Je réalisais en fait, qu’après cette étude, j’aurais un bon lot de petits cadeaux à faire pour ces personnes qui m’ont aidées, celles qui m’ont hébergées et bien plus encore.

Je cuisinerais, je ferais un repas et je prendrais une douche. La vie est très certainement magique. Surtout en cette période plus complexe. Elle m’invitait dans sa voiture et j’obéissais sagement. Einstein entrait sur la banquette arrière à sa demande. Je l’observe alors chanter et grignoter son ongle. Je ne peux que sourire. Remarquant par la suite que mon chien lui léchait le visage, je le grondais. « Tu t’assois et tu y restes. » La mine du canin semblait baisser et pourtant. Je me tournais vers elle qui me questionnait si je venais d’ici. Je secouais la tête négativement. « Je suis de Sydney. Et vous? » Je regarde autour de nous et je pointe la radio. « C’était une bien belle chanson. » commentais-je alors que je n’écoutais plus la radio depuis quelques mois. C’était sans doute ma faute, si je pouvais l’assimiler comme tel. Je lui faisais un petit sourire et je haussais les épaules, comme si ce n’étais pas plus grave. « On a tous nos habitudes. » J’étais le premier à faire marcher Einstein et avoir quelques plis.