The show must go on (Théia)

Il y avait eu ce séisme et ses conséquences irrattrapables. Lexi avait laissé sa vie. Comme d'autres. Il y avait eu des blessés. Des personnes qui avaient tout perdu. Liam s'en était bien sorti. Mais il y avait eu cette peur d'avoir perdu Charley, cette peur d'avoir perdu Sasha, son fils, la chair de sa chair. Cet événement avait ouvert les yeux au jeune aveugle. Il avait envie d'être près de son fils, d'être là pour lui, même s'il n'était pas le meilleur père qu'il puisse exister, même s'il n'avait pas été là les deux premières années de sa vie. Durant les semaines qui avaient suivies, plus rien ne comptait, si ce n'était le bien-être de Sasha. Doucement, la vie avait fini par reprendre ses droits. Les gens reprenaient leurs habitudes, peu à peu, même si les cicatrices mettraient longtemps à se refermer. Aujourd'hui, il allait voir Théia. Théia qui, elle aussi, avait particulièrement mal vécu cet événement. Ce que Liam redoutait avait fini par arriver. La jeune femme avait dû subir une lourde opération du coeur. Il n'avait pas pu la voir durant sa convalescence, mais le coeur y était, sans mauvais jeu de mots. Il lui avait passé de nombreux appels, mais rien ne valait le face-à-face. Ils devaient se rejoindre au café et Liam se demandait comment il allait la retrouver. Il s'installa à l'une des tables, en terrasse, afin de profiter de la douceur du climat. Il posa sa canne blanche et attendit patiemment l'arrivée de son amie.

Pour Théia, ce séisme a failli lui être fatal. Elle se souvient encore trop bien de ce qu'elle a ressenti lorsque la terre s'est mise à trembler sous ses pieds, de son cœur qui s'est emballé d'un coup, prêt à lâcher. Elle entend encore la voix de Xavier qui essaie de la maintenir en vie, revoit les visages paniqués des médecins. Et, à son réveil, Oliver en robe d'hôpital qui arrivait encore à la faire craquer malgré cette tenue ridicule. Pendant sa convalescence, les appels de Liam lui faisaient énormément de bien. Elle se sentait beaucoup trop seule dans cet hôpital et ne se réjouissait que d'une chose, c'était de s'en aller et rapidement. Alors qu'elle arrive au lieu de rendez-vous, elle ne tarde pas à le reconnaître assis à une des tables de la terrasse. Immédiatement, son nouveau coeur se soulève suite à un élan de bonne humeur. « J'espère que je ne te fais pas attendre depuis trop longtemps, » dit-elle en s'approchant de lui. Elle pose une main sur son épaule, embrasse sa joue, puis prend place en face de lui. Il ne le voit pas, mais elle a une grande cicatrice encore rouge qui dépasse légèrement de son décolleté, juste entre ses seins. Ça lui fait pour le moment toujours bizarre de se balader avec le coeur de quelqu'un d'autre dans la poitrine, mais Théia doit bien avouer qu'elle préfère ça à ne plus être en vie. « Je suis vraiment contente de te voir, surtout après ce qu'il s'est passé. » Elle soupire avant d'ajouter d'un ton plus enthousiaste « Et tu es enfin sorti de chez toi, ça se fête ! » le taquine-t-elle.

La voix de Théia retentit et très rapidement, un sourire se dessina sur les lèvres de l'aveugle. Cette gamine était son petit rayon de soleil. Il suffisait qu'elle soit là pour qu'il affiche un sourire long de trois mètres. Il répondit avec malice : "ça fait un moment que j'attends. Mais je ne t'en veux pas. Tu es une femme et une femme se fait toujours attendre." Sur cette remarque sexiste - de la taquinerie, évidemment, parce que Liam vénérait la gente féminine - il se releva afin de lui rendre son baiser sur la joue. Il la retint même un instant pour la serrer dans ses bras, comme pour s'assurer qu'elle était bien là et chasser la peur qu'il avait eu à l'idée de la perdre. Alors qu'il la laissa prendre place, Liam se réinstalla sur sa chaise, hochant la tête à ses paroles. Après tout ce qu'il s'est passé. La tristesse se lut un instant sur le visage de l'ex-policier. Il s'en était passé des choses. Des morts. Des retrouvailles. Le nouveau coeur de Théia. A ce sujet, il avait envie de lui rétorquer qu'elle n'avait plus le droit de lui faire de telles frayeurs, mais il se contenta d'un "Moi aussi je suis content de te voir. Tu ne peux pas savoir à quel point." On sentait l'émotion dans sa voix. Fort heureusement, Théia enchaîna sur une petite pique bien placée. Elle ne changeait pas de ce côté-là. Et comme d'habitude, Liam entrait dans son jeu. "Tu as vu ça ?! Je me suis même rasé. Bon, il y a encore du boulot à faire pour les cheveux, mais il ne faut pas trop en demander.". Il se mit à rire alors qu'il se passa la main dans sa tignasse blonde décoiffée. Puis, plus sérieux, il reprit : "Comment vas-tu ?"

Théia aimerait faire semblant d'être vexée par sa remarque un brin sexiste, elle aurait totalement été capable de jouer le rôle de la fille féministe dans un contexte totalement autre. Mais là, elle est bien trop contente de le revoir, son Liam. Pas parce qu'ils ne se sont plus vus depuis longtemps, la dernière fois ne remonte pas à tant que ça, mais parce que cette fameuse fois aurait très bien être la dernière et qu'elle n'en savait absolument rien à ce moment-là. Pendant l'étreinte qu'il lui offre, elle en profite pour souffler quelques secondes. Sa présence la conforte, et elle arrive enfin à totalement effacer les pensées sombres qui lui ont traversées l'esprit durant ces derniers mois. Il est là, concrètement, vivant. Elle prend place et, en l'entendant parler aussi sérieusement pour une fois, ne peut s'empêcher de sourire. Il n'y a plus une once de tristesse sur son visage, seulement du soulagement et la même lueur dans ses yeux qu'elle a toujours eue. Et même si elle ne peut s'empêcher de plaisanter au sujet de son physique, même si Théia reste Théia, elle ne peut nier à quel point elle en aurait souffert de ne pas se retrouver à cette table, face à Liam. « Justement, je te trouve plutôt en beauté. » Un compliment, chose rare venant d'elle. Il lui demande comment elle va, et elle s'appuie contre le dos de sa chaise avant de croiser les jambes. Elle préfère ne pas mentionner cette période sombre post-séisme où elle respirait à l'aide d'une machine, où chaque jour aurait pu être le dernier, et où son coeur n'était plus qu'une organe détraquée. « Bien, vraiment bien. J'ai tout un traitement à prendre pour éviter que mon corps rejette cette petite chose qui me permet d'être là devant toi, mais je pense que tout ira bien. J'ai un bon pressentiment. » Elle lève les yeux vers lui même si lui ne peut pas la voir. « Et toi ? Et ton fils ? » Le fils de Liam est un sujet qu'ils évoquent rarement, mais vu les circonstances, Théia ne peut pas s'empêcher de s'en inquiéter.

Théia et Liam passaient leur temps à se chercher, se taquiner, se provoquer. Avec elle, il acceptait des remarques qu'il n'accepterait peut-être pas si elles sortaient de d'autres bouches. Pourtant, alors qu'ils venaient de se retrouver, savourant la présence de l'autre grâce à une étreinte sincère, le sérieux semblait être de mise. Cela était rare venant de ces deux-là, mais cela rendait l'instant plus agréable. Liam était un grand gamin, et ce malgré ces trente ans qui approchaient dangereusement, mais il savait aussi être mature et sérieux quand il le fallait. Il aurait pu très bien ne jamais revoir Théia et cette idée-là avait germé dans son esprit, au point de lui montrer à quel point cette gamine était importante dans sa vie. Il ne lui avait jamais dit à quel point il tenait à elle, à quel point elle était une amie formidable. Liam se mit à sourire en entendant le compliment de Théia. C'était rare de l'entendre de sa part, mais le jeune homme ne put s'empêcher de répondre : "Qu'est-ce qu'on a à être si sérieux ?! ça ne nous va pas...". Il redevint toutefois très sérieux quand Théia lui confirma qu'elle allait bien. Un sourire étira ses lèvres au fur et à mesure qu'elle parlait. Il était tellement heureux pour elle. "Finalement... on le fera notre 50m, et tu me battras à plate couture, avec ton coeur de championne... Et je ronchonnerai, parce qu'on ne change pas une équipe qui gagne." Oui, il avait aussi un bon pressentiment pour la jeune femme. "Ta vie a dû énormément changer. Je suis content pour toi, ma belle." Il lui adressa un nouveau sourire, puis elle posa la question sur son fils. C'était toujours entendre cela de la part de ses amis. "Sasha va très bien. Sa mère aussi. Elle nous a fait une petite frayeur, mais plus de peur que de mal." Charley avait disparu pendant 48h. Les 48h les plus longues de sa vie, soit dit en passant. "Je tenais d'ailleurs à m'excuser de ne pas t'avoir rendu visite à l'hôpital... "

Très rares sont les fois où un compliment sort de sa bouche. En général, Théia est franche, trop franche. Elle lâche la vérité qui parfois blesse, ou s'amuse à taquiner avec toujours ce petit sourire malicieux qui illumine son visage de gamine. Sauf que malgré ça, malgré le fait que sa personnalité soit en grande partie constituée de sarcasme et d'humour parfois peu acceptable, elle est capable d'être sérieuse et de montrer que oui, elle a un coeur à présent immense rempli de beaucoup d'affection pour certaines personnes. Liam en fait partie, même si elle ne l'a jamais dit explicitement. Le fait qu'elle se trouve aujourd'hui là, face à lui à la terrasse de ce café, est déjà un signe que l'homme compte aux yeux de la brunette. « Bah ça va, si j'ai plus le droit de te faire un compliment, je dirai plus jamais rien ! » s'exclame-t-elle en prenant une mine boudeuse, mais sans réussir à garder son sérieux bien longtemps. C'est vrai, eux deux sont rarement sérieux quand ils sont ensemble, et c'est ce qui rend leur relation si légère et si agréable pour Théia. Elle avait besoin de ça à l'époque, et maintenant elle ne pourrait plus s'en passer. « Doucement, je suis déjà heureuse quand j'arrive à monter les marches de mon appartement alors une chose à la fois. » Elle rit doucement, d'un rire enfantin qui fait pétiller ses yeux et qui creuse ses joues en deux fossettes. « Merci Liam, » ajoute-t-elle ensuite simplement, lui rendant son sourire avant de s'intéresser à sa vie à lui. Théia n'en connait pas beaucoup, elle est seulement au courant qu'il a un fils mais n'a jamais osé l'interroger sur l'identité de sa mère. Elle hoche la tête tout en l'écoutant, puis ouvre de grands yeux surpris lorsqu'il s'excuse de ne pas être passé à l'hôpital. « Hey, t'as pas à t'excuser. Je comprends totalement, et puis j'étais plutôt bien accompagnée. » Elle esquisse un nouveau sourire en repensant à Oliver et ses visites surprises pendant qu'elle comatait à moitié dans son lit.

Liam avait toujours tendance à utiliser l'humour pour ne pas montrer qu'il était touché. Il la connaissait, sa petite Théia. Tout ce qu'elle disait était toujours criant de vérité. L'entendre dire tout cela contenta évidemment Liam. Au moins, ses efforts étaient visibles. On sentait que l'ex-policier tentait de sortir de l'impasse dans lequel il s'était engouffré durant quelques années. Et il était heureux de voir que ses proches s'en rendaient compte. Théia faisait partie de ses proches. Ils s'étaient vus l'un et l'autre au plus bas, durant ces moments difficiles qu'ils tentaient d'oublier désormais. La réponse de Théia fit rire notre jeune Matthews. Il l'imaginait même avec la mine boudeuse. "Le problème, c'est que je risquerai de prendre l'habitude d'entendre des compliments de ta part, voilà tout. Tu connais l'ego masculin, hein." Il sourit de toutes ses dents, la taquinant encore et encore. Mais la conversation devint plus sérieuse, quand Liam lui annonça qu'ils se feraient enfin ce 50m, chose à laquelle la jeune femme émit encore quelques réserves. "Je serai patient, ma chère. Chaque chose en son temps, comme tu l'as dit."Il voulait qu'elle se ménage avant tout. Et puis ce n'était pas comme s'il allait retrouver la vue d'ici demain. Enfin, là n'était pas la question. C'était Théia le principal sujet de conversation. Voir son amie revivre grâce à son nouveau coeur rendait Liam à un tel niveau de joie qu'il n'avait pas connu depuis bien longtemps. Malgré tout, il s'en voulait de ne pas avoir été là au moment venu. Chose pour laquelle il s'excusa. Mais la réponse de la demoiselle lui fit arquer un sourcil. Bien accompagnée ? "Ah oui ?" lâcha-t-il, l'invitant à être un peu plus généreuse sur les détails. Liam, le protecteur un peu lourd était de retour.

Sa relation avec Liam est un parfait exemple de son problème à exprimer ses émotions et autres ressentis. Lui autant qu'elle sait à quel point il est important dans la vie de Théia, bien qu'elle ne le dise jamais explicitement. Elle se contente de le faire comprendre par quelques gestes, remarques parfois déplacées ou parfois juste humoristiques. Rarement, très rarement, elle laisse aller son coeur et exprime une phrase lâchée dans le vent en espérant que personne ne le remarque. Sauf que c'est Liam, et qu'il ne relève pas une telle chose aurait été étonnant de sa part. Un sourire vient étirer ses lèvres. « Tu n'auras pas l'occasion de prendre cette habitude, je te rassure. » Elle glousse comme une gamine, regardant Liam et son sourire qui lui réchauffe le cœur. Alors qu'il lui dit être patient, prêt à attendre qu'elle se remette entièrement, Théia ne peut s'empêcher de lui en être reconnaissante. Il a toujours eu ce mélange d'humour et de sérieux qui lui fait du bien à la jeunette, qui lui met du baume au coeur et qui arrive à ne lui faire penser à rien d'autre qu'à eux-deux. Sauf que, sans vraiment savoir pourquoi, elle en vient à évoquer elle-même le sujet sensible du moment. Il en veut plus évidemment et Théia pourrait se contenter d'un simple "rien d'important" qui mettrait fin au sujet hôpital, sauf qu'elle sait pertinemment qu'il ne lâcherait pas l'affaire si facilement. « Pendant la période où j'étais en soins intensifs, j'avais à mes cotés une personne qui m'a beaucoup aidée à travers cette épreuve. » Un fin sourire vient étirer ses lèvres pendant que son regard se perd dans le vide. En repensant à Oliver à son chevet, Théia ressent soudainement une vague de tristesse qui s'empare d'elle et lui broie le ventre. « Mais c'est terminé, » souffle-t-elle. « Retour à la réalité. » Heureusement pour elle mais malheureusement pour lui, il ne peut pas voir les yeux de Théia s'humidifier. Sans faire de bruit, elle essuie rapidement l'unique larme qui vient perler le long de sa joue. « Faut croire que personne ne veut d'une éternelle éclopée, » tente-t-elle d'ajouter avec humour.

La réponse de la jeune femme lui arracha un plus grand sourire encore. "Je sais, mais laisse-moi encore un peu espérer, s'il te plaît." répondit-il même. Bien sûr qu'il savait que Théia ne serait pas plus généreuse en compliment. Il connaissait sa façon de faire et savait qu'elle n'était pas du genre à exprimer ouvertement ses sentiments. Et c'était comme cela qu'il aimait la jeune femme. Elle avait son jardin secret. Mais ce jour se montrait exceptionnel, puisqu'elle continua à lui livrer quelques confidences. Elle n'avait pas été seule lors de son séjour à l'hôpital. Liam haussa les sourcils, l'invitant à poursuivre. Lui qui s'était amusé à la taquiner sur des éventuels petits amis avait l'impression, qu'aujourd'hui, la taquinerie deviendrait réalité. Parce qu'il n'était pas dupe, Liam. Même si elle parlait d'une "personne", il se doutait bien qu'il y avait anguille sous roche. Qui était-il ? Que faisait-il ? Où était-il à présent ? Ses réflexes de flic étaient toujours présents, mais la demoiselle resta avare sur les détails. Elle conclut simplement, en disant que c'était terminé. "Ah bon ?" questionna-t-il, surpris. Il tendit la main qu'il posa sur le bras de Théia, dans un geste qu'il voulut réconfortant. Certes, il était aveugle, mais il n'était pas sourd. Et il avait entendu une pointe de tristesse dans la voix de Théia. Ce qui lui arrachait le coeur. Tout comme cette phrase qu'elle lâcha ensuite, avec un humour qui ne prenait pas. "Ne dis pas ça, Théia !" Son ton était, pour le coup, très sérieux. "Je ne veux plus entendre ça, d'accord ? Tu es juste tombée sur la mauvaise personne. Il n'a pas su saisir la chance qu'il avait..." Et c'était sincère. "Tu sais... si j'étais plus jeune, je t'aurai draguée. Je me serai complétement fichu que tu sois éclopée ou non." Il lui adressa un sourire, afin d'éviter le malaise. Avec Liam, la sincérité flirtait toujours avec la maladresse, même s'il ne s'en rendait pas toujours compte.

Sa réponse lui tire un sourire, un dernier avant que son visage ne prenne soudainement une teinte plus sombre. Elle ne sait pas vraiment pourquoi elle en est venue à mentionner Oliver, pourquoi il a fallu qu'elle souligne le fait qu'elle avait totalement été laissée sur le coté au lieu de faire comme si tout allait bien, comme elle a à chaque fois fait. Cette main qu'il pose sur son avant-bras est un geste affectueux qu'ils n'ont que très rarement l'un envers l'autre mais qui, pourtant, lui fait l'effet d'une vague de douceur venant l'envelopper pour écarter cette tristesse qui menace si soudainement de l'envahir. Sans rien dire pour ne pas le couper, Théia regarde en direction de Liam et, lentement, se met à sourire à nouveau. Il a raison, elle est tombée sur la mauvaise personne, au mauvais moment. Elle était vulnérable, fragile, elle s'est laissée aller dans une période où elle trop faible que pour être capable de se protéger. Et la voilà aujourd'hui, seule, le coeur lourd et l'esprit trop encombré que pour pouvoir penser normalement. La dernière phrase qu'il prononce agrandit un peu plus son sourire et lui fait arquer un sourcil. « Vraiment ? » demande-t-elle sans le quitter des yeux. « Dommage que je n'aies pas quelques années de plus, » lâche-t-elle sans même prendre la peine de réfléchir avant de parler. Théia a toujours eu tendance à parler trop vite, ne réalisant parfois pas tout de suite le sens de ses paroles. Elle se mord la lèvre, curieuse de voir sa réaction. Liam a toujours eu les mots pour lui faire penser à autre chose qu'à ses tracas insignifiants, parfois sans même qu'il n'en soit conscient. Il a beau les avoir prononcées pour plaisanter, du moins selon Théia, ses paroles ont éveillées en elle une curiosité qui lui donne mal aux joues à force de sourire. « Et si t'avais essayé, je suis pratiquement certaine que ça aurait fonctionné. » Elle se met à rire doucement pour éviter tout malaise, réalisant trop tard que ce rollercoaster émotionnel est en train de la faire parler avec bien trop de franchise.

En soit, Liam était déjà une personne entière, qui aimait profondément les gens. Ce qu'il détestait au plus haut point, c'était de ressentir la tristesse émanant d'une personne. Mais quand cela venait de Théia, cela était encore pire. Elle était son petit rayon de soleil, comme il aimait le dire. C'était difficile d'imaginer son sourire disparaître de ses lèvres, même si Liam n'avait jamais eu l'occasion de le voir réellement, de ses propres yeux. Pour autant, il avait toujours imaginé Théia comme une femme rayonnante, qui, avec un sourire, pouvait effacer, d'un revers de la main, tous les soucis existants. Elle le faisait tellement bien avec lui. Si bien qu'aujourd'hui, il voulait lui rendre la pareille. Il n'avait pas l'ego surdimensionné au point de se dire qu'il pourrait être celui qui atténuerait sa tristesse. Mais si elle repartait avec le coeur plus léger - sans mauvais jeu de mots, évidemment - il verrait ceci comme une victoire. Alors, il ne se gêna pas de dénigrer ce garçon qui avait laissé partir une vraie perle. Il se permit même une petite déviance dans leur lien, en lui avouant qu'il l'aurait dragué, sans aucune hésitation. Cela ne relevait pas de la plaisanterie, même si ses lèvres s'étaient étirées dans un sourire qui laissait apparaître ses fossettes. La réponse de Théia le surprit pour autant. Dommage qu'elle n'ait pas quelques années de plus. "ça ne reste qu'un chiffre, après tout..." Liam ne sut pourquoi il répondit cela, tout comme il ne comprit pas pourquoi la dernière phrase de Théia fut si agréable à entendre. Non, cela ne flattait pas que son ego masculin. C'était plus que cela. Il se pencha quelque peu, toujours ce sourire aux lèvres : "Tu le penses réellement ?" C'était fou comme cette discussion était criante de vérité, même si chacun se dissimulait derrière quelques plaisanteries. Une plaisanterie que Liam ajouta : "Ou alors, tu te serais demandé qui était ce gros lourd qui ne savait même plus draguer correctement..."

Depuis qu'ils se connaissent, Liam a toujours rendu sa vie plus légère. C'était comme si leurs négatifs s'additionnaient pour créer du positif, comme si le monde autour d'eux disparaissait et qu'il n'y avait q'eux, une fille au coeur détraqué et un homme ayant perdu la vue, tous deux ayant le rire facile et possédant un amour inconsidéré pour l'humour noir, les remarques parfois légères et parfois plus poussées. Il a toujours représenté pour Théia une sorte d'échappatoire, un moyen pour elle d'oublier tout ce qui concerne ses rendez-vous médicaux et autres complications qui la ramenaient à chaque fois au même point de départ. Elle avait trouvé en cet homme autant à part qu'elle un véritable allié, une personne pour laquelle elle éprouvait depuis toujours une affection jamais explicitement exprimée. Les paroles qu'il prononce l'étonnent mais ne la choquent pas. Elles résonnent dans son esprit, s'immiscent dans son coeur pour le moment vide, le refont cogner soudainement contre sa poitrine. Car au fond, quelques mots rassurants étaient tout ce dont elle avait besoin. Surtout qu'ils ne viennent pas d'être prononcés par n'importe qui, et qu'ils n'ont donc pas le même effet que si ils étaient sortis de la bouche d'un autre. Pendant une seconde, une seule, Théia efface Oliver de ses pensées. Elle oublie leurs désaccords, les jours silencieux, même son trop oppressant sentiment de solitude disparait de son esprit le temps d'un instant. Mais lorsque cette agréable seconde prend fin, la réalité la frappe à nouveau. Il plaisante sûrement, comme il l'a toujours fait. Et pourtant, même si elle a réussi à s'encrer cette évidence dans la tête, elle ne peut s'empêcher d'hocher la tête à sa question. Sa dernière réflexion la fait doucement rire, un rire innocent et cristallin qu'elle n'a plus eu depuis déjà plusieurs mois. « Ou alors, je me serais dit que ce ne serait qu'un pari à gagner, qu'un homme comme toi aurait bien mieux à faire que de s'intéresser à une fille comme moi. » Elle pose ses deux mains sur la table sans plus réussir à se défaire de son sourire.

Liam en avait sorti des bêtises à Théia. Elle en avait pris l'habitude, si bien qu'elle devait souvent se demander s'il était sérieux ou non. Aujourd'hui en était la preuve. Leur conversation pouvait virer à une plaisanterie plutôt mal tournée. Parce que c'était Liam et Théia, parce que ces deux-là s'étaient trouvés à une période noire de leur vie et qu'ils s'étaient soutenus grâce à leur sens de l'humour parfois douteux. Ensemble, ils s'échappaient de la réalité, de leur quotidien parfois difficile, si bien qu'ils n'avaient jamais pris le recul nécessaire pour se rendre compte de l'affection qu'ils se portaient mutuellement. C'était naturel, inné et particulièrement pur. Mais c'était en se rendant compte de la tristesse de Théia que Liam s'était rendu compte à quel point cela le torturait, à quel point il tenait à elle. Alors oui, sa manière de faire n'était peut-être pas la meilleure, peut-être qu'elle se mettrait à croire qu'il se fichait d'elle, mais s'il pouvait lui rendre le sourire ou apaiser quelque peu ses maux, il en serait le plus heureux. Ceci dit, il n'en revenait pas de la tournure que prenait leur conversation. Maintenant, c'était Liam qui se demandait si elle plaisantait ou non. Un homme comme lui ? Que sous-entendait elle par là ? Il arqua un sourcil à ses paroles, un sourire en coin se dessinant sur le bout de ses lèvres : "Et pourquoi un homme comme moi ne s'intéresserait pas à une femme comme toi ?" Il avait volontairement changé le "fille" en "femme", parce que c'était ce qu'elle était à ses yeux. "Enfin, Théia, tu ne te rends pas compte des qualités que tu as. Tu es une femme plus que formidable..." Et il ajouta même, doucement, dans un souffle : "Et sache que je suis très sérieux dans mes paroles."

À sa question, elle voit tellement de possibilités de réponses mais pourtant aucune qu'elle n'a envie de citer. Des réponses trop sérieuses, trop réelles, des mots qui ne leur correspondrait pas. Quelques phrases comme "parce que je n'ai pas la beauté des femmes plus âgées", ou encore "parce que tu devrais être marié avec la mère de tes enfants, pas en train de perdre ton temps avec la personne détraquée que je suis". Et surtout, parce que Théia n'a jamais vraiment su ce que pensait Liam d'elle. Il n'a jamais dit qu'il la trouvait attirante, ou même intéressante. Ils se sont toujours supportés sans grande difficulté étant donné qu'ils prennent encore maintenant plaisir à se voir lorsqu'ils le peuvent, cependant les compliments ou les mots gentils n'ont jamais faits partie de leur quotidien. C'est peut-être parce que c'est la première fois, ou bien parce qu'elle ne s'attendait pas à de telles paroles venant de lui, mais ce sourire incontrôlable qui étire ses lèvres depuis déjà plusieurs minutes ne tarde pas à se transformer en un léger rire maladroit. « Bonne question, » finit-elle par répondre avant de relever les yeux dans sa direction. « Est-ce que tu dis juste ça pour me remonter le moral, ou bien il y a message subliminal derrière tout ça ? » Elle regrette aussitôt d'avoir prononcé ces paroles sans avoir pris la peine d'y réfléchir auparavant. Théia parle trop souvent de manière impulsive, sans jamais craindre les conséquences que pourraient avoir ses mots. Pourtant, là, ses craintes envers la réaction que Liam pourrait avoir lui noue soudainement l'estomac. « Je veux dire, c'est la première fois que tu me parles comme ça. Non pas que ça me dérange, c'est d'ailleurs totalement le contraire, » ajoute-t-elle dans un nouveau rire discret. « C'est même... plutôt agréable. » Elle se mord la lèvre et dévie son attention en direction du serveur, des autres clients, de n'importe qui autre que Liam et le sourire moqueur qu'il ne devrait pas tarder à avoir.

Au fond, l'un comme l'autre ne savaient pas comment prendre les paroles de chacun. Ils avaient tellement l'habitude de plaisanter qu'ils ne parvenaient plus à discerner le ton sérieux d'un ton humoristique. Et pourtant, Liam était bien sérieux à ce moment-là. Pourtant, la question de Théia le rendit songeur, mais il répondit avec douceur : "Ce n'est pas pour te remonter uniquement le moral, c'est pour que tu ouvres les yeux, Théia, et que tu vois comment moi je te vois." Il avait volontairement fait l'impasse sur le message subliminal parce qu'il craignait de se rendre compte lui-même de choses dont il ne se rendait pas compte. Oui, il pourrait tomber sous le charme de Théia. Dans d'autres circonstances. S'il n'y avait pas cette autre femme qui l'obsédait littéralement. Liam n'était pas un homme qui jouait sur plusieurs tableaux. Il avait bien souvent mis ses coups de coeur de côté, pour ne blesser personne. Il esquissa un sourire quand elle lui avoua que ses paroles étaient agréables. Il aurait pu en rire, mais il n'avait pas envie d'afficher ce sourire moqueur, comme il le faisait si bien, originellement. "Je me suis mis en tête qu'il fallait apprendre à dire les choses et ne plus les garder pour soi. Et si ça peut te remettre un peu de baume au coeur, j'en repartirai ravi." Mais ce fut à cet instant que son téléphone sonna. Liam fronça des sourcils et décrocha. C'était la crèche. La directrice n'arrivait pas à avoir Charley au travail et Sasha avait de la fièvre. Ils avaient donc pris le numéro de Liam. Il raccrocha bien vite et regarda Théia, avec un air désolé. "Je dois aller chercher Sasha à la crèche. Il n'est pas bien. Désolé de te faire faux-bond, mais on remet ça vite; promis." Il se releva, posa un billet pour les consommations et se saisit de sa canne blanche. Mais avant de partir, il se dirigea vers Théia et la serra contre lui. "Appelle-moi si tu as le moindre problème. Peu importe l'heure, tu sais que mon mobile-home te sera toujours ouvert." Il la relâcha et s'en alla, lui adressant un dernier signe de la main.