look this monkey, he smiles -r.

Adilyn était partie. Elle qui voulait déménager, juste changer de maison, elle avait pris le large sans te donner trop de détail. Elle avait besoin de partir et tu ne pouvais pas la retenir. Tu lui avais simplement dit au revoir, le prenant comme un adieu. Tu n'étais pas certain de la revoir un jour. Le coeur lourd, l'âme en peine, tu te retrouvais seul dans cette ville. Aby était loin, Willow était occupée avec sa propre histoire et même si elle avait dit que tu pouvais passer quand tu voulais, tu t'en empêchais. Tu ne voulais pas la déranger. Tu avais pris la direction du zoo aujourd'hui, pour te rappeler Abygaël. Tu repensais aussi à Sara, à la fois où tu l'avais rencontré par hasard. Tu venais de passer à côté des singes quand ton regard s'arrêtait sur une jeune femme. Une silhouette que tu connaissais. « Théia le titan ! » prononçais-tu assez fort pour qu'elle puisse t'entendre. En même temps, arrivant par derrière, tu ne voulais pas le crier trop fort, de peur de la faire sursauter et de la surprendre. « Vous aussi vous venez jeter un coup d'oeil au petits animaux de Bowen ? » demandais-tu avec un petit sourire sur le visage. Peut-être qu'elle pourrait faire le tour avec toi si elle était seule. Ce n'était jamais drôle de visiter un zoo tout seul et pourtant tu t'étais lancé dedans, pensant que ça te ferait sûrement du bien. « Vous allez bien ? » Cette question te brûlait les lèvres. Tu l'avais sauvé lors du séisme et tu n'avais pas eu de nouvelles. Tu avais essayé de contacter l'hôpital, mais ne faisant pas parti de sa famille, tu ne pouvais pas être tenu au courant. Tu n'avais aucune idée de comment la trouver, pour t'assurer qu'elle allait bien alors tu avais fini par laisser couler. Et maintenant elle était là, juste devant toi.

Parmis les choses que Théia n'avait encore jamais faites de toute son existence, le zoo a toujours fait partie de la liste. Non pas qu'elle ne le pouvait pas, ce genre d'activité est clairement moins dangereux qu'un saut à l'élastique ou tout autre sport trop fou pour elle et que son ancien coeur n'aurait jamais supporté. Non, simplement parce qu'elle n'a jamais pris le temps. Elle n'a jamais su combien d'années ou mois il lui restait à vivre, et elle a tellement voulu faire qu'au final, elle a fini par ne pratiquement rien accomplir. Paradoxal, mais pourtant véridique. La voilà aujourd'hui, elle et son nouveau coeur, elle et toutes ses ambitions de vie, assise sur un banc devant l'enclos des singes. Il n'y a personne avec elle, Théia a eu envie de profiter d'un peu de temps seule pour se retrouver avec elle-même. Alors qu'elle est perdue dans ses pensées, contemplant les animaux devant elle, une voix qui ne lui est pas inconnue la ramène sur Terre. Elle tourne la tête et reconnait bien vite Xavier, s'avançant vers elle. Elle aurait très bien pu fermer les yeux et quand même savoir que c'était lui vu le surnom qu'il lui a donné, et qui l'a faite sourire. « Mon héros ! » s'exclame-t-elle, parce que c'est la première image qui lui traverse l'esprit rien qu'en voyant son visage. Lui la portant pendant que son coeur lui faisait misère, menaçant de la tuer. Théia le regarde avec un immense sourire, comme une petite fille découvrant le Père Noël pour la première fois. « J'ai eu envie de bousculer un peu mes habitudes sans pour autant aller trop l'extravaguant, » explique-t-elle, sans vraiment savoir pourquoi elle a choisi le zoo plus qu'un café ou autre. Il lui demande comment elle va, et elle se tourne vers lui afin de pouvoir plonger son regard dans ses yeux bruns. « Je pense qu'au point où on est, on peut se tutoyer non ? » demande-t-elle d'abord avec un sourire amusé aux lèvres avant de reprendre. « Et oui, je vais bien. Très bien même, grâce à ton aide. D'ailleurs j'avais vraiment envie de te retrouver pour te faire part de mon immense gratitude, mais je n'avais aucune idée de comment te joindre. » Vu qu'elle n'a pas son numéro, et qu'ils ne se connaissent pas assez que pour savoir où vit l'autre. « Et toi, depuis cette fin du monde ? »

Mon héros. Ses quelques syllabes avaient eu le pouvoir de réchauffer ton coeur. Tu n'étais pas un héros, tu étais juste un homme qui avait sauvé une jeune fille. Tu avais lutté pour l'amener au plus vite à l'hôpital et tu t'étais attachée à ce petit bout de femme. Théia n'était pas aussi frêle qu'elle pouvait avoir l'air en apparence. Elle était forte et elle s'était battue pour vivre. C'est grâce à elle qu'elle était encore là aujourd'hui. « Ce n'est pas au zoo qui vous allez vivre une grande aventure sauf si les lions venaient à s'échapper de leurs habitats ! » Tu rigolais doucement, imaginant la panique à bord si les lions venaient à sortir. Peut-être même qu'il ne se passerait rien ici. Tu imaginais aussi ce qu'il pourrait se passer si à la place des lions c'était les koalas qui se faisaient la malle. A part un déferlement d'amour et de tendresse, le risque était faible. « Tu as raison, on le peut. » Même si la différence d'âge te troublait un peu. Tu passais très vite au dessus de ça. « Je n'ai fait que mon devoir, il n'y a vraiment pas de quoi. » Tu n'avais pas besoin de remerciements, tu n'avais besoin de rien, juste savoir qu'elle aillait bien, qu'elle se portait bien et qu'elle allait pouvoir vivre une longue vie. C'était la seule chose d'importante à tes yeux. C'était d'ailleurs pour ça que tu avais voulu avoir de ses nouvelles. « Moi il ne s'est rien passé de vraiment intéressant. » Tu avais eu le coeur brisé par le départ d'Adilyn et ta fille vivait loin de toi mais vos relations étaient en progression. Tu avais remis de côté l'alcool alors depuis cette fin du monde, tu étais à peu près à quatre mois de sobriété, ce qui n'était pas trop mal.

Elle rit en même temps que lui, visualisant parfaitement la scène des lions qui terrifieraient tous les visiteurs. En réalité, Théia ne cherche pas spécialement la grande aventure. Elle n'a jamais eu l'occasion de prendre goût aux sensations, même si elle sait au fond d'elle qu'elle adorerait sûrement ça. En attendant, elle se contente de réaliser quelques petites choses qu'elle n'a jamais faites dans cette ville où elle a pourtant grandi. Xavier approuve pour le tutoiement, faisant ainsi sourire Théia qui pourra ainsi se sentir bien plus à l'aise vu que trop rares sont les fois où elle vouvoie qui que ce soit. Et l'âge de l'homme n'est pas vraiment un détail qui lui torture l'esprit pour elle qui, non seulement, préfère généralement la compagnie des plus âgés, mais qui a aussi l'habitude de devenir familière avec toutes les personnes qu'elle fréquente. C'est une mauvaise habitude chez elle, quelque chose qui pourrait être interprété comme un manque de respect alors que pour elle, ce n'est qu'un simple signe prouvant qu'elle apprécie la personne. « Tout le monde ne l'aurait pas fait, » dit-elle pour le défendre, sans pour autant vouloir lui jeter des fleurs. Après tout c'est vrai, la curiosité malsaine de l'Homme le pousse plus souvent à prendre une photo avec son cellulaire de la personne en détresse que de chercher à l'aider. Pendant qu'il parle, Théia l'écoute en marchant d'un pas distrait et lent. Elle plonge ses mains dans les poches arrière de son jean, laisse son regard vagabonder à travers les divers enclos, puis hoche lentement la tête. « Il vaut mieux ça qu'un violent traumatisme, » lui dit-elle avec un demi-sourire, même si elle sait que certains habitants de la ville en ont réellement vécu un. « Des nouvelles de ta fille ? » Peut-être un peu trop curieuse, elle se souvient de leur conversation où Xavier lui expliquait ne pas être particulièrement un héros pour elle, ou quelque chose dans le genre.

Elle était en désaccord avec toi. Peut-être qu'elle avait raison. Tout le monde peut-être pas, mais tu n'étais pas le seul à venir en aide, pas le seul à être altruiste. Et avec tous les secouristes présent sur place, il y aurait forcément eu quelqu'un pour lui venir en aide. « Je pense que dans une telle situation, quelqu'un l'aurait fait. » Tu devais sans doute paraître naïf à croire que le monde avait un bon fond et qu'il n'était pas égoïste comme pouvait le laisser entendre les médias. Tu avais envie de croire au bon sens et à la solidarité. Tu ne pourrais jamais lui prouver le contraire parce que c'était toi qui était présent ce jour là, toi qui l'avait aidé à s'en sortir. Toi qui avait lutté pour la sauver.  « Sans doute, oui. » Ce jour là, des gens avaient perdus des êtres chers, des êtres proches. Tu étais toujours sans nouvelle de Jules. Elle avait disparu le jour de séisme et parfois cette pensée t'empêchait de dormir. Mais même le meilleur détective de la ville n'avait pas pu retrouver sa trace. Tu n'avais pas envie de perdre espoir, mais tu commençais à penser que peut-être elle avait péri pendant ce tragique accident et que son corps n'avait juste pas été retrouvé. Emporté par la mer ou dans les entrailles de la terre. Tu secouais la tête pour arrêter d'y penser, préférant revenir à quelque chose de plus joyeux. « Elle est arrivée à l'hôpital juste après t'avoir déposée. Elle était blessée au genou mais rien de grave. » ajoutais-tu doucement, tu ne voulais pas l'inquiéter plus que de raison. « Maintenant elle vit loin d'ici, chez un avocat. C'est son nouveau tuteur et quant à moi je ne peux la voir que les week-ends ou les vacances. » C'était un peu blasant. Tu avais l'impression de ne pas assez profiter d'elle. Elle grandissait un peu plus chaque fois que tu avais l'impression de ne pas pouvoir suivre la cadence et d'être perdu lorsqu'elle te parlait d'elle, de sa vie là-bas. « Et pour le moment, je dois avouer que ça se passe mieux. » Petit à petit, l'oiseau fait son nid. C'était la seule image qui te venait en tête. Tu avais un sourire sur le visage en le disant parce que tu étais content de votre relation, de voir comment les choses pouvaient évoluer.

Sincèrement, elle aimerait penser comme lui et se dire que sans sa présence, quelqu'un d'autre se serait chargé de son cas. Sauf que Théia a tendance à voir les autres comme égoïstes, souvent ingrats, certainement dû aux nombreuses déceptions qu'elle a connues en commençant par sa relation avec son paternel. Homme triste, trop saoul que pour s'occuper de sa fille, trop seul que pour se rappeler qu'elle était là et l'est encore. Au lieu de répondre, Théia se contente de hausser les épaules sans tout de fois perdre son sourire. Elle trouve ça amusant de voir que cette fois, les rôles se sont inversés entre Xavier et elle. Lui positif, elle pessimiste. Et ça lui plait de le voir croire en la bonté des autres alors que quelques mois plus tôt, il était ivre, seul et semblait malheureux. Afin de clôturer la parenthèse "séisme", elle le questionne sur sa fille et l'écoute attentivement lui dire qu'elle va bien, à part quelques blessures qui ne sont pas graves. Elle hoche ensuite la tête lorsqu'il continue sur cette histoire de tuteur et regarde le sol. « C'est un début, et ça ne peut qu'avancer vers du meilleur. » Il lui dit ensuite que ça se passe mieux, et Théia ne peut empêcher un nouveau sourire de venir étirer ses lèvres. Elle a toujours été si tournée vers les autres, ceux qu'elle apprécie sincèrement. Elle aime les savoir heureux, les voir sourire, les entendre rire. Xavier, elle l'a rapidement considéré comme faisant partie de ces personnes qui méritent plus que ce qu'ils se permettent d'avoir. « Ravie de l'entendre ! » s'exclame-t-elle en levant à nouveau les yeux vers lui. Théia ne connaîtra probablement jamais ce genre de situation, ni même la peur de peut-être perdre un enfant. Elle ne pense même pas qu'un jour elle aura la possibilité de devenir mère et, même si elle n'avait autrefois jamais envisagé cette possibilité de vie, elle doit avouer que l'idée lui fait aujourd'hui l'effet d'un léger pincement au coeur. Peut-être qu'elle aurait aimé ça finalement, de donner la vie. S'attacher à un petit être, le voir grandir. « Bon, on va faire un tour ? J'ai trop envie de voir les animaux sauvages, » lâche-t-elle soudainement pour s'échapper de ses pensées qui la font tourner en rond.

Peut-être que sauver Théia était un moyen pour toi de te racheter aux yeux du monde, un moyen pour toi de prouver que tu étais quelqu'un de bien, que tu pouvais sauver une fille. Et que si tu étais capable de faire ça, alors tu serais capable de sauver ta fille. C'était peut-être idiot de croire que c'est ainsi que ça fonctionnait mais ce n'était pas le cas. Tu haussais doucement les épaules, de toute façon, il n'y avait pas besoin de tergiverser des heures, c'est toi qui l'avait sauvé. C'est toi qui avait été là. Revenir là-dessus ne servait à rien si ce n'est confronter vos visions du monde. Tu hochais la tête avec un grand sourire lorsqu'elle disait que c'était un début. Le meilleur restait à venir, tu voulais y croire plus que jamais. Tu acquiesçais une nouvelle fois à sa demande. « Allons-y ! » Tu commençais à marcher doucement dans l'allée du zoo. Il y avait peu de monde et c'était agréable de pouvoir déambuler sans être bousculé par des enfants qui veulent à tout prix voir les singes ou les kangourous. Aujourd'hui, toi aussi tu allais profiter de tout ça et pas tout seul. Tu avais une charmante jeune femme pour te tenir compagnie. « Bon, vis-tu la grande aventure avec ce nouveau cœur ? » demandais-tu avec un léger sourire en coin alors que vous approchiez des singes. Les petits étaient cachés. Vous voilà dans un zoo et il n'y avait même pas de singe ? Tu pourrais presque crier au scandale. Mais avant même d'y songer, tu en voyais un pointer le bout de son nez. Il s'approchait de la vitre et tu souriais.

Passer à coté de sa propre mort lui avait fait réaliser à quel point celle-ci était fragile, éphémère, et qu'elle pouvait basculer à tout moment. À peine sortie de l'hôpital, Théia s'était mis en tête de vivre tout ce dont elle avait secrètement rêvé, des rêves qu'elle n'avait jamais pu réaliser à cause de tous les risques encourus. Et pourtant, la voilà déjà quelques mois après l'opération, encore effrayée à l'idée de faire le grand saut. Elle ne réalise pas encore ce que cette nouvelle vie, bien que courte, peut lui offrir en plus. Lorsque Xavier donne le départ, Théia marche d'un pas lent le long de l'allée centrale du zoo, fouillant toutes les cages d'un coup d'oeil curieux. À sa question, un fin sourire vient étirer ses lèvres. « Plus ou moins. J'ai récemment découvert le parachute ascensionnel grâce à un ami et c'était à couper le souffle ! Je n'aurais jamais cru pouvoir vivre des expériences semblables. » Son sourire s'agrandit alors qu'ils s'arrêtent devant la cage des singes. Ils attendent quelques secondes, quelques minutes, puis voient apparaître un petit singe s'approcher d'eux. Doucement, Théia pose une main sur la vitre et le regarde avec des yeux remplis de douceur. Les animaux ont toujours eu cet étrange effet calmant sur elle. « Mais je ne compte pas m'arrêter là, » reprit-elle finalement. « J'ai envie de voyages, de découvrir l'Australie au-delà de Bowen. » Théia tourne la tête vers Xavier. « Tu as voyagé dans ta vie ? » le questionne-t-elle, curieuse.

Tu lui avais demandé si elle vivait une vie de grande aventure maintenant qu'elle avait un coeur neuf et elle répondait par la négative. Les médecins avaient dû lui donner des directives si elle voulait garder la santé et peut-être qu'elle n'osait pas se permettre plus de liberté, de ce côté là, ce n'était pas toi qui pourrait lui offrir la chance de s'évader parce que ta vie était assez plan-plan et que tu avais plus tendance à te terrer dans ta vie. Tu ne te morfondais pas mais c'était tout comme. « Je ne connais pas, en quoi ça consiste exactement ? » Curieux d'en apprendre plus sur ce sport. La notion d'ascensionnel faisait penser à ascenseur et au fait que ça devait monter et descendre. Donc ça pouvait secouer. Peut-être que tu pourrais faire découvrir ça à Abygaël lorsqu'elle viendrait à Bowen, si l'envie lui prenait. Elle avait beaucoup aimé les manèges la première fois que tu l'avais prise avec toi. « C'est un très beau projet. » Tu souriais de plus belle, posant ton regard sur elle pendant que vous avanciez. Aller au delà de l'Australie, tu l'avais rêvé lorsque tu avais appris que tu étais père. Fuir tes engagements, faire le mort. Mais tu avais eu une envie plus forte : apprendre à la connaître, devenir son père. Être responsable. Comme si ça pouvait racheter les erreurs de ton passé. « Je suis allé en Angleterre pour affaires et j'ai visité en long et en large Paris lorsque j'y vivais mais en dehors de ça, je n'ai jamais voyagé » avouais-tu en haussant les épaules. Tu n'avais pas forcément un très bon souvenir de Paris. Les premières pensées allant à ton orphelinat, à ce calvaire que tu avais dû surmonter. Tu revoyais aussi tes trois mariages, tes trois échecs et sans parler de la mort de Teresa.

Lorsqu'elle parle de ce sport que lui a fait découvrir CJ, ses yeux s'illuminent en deux grands pupilles brillantes qui trahissent la joie qu'elle a ressentie lors de ce fameux jour. « Il y a un bâteau et, hum, on t'attache à un parachute puis tu t'envoles. J'ai toujours été nulle pour expliquer quoi que ce soit. » Un léger rire s'échappe d'entre ses lèvres avant qu'elle ne pousse un soupir discret, son rire remplacé par un sourire nostalgique. « Et tu as l'impression de voler. Tu peux toucher les nuages, vivre momentanément près des oiseaux, mettre de coté le moindre problème qui tiraille ta vie là en bas, dans le monde réel. » Elle rêvasse, se perd dans ses pensées un court instant, mais ne tarde pas à revenir à cette réalité qu'elle vient de mentionner. Elle parle voyage, ce que Xavier voit comme un beau projet, poussant Théia à l'interroger sur ses propres découvertes du monde. « Néanmoins, tu as vu plus de pays que moi, » dit-elle en hochant la tête. Elle porte ensuite son regard sur les animaux sans pour autant les regarder. Son attention est portée ailleurs, perdue dans le vide. « Est-ce que je peux te poser une question qui va sembler étrange, surtout venant de moi ? » Elle ne le regarde pas, attend son approbation, et joue soudainement nerveusement avec le bord de son top fleuri. Elle a hésité avant de lancer cette phrase, et cela aurait peut-être même été la première phrase prononcée de manière non-impulsive, mais réfléchie. Théia inspire longuement, expire doucement, puis baisse les yeux au sol. « Qu'est-ce que... qu'est-ce que ça fait d'être parent ? » Lentement, comme timidement, elle relève les yeux dans sa direction.

Elle te l'explique en deux trois phrases et tu souris, hochant la tête mais avant même que tu ne puisses dire quoique ce soit, elle se lamentait sur le fait d'être une mauvaise oratrice pour décrire les choses. Chose avec laquelle tu étais pas d'accord. Elle avait fait de son mieux et tout le monde ne pouvait pas bien décrire les choses, les sensations, les sentiments. Toi le premier puisque tu étais incapable de les remarquer chez les autres. Et sur toi, n'en parlons même pas.  « Je crois que j'aurais pu l'imaginer si tu n'avais pas arrêté. » Tu souris légèrement. Tu l'avais vraiment imaginé d'ailleurs. Tu avais rêvé au sourire d'Abygaël, à vos voix s'unissant pour crier à tout va, comme lors de votre excursion au parc d’attraction. Cette pensée avait empli ton cœur de joie. « J'ai saisi l'idée, c'est le plus important ! » ajoutais-tu pour conclure le sujet. « C'est vrai. » Elle avait raison. Tu n'avais peut-être pas beaucoup voyagé, mais tu avais quand même visité deux pays de plus qu'elle. Et quand bien même tu aimais ton pays natal, tu t'attachais de plus en plus à l'Australie. Et surtout aux gens qui la peuplait. « Bien sûr » Tu t'étais arrêté toi aussi. Tu la regardais, comme si c'était quelque chose de terrifiant. Et tu avais un peu peur. Mais tu la laissais te la poser. Ce n'était pas aussi pire que ce à quoi tu t'attendais et tu souriais, relâchant la pression que tu avais pu avoir. « Honnêtement ? » Tu lui demandais avec un léger sourire, confus parce que tu ne savais pas quoi dire. C'était un sentiment assez difficile à décrire parce qu'il en impliquait tellement d'autres. Mais tu restais sérieux et tu prenais la peine de vraiment y réfléchir. Cela semblait important pour elle. « Je crois que c'est un grand sentiment de satisfaction. Tu sais, je n'ai pas toujours voulu être père, c'était même une grande crainte pour moi, mais avoir eu vent de l'existence d'Abygaël, ça a changé ma vie. Elle me procure une joie qu'on ne peut décrire. Mais ce n'est pas que merveilleux, il doit exister beaucoup de contrainte. » La première pour toi était de ne pas vivre avec ta fille. Mais il y en avait beaucoup que tu n'avais pas connu puisque tu avais été absent pendant une bonne partie de son enfance. Et maintenant, tu essayais juste de faire au mieux pour l'avoir sous ta garde.

Sans vraiment savoir pourquoi, elle a toujours eu du mal à mettre des mots sur ses émotions. Théia a toujours vécu le moindre événement de manière si intense, si prononcée, qu'il lui semble parfois impossible d'exprimer à quel point des moments comme celui partagé avec CJ ont comptés pour elle. Pour elle, c'est une chose qui ne s'explique pas et qui, à la place, se montre. Sauf qu'il lui serait difficile d'emmener Xavier faire du parachute ascensionnel là, tout de suite. Heureusement pour elle, il a compris malgré le peu qu'elle en a dit. Un sourire vient étirer ses lèvres lorsqu'il lui dit avoir saisi, gratifiante envers lui qu'il ne la regarde pas d'un air totalement abasourdi. Et plus elle le regarde Xavier, plus Théia voit en lui un homme bon, si doux, à la présence si agréable. Elle ne peut pas comprendre qu'il ait pu être poussé à bout au point de finir totalement ivre seul, comme pour oublier sa propre vie. Elle se dit qu'il mérite mieux, qu'il a droit lui aussi à ce bonheur qu'il ne semble pour le moment que toucher du bout des doigts. Avant même qu'elle ne le réalise, les mots ont franchi le seuil de ses lèvres. Ce n'est pas la première fois que Théia pose cette question, ou qu'elle se met sans s'en rendre compte à penser enfants. Sauf que la dernière fois, elle se souvient que ses mots n'ont pas reçu la réponse attendue. À la place, Emrys l'a pratiquement envoyée paître et elle craint que la même chose ne se passe avec Xavier. Pourtant non, au contraire. Il lui parle, s'ouvre à elle, et Théia l'écoute sans détacher son regard de cet homme à ses cotés. Elle est à présent accoudée à une barrière qui les sépare de la cage face à eux et, tout autour, le monde semble soudainement avoir été mis sur muet. Elle n'entend que Xavier et ses éloges sur son rôle de père. Elle hoche la tête après ses derniers mots et un sourire discret vient flotter sur ses lèvres. « J'imagine que ça ne doit pas être tous les jours faciles. » Et voilà qu'elle se met à l'admirer. Elle qui n'a jamais eu une relation très complice avec son père, elle ne peut qu'être touchée en entendant à quel point Xavier est attaché à sa fille. « Je suis certaine qu'avec le temps, tu ne feras même plus attention à ces contraintes. Abygaël a beaucoup de chance. » Nouveau sourire, avec cette fois son regard qui se perd dans l'horizon.

Tu aimais beaucoup lui parler de ta relation avec Abygaël. Il y avait peu de monde dans ton entourage avec qui ça venait spontanément, en sachant qu'elle aussi venait vers toi pour te poser des questions. C'était agréable pour toi d'avoir des encouragements, de sentir qu'une certaine confiance en toi émaner d'elle. Tu avais repris un peu confiance en toi, mais venant d'elle, c'était touchant. Tu aimerais vraiment pouvoir être son père, lui apporter une sécurité affective. Et même si ce n'était pas à elle que tu pouvais l'apporter, tu avais comme le sentiment d'être meilleur à son contact. « J'imagine aussi mais pour ça, rien d'autre que le temps pourra nous le dire. » Tu haussais doucement les épaules, avec un léger sourire. Tu marchais très lentement dans le zoo. Même si tu étais là pour te souvenir d'Abygaël, essayer de passer un peu de bon temps sans te prendre la tête mais tu devais te rendre à l'évidence. Tu errais dans le zoo sans même prendre le temps de regarder les animaux qui se présentaient à vous. Ton regard se perdait entre Théia et le vide. Vous approchiez enfin des lions. Tu t'arrêtais dans l'enclos, le cherchant, mais il dormait. Ton regard se tournait à nouveau vers elle. « Si tu devais choisir un animal, lequel rêverais-tu d'incarner ? » C'était une question qui t'étais venue en tête comme ça. Une question que tu posais parfois aux jeunes femmes que tu fréquentais parce que ça en disait toujours long. Alors tu serais curieux d'en apprendre plus sur elle. Mais aujourd'hui, toi-même tu ne serais plus capable de choisir l'animal qui pourrait te représenter.

Du temps. Cette notion si abstraite, ce dont tout le monde semble avoir sans arrêt besoin. Du temps pour apprendre de ses erreurs, du temps pour laisser se refermer de vieilles blessures. Du temps pour oublier, pour tomber amoureux, pour s'attacher, puis pour recommencer. Toujours plus de temps. En guise de réponse, Théia hoche pensivement la tête et adapte sans même s'en rendre compte le rythme de ses pas à celui de Xavier. En s'approchant des lions, elle quitte le sol des yeux et laisse son attention se porter sur ces animaux majestueux. Ils ont beau ne pas bouger beaucoup, ils n'en restent pas moins très impressionnants. En entendant sa question, elle tourne momentanément la tête vers Xavier. Jamais Théia ne s'est demandé quel animal elle pourrait incarner. Elle pourrait facilement passer de la yenne au paresseux, ou du chien au chat. Elle est changeante, peu stable, pourtant sa réponse ne se fait pas attendre. « Je pense que je serais une loutre, » dit-elle avec un léger rire. « J'aime le contact avec les autres, mais j'ai aussi besoin de ma liberté. Et puis, peut-être que je suis incapable de créer un barrage avec des bouts de bois, mais je suis plutôt créative moi aussi. » Un sourire fier vient étirer ses lèvres. Elle a toujours trouvé cet animal adorable, peut-être même un peu trop pour la personne qu'elle est capable d'être lorsqu'on la pousse réellement à bout. Tout en observant un lion se déplacer d'une pierre jusqu'à un point d'eau, Théia retourne sa question à Xavier. « Et toi ? » Elle est curieuse, réalisant seulement maintenant à quel point cette question peut en dire beaucoup sur une personne. Ce doit être pour ça que les scouts utilisent des animaux en guise de totem.

La question était venue comme ça, de façon la plus naturelle possible parce que ça te rendait curieux. Tu aimais bien philosopher en fonction de l'amiral choisi et de ce que tu connaissait de l'autre. D'un côté, tu ne connaissais pas tellement Théia. Mais tu n'aurais pas besoin de le faire. Elle t'expliquait son choix et tu affichais un léger sourire. C'était assez mignon la façon dont elle se décrivait, les mots qu'elle utilisait. Tu hochais la tête, muet, repassant dans ton esprit ce qu'elle venait de te dire. « Je n'avais jamais eu cette réponse auparavant mais j'aime beaucoup la façon dont tu te perçois. » Un nouveau sourire sur le visage, réfléchissant à ce que tu aimerais être. Tu avais eu différents choix, chacun venait lorsque tu ressentais une certaine émotion. Aujourd'hui c'était le doute. Tu étais dans une période de remise en question. « Moi j'aimerais être un aigle. » Tu marquais un temps d'arrêt, songeur à cette réponse. Tu t'étais meme arrêté dans ton élan dans le chemin. Theia elle, avait fait quelque pas avant de réaliser que tu ne la suivais plus. Mais toi, tu n'attendais pas de savoir si elle était à ta hauteur pour t'entendre commenter ton choix. « J'aurais aimé pouvoir déployer et m'envoler aussi facilement. Être aussi gracile et majestueux. » Tu aimerais pouvoir t'elever aussi facilement dans ta vie. Prendre une décision et s'y tenir. Mais à chaque fois que tu avais une décision à prendre, il y avait tes vieux demons pour te tourmenter, pour te hanter. Et chaque demon te plongeait dans le doute ce qui te faisait prendre peur et faire trois pas en arrière, loin de l'idée de départ.