Tomorrow is another day △ Devan Matthews

Deuxième étage, chambre 44. Aiden s'arrête devant la porte comportant ce numéro, s'apprête à toquer mais suspend son geste à la dernière seconde, profondément indécis. Franchement, comment se présenter à quelqu'un qu'il s'est vu forcé de rencontrer en l'espace de seulement 5 secondes, qui sont probablement les 5 secondes les plus effrayantes qu'il ait jamais connues dans sa vie ? Ces 5 secondes qui ont pourtant semblé durer des heures entières, du moment où les premiers hurlements mêlés aux crissements de pneus ont retenti dans la rue, à celui où il a levé les yeux pour regarder ce qu'il se passait, seulement pour voir la carrosserie scintillante d'une voiture faire éclater la baie vitrée de la boutique, et foncer droit sur lui. C'est drôle comme le temps paraît s'étirer à l'infini, dans ces moments-là. Heureusement, la voiture avait perdu de sa vitesse lors de l'impact, laissant le temps à Aiden de se jeter sur le côté, hors de danger ; et il ressorti de cet accident avec seulement quelques égratignures superficielles dues à sa chute dans les débris de verre. Mais justement. Bien sûr, il est heureux de s'en être sorti en un seul morceau, mais cela n'excuse en rien ce qu'il s'est passé, et il se demande pourquoi il ressent le besoin d'aller voir ce gars dont il ne connaît même pas le nom, et qui a failli le tuer. Probablement sa trop grande gentillesse. Mais ce train de pensée ne répond toujours pas à sa question. Il s'imagine un instant rentrer en hurlant quelque chose du genre "salut, je suis le gars que tu as failli écraser entre le comptoir et le pare choc de ta bagnole l'autre jour, tu te souviens ?" mais enfoncer les gens de cette façon ne lui ressemble pas. De toute manière, il est trop curieux de savoir comment se porte ce mec et ce qui a pu le pousser à provoquer un tel accident, alors il se décide finalement à pousser la porte au numéro 44. À l'intérieur, les volets fermés diffusent une douce lumière dans la pièce, et le silence y est total, presque oppressant. Aiden se rend compte avec un certain soulagement que l'homme allongé dans le lit d'hôpital semble endormi. Il ferme la porte avec délicatesse, frotte le pansement enserrant son bras droit sans trop savoir quoi faire. Bizarrement, il n'a pas envie de faire demi-tour. Un peu angoissé tout de même, il s'assoit sur la seule chaise de la chambre, à côté du lit, et se saisit de son fidèle carnet, dans lequel il commence à griffonner ce qu'il lui passe par la tête.

aiden ∞ devan

Il arrivait très souvent à Devan d’être excessif dans ses réactions. Dans sa manière de vivre les choses. Pendant dix ans le cuisinier s’était interdit de tomber amoureux, tentant de se convaincre à coup de « ne tombe pas dans le panneau, ça pourrait creuser ta tombe » et finalement, aujourd’hui, nous n’en étions pas tellement loin. Il avait succombé pour Ezraël. Pour son côté innocent. Indécis. Pour son sourire. Son talent. Pour tout ce qu’il était. Après avoir bravé la règle qui régissait jusque-là toute sa vie et lui avoir annoncé ses sentiments – d’une manière certes un peu brusque – il s’en était allé. En apprenant la nouvelle Devan avait eu l’impression de tomber d’une vingtaine d’étages et d’être incapable de se relever. Il avait été prêt à mettre sa vie entre parenthèses pour lui, à revoir sa façon de penser les choses. A faire des efforts… Mais c’est comme si d’un coup, son cœur s’était réduit en miettes. Il avait eu mal une première fois, quand il avait découvert que son premier copain le trompait. Devan aurait cru être immunisé, un truc du genre ou bien que ce serait plus facilement supportable mais il s’était trompé. Il avait eu un mal de chien. Il avait toujours un mal de chien, d’ailleurs ! Ezra lui manquait déjà. Et il avait horreur d’être dépendant à un manque quelconque.
Au point de faire peut-être la pire connerie de sa vie. En dépit de ce serveur un peu trop obstiné à lui prendre ses clés de voiture, le cuisinier avait fini par rejoindre sa vieille bagnole. On lui avait toujours répété de ne jamais prendre le volant bourré. Liam le lui avait souvent répété, en fait. Et il le savait. Mais ce jour-là… Il s’en foutait. Il ne pensait pas à grand-chose – ce qui au fond résumait assez bien toute sa personnalité entière.

Ce qui devait arriver, arriva. Il perdit le contrôle de son véhicule, fit un malaise au volant… Fracas, vitre cassée, hurlements, dommages collatéraux. Devan resta inconscient plusieurs heures, se récolta un léger traumatisme crânien et quelques fractures, sans oublier de passer par le lavage d’estomac.
Devan n’était pas tellement croyant. C’était débile, pourquoi sauver une âme aussi pourrie que la sienne au détriment d’autres bien plus saines et honorables ? Ca n’était pas possible, s’il n’était pas mort, c’était juste parce qu’il avait une chance insolente. Ou pour mieux se faire engueuler par le frangin quand il apprendrait son geste absolument débile. Ouais, probablement que c’était ça.

Bordel, ça fait mal. En même temps tu l’as cherché, espèce d’abruti. Il commença à gigoter un peu dans le lit d’hôpital mais regretta bien vite cette ambition car chaque mouvement était une torture supplémentaire. Devan se résolut alors à rester immobile, ouvrant un œil puis un autre. Pour être totalement honnête, il ne parvenait pas à se souvenir du déroulement exact des événements, comme quand on prenait la cuite du siècle – ce qu’il avait un peu fait également. Il grimaça un peu, fouillant dans sa mémoire, avant de remarquer qu’il n’était pas tout seul ici. Cela dit, impossible de savoir qu’il était. Sur le coup Devan paniqua légèrement : est-ce qu’il avait perdu la mémoire ? Est-ce que ce type était son ami ? « Mh… » Il ne se sentait pas encore réellement prêt à dire quoique ce soit.

Le léger bruissement des draps signale à Aiden que le type doit être sur le point de se réveiller, mais quand il lève le regard de son carnet, il s'aperçoit que ses yeux sont déjà ouverts, et bien qu'il n'ait pas l'air de comprendre ce qu'il lui arrive, il est bel et bien conscient. Un peu pris de court, Aiden ne sait pas trop comment réagir. Il songe à appeler quelqu'un, mais il a aussi très envie de le traiter de parfait imbécile avant que quiconque entre et l'en empêche. Pourtant, si son expression en dit long sur son état d'esprit orageux et divisé entre la colère et la diplomatie dont il fait habituellement preuve, le jeune homme préfère se taire : il n'aimerait pas qu'un parfait inconnu lui hurle dessus alors qu'il vient à peine d'émerger dans un lit d'hôpital inconfortable, mais comme il ne compte pas rester là sans rien faire, il range rapidement ses affaires, se lève avec autant de souplesse que ses blessures le lui permettent, et c'est seulement à ce moment-là, alors qu'il se penche un peu et s'apprête à parler, qu'il se rend compte que le visage de ce mec lui rappelle vaguement quelque chose. Un air de pure confusion se peint sur ses traits, et il se passe une main rendue un peu tremblante par le choc dans les cheveux.

"J'aurais dû demander à Felix de venir me chercher…" Marmonne Aiden en retombant sur sa chaise, affichant un air de défaite mêlé à une fatigue écrasante. Il lance sur le type un regard étrange, à la fois accusateur et inquiet. "On se connaît pas tous les deux. En tout cas, pas avant que tu manques de me rouler dessus…" Rajoute-t-il un peu plus bas, comme s'il se parlait à lui-même. "Mais comme je suis trop gentil, et peut-être un peu con, je voulais te voir. M'assurer que tu allais bien. J'aimerais bien comprendre certaines choses aussi, par exemple, ce qui t'as poussé à faire peut-être la pire connerie de ta vie, j'en sais rien, mais foncer dans la vitrine d'un magasin avec ta bagnole c'est pas le truc le plus intelligent à faire, tu vois." Inspire, expire, calmement. Aiden voulait s'assurer que le type allait bien, et bien voilà, mission réussie. Pourquoi ne pas partir maintenant, avant qu'il ne lui réponde ? Il a beau être curieux et vouloir obtenir les explications qu'il pense mériter tout de même, pour avoir failli se faire écraser, toute cette situation l'épuise. En quoi rencontrer ce gars peut lui apporter des réponses, de toute façon ? Il a l'air complètement shooté, et pas vraiment dans l'état de s'expliquer ni même de se souvenir ce qu'il s'est passé, plusieurs heures plus tôt. Et puis, ce n'est pas de sa faute à lui si la connerie humaine peut prendre ce genre de proportions, mais il se dit aussi qu'il ne connaît rien de la vie de ce type, finalement. Et c'est peut-être se constat qui le pousse à rester. "Désolé… Je suis- je suis juste sous le choc, je pense. T'as besoin de quelque chose ? Tu veux que j'appelle quelqu'un ?"

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L’une des premières choses qu’avait pensée Devan en ouvrant les yeux : pourvu que je n’ai tué personne. Il n’avait pas voulu se foutre en l’air ni même faire du mal à qui que ce soit et probablement qu’il ne se le pardonnerait jamais. Sur le moment il n’avait juste pas réfléchi… Ni aux conséquences, ni même qu’il n’était pas très indiqué de prendre la voiture après quelques verres en trop. Alors cet inconnu qui était près de lui, la première personne peut-être à venir le voir, était-il un dommage collatéral de sa connerie ? De sa détresse ? L’avait-il fauché sur la route ? Il le jaugea rapidement du regard malgré les douleurs qui le prenaient de partout. Il ne semblait pas trop mal en point… Mais peut-être traumatisé par ce qu’il venait de lui arriver. L’explication ne tarda effectivement pas à se faire et le jeune homme lui déballa tout. L’accident dont il lui restait quelques souvenirs mais également le fait qu’il était présent sur les lieux et avait failli mourir aujourd’hui, par la faute de Devan.
Il ne sut pas vraiment quoi répondre à ça. De toute façon le cuisinier aurait beau s’excuser maintes et maintes fois que ça ne serait encore pas assez. En effet il trouva ce garçon très gentil, trop gentil sûrement car beaucoup d’autres l’auraient probablement frappé d’avoir ainsi mis leur vie en danger. Il était encore un peu dans les vapes, mais il sentait que ce mec était probablement quelqu’un de bien. Contrairement à lui qui avait fait des conneries et qui apparemment continuait d’en faire. Alors s’il l’avait fauché, il l’aurait tué. Et lui, il aurait probablement survécu parce que la vie était très mal faite.

Il ne chercha même pas à l’engueuler. Ou alors pas longtemps, son naturel visiblement bienveillant reprenant bien vite le dessus pour lui demander s’il n’avait besoin de rien. Trop de gentillesse alors qu’il n’en méritait pas, trop d’informations d’un coup, trop de… trop de tout. Devan se mit à pleurer. Et tout le monde pouvait témoigner : il ne pleurait jamais ! Certainement pas en présence de quelqu’un d’autre.
Bordel, la honte. « Désolé… » D’avoir fait ça. De t’avoir fait ça. De chialer devant toi. Juste, désolé. Péniblement, il se frotta les yeux avant de détourner le regard. « Ca va… j’ai… nan j’ai besoin de rien… » Et pour le coup un véritable dilemme se présenta à lui : fallait-il contacter son frère pour l’informer de ça ? Il allait lui faire le sermon du siècle, c’était certain. D’un autre côté… C’était peut-être de ça qu’il avait besoin. Il allait y réfléchir.
Reposant finalement son regard sur l’inconnu, il poussa un léger soupir. « Je trouverais assez normal que tu m’en mettes une… Vas-y, j’riposterais pas. » Maso ? Non, affreusement coupable. « Est-ce que… ça va ? »

Si Aiden s'était attendu à ce que sa visite ait un contrecoup, plus ou moins prévisible à l'avance, il ne s'attendait sûrement pas à ce que l'inconnu réagisse ainsi. En fait, il s'était attendu, sans trop savoir pourquoi, à rencontrer quelqu'un de totalement différent de celui qui se trouve sous ses yeux, quelqu'un de complètement indifférent quant à son accident et ses conséquences. Mais voilà, il s'est apparemment trompé, et même s'il ne ressent aucune culpabilité pour avoir haussé la voix, il se dit qu'il y a forcément quelque chose derrière tout ce qui est arrivé. Aiden n'en sait rien après tout, car si les médecins lui ont indiqué le chemin jusqu'à la chambre du convalescent en n'oubliant pas de lui préciser "d'être doux et très patient", personne ne l'a renseigné quant à son identité, son histoire, les causes réelles de l'accident, et c'est normal : le jeune homme n'est pas un membre de sa famille, ni même un proche ou un ami.
De toute façon, la page commence déjà à se tourner, doucement. Être rancunier envers quelqu'un dont il ne sait absolument rien est juste stupide, finalement, et quand le type commence à pleurer, Aiden détourne le regard, lui aussi. Et la sincérité dans sa voix, alors qu'il prononce ce mot dans toute sa simplicité, le fait sourire. De soulagement, surtout. Il n'en espérait pas plus. Il n'était même pas venu chercher des excuses, à la base.

"C'est bon. Je suis en vie et toi aussi, c'est le principal." Du coin de l'œil, il voit le type se frotter les yeux, et c'est seulement à ce moment-là qu'Aiden pose à nouveau son regard sur lui. Regard dont les yeux s'agrandissent de façon presque comique à ses prochains mots. "T'es pas sérieux." Les sourcils froncés, il affiche un air consterné. "Tu m'as pris pour qui ? Je vais pas te frapper alors que t'es déjà blessé, imbé-" Il s'arrête, expire. "Imbécile" est probablement l'insulte la plus légère et innocente qu'on puisse lancer à quelqu'un, et traiter le type d'imbécile est peut-être un peu mérité, mais franchement. Aiden se demande si ce mec l'a bien regardé –ce qui est très peu probable, puisqu'il a l'air encore dans les vapes, et pas vraiment dans l'état de se focaliser sur quoi que ce soit. "Je suis pas venu pour t'enfoncer gratuitement, tu sais. Tu t'es déjà excusé, et t'avais l'air sincère. J'en demande pas plus." De toute manière, il n'a jamais eu une mentalité assez explosive pour frapper, chercher l'affrontement physique, et pourtant, ce n'est pas l'envie de distribuer des coups de poing qui manque, parfois. Mais dans cette situation, non. En plus, son bras lui fait un mal de chien, et ses quelques points de suture le démangent atrocement. "Ça va." Le jeune homme désigne son bras avec un petit sifflement de douleur. "J'ai atterris en plein dans les morceaux de verre. Mon côté droit a pris cher, surtout mon bras, ça va m'empêcher de jouer pendant un petit moment…" Heureusement, il n'a aucune date de prévue. Au moins, il pourra se reposer tranquille et se concentrer un maximum sur ses brouillons de compositions. La boutique ne risque pas rouvrir avant longtemps, le temps que les travaux soient terminés. "Au fait, je m'appelle Aiden."

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« T’as l’air d’être un gars bien… » Il soupira doucement. Beaucoup auraient pris un malin plaisir à lui remettre sa faute en pleine gueule, voire éventuellement à se venger. Mais ce type, Aiden comme il s’appelait, était là dans une optique bienveillante et c’était tout à fait admirable. A vrai dire à sa place Devan aurait probablement beaucoup moins bien réagi. Il aurait aimé être le genre de type qui s’en foutait, celui qui jouait l’indifférent et ne surtout pas craquer comme il venait de le faire. Mais Devan était humain… et finalement il avait un cœur ! Bien caché il fallait croire. Cela dit, s’il avait été froid comme de la glace, jamais il n’aurait été autant affecté du départ d’Ezra. En fait pour le coup il avait juste l’impression d’être une gonzesse, à pleurer. A avoir réagi d’une manière aussi stupide. Rien de tout ça ne lui ressemblait. Tomber amoureux, en particulier. « Moi c’est Devan. Mais imbécile c’est bien aussi. » Il tenta un maigre sourire avant de regarder son bras. Il n’écoutait pas tout, n’avait pas tout de suite réalisé qu’Aiden venait de parler de musique. Alors ils partageaient une passion en commun, après avoir partagé le même accident. Il y avait assez peu de chance qu’ils se revoient ces deux-là, et pourtant quand il réalisa enfin grâce à ses mots qu’il était musicien : « Tu joues de quoi ? Moi je suis batteur... » dit-il en relevant les yeux vers lui. « Si jamais… t’as eu des trucs à payer pour ça euh… dis-moi et j’te rembourserais. » Comme il allait très certainement devoir rembourser le patron de la boutique. Oui il avait une assurance mais ce n’était pas vraiment un accident, c’était de sa faute. Alors… Il s’y sentait un peu obligé.

Aiden hausse les épaules, indécis, peu flatté par ce commentaire. Un gars bien, il l'est, probablement : il n'a jamais fait de mal à qui que ce soit, n'a jamais causé d'accident, et il a toujours soutenu ses proches dans toutes les épreuves qu'ils aient pu traverser. Mais ce qui parait être une qualité pour ce type, a plus le goût d'un fardeau pour le jeune homme : se montrer trop gentil avec tout le monde amène toujours les gens à profiter de sa trop grande générosité, et à lui marcher dessus. Chose qu'il a appris à ses dépens… sans pour autant changer sa façon d'être. Courbaturé, il s'étire en grimaçant, mais les prochains mots du type, qui se présente comme étant Devan, le fait se figer. Devan. Ce prénom lui évoque vaguement quelque chose, et il se met à le détailler d'un air ahuri, fouillant dans sa mémoire. "Devan… Je connais déjà un Devan." Il est persuadé d'avoir déjà entendu ce prénom quelque part, mais où ? La réponse ne lui vient pas immédiatement, mais son train de pensées l'amène à repenser à ses retrouvailles avec Liam. Ils parlaient de ses difficultés à gérer tout un concert seul, et Liam lui avait alors proposé de lui présenter… Son frère ? Très vite, l'expression confuse d'Aiden se change en un air de pure réalisation, mais la seconde d'après, il fronce les sourcils à nouveau. Et s'il se trompait ? Peut-être qu'il ne s'agit pas de ce Devan, après tout. Mais cela expliquerait cette impression bizarre de l'avoir reconnu sans jamais l'avoir rencontré, en arrivant. De toute façon, il n'y qu'une seule façon d'être fixé, et Aiden se lance sans plus attendre : "Devan… Comme Devan Matthews ? Le frère de Liam ?" Ses doutes sont finalement confirmés quand il entend Devan dire qu'il est batteur, et il ne peut pas s'empêcher de rire, d'un rire un peu hystérique. Il s'ébroue, se masse les tempes. "Euhh… Je joue du piano, du ukulélé, un peu de guitare. Et je chante." La proposition du type le fait doucement sourire. Sourire maladroit, là encore. Il ne doit pas laisser ce trop plein d'émotions prendre le dessus. "Pas besoin. Mais tu auras peut-être à payer mes soins… Je sais pas. Je sais pas comment ça fonctionne, ce genre de trucs. J'ai besoin de rien, de toute façon. Sauf de sommeil. J'pourrais dormir pendant un an."

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« Devan Matthews ? » C’était apparemment très difficile de passer inaperçu dans cette ville. Le dénommé Aiden semblait connaître son frère Liam. Devan par contre avait beau fouiller dans sa mémoire – qui était peut-être un peu endommagée par le choc de l’accident – il ne se souvenait pas avoir entendu parler d’un Aiden. D’un autre côté, il était resté en froid avec Liam pendant si longtemps qu’ils n’avaient pas forcément eu le temps de se parler de leurs amis respectifs. D’autant que la dernière fois qu’ils s’étaient vu, c’était dans un poste de police.
Il hésita un instant. Devait-il demander à Aiden de ne rien dire à son frère histoire que son accident passe totalement inaperçu – si le bouche à oreille n’allait pas jusqu’à celles de Liam ? Ou devait-il au contraire lui demander de le prévenir ? Ca lui paraissait tout autant une mauvaise idée, ou du moins elle était un peu déplacée. Demander à la victime de prévenir la famille du gros connard qui avait failli la percuter, c’était assez moyen… Alors il préférait attendre qu’éventuellement, Aiden le propose de lui-même. « Ouais, le frère de Liam. Pas pour très longtemps, il va probablement venir me tuer d’un moment à l’autre… » Pour avoir été aussi con. M’enfin, Devan méritait au moins ça et il le savait parfaitement ! « C’est un ami à toi ? » La vie était assez mal faite. En plus d’avoir manqué de peu de se tuer lui-même, il aurait pu faucher la vie d’un ami à Liam. Ce qui fait que le garçon, après avoir perdu la vue, aurait perdu deux personnes importantes dans sa vie. Cette idée lui donna des frissons… Putain mais quel con.
« J’espère que tu pourras rejouer bientôt… » Il s’était rarement senti autant coupable. D’autant qu’il savait ce que c’était la passion de la musique et ce que ça faisait quand on ne pouvait pas l’assouvir. C’avait été dur les premiers temps au restaurant, quand il ne pouvait pas jouer comme il le voulait. Maintenant il s’y était fait… Mais ça n’était pas facile pour autant. Devan hocha finalement la tête. « J’paierais tout. » Il lui devait bien ça. « Tu devrais rentrer… pour dormir. Maintenant que t’as vu que j’allais bien… »

La seule information qu'Aiden parvient à vraiment retenir lorsqu'il a la confirmation qu'il s'agit bien de ce Devan, comme Devan Matthews, le frère de Liam, c'est que celui-ci lui avait proposé de les présenter pour une raison bien précise : parce que Devan joue d'un instrument, et plus particulièrement de la batterie. Sans le voir comme la solution à ses problèmes –ils ne se connaissent pas après tout, et ils ne se sont pas rencontrés dans les meilleures circonstances– Aiden ne peut pas s'empêcher de se sentir excité par la simple idée de pouvoir, peut-être, jouer sa musique avec quelqu'un d'autre. Occasion qui ne s'était jamais présentée à lui, avant. "Oui. On s'est rencontrés peu après son accident, à la boutique où je travaille." Il penche la tête, affichant un air concerné. "Tu veux que je l'appelle ?" Mais Devan a déjà repris le sujet de la musique, justement, et son air de chien battu pousse le jeune homme à lui renvoyer un sourire rassurant. Il hausse les épaules. "Je peux toujours chanter et composer, en attendant. Je peux m'asseoir à mon piano, aussi. C'est la scène qui m'est interdite. Mais j'ai aucune date de prévue, donc ça va. Je n'aurais pas supporté de devoir les annuler…" La seule pensée d'annuler des dates à la dernière minute le fait grimacer. Finalement, ce qui l'embête le plus dans cette histoire, c'est l'état de la boutique, qui ne risque pas de rouvrir avant un long moment. Non seulement les travaux vont prendre du temps, mais il y a aussi tout un tas de décisions juridiques à prendre… Du moins, c'est ce qu'Aiden suppose. Il espère juste recevoir son salaire quand même, comme il n'a aucun concert de prévu, il s'agit de sa seule source de revenus pour les prochains mois… "Mmh." Réponse évasive. Aiden ignore volontairement les prochains mots de Devan, et braque sur lui un regard pétillant d'intérêt. Il n'a pas l'intention de partir, sauf s'il lui demande, évidemment. "Alors, tu es batteur, c'est ça ?" Toute sa fatigue oubliée, le jeune homme se penche en avant, s'appuie un peu sur le rebord du lit d'hôpital. "Ça te dirais de jouer ensemble, un jour ?"

aiden ∞ devan

Devan sembla réfléchir un long moment. Aiden faisait bien de poser la question mais le cuisinier ne savait pas bien quoi lui répondre. Valait-il mieux prévenir Liam ou non ? S’il le découvrait par le bouche à oreilles, ça serait terrible. Et si on le lui disait… Ce serait terrible aussi, en fait. « J’en sais trop rien. J’ai pas envie de l’inquiéter pour rien d’un côté… Et de l’autre, s’il l’apprend et que je ne lui ai rien dit, je vais me faire démonter. Non… ça va aller. Je vais le faire. Quand j’aurais minutieusement choisi les mots adéquats bien sûr. » Commencer par lui dire que tout allait bien avant même de prononcer le mot accident par exemple. Eventuellement mentionner Aiden… après avoir soigneusement prononcé que tout le monde s’en était sorti quasi indemne, ou en tout cas que personne n’était mort. Ca risquait d’être fort amusant… vu de l’extérieur. « Mais c’est gentil de proposer. Bah voilà… t’as rencontré le pire des deux ! » Il se considérait réellement comme le moins bon des deux. Le petit con qui avait une case en moins, aussi. Celui qui était raté, ou un truc du genre. Forcément, difficile de faire mieux que Liam qui avait fini dans la police, alors que lui avait plutôt fini en taule.
Il fut soudainement très envieux de la vie d’Aiden. Il faisait de la scène. Il vivait de sa passion – plus ou moins, puisqu’il bossait à côté. Lui aussi il aurait bien aimé percer dans la musique mais il n’avait jamais su monter un groupe avec des gens aussi passionnés que lui. Puis peu à peu la passion de la musique avait fait place à la passion de la cuisine... Mais il était à peu près sûr que sa vie lui aurait paru moins ennuyante s’il avait pu partir en tournées constamment. Monter sur scène. S’exprimer d’une autre façon. Nouer des liens forts avec d’autres gens qui partageaient son amour de la musique. Mais à trente ans passés, c’était trop tard. « Waw, tu montes sur scène et tout ça ? T’as une petite renommée dans le coin ? J’suis assez admiratif. Soulagé d’apprendre que tout ça ne va pas te forcer à annuler des dates alors… »
Devan aurait pensé qu’Aiden se presserait de partir. Mais ce dernier ne semblait pas vouloir le laisser seul – chose qu’il appréciait même si on aurait pu songer le contraire. Il haussa un sourcil à sa question. Ce type était vraiment incroyable. Devan venait de lui foncer dedans en voiture, et il lui proposait de jouer ensemble ? De quoi verser presque une larme ! S’il avait été sensible bien sûr. « Ouais, carrément. M’enfin… je dois dire que je sais pas si j’aurais pu inviter comme ça le type qui a failli me tuer. T’es assez spécial comme garçon ! »

Alors que Devan semble se plonger dans une profonde réflexion, Aiden en vient à se demander si au moins, son portable a survécu à sa chute. Il espère vaguement un miracle tout en se disant qu'avec le choc, il y a très peu de chances de le récupérer en parfait état, aussi solide soit-il. Pourtant, en le glissant hors de sa poche, il éprouve un certain soulagement en le voyant en un morceau, ce qui est déjà miraculeux, avant de sentir sous ses doigts la texture craquelée et fissurée de l'écran, et de remarquer que son portable a pris la forme d'un arrondi. Plus dans le but de confirmer son décès qu'autre chose, le jeune homme appuie sur la touche de déverrouillage, sans obtenir de réponse. "De rien…" Commence Aiden, avant de brandir le portable cassé. "J'aurais rien pu faire, de toute façon." Il ignore volontairement le "t'as rencontré le pire des deux", parce qu'ils ne se sont pas rencontrés dans les meilleures circonstances, et aussi parce qu'il ne sait tout simplement pas quoi répondre à ça. Ensuite, Devan lui avoue être assez admiratif de sa percée dans la musique, et Aiden ne peut pas s'empêcher de ressentir une pointe de fierté à son commentaire. Il a beau ne pas être quelqu'un d'arrogant, le jeune homme est tout de même fier du chemin parcouru et de sa ténacité qui, pour une fois, lui aura bien servi. "J'ai déjà sorti un album… Et je chante un peu partout dans le coin. Mais pas en ce moment. Ça me manque, d'ailleurs." Il s'y attendait, mais sa question ne manque pas d'étonner Devan, qui hausse un sourcil surpris, et sa remarque le fait doucement sourire. "Ouais, ça me décris bien en fait." Spécial, bizarre, excentrique, à l'ouest… Autant de mots qui résument parfaitement sa façon d'être un peu bancale, ses délires, ou encore sa musique et son univers, même si ceux-ci sont plutôt nés de sa créativité exacerbée que de sa façon d'être. "Mais j'vais être honnête : en fait, je cherche quelqu'un pour monter sur la scène avec moi. Je chante tout seul, sur des instrumentaux, et j'aime pas ça. Ça reflète pas ce que j'ai envie de faire passer à travers ma musique. Et le batteur, c'est celui qui donne le rythme, c'est le cœur d'un groupe. Et il me manque ça. Tu vois où je veux en venir ?"

aiden ∞ devan

« Et le batteur, c'est celui qui donne le rythme, c'est le cœur d'un groupe. Et il me manque ça. Tu vois où je veux en venir ? » Waw. Est-ce qu’il avait bien entendu ? Aiden venait réellement de lui faire une proposition pareille ? Devan eut un peu de mal à y croire. Surtout que le garçon avait déjà enregistré un album, qu’il était en train de se faire son petit succès et qu’il s’en sortait donc très bien tout seul. Et puis merde, le cuisinier venait de le renverser ! Comment cet inconnu pouvait-il lui faire confiance au point de lui demander ça ? Etait-ce Liam qui lui avait demandé de lui rendre un service pareil ? Devan y songea un instant. C’était bien son genre… il avait confié à son frère son ennui et puis ce dernier avait toujours connu la passion de son frangin pour la musique. Malheureusement, une batterie sans groupe ça ne se faisait pas… Et il ne savait rien faire d’autre. Ni chanter, ni jouer d’un instrument plus populaire et qu’on pouvait utiliser seul. Oh il savait bien faire deux trois trucs au piano mais à part ça. « J’sais pas quoi répondre… sérieux. J’crois qu’on m’a jamais rien proposé d’aussi… J’sais pas comment dire. » Il était touché. Mais il ne pouvait absolument pas accepter ça ! Parce qu’il prenait ça pour de la pitié mais aussi et surtout parce qu’il avait bien failli lui prendre la vie. De toute façon il ne serait certainement pas à la hauteur d’un truc pareil… Devan faisait toujours tout foirer dans sa vie. Il cassait tout ce qu’il touchait. « J’peux pas accepter ça. C’est gentil mais… J’veux pas gâcher ta carrière. Et puis euh… j’me sentirais mal à l’aise, j’crois. Que tu m’offres un truc pareil après ce que j’ai fait… J’suis désolé… » Même s’il aurait adoré se lancer dans l’aventure avec lui. Il ne s’en sentait pas capable.

Évidemment, Devan refuse. Aiden s'y attendait, mais sans trop savoir pourquoi, il décide de faire confiance à ce type qui a manqué de l'écraser seulement quelques heures plus tôt, et non seulement ça, mais aussi de lui proposer de monter sur scène avec lui. Sans être particulièrement rancunier, il ne comprend pas ce qui le pousse à mettre les circonstances chaotiques de leur rencontre de côté et à lui faire une telle proposition, sans y avoir réfléchi sérieusement. Peut-être qu'il le regrettera, mais il n'a pas envie d'y croire, au fond. Il n'a pas envie de croire que Devan a failli lui prendre la vie juste parce qu'il n'a pas eu la force de résister à l'alcool, et juste parce qu'il a été assez stupide pour rouler après ça. En fait, il y a des chances pour que ce soit ce qu'il s'est passé, mais Aiden aimerait espérer qu'il s'agisse juste d'une erreur de parcours, d'un moment d'égarement provoqué par quelque événement inattendu dans sa vie. Tout en l'écoutant, il reprend son carnet, déchire une feuille sur laquelle il griffonne rapidement son numéro, avant de la déposer sur le lit. "Écoute… T'étais bourré au moment de l'accident, les médecins me l'ont dit. Mais t'as pas l'air d'être ce genre de connard qui se fout de tout et de tout le monde, et qui irait provoquer un accident sans raison. Je dis pas que c'est pas de ta faute, mais- je sais pas." Le jeune homme se lève et se tient un peu bizarrement, cherchant à soulager au maximum son côté droit. "T'es pas obligé d'accepter de monter sur scène avec moi, mais je veux qu'on joue ensemble. T'as qu'à te dire que c'est pour mieux te faire pardonner." Son sac sur l'épaule, il avance en quelques pas lourds et fatigués vers la porte, et lance un dernier regard sur le visage aux traits tirés de Devan. "Et réfléchis à ma proposition. Tu me dois bien ça."