Fortune teller + Reda

Dix neuf heure bien passé, Jackson sortait enfin de chez lui pour la première fois de la journée. Non pas que ce soit de son propre chef puisqu'il serait volontiers resté dans son antre à peindre, à fumer, à traîner. Mais il avait rendez-vous et il devait se bouger parce que ça n'était pas le genre de rencard que l'on pouvait refuser. Pour les personnes dans le bar pourtant, cela aurait tout l'air d'une rencontre entre deux amis, pour Jax c'était un peu plus complexe que ça. Il avait rencontré le jeune Jemerson il y avait quelques mois déjà, lors de son tout premier vernissage, la première fois qu'on exposait ses toiles, à la stupeur de notre artiste, il avait été de ceux qui avaient acheté l'une de ses œuvres, un amateur d'art, certainement, ou un mec qui avait de l'argent à gaspiller dans ses gribouillis... mais un mec sacrément jeune tout de même. Sur le coup Jax s'était montré septique, le prenant surtout pour un gamin qui jetait l'argent de Papa par les fenêtres, avec ses petits regards appuyés et son air encore juvénile. Pourtant les choses avaient pris une toute autre tournure quelques mois plus tard, il y avait quelques jours de ça avait lieu l'inauguration du hall flambant neuf du casino de Bowen. La ville avait commandé à Jackson une oeuvre imposante qui en ornerait le mur, c'était un travail monumental pour le peintre, mais qui en valait la chandelle parce qu'il y avait à la clé un chèque à cinq zéros, qu'il comptait dépenser dans l'achat de son atelier, son antre, qui lui servait aussi de logement, tout un programme des plus motivants même pour un job qui ne l'intéressait qu'à moitié. Et pourtant, quelques jours avant qu'il ne rende son travail, la ville avait été secouée par un séisme sans précédent, entraînant des dégâts colossaux et engloutissant les finances de la ville. Le soir de l'inauguration, Jackson allait donc présenter fièrement son travail, qui fut accueilli très chaleureusement, mais il savait qu'il disait adieu à son projet d'achat puisqu'il ne recevrait rien de la part du Maire et après tout, au regard des événements passés, il se disait qu'il y avait bien plus grave. Pourtant parmi tous les invités ce soir là il reconnu Reda qui était venu le saluer avec son sourire carnassier et son air arrogant, lui remettant par la même occasion une enveloppe, cette enveloppe contenait un chèque, signé de sa main, au nom de Jackson, un chèque qui le laissa sans voix. Après quelques verres ils étaient devenus amis, du moins l'alcool avait aidé. Depuis son compte en banque était plein à craqué, Jax sur le point de devenir propriétaire, il avait un nouveau mécène des plus inattendus et celui-ci l'invitait à prendre un verre sur la plage. Comprenez donc qu'il n'avait pas pu refuser, même s'il se demandait bien ce que l'autre lui voulait. C'était donc avec une pointe d'appréhension qu'il se rendait au bar. Visiblement le premier il s'accouda au comptoir en attendant Reda et commanda un whisky sans glace.

Jackson ne sortait pas dans les bars, enfin il sortait peu, quasiment jamais, du moins pas de cette façon. Le peu de fois qu'il s'y rendait c'était pour prendre un verre seul au fond d'une salle sombre où personne ne pouvait l'ennuyer, vous allez me dire qu'il pourrait faire ça chez lui, certes, mais c'était à chaque fois comme un petit test de lui-même, lui l'associable, il en profitait pour observer les autres, pour s’imprégner de leur bonne humeur, pour essayer de les comprendre. Ou, exceptionnellement, il y rejoignait ses quelques rares amis, la plupart du temps ça n'était pas son idée, mais il finissait toujours pas passer de bons moments. Mais clairement, pour un rendez-vous professionnel, jamais. Déjà il n'avait pas de rendez-vous professionnel, mis à part avec son agent qui le convoquait dans son bureau et avec qui il ne riait pas bien souvent. En vérité il se demandait même pourquoi il avait accepter de prendre un agent, ici, à Bowen, il n'allait pas devenir l'artiste le plus côté du monde et il le savait bien, d'ailleurs ça n'était pas son but. Mais cet homme avait tout de même réussi à faire grimper un peu sa côte, en le sortant de chez lui, en mettant ses toiles en lumières, en obtenant ce contrat avec le casino, ouais, il n'était pas si mauvais, même s'il était presque aussi apathique que lui ! Reda, il ne le connaissait pas, avec lui, Jackson avait joué un rôle, celui du mec presque sociable, parce que l'autre s'intéressait à ses œuvres, qu'il lui en avait acheté une sans discuter le prix et qu'ensuite il avait fini par lui sortir une somme colossale juste pour la toile du casino ce qui ne lui était en rien bénéfique, alors bon, notre homme n'était pas si salop que ça, il avait bien compris qu'il devait faire un petit effort pour l'autre, au moins pour se montrer sympa, au moins pour qu'il ne regrette pas d'avoir misé sur un parfait ermite. Mais il ne savait pas ce qui l'attendait ce soir, ni quelle allait être la suite de leur collaboration, s'il devait y en avoir une. Il allait devoir improviser, il n'était pas à l'aise, du tout. Lorsque Reda arriva Jax fit l'effort de sourire, il serra la main qu'il lui tendait et hocha poliment la tête en écoutant son histoire de circulation. Je suis arrivé il y a peu. Il n'avait pas encore touché à son verre d'ailleurs. Leur dernière rencontre datait de quelques semaines déjà, le temps filait vite. Je vais bien, merci, je travaille beaucoup. L'artiste ne savait pas bien quoi lui dire, clairement il ne devait pas passer pour un feignant devant un type qui semblait vouloir croire en son talent mais en vérité il ne bossait pas, du moins pour lui noircir des toiles ça n'était pas un job en soi, c'était sa passion sa raison d'être, son exutoire. Il avait juste repris un rythme plus habituelle, il n'était plus obliger de peindre un thème imposé, il pouvait reprendre ses silhouettes féminines et ça lui allait très bien. Et puis il avait quelques rendez-vous avec des banques pour pouvoir investir l'argent de Reda dans son atelier, d'ailleurs avec une somme pareille on lui déroulait presque le tapis rouge, s'en était gênant. Et... il allait le vouvoyer mais s'arrêta net et fronça les sourcils, il n'était pas à l'aise à vouvoyer les autres, ça n'était pas naturel chez lui, ça semblait trop formel alors que lui ne l'était pas, du tout, ce qui ne l'empêchait pas d'avoir du respect pour ses interlocuteurs. ...On va se tutoyer, si ça ne te dérange pas ? Et toi, donc, tu vas bien ? Cela ne rendait pas la situation plus confortable mais il était un peu mieux. Le verre de Reda arriva et ils purent trinquer à cette soirée.