happy girls with broken hearts (ludmilla)

Théia se souvient encore trop bien de cette époque où elle passait plus de deux, voir trois fois à l'hôpital par mois afin de vérifier l'état de son coeur. Elle se souvient des visages de tous les infirmiers et docteurs qu'elle a vu passer, de chaque nom des médicaments qu'elle devait prendre, et de tout ce qu'elle devait s'empêcher de faire ou de manger sous prétexte que ça pourrait endommager son cœur déjà cassé. Soit c'était trop gras, ou trop dangereux, ou encore trop fatiguant pour elle. Elle avait même une liste qu'elle a fini par ne plus suivre, préférant la jeter à poubelle et voir ce qui adviendra si elle tente tant bien que mal de vivre une plus ou moins normale. Il y avait cependant un coté positif à ces rendez-vous, une personne qu'elle voyait fréquemment et qu'elle a fini par apprécier à force de papoter sur les sièges de la salle d'attente. Après le séisme, après son opération, Théia n'a plus vraiment eu l'occasion de revoir Ludmilla et de lui raconter toutes les petites mésaventures de sa vie à présent si différente, maintenant qu'elle a subi sa greffe. Elle sait que son amie devra certainement passer par ce même stade un jour ou l'autre, et Théia s'est mentalement promis que lorsque ce jour arrivera, elle sera là pour elle, la soutiendra comme elles l'ont fait pendant des mois, l'une pour l'autre. Après les cours, elle lui a proposé de passer au bar situé au bord de plage afin de pouvoir ensemble partager le genre d'activités qu'on n'importe quelles autres filles de leur âge. L'après-midi touche à sa fin, mais il n'est pas encore assez tard pour que l'endroit soit déjà rempli de monde. Marchant d'un pas déterminé, ses pieds s'enfonçant dans le sable, elle fait un demi-tour en direction de Ludmilla et continue d'avancer à reculons. « T'imagines que c'est notre première vraie sortie ? Je veux dire, loin de la cafet de l'hôpital, ou des couloirs avec tous le personnel pour épier nos conversations. » Elle esquisse un sourire. « Je pourrai enfin lâcher des blagues du style "waw, j'ai envie de mourir" sans qu'un psy sauvage appelle dans mon dos S.O.S suicide. » Théia et son humour légendaire, noir, parfois trop décalé pour être compris. Elle se remet à marcher normalement et s'avance en direction du bar, choisissant au hasard une table de quatre libre.

Mon cœur s’affaiblissait de jour en jour. Je le savais. Je mangeai sainement pourtant. Je ne buvais pas. Je ne fumais pas. Sauf cette maudite cigarette que j’avais consommée en présence de Kris suite à l’énervement. J’étais plus sage que ma colocataire, Elysia ou que ma sœur Mercy et pourtant, je m’affaiblissais. « On peut vous prolonger de cinq ans maximum, m’avait-on dit l’année dernière. » Je soupirai un bon coup avant de passer une main sur mon visage. Je pris soin de me maquiller, de bien m’habiller pour aller voir Théia. Mon amie de l’hôpital. On se ressemblait. On avait la même maladie mais jamais nous ne nous étions vus en dehors de la salle d’attente. Une nouveauté pour moi qui faisait tous les efforts du monde pour me socialiser. Je décidai de laisser mes cheveux détachés. Lorsque j’arrive à la plage, je retire mes tongs et je vais m’asseoir sur une rambarde non loin du bar. Je n’aimais pas attendre toute seule à une table. Et si elle me posait un lapin ? Lorsque je tourne la tête, je la vois. Je lui souris. Elle est vraiment belle. Très belle. Je lui fais signe tandis qu’elle s’approche de moi. J’aimerai être comme elle. Aussi spontanée. Mais je ne le suis pas du tout. « J’avoue. Ça fait du bien de prendre un peu le soleil. » Je balance ma tête en arrière avant d’éclater de rire à sa blague. « Oh mon dieu si je n’achète pas ses bottes, je vais mourir. » Je me tourne alors vers elle pour redescendre sur terre avant de lui faire face. « T’as l’air d’aller bien, ça fait plaisir à voir. » Je la suis lorsqu’elle s’avance dans le bar pour se mettre à une table. Heureusement que j’ai mes lunettes de soleil sur le nez sinon, je serai vite éblouie. « Alors, tu veux prendre quoi ? » J’allais boire un verre, ça ne me ferait pas de mal.

Pendant toute une période de sa vie, Théia était malheureuse. Elle ne pensait qu'à ses problèmes de santé, à tous les sacrifices qu'elle devait faire, et à la mort de son meilleur ami qui avait failli l'achever. Cette année où elle s'était éloignée d'Elysia a été une véritable torture pour elle, et elle a bien cru qu'elle ne s'en sortirait jamais jusqu'à ce que, petit à petit, son état ne s'améliore. Avant de violemment replonger, le jour du séisme, où elle a failli y laisser sa peau. Elle hoche la tête à la réflexion de Ludmilla, puis sourit en l'entendant rire. « Vite, un médecin, elle a dit qu'elle allait mourir ! » s'exclame Théia avant de se mettre à rire à son tour. Elle lève son visage en direction du ciel et ferme un instant les yeux, profitant de la chaleur du soleil contre sa peau. Ses paupières se ré-ouvrent cependant rapidement lorsque Ludmilla lui annonce qu'elle semble aller beaucoup mieux. « Oui, je vais bien, mais il y a une histoire tellement longue derrière tout ça que je préfère attendre d'être arrivées avant de te la raconter. » Elle s'installe à une des tables du bar et s'empare d'une carte posée sur la table. « Mmh, je me laisserais bien tenter par un de leurs cocktails aphrodisiaques, histoire de voir si ça a vraiment l'effet escompté. » Elle rit doucement avant de lever les yeux de sa carte pour les poser sur son amie. « Et toi, comment tu vas ? J'ai l'impression que ça fait une éternité qu'on ne s'est plus vues. » Et elle n'en était pas fière, mais ces derniers mois avaient été plutôt mouvementés entre le séisme et son étrange relation avec Oliver.

Je ne suis pas de ce genre de femmes qui ne broie que du noir. Non. J’allais mourir, c’est un fait mais je prenais plutôt bien la chose. Je regarde Théia tandis qu’elle me sort une connerie alors j’éclate de rire pour mettre ma main sur mon cœur et imiter une crise cardiaque. C’est de l’humour noir que je ne pouvais avoir qu’en sa compagnie, sinon on m’enfermerait. « Oh, du sang, du sang, du sang et la moooort. » Je commence à imiter Judy Hopps de Zootopie donc plus rien ne va pas. Je fronce les sourcils tandis qu’elle me parle d’une histoire bien longue. « J’ai tout mon temps. » On s’installe à une table et j’attrape la carte pour lever un sourcil interrogateur à sa remarque. « Eh bien, je vais tester mais si j’te roule une pelle, tu ne pourras t’en prendre qu’à toi. » Après tout, je n’ai jamais testé avec les femmes. Je sais que je divague assez mais bon, Théia était tout à fait le genre de femmes à rendre tout le monde lesbienne. « Je vais bien. J’ai commencé un nouveau travail auprès d’un juge plutôt sexy et sinon… calme plat. Je me fais même chier en fait. Et toi ? Allez déballe ton sac, Théia. Je veux tout savoir. » On nous apporte notre commande et je fixe le cocktail rose bonbon pour en prendre une gorgée.

Théia rit tellement qu'elle doit effacer une larme venue naître au coin de son oeil à l'aide du bout de son index. Elle reconnaît la référence, un film d'animation qu'elle a vue seule chez elle en profitant de l'absence de sa nouvelle colocataire. Bien vite, elle reprend son sérieux et lui parle de cette histoire qu'elle a vécue sur les derniers mois où elles ne se sont pas vues. « Tant mieux, parce qu'il y a des risques que tu doives me supporter jusqu'au petit matin. » Un sourire étire ses lèvres pendant qu'elle s'installe, feuilletant la carte quelques secondes avant de s'attarder sur un cocktail qui attise sa curiosité. La réflexion de Ludmilla la fait rire avant qu'elle ne lui lance un regard faussement séducteur. « J'assumerai les conséquences de mes actes. » Théia interroge ensuite son amie sur sa vie et ses nouveautés, reposant la carte à plat sur la table tout en l'écoutant. Elle hoche la tête, un peu déçue de ne pas avoir droit à plus de ragots que ça. Vient ensuite son tour, et elle aimerait avoir déjà son verre devant elle pour se donner le courage de tout raconter. « Mon coeur a commencé à faire des siennes, à tel point que je ne pouvais même plus faire de sport ou même monter trop de marches. Et puis, y a eu le séisme. » Amen, voilà son cocktail. Théia en sirote une gorgée avant de continuer. « J'étais sur la place ce jour-là, quand tout s'est mis à s'écrouler. Mon coeur s'est emballé, j'étais en tachycardie, et c'est un "ami" qui a dû m'amener jusqu'à l’hôpital car j'étais incapable de bouger. C'était l'horreur, j'ai vraiment cru que j'allais y rester. » Elle soupire doucement en repensant à ces scènes traumatisantes, mais par-dessus lesquelles elle a malgré tout réussi à passer. « Ils m'ont opérée, j'avais quarante pourcents de chance de survivre. Et me voilà à neuf, vivante, avec le coeur d'un autre. »

Ça me fait du bien de sortir avec Théia. Elle est tellement fraîche cette fille. Et ça me changeait de ma sœur aussi. J’étais tout le temps fourrée avec Mercy, si bien que je ne me socialisais sans doute pas assez. C’était étrange car Théia et moi ne nous étions jamais vues en dehors de l’hosto. Et maintenant, nous voici à discuter comme de joyeux lurons. Je la détaille doucement pour voir à quel point elle était belle. Elle devait en avoir du succès. Ne serait-ce qu’en amitié. J’éclate de rire en même temps qu’elle. « Pas de soucis, je peux te supporter jusqu’à l’aurore d’après s’il faut, rétorquai-je en souriant à mon amie. » Je m’installe en face d’elle pour attraper la carte des cocktails. Je n’ai pas pour habitude de boire de l’alcool. Je n’aime pas vraiment ça mais bon, c’était jour de fête. Mon amie allait mieux. Et c’était le plus important. Je ne suis pas ce genre de femme à être jalouse du bonheur des autres. Au contraire je suis plus à me réjouir et à les faire passer en premier. « J’espère bien ! Je n’ai encore jamais embrassée de fille. Dis-toi que tu seras la première. » Un nouveau sourire étire mes lèvres. Enfin, elle m’interroge sur ma vie mais je dois avouer ne pas avoir grand-chose à raconter. Hormis sans doute mon nouveau patron qui est beau comme un Dieu. Pour un juge. VDM. Pas touche. Et puis, je n’ai pas le temps de toute façon. Je commence à l’écouter tandis qu’elle me parle de son cœur et du séisme. Je m’en souvenais. J’étais –encore une fois- avec ma sœur et par chance, mon palpitant est resté sage. J’applaudis donc quand elle me clame qu’elle a un nouveau cœur. « Ça se fête ça ! » Je hèle donc un serveur. « Deux coupes de champagne ! Non plutôt la bouteille. J’ai fait un shooting qui m’a bien rapporté. Je t’invite pour fêter ton nouveau cœur ! » Franchement, Théia n’avait pas conscience à quel point elle venait de mettre du soleil dans ma vie pourtant si monotone.