Sorry not sorry.

Les boîtes de nuit n’étaient plus forcément son truc, à Woody. Il préférait largement les bars et les bistros, où les discussions se faisaient plus facilement, où la séduction avait réellement sa place autrement qu’en dansant d’une manière animale pour faire comprendre à l’autre son intérêt. Toutefois, il demeurait que les boîtes de nuit étaient certainement le meilleur endroit pour s’assurer une femme à son bras, au retour. Dans les bars, ça pouvait se terminer de toutes sortes de façons, et rentrer bredouille n’était pas à écarter. Woody avait beau avoir son charme, il avait aussi sa mauvaise réputation. Ce soir, comme le jeune homme n’avait pas mais alors pas du tout envie de passer la nuit seul, surtout parce que sa solitude commençait à se faire lourde, il avait décidé de se rendre à cette boîte qu’il fréquentait encore il y a quelques années, et qui n’avait pas perdu en popularité. À peine arrivé, Woody arriva à repérer une tignasse blonde qu’il connaissait un peu mieux maintenant qu’il l’avait vue sous toutes ses coutures, cette femme. Il n’avait suffi que d’une nuit pour l’apprendre par cœur. Un sourire s’esquissa sur ses lèvres, heureux de la trouver seule ici. Après tout, c’était encore mieux de tomber sur une jolie demoiselle qu’il connaissait déjà et avec qui il s’entendait très bien. Il s’approcha donc d’Ingrid en se faufilant à travers les gens debout, et posa doucement sa main sur son épaule une fois à sa hauteur. Elle se retourna et un grand sourire illumina son visage quand elle le reconnut. « Ingrid ! Quelle belle surprise. » Il l’entoura de ses bras, rapidement, avant de coller un baiser sur sa joue en se reculant. « J’ai des flashbacks de notre première rencontre, et j’dois avouer que c’est pas pour me déplaire. » Il sourit en prenant place à côté d’elle au bar, se commandant à son tour une bière.

Un peu surpris de cette réponse, outré surtout, Woody entrouvrit la bouche en regardant Ingrid, avant de dire : « Bien ? Juste bien ? Tu vas me vexer, là ! » Lâcha-t-il en riant. Surtout, ce n’était pas ce que ses gémissements et ses réactions physiques laissaient croire, la dernière fois. La blonde avait eu l’air de prendre son pied tout autant que lui, et si ce n’était que de l’acte, alors elle était vraiment une bonne actrice. Le jeune home prit place à côté d’elle alors qu’elle lui demandait ce qu’il y avait de nouveau depuis la dernière fois. « Oh, same old, same old. Je me suis quand même pris des vacances, je suis allé sur ce bateau de croisière qui passait par Bowen. Ça a fait du bien. » Il sourit, et remercia le barman qui venait de lui apporter sa pinte de bière. Il retourna son attention vers Ingrid, parce qu’elle la méritait toute. « Et toi ? » Demanda-t-il avant de porter le verre à ses lèvres et de prendre une gorgée rafraîchissante. Ils n’eurent pas davantage le temps de poursuivre leur conversation puisqu’un homme bien baraqué vint passer son bras autour des épaules d’Ingrid. Woody fronça les sourcils en le regardant, entendant la jeune femme lui demander son aide en riant. « Euh, tu vois pas qu’on parlait, là ? » L’homme regarda Woody du haut de ses six pieds quatre pouces. Woody, lui, était bien plus petit, mais il ne se laissa pas impressionner. « Genre tu sors de nulle part et tu la colles comme ça ? Tu vois pas qu’elle a pas envie ? » Dit-il en se levant de son tabouret. Quand Woody tentait de draguer ou de ramener une fille dans son lit, il y allait avec pas mal plus de douceur que ça, quand même. Si Woody n’était pas l’homme le plus respectueux en ville, celui-là battait quand même des records d’impolitesse.

À la réponse plus que confuse d’Ingrid, qui ne faisait qu’encore plus mettre des doutes dans la tête de Woody, ce dernier fronça les sourcils en la regardant avec incompréhension. Il conserva toutefois son éternel sourire amusé et dragueur sur le visage, ne voulant pas perdre la face en laissant penser à Ingrid qu’elle venait de l’atteindre dans sa virilité. C’était un peu le cas, toutefois, et ce malgré sa tentative de le rassurer. « D’accord … » Déclara-t-il tout simplement avec un léger rire, avant de lui donner des nouvelles de lui, notamment à propos de cette superbe croisière qu’il s’était offerte. Ingrid commença à son tour à lui parler de ses nombreuses nouvelles, mais fut interrompue par un homme un peu lourd – dans tous les sens du terme – qui venait de passer son bras autour d’elle. Ne se faisant pas prier pour intervenir, Woody lui tint tête, jusqu’à ce qu’il laisse finalement aller. Tant mieux, parce que face à ce gaillard, le physiothérapeute ne serait pas ressorti indemne d’une bagarre. Il se rassit sur son tabouret alors que l’homme s’était éloigné. « Non mais là c’était juste abusé, son truc. Quel manque de respect. » Et c’était Woody qui parlait de respect envers les femmes ? Laissez-moi rire. Il se concentra de nouveau sur les paroles d’Ingrid, qui pouvait enfin lui confier sa grande nouvelle. Elle avait rencontré quelqu’un. Cela fit évidemment un léger pincement au cœur de Woody, pas parce qu’il avait des sentiments pour Ingrid, mais parce qu’il venait de perdre une conquête franchement idéale. « Oh. » Lâcha-t-il d’abord, avant de retrouver sa contenance. « J’ai jamais entendu parler de lui. Mais je suis content pour toi. » Il sourit. « Mais va pas dire à tout le monde que je suis un mauvais coup juste pour pas rendre ton Jim jaloux, hein ! » Reprit-il à la blague, même s’il le pensait bien. Si elle commençait à raconter ça, sa réputation en prendrait un coup !
 

Quand le gros lourd fut enfin parti et qu’Ingrid mentionna que sa première impression était bien nulle, Woody haussa les épaules avec un sourire charmeur. « Qu’est-ce que tu veux, ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir autant de charme que moi. » Il rigola doucement. Ça, c’était son comportement avant de savoir que la belle blonde avait finalement quelqu’un dans sa vie. Lui qui s’était imaginé avoir trouvé en elle une partenaire sans attache, exactement sur la même longueur d’ondes que lui, voilà qu’elle n’était qu’une femme parmi tant d’autres, qui avait visiblement été à la recherche de l’amour. Pas comme lui, lui qui fuyait ces sentiments-là, lui qui se mettait des barrières dès que son cœur s’emballait. Il essaya tant bien que mal de cacher sa déception, en se montrant heureux pour elle – et il l’était, au fond. Même si cela signifiait qu’Ingrid et lui ne pourraient plus continuer ce qu’ils avaient commencé, il l’appréciait tout de même, et pouvait au moins se montrer content qu’elle ait trouvé un homme pour elle. Quand elle lui raconta sa rencontre avec ce dernier, Woody éclata de rire. « Maladroite, et pas qu’un peu ! On dirait que c’est tout droit sorti d’un scénario de film porno. En tout cas, il doit être tombé raide dingue amoureux de toi, à cette vue. Je comprends mieux. » Il continua de rire doucement, avant de lui dire qu’il était ravi pour elle, en autant qu’elle n’aille pas raconter aux autres que Woody était un moins bon coup que Jim juste pour préserver les sentiments de son copain. « Ben, pour pas blesser ton Jim, tu ferais croire à qui veut bien l’entendre qu’il est le seul et unique bon coup que tu as eu … » Répondit Woody avec un sourire. Évidemment, il plaisantait, il savait qu’Ingrid ne ferait pas une telle chose. Mais qui sait, puisqu’elle lui avait quand même fait le coup quelques minutes plus tôt en lui donnant l’impression que ça n’avait pas été aussi bien qu’elle lui avait fait croire.
 

Woody sourit quand Ingrid lui parla encore un peu plus de cette fameuse première rencontre avec Jim. « Il était peut-être gêné pour toi, mais j’irais pas jusqu’à dire qu’il n’a pas aimé le spectacle pour autant … » La reprit-il. Après tout, si Jim était un homme qui aimait les femmes, alors le corps d’Ingrid n’avait pas pu le laisser indifférent, et ce dès le départ. Certes, la situation un peu loufoque et inattendue avait pu les rendre mal à l’aise, mais son regard avait sans doute rapidement dévié sur la poitrine de la blonde. En tout cas, à sa place, c’est ce que Woody aurait fait. Sans la partie où les deux tombaient amoureux, par contre. Le jeune homme n’était pas rendu là, contrairement à Ingrid, qui releva toutefois le fait qu’elle n’avait pas cherché à tomber amoureuse. C’était arrivé, comme ça, sans prévenir. Sans qu’elle puisse contrôler quoi que ce soit. Woody comprenait, il était tombé amoureux de Sara de la même façon, sans pouvoir taire ses sentiments. La différence était que Woody ne vivait pas ces sentiments-là au grand jour, plus maintenant du moins. Il avait laissé Sara lui filer entre les doigts, pour son bien à elle. « C’est ça, l’amour, pas vrai ? » Dit-il en haussant les épaules, un sourire aux lèvres. Il était bien mal placé pour parler de ce mot, ce mot qui ne sortait que très rarement de sa bouche. Ce mot qui ne semblait pas être dans son vocabulaire, et pourtant … ce n’était qu’une façade. Il préférait conserver ce mur qui le protégeait, même si pour cela il devait entretenir une réputation qui faisait en sorte que bien des gens ici le détestaient. Il continuait, encore et encore, à projeter cette image. Pas pour rien qu’il demanda à Ingrid de ne pas parler en mal de ses performances rien que pour sauver l’honneur de Jim ! « Tu sais, à chaque fois qu’une fille me dit un truc du genre, c’est parce qu’au final, c’est pas qu’un massage qu’elle veut … » Souligna-t-il avec un rire, arquant un sourcil. Même si elle avait un copain, ça n’empêchait pas Woody d’être un peu joueur.
 

Quand Ingrid lui assura que ça lui arriverait un jour et qu’elle ponctua ses paroles d’un petit coup de poing sur l’épaule, Woody eut un léger rictus. Il n’y croyait pas trop, mais était amusé de lire la conviction sur son visage. « J’suis pas certain que je veuille que ça arrive. Ma vie de célibataire me plaît, tu sais. » Mensonges, énormes mensonges. Enfin, ce n’était pas sa vie de célibataire, le problème. Il était vrai que Woody prenait plaisir à rencontrer des femmes et passer des nuits à les découvrir sous toutes leurs coutures physiques, toutefois il savait aussi ce que c’était que d’être amoureux, et de repousser l’autre contre son gré. Woody aimait Sara, d’un amour indescriptible, mais être avec elle sur le long-terme n’était pas envisageable. En raison de sa maladie, Woody se refusait tout futur amoureux avec qui que ce soit. Voilà pourquoi sa relation avec Ingrid aurait été idéale. Maintenant, ça n’était plus possible. La blonde lui demanda finalement si elle pouvait passer pour un massage, bientôt, et Woody ne put s’empêcher de relever le sous-entendu que cela pouvait impliquer. Ingrid ne tarda pas à le rembarrer là-dessus, ce qui le fit rire. « Non non, ça va, j’sais me contrôler. C’est toi qui ne pourras peut-être pas en faire autant quand tu sentiras mes mains sur ton corps … » Il lui fit un clin d’œil avant de boire une gorgée de sa bière, toujours le sourire aux lèvres.
 

Lui qui avait pourtant bien façonné son rôle du séducteur, du mec qui se fout bien de ses conquêtes et de l’amour, Ingrid semblait bien voir à travers son jeu. Elle ne serait pas la première, mais elle serait parmi les rares. Et pourtant, il ne ressentit pas l’envie d’être honnête avec elle, de lui donner raison et de s’ouvrir sur ce qui le tourmentait et le freinait. Il avait peut-être confié sa condition plus qu’handicapante, ou du moins qui le deviendrait, à Freja et à Sara, mais Woody avait beaucoup sacrifié pour ça d’ailleurs. Il n’avait pas envie qu’Ingrid soit au courant, pas maintenant. Il préférait qu’elle garde l’image qu’il s’était lui-même construit pour lui. « Jusqu’à maintenant j’ai pas trouvé ça redondant, non. Au contraire, c’qui l’est, c’est de coucher toujours avec la même personne. C’est peut-être encore tout beau tout nouveau pour toi, mais dans quelques mois, la routine sera installée et pffff … c’est là que ça commence à être lourd. » Lâcha-t-il. Et il croyait quand même en ses propres paroles, même s’il savait aussi qu’il y avait des points positifs à cette routine. On apprenait à connaître l’autre par cœur, savoir ce qu’il aimait, ce qui le faisait vibrer. Mais Woody pouvait encore vivre ça avec Freja, même s’il n’y avait rien de plus – du moins, pas à la surface. Le jeune homme, incapable de lâcher le morceau que représentait Ingrid, insista encore une fois lorsqu’elle parla du massage. « J’ai compris, t’inquiète. Je joue avec toi. » Il s’amusait, il la cherchait. Visiblement, elle ne se laisserait pas trouver. Il haussa donc les épaules et prit une gorgée de sa bière. « J’m’en remettrai. » Il y en avait d’autres. Il y en avait toujours d’autres.