(Rubéo) where's my demon hide ?

Depuis que j’étais revenue de la croisière, j’avais le mal de terre. Pendant un court laps de temps, je n’avais pensé à rien si ce n’était la mer, mes balades avec Freja, les cuites et rien. Je suis à peine rentrée et voilà que ma vie redémarrait à deux cents milles. Avec la promo de la nouvelle saison qui allait commencer, le logement et la succession, j’étais plus que prise. Maddie était partie quelques jours et j’avais pour corvée donc de faire les courses. Des plats tout préparés sans doute puisque si je m’attelais aux fourneaux, je risquai d’y laisser un doigt ou deux. Habillée donc comme à mon habitude d’une robe noire –pour cause que je porte le deuil- et ma grosse masse de cheveux roux relevée, je me suis rendue au centre commercial avec une liste sommaire et Zéro dans le caddie. Je sais qu’emmener son chien aux courses n’est pas hautement recommandé mais en Australie, on ne m’a rien dit. Il faut dire qu’ils sont bizarres ici et Zero ne toucherait à rien de toute manière.

Alors que je venais de tout payer, ranger dans mon sac à dos, je sortis Zero de sa prison pour lui mettre sa laisse. J’avais besoin de nouveaux vêtements car le noir, ce n’est pas tendance. Je venais à peine d’entamer ma descente qu’un enfant –pas très vieux- arriva et se jeta sur Zéro pour le prendre dans ses bras. Je m’arrêtai donc tandis que le cavalier king charles s’assit pour ne plus bouger. Il était comme moi et adorait les bébés. Je me penchai doucement tandis que le petit –pas plus de trois ans, je dirai- me sourit. Mais où diable sont ses parents ? « Salut mon bonhomme, dis-je doucement, il s’appelle Zéro. Tu peux le caresser si tu veux. » Je décidai donc d’attendre une dizaines de minutes au cas où la mère ne serait pas loin. Délicatement, je mis ma main dans celle minuscule du bébé pour commencer à le guider afin qu’il caresse le chien qui semblait se réjouir de cette nouvelle attention. Je m’assois par terre au milieu du monde –je m’en fous- et je regarde le bébé qui ne se détourne pas du chien. Mais où diable sont ses parents ? Je regarde à droite, à gauche, paniquée à l’idée que ce bébé soit perdu. Putain de merde.

Vendredi, un centre commercial bourré de monde et un bébé dans ses bras, Léo nageait en plein cauchemar. Il avait l’habitude de faire ses courses sur internet et d’aller les récupérer rapidement, lui qui avait horreur de faire des listes, il trouvait cette alternative très pratique. Mais voilà, ce week-end il avait son fils et pas grand chose dans ses placards, notamment plus de petits pots. Il avait promis qu’il se mettrait à cuisiner pour lui faire de bons petits plats naturels et meilleurs que ces plats tous faits industriels, mais il devait avouer que son travail lui prenait beaucoup de temps, en bon professionnel passionné il passait des heures à retoucher ses photos, à peaufiner ses articles, il ne voyait pas les heures passer et il n’avait même plus le temps de cuisiner pour lui-même alors autant dire que cuisiner pour John c’était presque mission impossible. Le voilà qui s’était donc mis en route, marmot dans les bras, ce qui ne dura pas longtemps, depuis qu’il maîtrisait parfaitement la marche, le petit garçon avait besoin de découvrir le monde par ses propres moyens, il gambadait fièrement et sans peur. Bien que cela rende ses parents très fiers, cette nouvelle activité était source de beaucoup d’angoisse, surtout pour Léo qui avait peur que l’enfant ne lui échappe, qu’il se blesse ou bien pire et même s’il savait qu’il fallait que jeunesse se passe, il appréhendait toujours les sorties dans des lieux publics bondés de monde.
Pourtant ce soir tout semblait s’être bien passé, les courses étaient dans un sac, John avait été sage, ils allaient pouvoir rentrer à la maison et se faire une soirée entre hommes. C’est alors que le barbu fut arrêté par un collègue de travail, les deux hommes discutèrent quelques minutes, la main du jeune père ne quittait pas celle de son fils qu’il tenait fermement. Malgré ça il fallut une seconde d’inattention, la pression qui se desserra sur la petite main lorsque le collègue montra à Léo une photo sur son téléphone, ses yeux qui quittèrent sa tête blonde et voilà que l’enfant se fit la malle. Et autant dire qu’à cet âge là on pouvait aller très vite sur de toutes petites jambes avides de se dégourdir. Rapidement notre homme se rendit compte que son fils s’était fait la mal et sans perdre de temps il se mit à le chercher, persuadé qu’il le trouverait à seulement quelques mètres de lui, il fut surpris et eut des sueurs froides en comprenant qu’il ne le trouvait pas. Fendant la foule, cherchant partout, il commença à envisager de prévenir la police quand au bout de deux minutes il ne le trouvait toujours pas. Il était vraiment en plein cauchemar, son pire cauchemar même, il avait perdu son fils, il était probablement le père le plus indigne au monde… et s’il avait été enlevé ? Tout près de lui il entendit un jappement, ce bruit pourtant anodin lui fit tourner la tête. Son cœur rata un battement lorsqu’il reconnu John assis parterre, à caresser le petit chien. Cette vision l’emplit de tendresse, de soulagement et aussi de culpabilité, son fils n’était pas parti bien loin, pourtant il aurait pu lui arriver le pire. Léo s’approcha de l’enfant, remarquant la jeune femme qui le couvait des yeux. Bonsoir. Je crois que ce petit m’appartient. Il était gêné, se demandant ce qu’elle allait bien pouvoir penser du mauvais père qu’il lui donnait à voir. Jonah releva la tête vers lui, tout sourire. Papa ! Un chien ? Il prit alors son fils dans ses bras. On aura un chien lorsque tu arrêteras de t’échapper jeune homme ! Tu m’a fait peur tu sais ! Je ne veux plus que tu lâches ma main, c’est d’accord ? L’enfant le regarda avec de grands yeux et se blottit contre lui. Léo enfouit son nez dans le cou de son fils et n’eut pas le coeur de le gronder davantage, après tout il était certainement plus fautif que lui. Il releva la tête vers la jeune femme. Merci de l’avoir gradé près de vous, il m'a lâché la main une seconde et voilà qu'il disparaissait. Il était vraiment reconnaissant envers cette inconnue mais cherchait visiblement à se justifier.

Etant actrice et pas très bien dans ma tête, j’ai développé une phobie des gens. Du monde en général. Je pourrais dire que c’est parce que j’ai peur qu’on me reconnaisse mais ça serait tellement prétentieux. Je n’ai pas tant de succès que ça et la mort de Sally –et de ma père- ayant survenu quelques semaines auparavant le soufflé avait retombé. Quelle idée ayons-nous eu de devenir toutes les deux actrices ? Elle plus joyeuse, plus pulpeuse que moi. Me contentant d’être effacée. Désormais, je ne supportais plus mon propre reflet dans le miroir. Celui d’une femme brisée ayant perdue sa meilleure amie, son âme sœur, sa moitié. Avec mes cheveux roux extrêmement longs, je lui ressemblais trop. Les mêmes yeux clairs, le même petit nez. Je me suis donc rendue aux courses avec mon acolyte de toujours –Zéro- avec une casquette sur la tête et des lunettes noires. Déguisement ridicule puisqu’on nous remarque plus en ayant cet accoutrement. Et pourtant, ce n’est pas moi que les gens fixaient mais le petit Cavalier qui était dans le caddie puis sur le sol avec ses petites papattes. Ça, le petit bébé l’a bien compris. Il était jeune, très jeune et sans aucun doute perdu. Peut-être hypnotisé par la boule de poils qui m’accompagnait. Zéro, fier comme un paon, se laissait faire. Il s’était assis dès qu’il avait vu l’enfant pour relever la tête se laisser caresser. Béni soit le ciel de m’avoir accordé un chien aussi gentil. Je me serai sentie mal si le chérubin avait perdu un bout de main en tentant d’effleurer l’animal. Mais ce dernier ne bougeait pas, fermant même les yeux en appréciant les caresses prodiguées. J’avais désormais ôté ma casquette et mes lunettes pour poser délicatement les courses et me mettre à hauteur du bébé. Je ne voulais pas qu’il lui arrive malheur. Je ne suis pourtant pas la maternelle dans le duo que je formais avec ma sœur. Mais j’ai toujours apprécié les enfants.

Puis une voix masculine me fit sursauter. Je faillis en renverser l’un de mes sacs. Me sentant rougir, j’osai –après un combat interne remporté par cette vieille amie, la curiosité- relever les yeux vers le nouveau venu. Ce petit. Le bébé. Je souris. Par sourire, j’entends sans doute un truc minuscule. Puis, j’inspire doucement. Allez Ruby, tu peux le faire. Sujet, verbe, complément. Rien de plus simple. « Bon… Bonsoir. » Raté. Effet pitoyable. Voix de femme peu sûre d’elle, trop timide. Je me redresse alors. Comme prise en flagrant délit, je me mis à fixer mes chaussures, écoutant cependant l’échange entre un fils et son père. Ça me rappelait des souvenirs sans doute trop douloureux. Et pourtant, je ne ressentis que nostalgie pour le coup. « Il… il… il… » Respire. Inspire doucement. Expire encore plus lentement. « Il a… a… de la chan… chan… chance, Zéro est gen… gentil. » Crétine, idiote, bonne à rien. Maintenant du stade de pitoyable, tu passais à celui d’insignifiante. Je me sentis piquer un nouveau fard. Puis, comme pour essayer de masquer ma gêne, je mis une mèche de cheveux derrière l’oreille avant d’oser regarder l’inconnu. Ce dernier commence à se justifier auprès de moi. Pourquoi ? « ça… ça… arrive à tout… tout… tout le monde. » Passant une main dans ma nuque, ne pouvant lui tendre la main à cause de mes origines, je souris à l’enfant, retourné auprès de son père. « Ruby, me contentai-je de dire dans un murmure. Si vous… vous n’é… n’étiez pas a… arrivé, je l’au… aurai em… emmené à… à l’accueil. Je… je… ne suis pas u… une fo… folle fu… furieuse. » Juste une débile profonde qui n’arrive pas à articuler deux mots à la suite. Hello timidité, my old friend.

Quand on connaissait la réputation de Léo avec les femmes et puis sa peur bleue de l’engagement, on pouvait largement douter de son implication dans son rôle de père. D’ailleurs beaucoup dans son entourage s’étaient sentis libres d’aller de leur petite réflexion en apprenant qu’il allait avoir un fils, non désiré, avec une inconnue. Il n’avait jamais eu trop confiance en lui, depuis tout petit il était victime de la pression que son père mettait sur ses épaules, de ce que sa catégorie sociale obligeait, des attentes de toute sa famille envers le seul héritier Emerson. Et ça ne s’était pas arrangé en grandissant, même s’il essayait tant bien que mal de cacher ce manque de confiance par une éternelle bonne humeur et une sympathie à toute épreuve. Léo c’était l’ami, toujours là, toujours prêt à aider, pas parfait mais qui faisait de son mieux. De son mieux, c’est ce qu’il tentait de faire tous les jours avec son enfant, malgré la peur de mal faire, de ne pas savoir, d’être mauvais dans ce rôle de composition. Il l’aimait cet enfant, même s’il n’en avait pas voulu au départ, aujourd’hui il ferait tout pour lui, John était sa priorité et il avait horreur qu’on le juge dans son rôle de père. Ca n’est pas inné d’être parent, ça s’apprend tous les jours et il faisait tout pour être le meilleur père possible. Ce soir c’était la preuve qu’il devait encore s’améliorer et Léo ne pouvai s’empêcher de penser à tous ceux qui ne croyaient pas en lui, qui pensaient qu’il serait un mauvais père, s’ils l’avaient vu à courir dans ce centre commercial à la recherche de son gamin perdu à cause d’une seconde d'inattention ils auraient bien ri… Il s’en maudissait, de donner raison à toutes ces mauvaises langues.
La jeune femme releva la tête vers Léo, révélant une mine fermée, il crut au départ qu’elle lui en voulait, ce qu’il pouvait comprendre, sans le vouloir, notre homme avait obligé cette parfaite inconnue à prendre son fils sous son aile, sacrée responsabilité. Mais lorsqu’elle pris la parole, sa voix tremblante et ses mots hésitants indiquaient plus qu’elle était totalement paralysée par la timidité et un fort bégaiement. Il connaissait le problème, tout petit, jusqu’à l’âge de 8 ans à peu près il avait été suivit par un orthophoniste pour ce même problème… toujours cette histoire de confiance en soi. Oui, je vois que votre chien a l’air d’aimer les caresses autant que les enfants, John a eu de la chance en effet. Ce qu'il dit en appuyant sur les mots, les yeux rivés à ceux de son fils pour tenter de lui faire comprendre les choses, bien qu'à deux ans le petit était trop insouciante pour avoir peur des chiens. Plus la jeune femme tentait de parler plus elle rougissait, cela mit Léo mal à l’aise, il aurait tellement voulu lui dire qu’elle pouvait avoir confiance, en plus, dans l’histoire, celui qui devait rougir de lui-même c’était lui, pas elle, mais s’il se lançait dans ce genre de discour elle n’allait plus savoir où se mettre. Enchanté Ruby, moi c’est Léo et je vous présente Jonah, la tornade. Il lui sourit avec bienveillance alors que la rousse tentait de se justifier maladroitement, elle n’avait pas à le faire, il n’avait pas cru une seconde qu’elle aurait pu l’enlever, elle lui inspirait douceur et confiance, loin de l’idée qu’il se faisait d’un ravisseur d’enfant… bien qu’il ne sache pas trop bien à quoi ce genre de personne puisse ressembler. Merci de me rassurer à ce sujet ! Mais vous n’avais pas la tête d’une folle furieuse si ça peut vous rassurer vous. Il avisa le café juste en face d’eux, une chaîne de type Starbucks certainement moins accueillante qu’un petit café de centre ville, mais c’était mieux que rien. Est-ce que je peux vous offrir un café, quelque chose pour vous remercier ? Sans abuser à nouveau de votre temps. Il se sentait redevable envers cette Ruby et puis elle lui semblait sympathique et terriblement attachante avec ses joues rouges pivoine et son air perdu.

Je suis étrange comme fille. D’ailleurs c’est ainsi qu’on me surnomme dans la presse. La Ragdoll. Parce que je suis sans doute un peu maigre, rousse et à la peau d’albâtre. Ma sœur était tout mon contraire. Pétillante, pleine de joie de vivre, elle faisait quasiment tout pour que je m’épanouisse. Et en la perdant, j’avais perdu une partie de moi-même. Donc, je me contente d’errer comme une âme en peine dans Bowen. Je n’ai pas repris contact avec mes anciens amis mise à part Freja. J’avais un peu oublié Maddie, Jim et Bessie. Il faut dire que reparler à Bessie me ramènerait automatiquement à penser à Lorenzo. A la manière dont c’est terminé entre nous. Au début, j’ai cru en crever mais avec le temps et l’incendie, cette rupture m’a semblée dérisoire. Désormais, je me plais mieux dans ma solitude. En quête d’amour auparavant, je n’avais que vingt-six ans et je savais que ce n’était pas pour moi. Il y a des personnes comme ça. Je n’ai jamais été attirée par les choses physiques entre un homme et moi. Ou même une femme. Il ne faut pas se fermer à toute possibilité. « Et sinon, Ruby, y’a-t-il un homme dans votre vie ? » Non, il n’y a personne. Je n’ai que mon chien et mes chats. Pour l’instant, je suis trop bousillée de l’intérieur. Un cratère vivant. La dame grise. C’est pour cette raison que capuche sur la tête et chien au bout de la laisse je me suis rendue au centre commercial. Il était bondé et j’aurai plus de facilité à me fondre dans la masse. Et pourtant. C’est bien connu que les enfants aiment les chiens. Pas tous. Certains ont peur. J’aimerai bien qu’on me craigne comme on peut craindre un doberman. Les gens arrêteraient de me demander pourquoi j’ai le teint livide, les yeux vides et un amaigrissement certain. Hello darkness, my old friend. Je regarde un instant l’enfant avant de délicatement ôter ma capuche. J’ai toujours adoré les plus petits. Ils sont si innocents. Je pense que je ferai une bonne mère. C’est toujours ce que Sally m’a dit. Elle ne se voyait pas avec un mec, ni des enfants, véritable éléctron libre. Et pourtant de nous deux, elle était la casée et j’étais la célibataire. Je ne suis tout simplement pas attirer par les bons hommes. Comme si c’était mon destin.

En parlant d’homme, le père nous rejoint assez rapidement. Et comme prise la main dans le sac, je me mets à rougir. Je le détaille cependant vite fait. Grand. Il faut dire qu’à côté de moi, tout le monde passerait pour un géant. La barbe est à la mode en ce moment ainsi que sa coupe de cheveux. C’est un homme casual qui évolue avec son temps. Je pourrais faire ma lumineuse, sourire et faire de l’humour mais non. Même avant la disparition de Sally, j’étais déjà renfermée sur moi-même. Je ne parlais que quand c’était nécessaire et même mes paroles étaient décousues. Un peu comme maintenant ou mise à part me tourner en ridicule, je ne fais pas grand-chose de bien. « Il… il… il est un peu comme moi. J’a… adore les enfants. » Respire, Ruby. Je n’aime pas être sous la lumière. Ce qui est assez paradoxal quand on sait ma profession. Mais ce n’était pas pareil sur le tournage. Je connaissais mon équipe depuis des années et même avec les acteurs, il n’y avait pas cette gêne. La gêne de la première rencontre dans un lieu bondé pour une situation drôle, si on veut. Je regarde à nouveau mes chaussures, les joues en feu tandis que Zéro veut retourner voir le petit. Puis, je reporte mon attention sur papa sexy. Il entre définitivement dans cette catégorie. Bien habillé, un regard avenant et un petit garçon aussi beau que le paternel à la main. Si la maman n’était plus dans le secteur, il devait en faire des ravages dans la gente féminine. Fort heureusement pour moi, lorsqu’on est timide, doublée de rousse, on n’a peu de chances avec les mecs. Qu’il soit papa ou juste célibataire. Ce n’est pas pour rien que j’ai eu le boward de la fille la plus bizarre. N’oublions pas ma charmante personnalité de débile profonde qui bégaie et qui est aussi fermée qu’une huître. Lorsque papa sexy devient Léo, j’ai un nouveau petit sourire timide. Je me penche alors vers Jonah pour lui sourire. « Ravie de faire ta connaissance, mon bonhomme, dis-je d’une voix douce comme un murmure. » Je l’ai déjà dit mais j’adore les petits. « Zéro aussi est content de te voir. » Le chien aboit pour toute réponse. Je me détourne de Jonah donc pour reporter mon attention sur son géniteur. « Enchantée aussi, répliquai-je cette fois-ci sans buter sur le mot. » Faire des phrases courtes, simples. Cependant, la proposition de Léo-père-sexy me prend de court. J’ouvre la bouche puis la referme. Bravo, je suis désormais devenue une carpe. « A… A… avec pl… plaisir. » Je hausse les épaules quant à mon temps. « J… Je… je suis en v… v… vacances et j’ha… j’habite à l’ho… l’hotel donc j’ai… j’ai… tout mon temps. » Espèce de décérébrée de gonzesse. J’attrape le chien, mon sac pour suivre la jolie petite famille parfaite en tout lieu. Le père gentil et le gamin adorable. Sauf que ça n’existe pas les gens comme ça. Du moins pas dans mon monde.

Du petit garçon timide et renfermé sur lui-même, Léo était devenu en quelques années le genre d'homme sur lequel les femmes se retournaient et dont les autres de son espèce se méfiaient, sans vraiment le vouloir en soi. Il avait ce qu'on pouvait appeler de bons gênes, portrait craché de son père, à son grand désespoir, grand, athlétique sans avoir à faire grand chose, le visage agréable, il n'avait pour lui qu'un goût prononcé pour les vêtements et savait se mettre en valeur, ça, il le tenait de sa mère. Pour le reste, il s'était ouvert tout seul, s'il voulait avoir des amis il avait dû forcer sa nature et aller vers les autres, sortir de sa zone de confort, quitter parfois sa bande de potes d'enfance et engager la conversation. Son métier de photographe aidait souvent à ouvrir le dialogue. A force de voir que ça fonctionnait bien, qu'il pouvait même être intéressant, il avait perdu un peu de sa timidité et pour le reste c'était comme faire du vélo sans petites roues, il fallait se lancer et puis ne pas arrêter de pédaler. Pour les femmes c'était un peu la même chose, voyant qu'il pouvait avoir du succès sans trop bouger le petit doigt il s'était d'abord laissé faire et puis après il avait chopé la technique, offrir un verre à l'une, une séance photo à l'autre, quelques compliments à la volée, c'était simple finalement, quand on avait un physique avantageux, il avouait sans rougir qu'il avait rarement eu à ramer pour attirer une fille à lui. On pouvait dire ce qu'on voulait mais face à un homme de sa carrure, rares étaient les femmes farouches, un sourire avenant et plus de la moitié du travail était fait. Finalement, celle pour laquelle il avait eu le plus de mal c'était Grace, mais même celle-ci il l'avait eu et il n'en était pas peu fier, parce qu'elle valait mille fois le coup de s'être battu. Et puis soyons honnête, Léo était un fils unique, un gamin capricieux qui aimait obtenir ce qu'il souhaitait, qui n'aimait pas perdre ou qu'on lui dise non, de cette façon, il savait se démener et sortir de sa réserve naturelle pour avoir gain de cause. Adieu le gamin sans aucune confiance en lui, bonjour le Léo sociable que Ruby avait face à lui ce soir.
La rousse était jolie, dans son genre, elle lui disait vaguement quelque chose, peut-être qu'elle ressemblait à une célébrité ou peut-être l'avait-il déjà croisé dans Bowen, après tout, c'était une petite ville. Bref, elle avait tout pour plaire même si Léo n'était pas à la recherche d'une nouvelle conquête, bien que son couple battait de l'aile, il était ce qu'on pouvait appelé un homme casé et pas du genre à aller voir ailleurs pour tout gâcher. Et puis clairement le contexte d'un centre commercial bondé de monde et son gamin sous le bras n'aidait pas du tout à la séduction, aussi agréable la fille puisse-t-elle être. Alors John a été doublement chanceux de vous trouver tous les deux. Ajouta-t-il avec un sourire timide au coin des lèvres. Il était clair que la jeune femme était plus à l'aise pour parler au petit garçon qu'à son père, peut-être était-elle du genre à être impressionnée par les hommes... pourtant Léo n'avait rien d'impressionnant, du moins pensait-il. Après qu'elle ait péniblement accepté son invitation, mais avec plaisir, qu'elle avait répondu, c'était déjà ça, il ne l'effrayait pas totalement... Ils se mirent en marche pour le café d'en face et Ruby expliqua être en vacances. Notre homme ne comprit pas tout le sens de sa phrase. Vous êtes en vacances à Bowen ? D'où venez-vous ? J'espère au moins que votre hôtel à vue sur la mer, c'est toujours plus sympa. Léo, amoureux de l'océan et toujours curieux de connaitre les autres, bien plus à l'aise pour les faire parler d'eux que pour converser sur lui-même. Ils prirent place sur une table libre et un serveur arriva rapidement pour prendre leur commande. Pour moi ce sera un expresso avec un verre d'eau. Et un chocolat chaud pour le petit. Ruby, qu'est ce qui vous ferait plaisir ?

J’ai toujours voulu avoir des enfants. Un enfant rien qu’à moi que je pourrais élever. Alors quand ce petit garçon vient me trouver, j’essaie d’être la plus douce possible. Je m’assois au sol à ses côtés en lui montrant comment caresser Zéro qui est clairement heureux de cette nouvelle attention. Le petit cavalier fixe le garçon comme s’il était la chose la plus précieuse au monde. Je lui dis doucement mon prénom mais le chérubin est sans doute trop jeune ou trop émerveillé pour me répondre. Puis tout se complique. Etant phobique de la gente masculine, je regarde l’homme s’approcher. Il est beau dans son genre. Si on les aime grand et barbu. Je le fixe donc un moment avant de comprendre qu’il est le père. Sans doute. Mon regard fait l’aller-retour de la tête blonde au brun. J’aurai pu moi-même avoir un bébé. Si j’avais continué ma relation avec mon premier copain. Sans doute pas avec Lorenzo mais oui, j’aurai pu être maman. Je tente de lui sourire tandis que Zéro vient jusqu’à nous en battant la queue et que le petit garçon s’efforce d’attirer l’attention sur le canidé. « S…. s… s… sans doute. » Chance, malchance, je me contente de hausser les épaules sans trop savoir quoi faire, étant un peu gauche. « Ecosse. » Une pointe de tristesse passe sur mon visage de manière furtive tandis que je parle de mon pays d’origine. Je tente de lui sourire à nouveau mais c’est peine perdue. « O… o… oui c’est la… la… la pro… produ… production qui p… p… paye. Je s… s… s… suis a… a… actrice. » Et une débile profonde. Je sens mes épaules se vouter un peu plus avant de le suivre lorsqu’il me propose un café. « La même chose que vous, murmurai-je d’une toute petite voix en regardant le petit garçon. » Zéro lui regarde la vitrine des gâteaux avec envie. Il était déjà trop gros donc il était hors de question. Je vais m’asseoir à une table avant d’attraper mon chien à qui je donne une friandise gardée dans mon sac. « Et…. Enfin… vous faites quoi dans la vie ? » Question anodine et facile à formuler, rien de bien méchant.

Léo n'avait jamais eu d'animaux, sa mère en maniaque de la propreté n'aurait jamais supporter de trouver des poils dans toute la maison. Alors, comme il n'avait pas été habitué, il n'avait jamais eu l'idée de prendre une petite -ou grosse- bête chez lui à l'âge adulte. Sa première petite amie sérieuse avait possédé un chat qu'il tolérait, en soi ça n'avait révélé aucune passion pour un quelconque compagnon animal chez Léo. Jamais encore son fils n'avait manifesté une éventuelle envie d'avoir un animal, sûrement parce qu'il était encore petit, alors bien-sûr il se comportait en papa presque exemplaire en emmenant le garçon au zoo plusieurs fois dans l'année et c'était toujours un moment que le petit adorait, Léo aurait donc dû s'attendre à ce que ce genre de requête n'arrive. John était encore petit, mais finalement, comment pourrait-il refuser quelque chose d'aussi naturel, alors peut-être qu'un jour ils auraient un chien, un chat, peut-être une tortue ou un rongeur... il verrait au moment venu. Par contre le petit n'avait pas intérêt de lui demander un serpent ou une bêtise du genre, ça serait un non catégorique, il ne fallait pas pousser non plus. Et puis il y en avait assez dans la nature, ici en Australie, pour qu'ils en rapportent chez eux. Ils s'installèrent donc à une petite table où la jolie rousse appris à Léo qu'elle venait d'Ecosse, il adorait ce pays et puis, à bien la regarder, tout chez elle sonnait comme anglo-saxon, son accent discret, sa peau laiteuse et ses cheveux flamboyants. J'ai fais un road-trip de quelques semaines en Ecosse il y a quelques années, j'ai beaucoup aimé ! Il avait surtout aimé la chaleur des gens et celle de leur whisky, mais les paysages l'avaient aussi beaucoup inspiré pour ses clichés. Quand Ruby réussit péniblement à indiquer à Léo qu'elle était actrice il eut du mal à y croire, faute à son bégaiement, il se demandait bien comment elle pouvait s'en sortir sur un plateau de tournage. Mais il se garda bien de lui poser la question, c'était certainement trop délicat. Et puis après tout ça ne le regardait pas. Actrice ! J'ai invité une célébrité à prendre un café avec moi, quel honneur. Il lui sourit gentiment, loin de vouloir la mettre encore plus mal à l'aise qu'elle ne l'était déjà. Et vous faites quoi ? Du théâtre ? Du cinéma, vous jouez dans une série ? En tout cas il ne la connaissait pas, du moins pas encore mais il était piqué par la curiosité. Le serveur vint les interrompre et c'est après qu'elle repris le fil de leur conversation. Je suis photographe. J'aime bien parcourir le monde pour en découvrir la beauté. Précision pour lui faire comprendre qu'il ne prenait pas que des mannequins en photo, comme beaucoup pensaient.

Alors que je suivais Léo et son fils, je maintenais Zéro en laisse. Mon cavalier king charles était un petit chien capricieux et je ne voulais pas qu’il s’élance sur le bébé pour lui faire peur. Le père du garçon était un homme qui semblait foncièrement gentil. Je voyais bien le petit garçon regarder le chien avec envie. Alors, je me penchai pour interroger Léo du regard, après tout mon chien n’était pas méchant. Mais le petit ne se fit pas prier pour venir voir Zéro qui semblait heureux. « c’est…. C’est… » Stupide bécasse. Stupide bécasse qui ne peut pas prendre la parole devant un homme séduisant. Car il était séduisant. Il avait quelque chose en lui qui dégageait un magnétisme. A mon avis : cet homme en avait brisé des cœurs. D’ailleurs son fils était aussi beau que le père et lui, il en ferait des ravages plus tard. Les femmes comme moi risquaient juste de se brûler les ailes en leur présence. « C’est trop beau comme pays, murmurai-je d’une petite voix avant de me relever. » Je savais que je retournerai aux sources lorsque j’aurai fait mon deuil. Je lui souris, simplement. Pas un sourire séducteur ou en coin, juste un sourire. Nous nous dirigeâmes vers le café et je regardai le petit garçon avec bienveillance. Enfin, le moment fut de s’asseoir et je pris mon chien sur les genoux comme s’il était mon propre enfant. Le caressant derrière l’oreille. « U… une s… série. Mais je… je n… ne bégaie p… pas. » Les gens s’interrogeaient souvent. Comment une bécasse pareille pouvait être une actrice connue. « Célébrité, c’est vite dit. Je travaille juste pour Netflix. » Je me sentis rougir en mentionnant mon métier avant de me passionner pour le sien. Je remerciai le serveur avec un sourire plus lumineux avant de reporter mon attention sur mon voisin de table avec son petit garçon. « c’est poétique, soufflai-je, je voulais être dessinatrice. Faire des BD, des livres pour enfant mais le destin en a décidé autrement. » je ne pourrais sans doute pas prétendre être une beauté. Mais une chose est certaine, j’en avais deux devant moi aujourd’hui.

Léo avait du mal à comprendre qu'on puisse naître dans un pays magnifique et puis s'expatrier à l'autre bout du monde. Il savait bien que le lieu ne définissait pas forcément toute une vie mais ça aidait et puis c'était les racines, là où était sensé se trouver la famille, les amis, les repères. Lui qui aimait tant voyager ne se verrait pas quitter Bowen totalement, il l'avait fait durant une année mais il était malheureux et les circonstances étaient particulières, il s'était tout de suite senti à sa place lorsqu'il avait retrouvé sa terre natale. Mais après tout il ne savait pas ce qui pouvait se passer dans la vie des gens, ce qui pouvait les pousser à tout quitter, grand tort lui ferait de juger sans connaître. Oui c'est un très beau pays, vous avez de la chance. Il lui sourit sincèrement. Cette timidité maladive c'était presque du gâchit parce que la rousse était vraiment joli, elle avait ce charme discret et atypique qui aurait pu lui plaire mais Léo n'avait aucune démarche de séduction, simplement parce qu'il n'était pas libre et puis aussi parce que draguer une fille avec son fils sous le bras serait assez moyen. Elle répondit à sa question avant même qu'il n'ose la poser, sûrement parce qu'elle devait avoir l'habitude que les gens s'inquiètent de sa diction alors qu'elle était actrice. C'était assez intriguant pour notre homme qui était loin d'être timide et qui avait du ma à comprendre comment elle pouvait se débarrasser d'un tel handicap, bien qu'il ait déjà entendu que pour soigner le bégaiement beaucoup de personnes faisaient du théâtre. Une série Netflix ça n'est pas rien, j'avoue que je ne suis pas vraiment à la page dans ce domaine... Il allumait rarement sa télévision en vérité alors il était encore loin de s'abonner à la chaîne payante, mais il savait qu'elle prenait de l’ampleur et que beaucoup de ses séries étaient des succès. La jeune femme était peut-être donc en pleine gloire et il n'avait aucune idée de qui elle était. Déjà elle changeait de sujet pour se renseigner sur Léo et il vit que ça lui faisait le plus grand bien, elle qui rougissait à vue d’œil en parlant d'elle. Léo, lui, ne tarissait jamais d'éloges et d'arguments pour vanter son métier, sa passion, il était si fier de ce qu'il faisait, de s'être accomplit en tant que photographe, seul, de ne rien devoir à personne alors qu'on le destinait à tout autre chose au départ. Ce devait être contagieux parce que Ruby lui révéla sans rougir son rêve de carrière. Il sourit avant de porter sa tasse à ses lèvres. Rien ne t'empêche de le faire, tu es jeune, dans un domaine artistique, qui sait, peut-être que l'opportunité se présentera ! Première gorgée de café avant qu'il ne reporte son attention sur son fils qui commençait à vouloir attraper sa tasse. Attention, c'est chaud, prends ton temps pour ne pas te brûler. Il espérait bien ne pas essuyer une seconde catastrophe de la soirée.