one day i'll fly away -r.

Peut-être qu'il a raison. Non, probablement qu'il a raison. Ce n'est pas son combat, ça ne l'a jamais été. C'est son histoire, et Théia n'a pas à se mettre entre lui et sa fiancée. Ex-fiancée. En le regardant, elle aimerait lui demander comment il se sent par rapport à tout ça. Elle voudrait savoir si il est malheureux, si Nevaeh lui manque et si il aurait aimé faire se voyage en sa compagnie plutôt qu'avec la sienne. Mais parmi ses potentielles interrogations, une en particulier lui brûle les lèvres. Regrette-t-il, à présent ? Si il savait vers quoi il allait, ne l'aurait-il jamais embrassée ? Tant de questions qui tournent dans sa tête et pourtant, aucune ne franchit le seuil de ses lèvres. À la place, elle parle de son fils en essayant de ramasser le plus d'informations possible. Elle se réjouit d'être là-bas, car elle se dit qu'être en présence de son enfant aidera CJ à oublier provisoirement les événements passés. Elle n'en sera pas capable, mais le voir lui heureux suffira à la faire se sentir plus légère rien qu'un peu. Il ferme les yeux pendant que Théia, elle se perd dans ses pensées. Elle réfléchit aux jours qui suivront leur retour à Bowen, se demandera comment elle réagira si elle vient à croiser Woody. Elle n'en sait rien, elle n'est même pas capable de prévoir comment elle abordera ce voyage qu'ils sont déjà en train de vivre. Elle est imprévisible Théia, et ça même pour elle-même. Elle passe le trajet à penser ou à bouquiner pendant qu'à coté d'elle, CJ a fini par s'assoupir. Lorsque l'avion touche le sol Canadien, il ré-ouvre les yeux et, en l'entendant s'excusant, elle ne peut s'empêcher de sourire. « Je suis super en colère, je comptais sur toi pour me faire la discut' pendant tout le trajet. » Son sourire grandit un peu plus, signe qu'elle plaisante. Théia défait sa ceinture et se lève, prête à découvrir le Canada. « Que l'aventure commence, » souffle-t-elle en regardant CJ, un sourcil arqué.

Parler de tout ça, ressasser toujours les mêmes choses, c'était épuisant. Tu voulais juste laisser tout ça derrière toi, le temps du voyage, tu avais déjà les émotions dans tous les sens, tu aurais pu croire un instant savoir ce qu'une femme pouvait ressentir lors de ses troubles hormonales. Tu avais envie de pleurer, de rire, de te cacher, de crier. Mais rien de tout ça ne pourrait t'aider sur le moment. C'était finalement la fatigue qui avait eu raison de toi. Tu avais fermé les yeux trente secondes juste pour te soulager un peu et tu avais fini par t'assoupir sans même le vouloir. Le visage tourné vers Théia, tu n'entendais rien. C'est lorsque l'avion se posa, une petite secousse te poussait à reprendre connaissance. Tu ouvrais les yeux, un peu dans le flou. Très vite, tu te rappelais l'avion, tu te rappelais Théia et tu levais les yeux rapidement vers elle. Elle rangeait ses affaires, se préparant à débarquer puisque d'ici quelques minutes, vous serez hors de cet avion. Le temps était passé en un clin d'oeil. « Ton sourire ne te rend pas très crédible. » ajoutais-tu doucement. Ta paume de main se plaquait sur tes lèvres pour écraser un bâillement. La tête encore un peu dans le gaz. Le commandant de bord vous remerciez pour le voyage et vous étiez invités à sortir de l'avion. Vous étiez au Québec mais le voyage n'était pas encore fini, il y avait encore un peu de temps en voiture à faire. Peut-être que si vous aviez du temps, tu pourrais lui montrer ta maison d'enfance, elle n'était pas très loin de là où vivais Alioth, à quelques patelins près. « Est-ce que tu veux manger un bout avant d’aller se jeter dans la gueule du loup ? » proposais-tu un peu anxieux. Vous sortiez du terminal pour aller récupérer vos affaires sur le tapis roulant.

Bien sûr que non elle n'est pas crédible, comment le pourrait-elle alors qu'elle a un sourire jusqu'aux oreilles ? Elle a encore bien des choses à lui dire sur leur sujet de conversation précédent, mais Théia sait que parler maintenant ne servira à rien. Peut-être qu'ils en discuteront plus tard, ou peut-être même plus jamais. Peut-être que cette histoire finira par se tasser avec les autres rumeurs et coeurs brisés. Mais pour le moment, elle veut profiter de ce voyage et voir renaître sur les lèvres de CJ ce sourire qu'elle a toujours tant aimé. À sa réflexion, elle se contente donc de hausser les épaules. « Tu sais bien que je suis incapable d'être fâchée contre toi. » Déjà parce qu'il est trop gentil, trop doux que pour être capable d'éveiller cette animosité qui sommeille en elle. Mais aussi parce qu'être en colère contre lui impliquerait de ne plus lui parler, de ne plus pouvoir lui raconter les nouveautés de sa vie et de ne même plus pouvoir fondre dans ses bras à chaque fois qu'ils se verraient. Ça, elle ne le veut pas. Elle en a besoin même, de cette proximité. Il lui propose d'aller manger après être sortis de l'avion et Théia sert ses doigts autour des lanières de son sac à dos pendant qu'ils marchent jusqu'au lieu de réception des valises. « On pourrait prendre un petit quelque chose pour le chemin, ou bien tu préfères t'arrêter ? Parce que je suis carrément impatiente de découvrir ton pays, mais je peux comprendre que l'appel de ton estomac soit plus fort que le reste. » Elle lui sourit une nouvelle fois et repère sa valise qui s'avance jusqu'à eux. Elle la récupère sans aide, usant de toutes ses forces, puis s'assied dessus jusqu'à ce que celle de CJ fasse son apparition.

Savoir qu’elle ne serait jamais fâchée contre toi te faisais chaud au coeur mais ce n’était pas une raison pour en profiter et surtout pour en abuser. Jamais tu ne voudrais prendre avantage de la situation qui était la vôtre. Si un jour elle devait t’en vouloir, tu le mériterais sûrement mais pour le moment tu n’avais rien fait qui pourrait justifier un tel comportement, bien au contraire. Tu faisais tout ce que tu pouvais pour la protéger des répercutions possibles de votre histoire parce qu’elle ne devait pas à subir les conséquences. Un sujet sur lequel vous reviendrez plus tard mais pas maintenant. L’avion étant enfin arrivé à bon port, il était temps pour vous de partir à l’aventure. La grande aventure, celle qui te faisait peur actuellement. Tu priais même pour un problème de valise qui vous bloquerait des heures à l’aéroport mais ce n’était pas le cas. La valise de Théia était là et la tienne n’était pas très loin de la sienne, elle se posait sur sa valise le temps que la tienne arrive, répondant à ta question sur votre prochaine étape. « Oh oui, on peut prendre un truc à emporter et filer ! On aura l’occasion après avoir rencontré Alioth de manger local et de visiter le plus possible avant notre départ. » Puisque la décision était prise, tu prenais ta valise et vous filez dans la première boulangerie pour acheter des petits sandwichs. Une fois sortis, tu hélais le premier taxi, laissant Théia monter en première. Une petite demie-heure de route pendant laquelle tu perdais ton regard dans le paysage. Tu n’avais pas vu ces reliefs depuis des mois, tu avais comme un sentiment de culpabilité pourtant rien ici ne t’attendait si ce n’était ton fils. Elle avait fini par détendre l’atmosphère avec un peu d’humour et sur les dernières minutes, tu t’étais laissé à autant de légèreté que possible. Le taxi s’arrêtait à l’adresse indiquée, une jolie rue colorée, pavée et des maisons qui se succédaient. Tu sortais pour récupérer tes valises afin de les déposer à l’accueil de l’hôtel. La maison d’Alioth n’étant qu’à quelques numéros de là. « Prête ? » Même si ce n’était pas elle qui devait se sentir prête mais bien toi.  

L'inconnu ne lui a jamais fait peur. Emménager à Bowen onze ans plus tôt dans un pays qu'elle ne connaissait pas n'a pas vraiment été un problème pour Théia, tout comme embarquer dans ce voyage avec CJ ne l'a pas stressée le moins du monde. Elle a toujours été dotée d'un coté aventurière qui la pousse aux nouvelles découvertes, aux gestes impulsifs, aux plans à la dernière minute. Et pourtant, savoir qu'elle est sur le point de rencontrer le fils de son ami lui noue le ventre. Ce n'est pas tant pour elle qu'elle est nerveuse, mais plutôt pour lui. Si Alioth refuse de le voir, elle sait qu'elle sera celle chargée de lui remonter le moral. Elle ne connait pas cette ville, ce pays, elle ne sait pas dans quelle ruelle ou vers quel quartier ils pourraient se rendre afin de lui permettre de penser à autre chose. Mais malgré sa nervosité qui la pousse à refuser plus qu'un simple sandwich, Théia se promet à elle-même qu'elle sera là pour lui, dans le bon comme dans le mauvais. « Si on repart d'ici sans que je ne puisse avoir goûté de la poutine, je tape scandale sur le chemin du retour. » Elle lui lance un regard en coin amusé pendant que ses lèvres s'étirent en un sourire malicieux, comme un gamin prêt à faire une bêtise. Une fois les valises récupérées, les sandwichs achetés et le taxi trouvé, Théia peut souffler pendant quelques minutes. Elle regarde le paysage défiler en lâchant de temps à autres quelques réflexions censées le faire rire. En même temps, elle s'émerveille devant les différences entre le Canada et l'Australie, s'imagine un CJ plus jeune marchant dans les rues pour se rendre en cours. Cette image la fait sourire. Arrivés dans la rue menant à la maison du garçon, ils descendent du véhicule et récupèrent leurs valises qu'ils seront forcés de transporter jusqu'à être arrivés à leur hôtel. « Attends, » lui dit-elle avant de lâcher la poignée de sa valise et de plaquer ses deux mains sur les bras de CJ. Elle le regarde comme un styliste jugerait une tenue qu'il vient de créer, les paupières légèrement plissées et les lèvres pincées. « Ça va, on ne dirait même pas que t'as passé plus d'un siècle dans un avion. T'es à tomber, comme toujours, » ajoute-t-elle avec un nouveau sourire avant de le lâcher. L'heure de vérité à sonner, et elle le laisse faire de même à la porte d'entrée.

« Je te fais la promesse, tu la mangeras ! » Tu comptais bien lui faire découvrir les différentes spécialités culinaires de ton pays, surtout qu’elle n’aurait sûrement pas l’occasion d’y revenir de sitôt. Pour le moment, vous aviez des sandwichs à engloutir dans le taxi le temps d'aller jusqu'à l'hôtel. Ce n'était pas folichon mais au moins, tu avais le ventre plein. Un peu ballonné à cause du stress, tu t'étais même demandé si c'était une bonne chose de manger parce que tu avais l'impression que tout allait ressortir. Tu prenais de grande inspiration, être là, en compagnie de Théia c'était agréable. Malgré tout ce qui avait pu se passer, malgré l’ambiguïté qu'il pouvait y avoir, elle te soutenait et se montrer prête à faire tout ce qui était en son pouvoir pour que ça se passe bien. Tu ne pouvais pas mieux rêver. Devant la porte, tu sentais le moment fatidique arriver et tu ne savais pas si tu étais prêt, tandis qu'elle te demandait d'attendre. « Quoi ? » Tu étais soucieux, avait-elle peur, voulait-elle reculer ? Ce n'était pas elle qui devait avoir ce genre d'angoisse mais plutôt toi. Elle se positionne face à toi, t'inspectant, comme si tu jouais ta vie. Et c'était le cas, tu n'aurais pas de seconde chance, l'impression que tu allais donner aujourd'hui allait donner le ton pour toutes vos relations à venir. « Merci Théia. » Tu esquissais un léger sourire, te tournant face à la porte. Tu levais le doigt pour appuyer, le rabaissant dans la seconde d'après. Tu fixais la porte, comme paralysé. « Je crois que ... » Mais avant même que tu ne puisses finir ta phrase, tu la voyais appuyer sur la sonnette. Elle avait sûrement bien fait parce que tu allais te défiler, tu allais lui proposer de partir et de revenir le lendemain, quand vous n'auriez plus les heures d'avions dans le corps, le décalage horaire et surtout moins peur. Même si tu ne pensais pas qu'attendre la ferait diminuer, bien au contraire. La porte s'ouvrit alors sur un homme, tu te présentais rapidement et il vous invitait à entrer. Tu le suivis jusqu'au salon où la petite famille t'attendait. Alioth avait même fait un petit dessin pour toi et tu n'avais pas pu cacher tes larmes. Tu avais parlé de Lou, leur annonçant son décès, tu avais un peu parlé de toi, de Théia, de ta vie à Bowen. Tu n'aurais pas pu avoir un meilleur accueil. Lorsque tu étais ressorti de là, deux heures plus tard, tu avais le cœur à la fois léger et lourd.

Quand la porte s'ouvre, elle sent son ventre se soulever. Ce moment qu'ils attendent depuis des semaines déjà est là, à porter de main. Il suffit qu'ils fassent un pas, qu'ils franchissent cette porte et ils ne pourront plus retourner en arrière. Fière et silencieuse, Théia se contente de se présenter avant de laisser CJ prendre les devants. Elle le laisse discuter avec les parents adoptifs d'Alioth, avec le petit qui tenait entre ses mains un dessin fait pour CJ. Et lorsqu'il lui donne le bout de papier, Théia se permet de photographier l'instant afin qu'ils puissent se le remémorer sans en oublier les moindres détails. Voir CJ en compagnie de son fils suffit à faire naître en elle tout un tas d'émotions contradictoires. Elle est heureuse, émue aussi de pouvoir assister à cet échange entre CJ et celui qui aurait pu l'appeler "papa". Il aurait été si doué dans ce rôle, elle n'en doute pas un seul instant. Et pourtant, malgré ces sourires et rires qui animent le visage de Théia, elle ne peut s'empêcher de sentir une pointe de tristesse qui vient nouer son ventre. Jamais elle ne connaîtra ça. Jamais un enfant ne viendra lui apporter des coloriages, ou des colliers en pâtes. Elle s'est fait cette promesse de ne jamais avoir d'enfant, promesse qui met souvent en conflit son coeur et son corps. Elle réalise également que CJ aurait pu créer une famille avec Nevaeh, qu'ils auraient pu avoir un avenir ensemble si elle n'avait pas tout foutu en l'air. Évidemment, elle se gardera de partager ses pensées auprès de son ami. À la place, elle lui offre un grand sourire lorsqu'ils se retrouvent à nouveau dehors. « Comment tu te sens ? » lui demande-t-elle en plongeant ses mains dans les poches de sa veste. Il fait plus froid ici qu'en Australie malgré le fait que l'été soit encore présent, mais on peut déjà sentir le vent frais du soir qui la fait frissonner.