Que ferai-je sans toi ? [isling]

« Non et d’ailleurs, compte pas sur moi pour quoi que ce soit pour le brancher ou le projeter ou quoi que ce soit, si jamais cet exposé se fait chez moi. J’ai rien de ça ! » Et la preuve, Isaiah n’avait même pas de télévision. Un compte Netflix ? Encore moins. Alors certes, il était carrément à l’ouest quand on lui parlait des nouvelles séries bien trop addictives que les gens regardaient pendant des heures sans même bouger d’un centimètre. Vu comme ça, il ne regrettait pas tellement son choix. De toute façon, tout le monde en parlait tellement qu’il avait l’impression de les avoir vues, ces émissions. Il aurait pu réciter par cœur la relation de couple de Betty et de Jughead, même s’il n’avait aucune idée de la tête qu’ils avaient dans la série. Ça lui ferait certainement étrange, à Isaiah, de retourner sur les bancs d’école avec toutes ces nouvelles technologies. Il n’était certes pas si vieux, mais ses dernières années d’études remontaient quand même à il y a dix ans de cela, et il avait comme l’impression que le fameux tableau vert et les craies avaient laissé place à un tout autre type d’enseignement. Il avait hâte de voir, peu importe si sa réaction serait positive ou négative. Il se ferait sa propre idée sur la chose. Les deux amis terminèrent finalement de converser à propos de Perry et de la colocation, et cette fois Isaiah avait essayé de ne pas trop se mouiller en donnant des conseils qui visiblement ne fonctionnaient pas dans leur situation. Leur relation était bien plus complexe que tout ce qu’il avait un jour connu, vécu. Il fut donc plus que partant quand Aisling proposa d’aller dans l’eau, activité qui leur permettrait peut-être de mettre les tracas de côté le temps de s’éclabousser un peu. L’entrée dans l’eau fut plus calme que ça, avec la blonde qui s’agrippa à lui comme un petit animal sur le dos de sa mère. « Pas que dans l’eau je dirais, même ! » Mais il ne repartirait pas un débat sur les lacunes alimentaires d’Aisling. Il avait de toute façon décidé que si elle ne se faisait pas convenablement à manger par elle-même, c’est lui qui le ferait. La tête posée sur l’épaule d’Aisling, Isaiah se laissait bercer par les vagues, profitant du moment, du bonheur, jusqu’à ce que son amie lui parle d’Ezekielle, et d’une certaine rumeur. « Ça va, je crois. Enfin, pour que ça aille avec Ezekielle, faudrait déjà qu’il y ait un avec. Je ne lui ai pas parlée depuis une semaine. » Et vue, ça remontait à des mois maintenant. Il tourna tout de même la tête vers sa meilleure amie, l’air intrigué. « Mais de quelle rumeur tu parles ? Qu’est-ce que j’ai encore fait ? » Si ça risquait de fâcher Ezekielle, ça devait être quand même important. Pourtant, il n’avait pas l’impression d’avoir fait quoi que ce soit plus spécial qu’à l’habitude.  

Aisling se mit à rire. Elle le connaissait assez bien pour ne pas être étonnée de sa réponse, mais amusée du fait qu'il se justifie encore. Est-ce qu'il avait un ordinateur au moins ? Elle n'osa même pas lui poser la question.

-Je sais bien. T'es pas vraiment un homme à la pointe de la technologie.

Ils finirent par aller se baigner, et Aisling esquissa un sourire quand Isaiah remarqua qu'il n'y avait pas que dans l'eau qu'elle était un poids plume. Elle savait très bien ce qu'il pensait, qu'elle ne mangeait pas assez. Enfin, il n'y avait pas que lui pour penser ça, la terre entière le faisait. Mais quelle importance ? Isaiah la connaissait assez pour ne pas la contrarier sur la question.

-C'est vrai. Heureusement d'ailleurs, sinon tu serais obligé de passer ton temps à porter des centaines de kilos sur tes épaules.

Bon, elle n'avait jamais fait la demoiselle en détresse avec lui, et dans son souvenir, il n'avait jamais eu à la secourir. Enfin, le jour de la tempête, heureusement qu'il avait été là. Et pour son moral, heureusement qu'il avait été là tous les autres jours de son existence.

Le cœur d'Aisling s'accéléra légèrement à sa remarque. Qu'il y ait un avec ? Elle devina que son meilleur ami n'était pas heureux dans son couple. Elle n'y connaissait rien en amour, et elle ne doutait pas qu'Isaiah était capable d'une relation à distance mais... Ne pas s'être parlé depuis une semaine ? Pour Aisling ça faisait beaucoup, elle qui était capable de lui faire une crise s'il ne lui répondait pas pendant toute une journée. Finalement, elle laissa retomber ses jambes sur le sol, les bras toujours autour d'Isaiah. Elle était entre la gène et le honte.

-Ce n'est pas toi, c'est moi.

La tête baissée, appuyée contre le dos d'Isaiah, elle émit un léger soupire.

-Je ne sais pas si tu te souviens, mais quand on était drogué, au gala, je t'ai embrassé, et quelqu'un l'a rapporté, c'est tout. Je sais que toi et Ezekielle vous êtes assez... ouverts, mais, je sais pas, je me suis dis qu'à sa place, ça m'aurait sans doute mise en colère.

Isaiah esquissa un sourire. Bien sûr qu’elle le savait. Elle savait aussi que s’il n’était pas à la pointe de la technologie, il n’était pas non plus à la base vraiment, ou alors pas par choix. Il avait un téléphone portable, un vieux modèle racheté d’un ami d’un ami à très bas prix, seulement parce qu’il avait dû admettre que dans la société dans laquelle ils vivaient, c’était bien la meilleure façon de rejoindre quelqu’un rapidement. De toute façon, c’était plutôt rare qu’il l’utilisait, puisqu’Isaiah vivait surtout sa vie en rencontrant les gens par hasard, n’hésitant pas à s’imposer un peu pour passer du temps avec eux. Il n’avait pas peur de déranger, Isaiah, il avait espoir qu’on lui dirait si c’était le cas, parce que c’était bien connu qu’il ne se fâcherait pas pour un rien. Ou alors il ferait comme avec Aisling, il insisterait, juste pour voir où ça pouvait mener. Et leur amitié était le meilleur exemple possible pour démontrer que parfois, ça pouvait mener vers un chemin franchement magnifique. « Et là j’deviendrais monsieur muscle, à force de forcer toujours autant, et j’commencerais à participer à des concours de body fitness, en m’enduisant d’autobronzant qui me donnerait un teint orange à la Donald Trump. Avoue que tu craquerais, direct ? » Il rit. Imaginer Isaiah musclé comme un culturiste, c’était une activité en soi. Il n’avait pas du tout le corps pour ça, en ce moment. Le ton léger laissa toutefois bien vite place à du plus sérieux, encore une fois quand ils abordèrent le thème de l’amour, mais cette fois-ci c’est Isaiah qui laissait entrevoir une ombre au tableau, lui qui semblait pourtant ne jamais se soucier de quoi que ce soit. Il avait beau être un grand optimiste, il savait aussi reconnaître les situations qui partaient à la dérive. Son couple semblait être en train de se perdre dans le brouillard. Aisling ne releva toutefois pas ce morceau de la conversation, et parla plutôt de l’intrigante rumeur après avoir laissé retomber ses jambes au sol, enlevant un certain poids de sur l’ébéniste. Il était toujours de dos à elle, sentant la tête d’Aisling s’appuyer contre lui, derrière. « Je me souviens … Mais c’était innocent, c’était drôle, c’était l’euphorie du moment. Je pense qu’Ezekielle l’aura compris, ça. Elle sait à quel point on est proches, toi et moi. » C’était peut-être ça, le problème, au fond. Ils étaient si proches, si connectés, qu’ils en oubliaient peut-être les limites qu’ils auraient dû s’imposer. Isaiah se retourna vers Aisling. « Et je ne pense pas qu’elle lise ce genre de trucs, surtout pas quand elle se trouve à des kilomètres d’ici. » Continua-t-il, comme pour se convaincre qu’Ezekielle ne pouvait quand même pas lui imposer le traitement du silence pour une rumeur, eux qui s’étaient toujours moqué de ce genre de blog.  

Aisling éclata de rien à l'entente de ce monde parallèle. Il lui était juste impossible d'imaginer Isaiah ainsi. Il était loin d'être ce genre d'homme qui pratiquait la musculation. Pas qu'Isaiah n'était pas sportif... mais en fait si. Elle n'était pas sûre qu'il pratique un seul sport sérieusement. Enfin, il n'avait visiblement pas besoin de ça pour se maintenir en bonnes conditions physiques.

-C'est vrai que j'ai toujours rêvé d'avoir un Trump dans mon lit.

Il y avait des moments comme ça, où on ne regrettait vraiment pas de ne pas être américain. Bon, Aisling ne pouvait pas dire qu'au niveau de certaines libertés l'Australie était beaucoup plus avancée : l'avortement n'est pas légale dans tous les états, le mariage homosexuel est interdit... Mais ils n'avaient pas un président qui s'amusait à déclencher la troisième guerre mondiale.

Alors qu'ils parlèrent du baiser échangé, Isaiah semblait croire que ce n'était pas quelque chose qui froisserait Ezekielle. Aisling avait fait ça parce qu'elle n'avait pas toute sa tête, parce qu'elle était totalement à l'Ouest à ce moment-là, mais tout le monde ne l'entendait pas forcément de la même oreille.

-Oui, on est proche mais justement elle pourrait s'imaginer que...

Au fond, Aisling ne connaissait que très peu Ezekielle. La seule chose qu'elle était pour elle, c'est la copine de son meilleur ami, rien d'autre. A peine une connaissance. Elle n'avait aucune idée de la façon dont elle pouvait réagir.
Quand Isaiah se retourne, La blonde croisa son regard. Elle sentait qu'il ne lui en voulait pas, et c'était le principal. Elle esquissa un léger sourire à sa remarque. Ouais, elle ne s'encombrait sans doute pas de ce genre de choses. Et puis, si elle était comme Isaiah, ça ne devait vraiment l'intéresser.

-Ouais, tu as raison.

Elle se glissa une nouvelle fois dans les bras mouillés d'Isaiah.

-Tu sais, si t'as besoin d'en parler, je suis là.

À la remarque d’Aisling, Isaiah fit mine de vomir. Il avait comme cette image horrible en tête, de Donald Trump en caleçon, allongé dans le lit de la jeune femme à l’attendre. Et avec toutes les allégations d’agression sexuelle faites contre lui, ça ne rendait l’image qu’encore plus déplaisante. « Please don’t. » Dit-il, la suppliant, même de ne plus jamais faire allusion à ça, jusqu’à ce qu’il songe au sous-entendu derrière. Il avait d’abord accroché à Trump et au lit, mais il réalisait que le lit n’avait déjà aucun lien à la base. Il tourna un regard intrigué et amusé vers sa meilleure amie. « Du couuup … ça veut dire que tu m’veux dans ton lit ? » Il haussa rapidement ses sourcils, avant de rire. Le vouloir dans son lit, ça pouvait dire tellement de choses, hein. Ce n’était pas comme s’il ne s’y était jamais allongé, sur son lit, à Aisling. Ils avaient joué de la musique assis dessus, ils avaient parlé pendant des heures leurs deux têtes sur le même oreiller, ils avaient passé à travers leurs trips de bouffe en laissant de nombreuses miettes sur les draps. Ça ne signifiait en aucun cas, qu’à un de ces moments-là, ils avaient franchi une quelconque limite. À d’autres moments, par contre … Et justement, Aisling parla de ce baiser échangé pendant le Gala des Bowards, ce qui avait visiblement fait un peu de bruit sur ce blog débile. Et lui n’avait même pas eu connaissance de ça. « Elle me fait confiance. On se fait confiance. » Il haussa les épaules. Ça avait toujours été ça, leur relation. Et même quand ils avaient légèrement restreint leur liberté par rapport aux autres en se disant en couple, ils n’avaient pas eu de discussion sur comment ça se ferait, ce qu’ils devaient faire, tout ça. C’était venu naturellement, comme tout ce qu’Isaiah faisait. Aisling et lui se retournèrent finalement l’un en face de l’autre, et l’ébéniste releva que de toute façon, si lui n’était pas au courant et qu’il était pourtant entouré de tous ceux qui lisaient ce blog, alors sans doute qu’Ezekielle n’avait aucune idée non plus, elle qui était si loin. La blonde se glissa à nouveau dans les bras d’Isaiah, qui les referma doucement sur elle. « Je sais. C’est juste … » Il garda pendant un moment le silence, regardant devant lui, au-dessus de l’épaule d’Aisling. « J’ai beau me répéter que je n’ai pas besoin d’être physiquement avec Ezekielle pour ressentir qu’on est ensemble, j’ai quand même l’impression qu’on est en train de se perdre, elle et moi. » Déclara-t-il, resserrant un peu plus ses bras sur son amie.  

Aisling éclata de rire en voyant le regard d'Isaiah. Bien sûr que non, elle ne ferait jamais ce genre de choses. Elle était du genre à préférer les hommes plus âgés, c'est vrai. Mais pas ce genre d'homme là.
A la remarque d'Isaiah sur lui et un lit, Aisling eut un léger sourire en haussant doucement les épaules.

-Je t'ai déjà eu dans mon lit, ce serait même pas un défi.

Même si bien sûr, ils n'avaient jamais rien fait. Enfin si, Isaiah avait déjà mit la main dans sa culotte. Mais elle était passé assez vite sur cet incident. Ils étaient défoncés de toute façon.

La confiance. Aisling avait quelques problèmes avec ça. Comment faire entière confiance à quelqu'un ? Elle qui avait toujours peur qu'on la blesse, qu'on la trahisse. En fait, peut être que c'était ça le problème. Elle ne serait jamais capable de donner son cœur à quelqu'un, parce qu'elle était persuadé de ne jamais trouver quelqu'un qui en prendrait assez soin. Et à l'inverse, elle ne se sentait pas capable de s'occuper du cœur de quelqu'un, de ne pas le briser. Il n'y avait qu'à voir la seule relation un temps soit peu sérieuse qu'elle avait eu. Elle n'avait pas été capable de ne pas blesser Perry, alors même qu'il ne lui avait pas confier l’entièreté de son cœur.

-Tant mieux.

C'était la seule chose qu'elle avait trouvé à répondre.

Aisling était toujours prête à aider Isaiah et elle le ferait aujourd'hui s'il en avait besoin. Mais avec toute la meilleure volonté du monde, elle se sentait incapable de le réconforter. Comment pouvait-elle le consoler alors qu'elle n'avait aucune idée de ce qu'il vivait ? Elle savait déjà qu'elle risquait de mettre les deux pieds dans le plat.

-Même si tu es très... attaché à tout ce qui est sentiment, émotion et intellectuel, je pense qu'on est obligé de souffrir du manque physique de quelqu'un. Après, je serais un très mauvais exemple, je pense que je ne pourrais pas trop concevoir de ne pas... avoir de relation sexuelle pendant autant de temps. Je ne sais pas comment tu fais.

Elle esquissa un léger sourire en relevant son regard vers le sien.

-Vous en avez parlé tous les deux ?

Il esquissa un sourire, se rappelant sans doute de toutes les fois où ils s’étaient retrouvés dans ce lit. « Oh tu sais, j’ai jamais dit que ce serait un défi. J’viendrai sans même que tu m’y invites. Mais y’a une différence entre m’avoir dans ton lit et me vouloir dans ton lit. » Fit-il remarquer. Elle n’avait donc pas répondu directement à la question, même si au fond, Isaiah ne s’attendait pas vraiment à une réponse en particulier. Ça n’aurait rien changé, pas pour le moment. Ils avaient chacun leurs histoires, bien complexes, parce qu’effectivement si Aisling avait toujours été celle à se ramasser dans ses situations amoureuses pas possibles, Isaiah sentait que ce serait bientôt à son tour d’être dans un conflit interne, à la croisée de chemins dont il ignorait la direction. En même temps, Isaiah n’avait jamais vraiment trop su où il s’en allait, dans la vie. Sans doute se laisserait-il porter, encore une fois, par ses envies, par son instinct. C’est juste que présentement, il n’avait encore aucune idée de la vague sur laquelle il déciderait de surfer. D’ailleurs, ils parlèrent bien vite d’Ezekielle, et si Isaiah prétendait avoir sa confiance, il ne pouvait prétendre l’avoir elle, pas pour le moment. Pas de la façon qu’ils s’étaient promis d’être là l’un pour l’autre, contre toute attente. Il ne savait plus vraiment ce qui s’était passé, s’il y avait eu un point de rupture ou s’ils s’étaient juste peu à peu perdus. La distance, le temps. Tous les deux avaient toujours été tellement libres, peut-être que ce mode de vie n’allait tout simplement pas avec le concept de l’amour qu’ils avaient voulu incarner, pour voir ce que ça donnerait. Peut-être valait-il mieux qu’ils en reviennent à ce qu’ils étaient auparavant : deux magnifiques âmes qui erraient, ensemble ou séparées, et qui explosaient dans un nuage d’étincelles quand elles se retrouvaient. Ce serait sans doute bien mieux que de laisser leur amour s’effriter en raison de l’attente et du manque. « Je ne sais pas comment je fais non plus. » Dit Isaiah avec un sourire. Ezekielle était partie depuis des mois maintenant, et le jeune homme avait dormi seul dans leur lit à tous les soirs, lui qui n’avait toujours que suivi ses envies, obéit aux plaisirs, peu importe ce qu’ils étaient. « Non … Je veux la laisser vivre ce qu’elle vit là-bas, je ne veux pas être une ombre sur l’expérience formidable qu’elle doit être en train de vivre. Je sais qu’Ezekielle n’en fait souvent qu’à sa tête, comme moi, mais je sais aussi qu’elle serait prête à revenir avant le temps, si elle sentait le doute dans ma voix. » Mais si elle restait encore là-bas bien longtemps, combien de temps Isaiah serait-il prêt à attendre, lui ? Il n’en avait aucune idée. Il n’avait jamais pensé se retrouver dans une situation pareille un jour, à devoir trouver une solution à des problèmes qu’il ne comprenait pas tout à fait.  

Aisling garda son regard sur Isaiah. Certes, elle ne pouvait pas nier qu'il y avait une différence. Elle eut alors un léger sourire en lui répondant.

-Eh bien, peut-être qu'une nuit de tempête, je serais heureuse de t'avoir dans mon lit pour me rassurer.

Elle qui aimait jouer les dures, elle arriverait difficilement à nier qu'elle craignait quelque peu les tempêtes. Surtout que se retrouver dessous une fois n'avait guère arrangé les choses.

Le sourire d'Isaiah dans cette situation était rassurant. Et pourtant, Aisling sentait bien que ça n'allait pas. Elle savait la difficulté que c'était de prendre une décision et, égoïste qu'elle était, en sentant son meilleur ami hésité ainsi, elle se demanda si ça avait été la même chose pour Perry lorsqu'il l'avait quittée. Est-ce qu'il avait hésité aussi longtemps ? A peser le pour et le contre, à trouver les mots pour ne la blesser ? Elle eut un rictus amer, malgré elle. Il était évident que la réponse était non. Mais pourquoi est-ce qu'elle rapportait tout à elle alors que, pour une fois, c'était Isaiah qui était en difficulté ? Elle secoua vigoureusement la tête avant de plonger de nouveau ses yeux bleus dans les siens.

-Tu sais, c'est admirable, ton dévouement pour les autres, ta volonté de bien faire et... Tout le reste. Mais je me dis que parfois, tu devrais un peu plus penser à toi.

Elle le serra un peu plus fort contre elle. Elle aurait vraiment voulu lui rendre le sourire à nouveau. Un vrai sourire.

-Je veux juste que tu sois heureux, et de toute évidence, là, tu ne l'es plus.

Isaiah esquissa un sourire en se remémorant cette première tempête qu’ils avaient vécue ensemble. Au départ, ça n’était même pas encore la nuit, et pourtant ils s’étaient quand même retrouvés dans un lit. Comme quoi, il s’agissait d’un élément assez récurrent dans leurs moments à deux. « Je ne sais pas à quel point je te rassurerais, sachant à quelle vitesse je me suis endormi, comme un gros bébé, la dernière fois que ça nous est arrivé … » Comme si ça arrivait à tous les jours. Il n’empêche que cette seule et unique fois-là avait quand même été unique, au point qu’il s’en souviendrait sans doute pour toujours. Il se souvenait de sa gêne lorsqu’ils s’étaient retrouvés presque nus l’un contre l’autre, trempés par la pluie au dehors. Il se souvenait s’être demandé à maintes reprises ce qu’il représentait pour elle, et ce qu’elle représente pour lui. À cette époque, et malgré sa relation déjà bien fusionnelle avec Ezekielle, Isaiah n’était pas officiellement avec cette dernière. Le doute avec Aisling avait donc plané, pendant quelques semaines, jusqu’à ce que leur amitié ne se consolide réellement, et que sa relation avec Ezekielle ne se définisse également. Mais maintenant que cette relation-là s’effritait, où se situait Isaiah ? C’était ce qu’il tentait de comprendre, essayant de se faire à l’idée que ce qu’il avait avec la journaliste n’était plus exactement ce envers quoi il s’était engagé. Aisling l’aidait à s’en rendre compte, en prendre pleinement conscience qu’il s’oubliait à force de ne pas vouloir l’oublier elle. C’était une façon de parler, évidemment, parce que jamais Isaiah n’oublierait Ezekielle. Mais il faudrait, tôt ou tard, qu’il tourne la page sur cette histoire qui n’aurait peut-être jamais de fin véritable. « Je sais … » Lâcha-t-il. Et quand sa meilleure amie lui fit remarquer que de toute évidence, il n’était plus heureux présentement, il releva un regard surpris sur elle. Il ne pensait pas avoir l’air malheureux. Il ne pensait pas que ses doutes transparaissaient autant. Ou alors c’était elle qui le connaissait trop bien, à présent. « Je ne suis pas pas heureux … je pense juste que je suis … perdu. » Il haussa les épaules. « Je pensais que mon voyage m’aiderait à y voir plus clair, à me retrouver, mais au fond je me suis plutôt rendu compte qu’Ezekielle me définissait bien plus que ce que je pensais. Et ça me fait peur de réaliser ça, de savoir que tant que je ne saurai pas où on se situe elle et moi, je ne pourrai pas me sentir bien. » Il l’avait, sa réponse. Il ne devait plus attendre qu’elle le rejoigne, qu’elle le contacte, Ezekielle. Il devait prendre les devants, pour lui, pour son bien-être.

Aisling eut un léger rire quand il avoua s'être endormi comme un bébé. Elle ne pouvait pas dire qu'elle avait vraiment fait long feu non plus. Mais ça, c'était parce qu'elle s'était sentie en sécurité.

-Il faut croire que ta présence me suffit.

Il y avait de rares moments où elle devait se comporter avec Isaiah comme la meilleure amie qu'elle était. La meilleure amie qu'elle était devenue. Sa situation avec Isaiah avait toujours été quelque chose de claire dans son esprit. Assez rapidement, et grâce à toute la détermination du jeune homme, elle avait comprit qu'il serait pour elle un ami précieux. Et depuis, elle se faisait un devoir de ne jamais le perdre. Parce qu'il lui était essentiel. Elle n'imaginait plus sa vie sans lui, sans son épaule pour pleurer, sans leurs bêtises, leur jardin secret à eux deux. Simplement leur complicité.

Autant Aisling pouvait dire d'Isaiah qu'il était son phare dans la nuit, autant la réciproque n'était pas si vraie. Elle se mordit l'intérieur de la joue alors qu'il dit être perdu. Est-ce qu'elle serait capable, elle, de le faire retrouver son chemin ? La blonde se mit à le serrer dans ses bras parce qu'elle n'était pas capable de beaucoup plus.

-Vous vous ressemblez beaucoup... Enfin, de ce que j'en sais. Mais je crois que ça ne sert pas à grand chose de se raccrocher à quelque chose qui s'effrite.

Elle leva ses yeux bleus vers lui.

-Ca nous détruit.

Et le ton de sa voix était sans appel. Se raccrocher à quelque chose qui était voué à l'échec, c'était ce qu'elle avait fait avec Perry et il n'y avait qu'à voir l'étendu des dégâts au fond de son cœur à présent. Quant à Chase... Elle ne savait pas s'il lui avait brisé le cœur, ou s'il avait seulement réussi à lui faire réaliser à quel point elle n'était pas la seule égoïste en amour. Sur le coup, elle n'avait toujours vu que sa colère contre lui. Elle qui était prête à faire tous les efforts du monde et lui qui lui claquait la porte au nez parce qu'elle avait fait un déni de grossesse. L'Amour est ingrat. Elle l'avait apprit à ses dépends. Et aujourd'hui plus que jamais elle ne voulait plus laisser personne pouvoir lui briser le cœur. Et aujourd'hui plus que jamais, elle avait besoin de cette personne à qui elle pourrait vouer corps et âme, de cette personne qui la prendrait dans ses bras sans qu'elle se demande quel chemin elle était entrain d'emprunter. Aujourd'hui plus que jamais, le cœur a ses raisons que la raison ignore.

Un sourire amusé, mais aussi touché, se dessina sur les lèvres du néozélandais alors qu’Aisling lui disait que sa seule présence suffisait à la rassurer. « Va dire ça à la Aisling de l’époque. » Celle qui ne semblait pas vouloir baisser sa garde, celle qui trouvait toujours des raisons pour justifier leur proximité, celle qui ne voulait pas avouer qu’elle l’aimait bien, Isaiah. Et aujourd’hui, ils étaient dans les bras l’un de l’autre, à s’ouvrir l’un à l’autre sans avoir peur d’en ressortir blessés. Tout ce qui aurait pu blesser Isaiah, là, au fond, ce serait de réaliser que son histoire avec Ezekielle tirait à sa fin, qu’ils verraient bientôt le terme de cette histoire épique. Ils s’étaient aimés à travers le temps et l’espace, mais venait un moment où leur amour ne pouvait traverser d’aussi grandes distances. Il inspira profondément quand les bras d’Aisling se resserrèrent autour de lui, comme s’il voulait respirer toute cette énergie belle et positive qu’elle lui transmettait. Il en avait besoin, Isaiah, parce que même s’il semblait constamment voir la vie en rose, parfois les teintes perdaient de leur éclat. Parfois, l’image se ternissait. Les paroles de sa meilleure amie eurent un effet qu’il n’était pas habitué de ressentir : de la peur, de la souffrance, de la tristesse. Un peu de tout à la fois, un peu trop tout en même temps. « Je ne pensais pas que l’amour pouvait l’être autant … destructeur. » Il eut un rire presque ironique. « Je ne pensais même pas croire en ça, l’amour, même. Et regarde où ça m’a mené d’essayer de le faire. » Il s’était fait prendre, un peu comme tout le monde. Il plongea son regard dans celui d’Aisling, alors que les vagues autour d’eux balançaient légèrement leurs corps qui tentaient de rester en place. « Tu l’avais bien décrit, au fond. T’avais raison sur toute la ligne. C’est contre-productif. » Comment il se sentait en ce moment, Isaiah, c’était comme ça. Il avait l’impression de courir sur place ou alors de tourner en rond. Il cherchait quelque chose qui n’existait pas, ou plus. Et il s’oubliait lui-même à travers cette quête sans queue ni tête. Il donnait l’impression de baisser les bras, Isaiah, de mettre de côté tous ses beaux discours sur le fait qu’un tas d’autres personnes pouvaient être les bonnes, qu’il ne fallait jamais tirer définitivement un trait, qu’un échec n’était pas voué à se reproduire. Il avait peut-être tout simplement besoin qu’on le lui rappelle. Qu’on lui montre qu’il pourrait aimer de nouveau, d’une manière complètement différente sans doute, mais qui serait magnifique à sa façon.

Aisling se souvenait très bien que la jeune femme de l'époque s'était évertué à repousser Isaiah plutôt qu'à avouer que sa présence le rassurait. Mais à l'époque, elle était bien trop fière pour avouer quoique ce soit, Aisling. Elle avait encore sa coquille, ce besoin de se protéger. Mais il n'avait pas mit longtemps à la percer et à lui montrer qu'elle serait plus en sécurité avec lui que sans lui.

-Elle était un peu sur la défensive mais il ne faut pas la blâmer, il a perdu confiance en l'être humain tu sais.

Il n'était pas dans les intentions d'Aisling de rendre malheureux son meilleur ami, loin de là. Et son cerveau chauffait pour lui trouver mille et une raison pour lui prouver qu'il n'avait pas eu tort de croire en l'amour. Mais elle n'en trouvait aucune, et puis surtout, elle trouvait qu'elle avait, aussi, faire l'erreur d'y croire. Elle avait vraiment l'air d'une andouille. Les mains de la blonde s'étaient crispées autour de lui. Au fond, elle n'avait jamais voulu faire changer Isaiah d'avis sur la question. C'est lui qui lui avait fait croire en l'amour, et l'amitié, aussi. S'il n'y croyait plus... comment est-ce qu'elle pourrait y croire, elle, alors ?

-Dis pas ça... C'est beau aussi. Tu était heureux avec Ezekielle, c'est pas parce que ça va moins bien qu'il faut tout jeter. Enfin, je crois...

Elle posa sa tête contre le torse d'Isaiah, écoutant son coeur.

-C'est toi qui m'as fait découvrir l'amour, Isaiah. Je n'ai jamais autant aimé quelqu'un avant toi.

Il hocha la tête avec un sourire. Il ne la blâmait pas, Aisling, ni celle d’avant ni celle de maintenant. Il ne la blâmerait jamais pour son scepticisme, pour son incrédulité face à l’être humain. Il tenterait juste de lui redonner un peu plus confiance, de lui faire voir la lumière derrière le mur qui lui cachait la vue sur ce que le monde lui réservait. C’était ce qu’il avait toujours fait avec elle, et avec lui elle avait peu à peu baissé ses gardes, baissé ses armes. Elle n’était plus sur la défensive, avec lui, ou alors très rarement. Peut-être qu’un jour, elle oserait donner cette chance à d’autres. Pour le moment toutefois, c’était Isaiah qui avait pour une fois besoin qu’on lui rappelle la beauté derrière l’une des facettes les plus recherchées de la vie : l’amour. Lui qui avait tellement voulu qu’Aisling ouvre ses horizons sur les relations qui se présentaient à elle, lui qui avait tenté de lui faire comprendre que l’amour ne cognait pas qu’une seule fois à nos portes et qu’il y avait de multiples façons de le vivre, l’amour – autant de façons qu’il existait d’êtres humains -, il semblait pourtant croire que son éloignement avec Ezekielle n’était qu’une manière de lui faire comprendre qu’il s’était laissé entraîner dans une histoire en laquelle il n’aurait jamais dû croire. Il s’était laissé berner, il s’était fait avoir, Isaiah, fier défendeur de l’amour qui part dans tous les sens, qui ne s’arrête pas qu’à deux seules et uniques personnes. Aujourd’hui, il payait de s’être aventuré dans ce brouillard ; il s’y était perdu. Aisling tentait de lui faire voir la lumière, elle tentait d’être pour lui le phare qu’il ne semblait plus voir à l’horizon. Et elle réussissait. « Je t’aime aussi, Aisling. De ce genre d’amour qui ne peut que devenir plus fort jour après jour. » Il esquissa un sourire en la serrant un peu plus contre lui, fermant les yeux, calmant son cœur, calmant sa peine, sa confusion. Il laissa ses émotions se laisser bercer par les vagues en espérant, peut-être, ne faire qu’un avec leur rythme.

TERMINÉ