they say that change and pain is a positive thing (bessie)

Le logement d’Isaiah était vide, tellement vide. Il l’était depuis quelques mois déjà, mais l’éventuel retour d’Ezekielle était ce à quoi le jeune homme s’accrochait. Il se disait que bientôt, ils remettraient ensemble de la vie à cet endroit qui entendait autrefois leurs voix à tous les jours. Sauf que la semaine dernière, Isaiah avait appris qu’Ezekielle ne reviendrait pas à Bowen. Elle avait été la première des deux à flancher, elle avait été la première des deux à abandonner cette idée folle de devenir sédentaire. Isaiah le savait, lui aussi, qu’il finirait par partir un jour ou l’autre, à reprendre la route vers de nouvelles aventures. Pour le moment, il n’en était pas encore là, il avait envie de se poser un peu, quitte à partir aussi souvent que possible pour remplir sa tête de nouveaux paysages, de nouveaux visages. Le fait de savoir qu’il pouvait toujours revenir à Bowen et revoir tous les gens qui l’attendaient, ça lui donnait un certain réconfort, en quelque sorte. Il n’était plus le jeune voyageur sans attache et sans repère. Il n’était plus un enfant perdu. Cela ne signifiait pas pour autant qu’il cesserait de partir à la découverte du monde ; il ne le ferait plus de la même manière, tout simplement. Ezekielle, elle, avait décidé de saisir l’opportunité de vivre de cette passion de ne jamais rester à la même place. Son boulot lui avait offert la chanson de devenir reporter à l’international, ce qui signifiait aussi qu’elle n’avait plus de pied-à-terre, qu’elle n’avait plus vraiment de maison. Sa maison, c’était son sac, son appareil-photo, ses mots. Isaiah était fier d’elle, au fond, parce qu’elle vivrait cette vie qu’ils s’étaient toujours souhaitée l’un pour l’autre. C’était seulement difficile de savoir qu’à présent, il ne pourrait plus voir Ezekielle aussi souvent. Qu’ils n’étaient plus ensemble, en quelque sorte, même si ça n’avait pas été explicitement dit. Ils le savaient bien, au fond, que c’était un retour à leur relation d’avant. S’aimer de loin, s’aimer en mémoire. Sourire en rêvant à la prochaine fois que leurs chemins se croiseraient, si cela arrivait. Pour le moment, en attendant de retrouver un rythme de solitaire, Isaiah sortait le plus souvent possible, évitant les murs de son appartement vide et silencieux. Il songeait à y organiser une énorme fête, bientôt. Question de foutre un beau bordel, un joli chaos. Pour ce soir, il était au Elm Street, à boire une bière en regardant un match de sport à la télévision, joignant ses cris à ceux des partisans. Pour le plaisir, pour le bruit.

La soirée allait bon train, le match attirait de plus en plus de spectateurs, pour le plus grand plaisir d’Isaiah qui avait ce besoin d’être entouré. Il avait beau ne reconnaître aucun visage autour de lui, il avait beau ne pas s’immiscer dans les conversations l’entourant, il avait quand même l’impression d’appartenir à quelque chose de beau. Un de ces moments auxquels on appartient sans se poser davantage de questions. Le jeune homme en était à sa seconde bière quand l’heure de la mi-temps sonna, et quelques minutes à peine après que le calme se soit réinstallé tout autour, une jeune femme s’avança jusqu’à lui pour lui demander si la place à côté de lui était réservée. Isaiah se tourna vers elle avec un sourire sincère et joyeux – et ça n’était même pas l’effet de l’alcool, c’était lui, tout simplement. « Non, non, pas du tout. Je n’attendais personne. Installe-toi ! » Déjà le langage familier. Isaiah n’était effectivement pas porté vers le vouvoiement, encore moins avec quelqu’un qui avait à peu près son âge. Ça n’était pas une marque d’irrespect, au contraire, il jugeait qu’ils étaient tous égaux et puis, il préférait ce ton plus chaleureux que la froideur et la distance d’un vous. La brunette était vêtue de manière plutôt chic pour le Elm Street, mais elle semblait très bien dans sa peau, ce qui ne pouvait qu’être une bonne chose. Il tira donc sur le tabouret afin de l’aider à prendre place. « J’allais me commander autre chose. Je t’offre un verre ? » Et si cela pouvait être la phrase clé des grands séducteurs, quand cela sortait d’entre les lèvres d’Isaiah, c’était tout simplement doux, gentil, généreux.

Des rencontres comme celle-là, Isaiah en prendrait par dizaines, par jour. Cette jeune femme avait un sourire lumineux, un regard brillant, elle était d’une beauté unique et elle dégageait une telle énergie. Elle avait tout pour plaire à Isaiah, alors si en plus elle se montrait aimable, ouverte et sociable, alors il ne pouvait qu’être conquis dès le premier regard, dès le premier échange. « Enchanté Bessie, moi c’est Isaiah ! » Il prit sa main dans la sienne et la serra avec fermeté, parce qu’au diable les hommes qui y allaient trop délicatement avec les femmes de peur de les briser. Une poignée de main était une poignée de main, peu importe le sexe de la personne. Il reposa sa main sur le comptoir du bar, les doigts autour de son verre de bière alors qu’il proposait d’en offrir un à Bessie, en même temps que sa propre prochaine tournée. « Oh ! Alors partons à la découverte du menu, soyons fous ! » Il esquissa un sourire, qui s’agrandit en la regardant, avant de poser le regard sur le menu, de l’approcher d’elle pour qu’ils le consultent ensemble, et il laissa ses yeux défiler sur la liste des bières. « Une bière au gingembre, ça te dit ? » Quand ils eurent arrêté leur choix sur un premier grand gagnant, Isaiah commanda deux pintes au serveur. Pendant l’attente, Bessie débuta du small talk avec lui. Il secoua la tête à sa question. « Pas du tout, à vrai dire, j’n’y comprends rien du tout, aux règles, aux buts, tout ça. Mais j’suis un grand admirateur de l’ambiance que ça peut mettre à un endroit. Et toi ? » Peut-être pourrait-elle partager ses connaissances, si elle était venue pour la partie. Il n’était peut-être pas fan, mais il n’était jamais contre l’apprentissage. Leurs pintes arrivèrent finalement, et Isaiah trinqua avant de tremper ses lèvres dans la bière blonde aux effluves de gingembre.

 

Rien de mieux que la folie, elle n’aurait pu dire mieux ! Enfin, il était question ici bien sûr de cette douce folie qui pousse les gens à expérimenter de nouvelles choses, à repousser les limites, briser les barrières, traverser les frontières. Cette douce folie qui ravivait la flamme de n’importe quelle personne ayant oublié ce que c’était que de vivre à cent milles à l’heure, tout en prenant le temps d’en apprécier les heures. Isaiah était comme ça, toujours calme, toujours zen, mais ne perdant jamais son temps sur des futilités. Cette Bessie était loin de représenter à ses yeux une rencontre perdue, une soirée gâchée, non tout le contraire d’ailleurs. Bessie semblait être le genre de femme à devenir le highlight d’une vie. Ils choisirent ensemble – ou plutôt Isaiah proposa sans hésiter – une bière au gingembre. « Moi aussi ! C’qui est surprenant, considérant que … que ça m’arrive souvent de boire. » Admit-il avec un rire amusé. Il adorait les microbrasseries, surtout, Isaiah. Il encourageait les brasseurs locaux, il découvrait les saveurs des régions australiennes. Ça lui semblait bien plus profitable que d’encourager les grosses entreprises déjà pleines aux as qui exportaient partout dans le monde. Bref, l’ébéniste commanda les deux pintes et se tourna vers Bessie pour en apprendre davantage sur elle et, dans ce cas-ci, sur ses intérêts et ses connaissances du sport. « Oh oui, forcément, en dehors des murs du boulot, il faut lâcher prise ! Qu’est-ce que tu fais comme travail ? » Demanda-t-il, suite logique de la discussion. Le serveur posa devant eux les pintes, et Isaiah lui tendit un billet de 20$, laissant un peu de pourboire avec la monnaie de rechange. « À la tienne ! Et à cette douce folie qui nous habite ! » Il esquissa un sourire avant de tremper ses lèvres dans le liquide amer et légèrement piquant en raison du gingembre. Il hocha la tête en signe de satisfaction tout en redéposant le verre. « C’est original, comme goût. J’aime bien ! » En même temps, si c’était original, forcément Isaiah était conquis.

En plus de dégager une attitude positive, de toujours se montrer léger dans ses commentaires, Isaiah avait également le sens de la répartie. Entretenir une discussion avec lui n’entraînait que rarement des silences ; il en avait toujours à dire ! « Je n’ai jamais vraiment aimé la discrimination … pas même au niveau des alcools ! » Lâcha-t-il en souriant doucement. « Plus sérieusement, j’aime à peu près tout, après c’est vrai que certains alcools passent moins bien que d’autres, mais je ne refuse jamais de découvrir de nouvelles saveurs. Mais j’dois avouer que les bières de microbrasserie, c’est mon péché mignon. » Et il y avait pire, quand même, comme péché. Surtout si Isaiah buvait avec modération, et normalement il savait effectivement se tenir. Après tout, s’il devait se saouler la gueule à chaque fois qu’il sortait, il mourrait bien trop jeune. Alors il ne faisait que déguster ses consommations en compagnie de ses amis – ou de parfaits étrangers, comme en ce moment – sans se prendre la tête. « Et toi alors ? Vin ? Bières ? Cocktails ? » Ou un verre d’alcool pur, qui sait. Elle avait la tête d’une femme capable d’en prendre. Avec surprise, Isaiah apprit que Bessie était avocate. Elle n’en avait pas l’air, du moins pas l’image qu’Isaiah pouvait parfois avoir des cravates comme il pouvait les appeler. Tous ces jobs trop sérieux, axés sur la performance, la réussite, l’argent. « Oh, wow. Impressionnant ! Encore étudiante mais déjà des dossiers à ton actif ? Les gros cabinets vont se battre pour t’avoir. » Et c’est probablement ce qu’elle voulait, si elle était un requin comme la plupart des autres du domaine. À côté de ça, Isaiah n’avait l’air de rien, mais il n’y songea même pas. Pour lui, son métier valait autant qu’un autre, et c’était le cas, après tout. « Je suis ébéniste. Je n’ai pas d’entreprise, je le fais vraiment seul. Je suis plutôt un artisan qu’autre chose. » Et ça lui allait très bien comme ça. Les deux adultes eurent enfin leurs pintes entre les mains, et ils trinquèrent rapidement avant de se tremper les lèvres dans le liquide doré. « Merci, merci ! » Isaiah se laissa lancer des fleurs concernant son choix de bière, avant de reprendre son sérieux. « Nop’, je viens de Nouvelle-Zélande, juste à côté. Mais j’ai quand même dû faire le tour du globe avant de comprendre que ma place était ici. Et toi ? » Il semblait déceler un accent, mais ne voulait pas s’aventurer sur la provenance de ce dernier.