Let's play a game. ft Woody

Avec Sara, Nevaeh et Théia qui avaient quitté Bowen, qui étaient parties chacune vers un futur dans lequel il ne semblait plus avoir sa place, du moins pas celle qu’il se serait imaginée, Woody avait un peu comme perdu le Nord. À première vue, personne ne s’en doutait, il agissait comme il avait toujours agi : il sortait, draguait, oubliait. C’était l’éternel manège dans lequel se complaisait Woody. Pourtant, il le faisait d’une manière si lasse, depuis quelques semaines. Sa famille volait en éclats de par le départ de sa sœur Nevaeh, ses histoires d’amour, celles qu’il appréciait à distance sans jamais se risquer à plonger tête première, disparaissaient dans le brouillard. Il perdait peu à peu les personnes les plus importantes à ses yeux et ne savait plus quoi faire pour ne pas lui-même partir à la dérive. Alors il s’accrochait à ce qu’il connaissait le plus, à ce qu’il savait le mieux faire : tomber dans la déchéance. Au moins comme ça, il ne risquait plus de se faire mal, Woody, pas comme il l’avait récemment fait avec Théia en baissant sa garde, ce mur qu’il avait érigé pour se protéger après être tombé amoureux de Sara. Il avait été prêt à en enlever quelques briques pour voir de quoi ça avait l’air, de l’autre côté, et puis finalement ça n’avait servi qu’à l’atteindre en plein cœur et à le laisser sans défense, encore une fois. Ça, Woody n’en avait rien laissé paraître à qui que ce soit, mais au fond de lui il savait. Il savait à quel point il était faible, à quel point il ne pourrait plus continuer bien longtemps de jouer à ce jeu devenu bien trop dangereux. « Une Tooheys, s’il-te-plaît. » Avait-il commandé au bar, attendant quelques secondes que sa bière arrive avant de trouver de la compagnie pour la soirée. Ça n’avait jamais été très long, pour Woody. Il avait ce magnétisme, ce côté charmeur qui ne le laissait jamais seul bien longtemps. Et lui abusait de ce contrôle qu’il pouvait avoir, il profitait, un peu trop bien souvent. Dix minutes plus tard, il était d’ailleurs bien plongé dans une conversation avec une jeune femme, quand une autre vint se planter directement entre eux deux. Ça aurait pu le déranger, Woody, si ça avait été quelqu’un d’autre. Sauf que là, il releva le regard vers Astra et, tout d’un coup, la game prenait une toute autre tournure. « Astra Kyan. Alors comme ça, les rumeurs sont vraies. T’es de retour au bercail. » Lâcha-t-il, sans porter une seconde de plus d’attention à son autre interlocutrice, qui les dévisageait en ne sachant visiblement pas si elle devait rester ou partir. Astra lui donna bien rapidement la réponse. Woody regarda la jeune femme se lever, vexée. « C’était un plaisir de t’rencontrer. À une prochaine fois, peut-être. » Il s’en foutait, Woody, il ne la connaissait pas, cette femme. Elle n’aurait été qu’un numéro de plus, un autre string oublié qui finirait aux poubelles. Avec Astra, la situation était toute autre, et la soirée s’enlignait pour être beaucoup plus intéressante que prévue. « Ça va, t’as pas ramené ta horde de paparazzis avec toi ce soir ? » Bien sûr qu’il en avait entendu parler, Woody. Il avait suivi la carrière d’Astra d’assez près, après tout elle était la sœur d’un de ses anciens amis, mais aussi bien plus que ça, bien plus qu’il ne s’était autorisé à l’admettre auparavant.

Woody et les filles, ça avait toujours été un désastre aussi, mais pas tout à fait de la même manière qu’Astra avec la gente masculine … Lui ne rougissait pas, lui n’avait pas peur, non Woody avait toujours foncé tête baissée dans tout ce qui se présentait à lui, et le monde de la séduction n’avait pas fait exception. Rapidement il était devenu bien connu dans la ville en raison de son titre de champion mondial de vélo de montagne, et la popularité venait évidemment avec. Il avait le corps, le succès, l’argent, l’expérience. Il savait aussi jouer avec les mots, et avec son physique avantageux. C’est pourquoi il avait rapidement pris un malin plaisir à draguer les femmes de son entourage, de son âge ou pas de son âge d’ailleurs, après tout Astra n’avait que douze ou treize ans quand le jeune homme avait commencé à jouer un peu, à lui adresser des sourires pour la désarmer, à lui faire des commentaires pour lui faire comprendre qu’il savait qu’elle l’aimait et que peut-être, un jour, lorsqu’elle serait un peu plus vieille … Qui sait, ce jour était peut-être arrivé. Maintenant qu’ils étaient tous les deux majeurs, maintenant que la différence d’âge assez notable n’avait plus autant d’importance qu’avant, et maintenant que Woody n’était plus aussi proche du frère d’Astra. Toutes ces raisons laissaient croire qu’ils n’avaient plus à mettre de barrière entre eux, sauf que Woody savait bien une chose : la popularité d’Astra ne laisserait pas leur relation ambiguë intouchée. C’était elle, maintenant, des deux, qui avait le long morceau du bâton. Elle était connue à travers le monde, ce dernier était sans doute même à ses pieds, et forcément ça ne pouvait pas l’avoir laissée intacte. Même sans se fier aux nombreuses rumeurs qui couraient au sujet de la chanteuse, le trentenaire le devinait rien qu’à son ton de voix. Plus assuré, plus suave qu’avant. « Oh ? Justin Bieber est plutôt fort en œstrogène, comme ça ? Je me disais bien. » Il secoua doucement la tête, comme désolé pour ces stars masculines qui ne savaient pas combler la belle Astra. Il porta sa bouteille à ses lèvres et but une gorgée alors qu’elle-même sirotait son martini. Un vrai cocktail de vedette. La jeune femme avec qui Woody était en train de converser s’en alla finalement, comprenant bien le message que les deux semblaient lui envoyer, et la chanteuse prit sa place sur le tabouret du bar. « Ce n’est pas bien grave. J’ai tout d’un coup bien mieux à faire. » Il esquissa un sourire. Elle ne ressemblait en rien à la Astra qu’il connaissait, non. Cette jeune femme si douce, rêveuse, généreuse, attentionnée. Maintenant, le monde tournait autour d’elle, et Woody ne tarderait pas à en faire de même. Ça ne pouvait que mal finir. « Tu vas m’faire de l’ombre, c’est pas sympa. » Il sourit. En réalité, Woody n’était plus connu pour ses prouesses sportives, maintenant, mais bien pour le nombre de cœurs qu’il brisait, le nombre de jambes qu’il ouvrait. Sans doute qu’Astra et Woody feraient parler d’eux, ensemble. « J’ai ouvert ma propre clinique de physiothérapie peu de temps après ton départ. Après avoir remisé mon vélo de montagne, fallait bien que je me trouve un nouveau défi. » Pas aussi grand que celui d’Astra, ça, c’était certain. « Et toi alors, qu’est-ce qui te ramène dans ce trou perdu ? » Elle aurait pu aller n’importe où dans le monde, mais elle avait décidé de revenir dans son petit patelin pour la première fois depuis tellement de temps. Que leur valait cet honneur ?

Il se serait mené à sa propre perte, Woody, s’il s’était retrouvé dans un endroit comme Hollywood, où la popularité était la seule chose qui importait, qui faisait régner les uns sur les autres. Il serait trop facilement tombé dans l’excès, sous toutes ses facettes possibles. Un peu comme Astra l’avait fait, sans doute. Quel duo ils auraient fait, ça, c’était certain. Mais à vouloir aller trop vite, à vouloir vivre à un rythme aussi effréné, il se serait retiré sa vie bien plus rapidement. En raison de sa maladie, Woody devait avoir un mode de vie plutôt équilibré, se garder en santé autant par son alimentation que par son exercice physique. Il doutait fortement que de le fait d’enchaîner les soirées et les repas rapidement préparés par manque de temps soient dans la définition d’un mode de vie sain. Alors il était préférable qu’il soit resté dans son petit patelin, plus ou moins tranquille, et être le roi des riens. Pendant qu’elle était la reine du monde. La belle Astra. « T’en fais pas, t’as justement trouvé la bonne personne pour compenser du temps perdu là-bas. » À chercher des hommes qui en vaudraient la peine, à chercher des hommes qui seraient à la hauteur de la femme qu’elle était. Woody ne prétendait pas être mieux que tout le monde, mais il avait comme l’impression qu’Astra et lui se ressemblaient désormais bien plus. Maintenant que l’écart d’âge n’importait plus vraiment, maintenant qu’elle avait découvert cet autre côté de la vie qu’elle était trop sage pour entrevoir auparavant. Ils s’étaient bien retrouvés, et Woody ne cachait même pas son enthousiasme de la découvrir sous ce tout nouveau jour. La jeune femme avec qui il discutait quelques minutes plus tôt était déjà bien loin dans sa mémoire. Astra le regarda alors de la tête aux pieds, mordillant sur le court cure-dent sur lequel s’était trouvé une olive, un peu plus tôt. Woody, lui, plongea son regard dans le sien, des yeux presque malicieux, un sourire en coin qui laissait entrevoir toutes les mauvaises intentions qu’il ne s’efforçait même plus de dissimuler. Après tout, ils jouaient au même jeu maintenant. Ils n’avaient pas à faire semblant ; ils savaient exactement ce que l’un et l’autre attendait. Il arqua un sourcil quand elle affirma déjà lui faire de l’ombre. « Tu viens à peine de revenir, t’as même pas idée encore des ravages que j’ai fait depuis qu’t’es partie. T’as du rattrapage à faire, Kyan. » Elle lui faisait peut-être de l’ombre autre part qu’à Bowen mais ici, Woody avait effectivement laissé sa trace, une marque indélébile dont plusieurs auraient voulu se débarrasser, sans aucun doute. Il lui parla finalement de ce qu’il était devenu depuis qu’il n’était plus champion mondial de vélo de montagne. Il s’était réinventé, à sa manière. « Ça tombe bien, parce que j’ai aussi fait mon cours de massothérapie. Par contre, faudrait pas que tu me tiennes responsable si jamais les choses … dérapaient un peu … » Si ses mains dérapaient, plutôt. À découvrir ce corps qu’il avait souvent déshabillé dans ses pensées, fantasme inavoué de se faire la sœur d’un de ses meilleurs amis. Aujourd’hui, le fantasme ne serait plus exactement le même, la situation était changée, mais le plaisir serait pareil, lui. « Je crois que je suis assez familier avec ce sport, moi aussi. Faudrait voir qui de nous deux le maîtrise le mieux. » Tellement de sous-entendus, ce n’en était plus du tout empreint de subtilité. Woody délaissa un moment de plus ce jeu, demandant à Astra ce qui pouvait bien la ramener ici. La réponse l’intéressait réellement. « Oh, je vois. Et tu comptes rester pour combien de temps ? » Question de savoir à quel point il devait profiter d’un moment éphémère.