we all live broken lives (jude)

Quatre mois, son ventre maintenant se dessinait mieux. Elle devait se faire à l'idée qu'elle ne le perdrait pas cet enfant, qu'il restait grandir sans rien demander à personne, qu'elle ne pourrait plus se cacher bien longtemps. Pendant ces derniers-mois, elle avait évité ses proches, sa famille, sa sœur avec qui la tension se faisait ressentir depuis bien trop longtemps à cause de son éloignement, son désir d'évasion. Finalement, elle avait des raisons d'être déçue d'avoir une sœur pareille, pas capable de se tenir ou simplement incapable de se défaire de ses chaînes, elle se disait vouloir arrêter son association aux croyances, mais Dieu était la première chose à qui elle pensait le matin, sa culpabilité, ses regrets. Peut-être que ce n'était pas si mal la vie qu'elle avait avant, ce déni dans lequel elle vivait. Dans cette vie, rien n'allait comme elle voulait, au contraire, elle avait simplement l'impression de s'être jeté dans le vide et que depuis plus d'un an, elle tombait sans réellement se cracher, ne faisant que s'heurter aux parois de temps à autre. Grace se rendait chez Jude, sans savoir réellement quoi lui dire, sans doute s'excuser de son manque de nouvelle, tenter de lui dire tout ce qui se passait pour elle depuis des mois, mais elle ne ferait que lui rire en pleine face, lui disant qu'elle le méritait. Sans doute. Elle n'espérait pas que sa sœur soit arrivée à ce stade, mais c'était ce qu'elle se répétait dans le magnétophone qui tournait en boucle dans son crâne. Pendant tout l'allée, son cœur s'emballait, elle hésitait plusieurs fois à faire demi-tour mais devait simplement assumer ce qu'elle ne pouvait cacher plus longtemps. À la porte de sa maison, elle toquait plusieurs fois au rythme de son cœur qui battait jusque dans son crâne et lorsque sa sœur apparaissait derrière la porte, elle s'empressait de prendre la parole. « Bonjour Jude, tu vas bien ? »

La culpabilité la prenait à la gorge lorsque ses phalanges s’écrasaient sur la porte. Tant de fois, elle aurait pu venir voir sa sœur sans raison, sans se sentir forcée. Elle ne venait uniquement pour ne pas qu’elle se sente à l’écart de cette histoire, mais elle devait simplement se sentir à l’écart de sa vie depuis qu’elle avait signée pour son nouveau départ. Grace avait abandonnée Jude sur le trottoir de la route de sa vie, ce virage qu’elle regrettait avoir pris. Il était trop tard, elle ne pouvait pas le blâmer sur les autres, elle ne pouvait s’en vouloir qu’à elle-même d’avoir tournée le dos à sa famille et ses valeurs, d’avoir fait n’importe quoi pour au final ne presque pas bouger. Grace n’avait pas avancée beaucoup, elle n’avait pas reculée non plus, elle s’était bloquée dans une impasse et ne savait pas comment escalader les murs de ses limites. À voir son visage, elle restait muette quelques secondes avant de faire les formalités. Elle ne pouvait plus reculer, l’ancienne sainte devait faire face à sa sœur, lui avouer ce qui n’allait pas. Du moins pour elle. Sans doute qu’elle n’en aurait rien à faire, ce n’était pas son enfant, elle allait probablement lui dire qu’elle l’avait méritée et Grace le comprendrait. En réalité, elle ne savait pas à quelle réaction s’attendre, ni même savoir quand c’était le bon moment de lui dire. « Je vais bien. » Pas réellement, son esprit s’était enfui, évader par le doute et elle avait juste l’impression d’être un corps sans âme dévalant les escaliers de l’humeur pour tomber au bout. Elle fit ses pas dans l’appartement de Jude et refusait d’un mouvement de tête sa proposition. « Non merci, je ne veux pas te déranger trop longtemps. » Elle n’aurait sans doute pas le temps de le finir qu’elle se ferait éjectée dehors pour être une femme impure. À sa question, la blonde fronçait des sourcils avant de baisser les yeux. « Je ne te déteste pas et je ne te détesterais jamais. Tu es ma sœur, t’es une des personnes les plus importantes pour moi. » Il y avait elle et ses parents, ils étaient les seuls à être sûr qu’ils ne pourraient rien avoir envers Grace. « Je suis venue parce que ... » Elle prenait son inspiration, son cœur étant sur le point d’exploser. « Je voulais m’excuser de m’être éloignée de toi ces derniers mois, ce n’était pas mon but, bien que je sache que mes excuses ne remplaceront rien. » La blonde relevait ses yeux azurs vers ceux de sa sœur avant de se lancer. « J’ai fait une erreur, je voulais que tu sois une des premières au courant pour ne pas que tu m’en veuilles … plus tard. »

Grace le comprendrait que sa sœur lui en veuille, parce qu'elle l'avait éloignée, parce qu'elle n'avait que mettre du flou sur ce qu'elle faisait, elle ne l'avait pas rassurée après que les rumeurs soient parties sur elle. Elle avait essayé avant de voir que ça n'allait pas être facile, qu'elle ne voulait pas se battre — finalement, c'était tout ce qu'elles avaient finies par faire et elles ne s'étaient pas revues énormément après ça. Et si Jude avait peur d'elle ? La blonde lui lançait un regard un peu triste, rien qu'à cette pensée. Elle ne voulait pas effrayer sa sœur, elle n'était pas devenue une criminelle entre-temps, comme Léo pouvait le penser. Grace ne voulait pas lui voler, son temps, son passage serait rapide, après qu'elle aie annoncée, qu'elle assume enfin son erreur, elle partirait. Sans doute pas par choix, elle ne pouvait pas prévoir sa réaction et ça l'effrayait, si elle représentait l'ange de la famille à présent, ça ne l'empêchait pas de la jeter dehors. Avant de se lancer, pour ralentir le moment où les mots devraient lui sortir de la bouche, les larmes aux yeux, elle se pardonnait pour ces derniers mois, d'avoir été la pire des sœurs. Elle comptait bien essayer de se rattraper pour retrouver une certaine complicité, pour ne pas rester en froid, même si elle ne voulait pas s'imposer. « Non, ça ne sert à rien d'avoir peur. » C'est ce qu'elle devrait se dire, parce que la peur ne faisait que l'accompagner depuis qu'elle était au courant. Et si ça se passait mal ? Si elle se retrouvait toute seule pour élever un enfant ? Elle avait gardé des enfants dans le passé, mais c'était différent. « Je suis enceinte. » Son cœur battait la chamade à cause du stress, elle n'osait pas même la regarder dans les yeux alors qu'elle se trouvait face à elle. « J’imagine ce que tu peux penser et je ne veux pas que tu aies une terrible image de moi. » Et pourtant, elle n’avait rien pour se défendre, pas un argument. « J’ai péché, je le sais. Tout ce que je te demande c’est de ne rien dire aux parents pour le moment. » Elle soufflait rapidement, relevant ses yeux embués. « Et ... Excuse-moi de ruiner la réputation des Darwin. » Grace se pinçait les lèvres, une famille croyante comme personne avec une ancienne sainte qui se retrouvait enceinte sans même être mariée. Si une majorité des gens s’en fichaient bien, les croyants, ils s’en préoccupaient plus.

Merveilleux. Une grossesse hors mariage était quelque chose de merveilleux. « Tu trouves ? » Le ton de sa voix était inquiet, incertain. Pourquoi il n'y avait qu'elle qui s'inquiétait ? Elle se sentait tellement différente, même d'une personne qui avait été élevée dans le même environnement qu'elle, avec des parents stricts sur la religion. Le problème devait être elle et sa perception des choses, elle devrait se réjouir de porter la vie et pourtant, elle n'avait plus l'impression de pouvoir supporter la sienne depuis la nouvelle. Ça la déstabilisait presque de voir cette réaction, elle se faisait un tas de film, peut-être qu'elle était heureuse parce que les parents auront quelque chose à lui redire, que cette fois elle ne pourrait pas se cacher. Mais ça l'étonnerait de Jude, elle le voyait qu'elle avait réellement l'air heureuse. Pour en être certaine, la blonde demanda à ce qu'elle soit la seule à le dire aux parents, quand elle aurait trouvé le courage de les affronter. Quand elle serait capable d'assumer un peu plus ce qu'elle cachait, même si ça allait être difficile. « Je ne sais pas. » Grace n'avait jamais pu faire abstraction des regards, elle avait l'impression que le monde entier avait un œil sur elle depuis qu'elle était partie de la religion, qu'elle s'était éloignée de tout ce qu'elle connaissait. C'était qu'une impression, mais elle était constante et pesante. « Ils vont dire quoi les autres quand ils vont voir notre père ? ‘Celui-ci n'a pas su éduquer sa fille' ? Je ne voulais pas lui imposer ça. » Elle ne voulait imposer rien du tout parce qu'il n'avait jamais été question d'avoir un enfant avec Léo pour le moment et vu comment les choses s'étaient tournées, il aurait mieux fait de ne jamais avoir d'enfant entre eux. « Non, Léo n’a rien à voir. J’me sens sale d’avoir péché et maintenant j’ai toujours l’impression d’avoir quelqu’un qui me pointe du doigt en me le rappelant. » Elle parlait bien entendu de l’enfant. À chaque fois qu’elle se regardait dans le miroir, elle fuyait, elle n’était pas capable d’aller parler aux autres parce qu’elle avait peur d’être jugée et un tas de débilités suivaient. « Enfin … peut-être aussi parce que je ne l’ai su qu’après avoir quitté Léo et que quand j'lui ai annoncé la grossesse ... je me suis encore enfuie. » Elle se rendait compte de la stupidité de son geste, le fait qu'elle s'en aille à chaque fois que quelque chose n'allait pas, sauf qu'elle ne voyait pas comment aller en arrière.