(woory) you're not the type for me.

Noël était peut-être maintenant derrière, mais Woody était toujours un peu dans ses airs de vacances, parce que les rendez-vous à la clinique ne s’accumulaient jamais énormément durant le temps des Fêtes. Ainsi, même si c’était un jeudi soir, qu’il avait reçu une invitation un peu sortie de nulle part provenant de sa bande d’amis du pub, Woody n’avait pas hésité une seule seconde à délaisser le confort de sa maison et le bordel post-Noël – c’était lui qui avait eu le grand honneur de recevoir la petite famille Rutkowski cette année – pour rejoindre les quatre autres joyeux lurons. Cela faisait quelques heures déjà qu’ils étaient là à rire, parler trop fort, enchaîner les pintes de bière rousse, quand une femme vêtue comme lors d’une journée honteuse pointa le bout de son nez à leur table. Machinalement, les cinq hommes levèrent les yeux vers elle. Quant à elle, elle ne regardait qu’un seul d’entre eux, le réprimandant de l’avoir réveillée pour venir le chercher. Woody tenta tant bien que mal de réprimer son rire, mais avec l’alcool et son manque de tact habituel, il éclata de rire en regardant son pote qui semblait avoir la queue entre les jambes, tout d’un coup. La jeune femme s’en alla vers le bar, où elle l’attendrait, et tout d’un coup tout le reste de la table commença à rire. « Who was that … ? » Demanda-t-il, surpris de cette attitude mais aussi fortement impressionné. Habituellement, face à cette bande de cinq mecs plutôt baraqués, les femmes avaient tendance à se décomposer. Pas elle. Voyant sans doute le défi déjà présent dans le regard de Woody alors qu’il la détaillait du regard, elle, de dos à eux, ses amis lui parièrent qu’il n’était pas capable de la charmer, celle-là. « Même après tout ce temps, les gars, vous me connaissez aussi mal ? » Il eut un léger rire, avant de terminer sa bière et de la poser sur la table. Il se leva, comme animé par une nouvelle force malgré les litres d’alcool ayant remplacé son sang. Il se dirigea vers la demoiselle en prenant place à côté d’elle. Il commanda un verre d’eau à son tour. « Il a d’la chance d’avoir une sœur prête à aller le chercher passé trois heures. C’est pas la mienne qui ferait ça. » Dit-il d’entrée de jeu.

Se faire fusiller du regard par une femme, Woody y était habitué, ce n’était pas ça qui allait l’impressionner. Il garda donc son sourire amusé sur son visage en la regardant s’éloigner. Au fond, elle avait sans doute raison de se montrer aussi impatiente. Quel abruti, cet ami, de ne pas avoir pensé à demander à l’un d’entre eux comment ils allaient rentrer chez eux, et peut-être éviter de réveiller sa sœur, petite amie, peu importe. Woody osait espérer que c’était le premier et non le dernier, surtout quand on lui lança le défi de la séduire. Challenge qu’il accepta, évidemment. Il avait donc rejoint la brunette jusqu’au bar en tentant une approche un peu plus chaleureuse et moins lourde qu’à l’habitude. C’est qu’elle n’avait pas l’air très patiente, ce soir. « Oh ! Encore plus aimable de ta part, dans ce cas. » Pas tous les amis ne se lèveraient à cette heure-là pour aller en chercher d’autres à la fermeture des bars. Enfin, certains le faisaient avec un plus grand sourire, cela dit. La jeune femme prit Woody par surprise en lui imposant un deux minutes pour capter son intérêt. Chrono sur la montre à l’appui. Il haussa les sourcils, avec un rire amusé et surpris s’échappant d’entre ses lèvres. « Euh … Je m’appelle Woody, je suis physiothérapeute, et … » Il s’arrêta, secouant la tête en roulant les yeux, tout en faisant tourner son verre d’eau dans sa main. « J’vais pas me vendre, quand même, c’est pas un résumé de mon curriculum vitae qui te montrera la personne que je suis réellement. » Il marqua une courte pause, plongeant son regard dans le sien, et reprit. « La personne qui te fera vivre des aventures intenses, la personne qui te fera vivre à cent milles à l’heure même si tu préférerais arrêter le temps, comme tu devrais le faire présentement avec ce chrono qui pourrait te faire passer à côté de quelque chose de vraiment incroyable. Et j’parle pas de moi, mais bien de nous. » Il esquissa un sourire, sans jamais détacher son regard du sien.

Si Woody n’appréciait pas forcément les surprises, il aimait quand même les défis, et la demoiselle s’avérait en être un de taille. Sans doute ses potes étaient-ils d’ailleurs au courant et voulaient le voir se faire jeter comme jamais il ne l’avait été. Il comprenait la source du pari maintenant. À la question de la brunette, Woody haussa les épaules, détournant le regard un moment avec un sourire aux lèvres, avant de retourner son attention vers la jeune femme et de déclarer, tout simplement : « J’aime les femmes qui ont du caractère. » Et ce n’était pas faux, au contraire même, il était pour une fois honnête avec lui-même et avec elle. Si Woody prenait parfois des proies faciles quand venait le temps de ne pas dormir seul dans ses draps, il se lassait rapidement de celles-ci quand venait le temps de développer quoi que ce soit de plus sérieux sur le long terme. Évidemment, il ne parlait pas là de relations amoureuses, on savait bien que ça il en était incapable. Il est plutôt question de ses relations amicales. Il ne supporterait jamais d’avoir des amies qui n’ont aucune substance. La jeune femme s’autoproclama reine des connasses, et le nomma roi des connards. Tout ça parce qu’elle avait eu vent de sa réputation, visiblement. Tiens, tiens ; une autre. Plus les années passaient, plus ça devenait une habitude. « Si t’es la reine des connasses, c’est parce que tu fais pareil ? Qui se ressemble s’assemble, non ? » À quoi ça servait de nier, de toute façon. Elle croyait tout connaître de lui alors autant lui laisser cette satisfaction, même si elle se faisait sans doute un portrait bien loin de la réalité. Comme pas mal tout le monde. Elle se rapprocha tout légèrement lui, s’accoudant au comptoir. Il ignora d’abord sa demande de lui montrer comme il s’y prenait pour les ramener chez elle. Elle n’était pas la première à lui faire une telle demande et il trouvait cela plutôt chiant. Woody ne cherchait pas à se faire noter sur dix ses techniques. « Ballerine ? J’ai une patiente qui l’est aussi. Enfin, elle l’était, en Russie, avant son accident. C’est une discipline magnifique et j’ai beaucoup de respect pour tout le travail derrière. » Déclara-t-il d’un ton de voix bien plus normal, éloigné de la drague. De toute façon, ça ne fonctionnerait pas avec elle.

Un rictus s’installa sur les lèvres de Woody alors que la jeune femme affirmait qu’il serait servi. Finalement, il aurait dû s’en douter que ce défi allait s’échelonner sur une certaine période de temps et non pas se remporter en une soirée. Il était tard, de un, mais surtout elle était arrivée ici en furie, de deux. Il était bien clair que Woody ne la ramènerait pas ce soir chez lui, ou qu’il ne se rendrait pas chez elle. Heureusement, ses potes n’avaient pas spécifié de délai quelconque alors il pouvait bien argumenter qu’il avait encore quelques jours devant lui. Quand elle l’appela le roi des connards en se réservant à elle-même un titre tout aussi péjoratif, Woody tenta l’adage du qui se ressemble s’assemble, argument qui fit mouche. C’est qu’elle s’efforçait vraiment de le contredire sur tout, elle. Et bien surprise, Woody ne laissait pas non plus sa place. Il faillit lâcher un du coup, t’es frigide ? mais il se ravisa, jugeant que c’était la meilleure méthode de se prendre un coup de poing dans la gueule. Quand même, sa réplique était surprenante. « Alors comment vis-tu tes relations ? À un bras de distance en tout temps et en passant ton temps à philosopher ? » Il y avait de quoi être sexuellement frustrée, oui, et visiblement ça déteignait sur son comportement hors de la chambre à coucher. S’ils se trouvaient sur une pente glissante, là, avec Woody et toutes ses pensées un peu insultantes qu’il se gardait au moins pour lui, la discussion sembla permettre une ouverture un peu plus positive quand elle mentionna être ballerine. « Ça ne semble pas facile pour elle, non. Mais elle est très résiliente, et j’essaie aussi le plus possible de lui permettre de continuer à danser, même si ça ne sera sans doute jamais comme avant. » Il haussa les épaules, il n’était pas Dieu, il ne pouvait pas faire de miracle, et à voir comment Annushka ne s’était pas raté la jambe, il était peu probable qu’elle puisse reprendre les traces de la danseuse étoile qu’elle aurait dû devenir. Rory se pencha vers Woody, l’examinant sans gêne avant de se redresser pour briser le silence qui s’était installé alors que Woody aussi la dévisageait. « Ce sont celles qui disent qu’elles ne risquent pas d’être inoubliables qui marquent le plus longtemps les souvenirs. » Fit remarquer Woody, avant de se redresser lui aussi. « Je te promets que tu n’es pas qu’un morceau de viande. Et j’aimerais beaucoup une démo. » Alors, allait-elle se tromper, ou non ?

Si Woody repoussait le plus possible toutes celles qui risquaient de se frayer un chemin jusque-là où le jeune homme s’était interdit de ressentir quoi que ce soit, c’est-à-dire dans son cœur, il ne refusait toutefois jamais les autres plaisirs qui étaient si souvent jumelés à l’amour. Pas pour lui, sauf avec Sara, qu’il avait d’ailleurs brisée, presque chassée de Bowen de par ses conneries, de par les mille et une déceptions qu’il lui avait infligées. Woody était incapable d’aimer, de son cœur dysfonctionnel, comme tout le reste de son corps. Au fond, le cœur n’est qu’un organe, le cœur fait partie du corps, et le corps de Woody se désarticulait à la vitesse de la lumière. Nul doute que son cœur avait été le premier à se disloquer. « Si tu n’es pas vierge, c’est que tu as déjà eu une relation … » Fit remarquer Woody, face à cette contradiction qui laissait également entrevoir un certain espoir. À moins qu’elle ne soit l’une de ces femmes pour qui une relation venait obligatoirement avec les feux d’artifices ? Woody lui en donnerait, des feux d’artifice, juste pas au même endroit qu’elle les attendait. Alors qu’ils parlèrent d’Annushka, sans pourtant la mentionner puisque c’était confidentiel, Rory supposa qu’il savait donc danser, ce qui arracha un rire au physiothérapeute. « Pas du tout. Enfin, pas ce type de danse-là … » La danse des corps, les pas de deux, par contre, il en connaissait la démarche par cœur. Rory reprit ses propos pour affirmer qu’elle ne marquerait pas que ses souvenirs. Tout d’un coup, elle reprenait confiance en elle ? C’est qu’elle jouait un rôle, elle aussi, donc. Un peu comme tout le monde, n’est-ce pas ? Elle posa alors ses mains sur ses cuisses, enlevant carrément son masque de celle qui ne s’intéresse à rien ni personne, et posa ses lèvres sur la joue de l’homme avant de lui murmurer de belles menaces. « I’d like to see you try. » Murmura Woody à son tour, à son oreille, alors qu’elle posait une main sur son intimité malgré tous ces gens autour. Lui n’en avait rien à faire, et elle non plus apparemment. Rory se recula et parla de cette fête du réveillon du nouvel an, et fit une allusion au pas de danse de Woody. « I can’t wait. » Lâcha-t-il en la regardant de ses yeux aussi plein de malice que les siens.