Nicky & Nathan | Bro' j'peux plus te galoche!

« Maman, je sors. Je vais au bowling avec Nicky. Je ne rentrerai pas tard. Bye » je lâche depuis le rez-de-chaussée avant d’attraper ma veste et de prendre un taxi. J’aurais tout aussi bien pu demander à ma mère de m’y conduire, mais elle a tendance à se montrer un chouilla excessive par moment et je n’ai aucune envie qu’elle se mette à me câliner en public - nous savons l’un comme l’autre que j’ai passé l’âge d’essuyer ces élans d’affections, mais ça ne semble pas l’ennuyer autre mesure, à mon plus grand damne. Quoi qu’il en soit, le chauffeur de taxi n’est pas une flèche et si ça continue comme ça, je vais finir par arriver en retard. Connaissant Nicky et sa patience légendaire, je risque de me faire remonter les bretelles. Mon téléphone sonne. Tiens, qu’est-ce que je disais? « T’es où, tête de pomme, je te vois pas ? » commence-t-elle à pester à l’autre bout du combiné. « J’ai eu un léger contre temps. Je suis en chemin, t’inquiètes pas! A tout de suite » dis-je avant de raccrocher. Bien sûr, je me garde bien de lui spécifier la raison de mon retard. Je doute qu’elle apprécie le fait que j’ai préféré finir une partie en ligne plutôt que d’arriver à l’heure à notre rendez-vous.

Cinq minutes plus tard, je suis devant le bowling. Nicky m’attend, les bras croisés sur sa poitrine - impatiente comme à son habitude. « Salut toi! » je m’exclame tout sourire en lui faisant la bise. Mais j’ai bien failli l’embrasser sur la bouche, l’habitude j’imagine. « Comment ça va? T’es calmée? » j’ajoute avec un sourire en coin. J’adore cette fille, c’est une véritable bouffée d’air frais. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que j’ai accepté de jouer les petits-amis modèles. Si cela avait été pour quelqu’un d’autre, j’aurais probablement refusé, mais on s’entend tellement bien tous les deux que j’ai accepté de lui rendre ce service.

« Dix piges que je t’attends! » Non, mais quelle rabat-joie, je songe en souriant toujours alors que la jolie rouquine recouvre progressivement son calme. « Ça va, gros? Bon j’ai des trucs à te raconter ! » s’exclame-t-elle en m’entraînant à l’intérieur. « J’ai rencontré une nana » reprend-t-elle quelques secondes plus tard, visiblement fière d’elle. Cette nouvelle m’arrache un énorme sourire, mais Miss Burger ne semble pas décidée à me laisser en placer une, puisqu’elle me tire à nouveau par le bras. C’est aussi ça que j’aime avec Nicky: elle est totalement imprévisible. La preuve, j’ai à peine eu le temps de réaliser ce qu’elle vient de me dire qu’on se retrouve déjà devant l’hôtesse de caisse. Nicky demande des chaussures en pointure trente-sept et je fais de même - enfin, mes pieds sont un chouilla plus grands, mais vous avez compris le principe. « Alors, comment elle est? » je demande l’air de rien en lançant ma boule. « STRIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIKE! T’as vu ça?! DU PREMIER COUP » je m’exclame en faisant ma petite danse de la victoire! Oui, oui j’en ai une et d’après ce que ma sœur m’en a dit, j’ai l’air incroyablement stupide et vantard quand je fais ça, mais je m’en moque! On est là pour s’amuser après tout! « Excuse-moi » je reprends en m’asseyant en face d’elle. « Je t’écoute, dis-moi tout! ». C’est toujours un peu étrange de se retrouver à parler d’une fille avec une autre fille et ce tout particulièrement quand la fille en question est supposée être votre petite-amie, mais on finit par s’y faire! Et puis ce n’est pas comme si j’avais des sentiments amoureux pour Nicky, si je fais tout ça c’est surtout pour lui rendre service. A mon plus grand damne, mon cœur est déjà pris.

Si Nicky se confie aussi ouvertement à moi, c’est parce qu’elle a la certitude que je ne la jugerai pas. J’ai souvent joué les confidents depuis qu’on se connaît et d’un naturel discret, je n’ai jamais ressenti le besoin d’aller répéter ses dires à qui que ce soit. A quoi cela m’aurait-il servi? Sinon à lui faire du mal, en plus de mettre notre amitié en péril? Non, très peu pour moi. Je me plais à penser que je suis un homme de paroles et je compte bien continuer dans cette voie. Je l’écoute me décrire la créature de ses rêves et réprime difficilement un petit rire lorsqu’elle se plaint de ne pas être à l’aise avec sa sexualité. Ce n’est pas tant ses propos qui m’ont amusé, mais plutôt la manière dont elle s’est exprimée. Nicky a cette tendance à grimacer lorsqu’elle est agacée et c’est assez drôle à regarder. Enfin bon… l’heure étant aux confidences, je vais me garder de le lui faire remarquer - je doute fort qu’elle apprécie que je me paye sa tête. « Une putain de conne? T’es surtout vulgaire ouais! » je lance sous le ton de la plaisanterie, mais ça ne semble pas l'amuser. « Je vois… » je soupire en roulant des yeux. « Bon sérieusement… Je doute que tu sois plus empotée qu’une autre. Non, le problème c’est que tu as encore besoin d’y réfléchir avant de prendre une décision et franchement, où est le mal? Certaines personnes mettent plus de temps que d’autres à se forger une opinion. Il n’y a pas de quoi en faire en drame. Si tu aimes les garçons, tant mieux. Si c’est les filles, c’est aussi bien. Et si tu t’avères bisexuelle, dis-toi que ça te laisse un panel plus large ». J’essaie de la rassurer, mais la vérité c’est que je ne sais pas comment je réagirai à sa place.

« Tu crois vraiment que je pourrais un jour choisir ? » Un haussement d’épaules pour toute réponse, voilà ce que je lui offre. En même temps, comment répondre à cette question? Je ne suis pas à sa place, comment savoir? « Et si j’y arrive pas, Nath ? » me demande-t-elle avec une certaine appréhension. « Si tu n’y arrives pas, ça signifie que tu es bisexuelle, mais il n’y a aucun mal à ça. Tu sais, même si je suis, quant à moi, sûr et certain de mon orientation sexuelle, il y a de plus en plus de gens dans ton cas et ils ne s'en portent pas plus mal » je réplique en tâchant d’être le plus délicat possible. Je ne voudrais pas qu’elle interprète mal mes propos. « Je sais ce que tu penses. Pour moi, c’est facile de dire ça parce que je n’ai pas besoin de me poser de questions, je ne suis pas tourmenté par tout ça, mais… » je marque une courte pause et sirote rapidement mon jus de fruits, avant de poursuivre « ce qu’il faut que tu comprennes, c’est qu’on s’en fout pas mal du sexe de la personne dont tu tombes amoureuse. L’important c’est que tu sois bien avec cette personne, d’accord? Les autres on s’en moque » je conclus en passant mon bras autour de ses épaules, par pure amitié. C'est vrai ça, y'en a marre des préjugés et des discriminations en tout genre. Sur quoi elle se base cette foutue société pour nous dire ce qu'on doit faire ou avec qui on est supposé être? Qu'ils aillent tous au diable, je songe en lâchant Nicky pour aller chercher une boule de bowling. « Je crois que c'est ton tour. Je sais bien que t'as peur de te faire rétamer, mais ce n'est pas une raison pour refuser de jouer. Retarder l'heure fatidique n'y changera rien... Je vais te battre à plate couture de toute façon! » je fanfaronne en lui tendant l'objet. Après tout, nous n'avons pas payé une entrée pour nous tourner les pouces. Faudrait peut-être penser à jouer!

« Tu as raison, je m’en branle de tout ça ! » rétorque-t-elle plus ou moins convaincue avant de se lever pour jouer. Les choses semblent bien parties puisque sa boule évite la gouttière, renverse plusieurs quilles, mais termine sa course en laissant deux d’entre elles debout, au plus grand damne de Nicky qui ne peut s’empêcher de pousser un juron. Mauvaise joueuse la rouquine? Je souris à cette vision et m’apprête à la regarder retenter sa chance quand elle se retourne et ajoute: « Non mais si je suis venue c’était aussi pour te dire un autre truc. » Je suis accroché à ses lèvres, fin prêt à entendre l’abominable vérité. Un rictus amusé se dessine sur mes lèvres et je l’incite à poursuivre d’un signe de la tête. Quoi qu’elle puisse me dire, je suis persuadé que ça n’est pas si grave qu’il y paraît. « Voilà, mec… Je peux plus faire semblant avec toi. T’es mon pote. J’arrive plus à te galocher, moi ! Ça me fait che-lou ! » Elle termine sa phrase et je baisse la tête. Je sais que l’heure est grave et qu’on s’est engagé dans une conversation relativement sérieuse, mais elle m’a tendu une perche énorme et en bon plaisantin, je ne peux faire autrement que sauter sur l’occasion. « Si j’ai bien compris, tu es en train de rompre avec moi? C’est ça? » je reprends en tentant de garder mon sérieux. Mais je finis par éclater de rire, sous le regard surpris de Nicky qui a frôlé la crise cardiaque si je ne m'abuse. Il faut croire que j’étais plutôt convainquant dans le rôle de l’amoureux transi. « Panique pas, je plaisantai! Au départ, j’ai accepté de jouer la comédie pour te rendre service; parce que je trouvais que t’étais une chic fille et ça me minait de savoir que tu vivais aussi mal la situation, mais… à force de passer du temps ensemble, tout ça est devenu vraiment… bizarre! A dire vrai, je suis plutôt soulagé d’entendre ça! »