solamente te falta un beso (eleanor)

L’ennui avait rapidement pris le dessus sur l’excitation qu’Adán avait pu ressentir en entrant dans le casino. Ne vous méprenez pas, il aimait les jeux d’argent, il aimait l’ambiance luxueuse et dépravante des casinos, mais après une heure dans sa solitude, il avait commencé à se désintéresser. Surtout parce que les seules relations engagées au cours de la soirée en avait été de compétition, d’adversité, et ce n’était pas forcément ce que l’homme recherchait. En même temps, il fallait s’y attendre en venant en pareil endroit, mais il se décida plutôt à aller continuer sa soirée au comptoir du bar. Le casino n’avait pas que des jeux à offrir, l’endroit était un spectacle à lui-même avec son chic restaurant, sa salle de spectacle, son décor digne d’un film de James Bond. Adán s’était d’ailleurs mis sur son trente-et-un pour y venir, question de vivre l’expérience jusqu’au bout. Il replaça son nœud papillon en s’accoudant au comptoir, d’un seul bras, le corps tourné vers la salle. Il commanda un verre de whisky Black Gate Distillery, qu’il paya avec ses billets, comme il le faisait depuis le début. Sans papiers, difficile d’obtenir des cartes de crédit. Adán se la jouait low-profile, et passerait carrément sous le radar lorsque son visa expirerait. Pour le moment, il ne se souciait guère de son statut et vivait pleinement sa nouvelle vie. Ce soir, peut-être que cela se traduirait par une rencontre avec la jeune femme dont il venait de croiser le regard, un sourire se dessinant bien vite sur son visage. Tiens, l’envie de jouer était rapidement revenue.

Cette robe noire qui épousait son corps comme si on l’avait peinturée sur elle, ce décolleté qui laissait juste assez ses pensées s’exciter sans toutefois que son imagination n’ait plus rien à dessiner dans son esprit, ce regard enflammé qu’elle échangea avec lui … Adán avait l’impression d’avoir trouvé sa James Bond Girl avant même qu’ils ne se soient adressé la parole. Parfois, un simple regard pouvait suffire pour confirmer ce genre de sentiment. Et à la voir s’approcher doucement de lui, délaissant sa place initiale pour venir prendre celle à côté du mexicain, il avait comme l’impression que c’était partagé. Son sourire s’élargit encore un peu plus quand elle fut à sa hauteur, lui montrant très bien qu’il était ravi qu’elle ait pris les devants de la sorte. De toute façon, si elle ne le faisait pas, c’était lui qui aurait rapidement écarté toute distance entre eux. « Un whisky australien. Il faut bien que je me fonde un peu dans le décor. » Il esquissa un sourire, se penchant tout légèrement vers elle pour ajouter, dans un doux murmure : « Même si avec vous à mes côtés, mademoiselle, je doute fortement pouvoir passer inaperçu. Je ferai bien des jaloux. » Il rit face à sa propre approche. Il ne sortait habituellement pas de ces phrases préfabriquées, Adán, mais l’ambiance du casino, leurs vêtements trop habillés et la classe générale qui se dégageait de la situation lui donnait comme l’impression d’être figurant dans un film. Alors aussi bien se mettre un peu dans le rôle, même si son sourire amusé et son regard rieur trahissaient son manque de sérieux.

Évidemment, l’accent d’Adán ne trompait personne, même ses nombreuses années passées aux États-Unis n’avaient pas réussi à atténuer son intonation bien hispanique. Et puis, il ne le voulait pas, d’ailleurs. Même s’il était parti volontairement de son pays natal, même s’il avait laissé sa famille derrière, il ne délaissait pas pour autant ce qu’il était. Ça n’est pas parce que les opportunités d’emploi étaient meilleures ailleurs qu’il reniait pour autant son pays. C’est pourquoi il spécifia, avec fierté dans la voix : « Mexique, en fait. » Puis, à propos de son souhait de se fondre dans la masse, Adán ajouta qu’avec une aussi belle femme à ses côtés, il ne risquait pas de passer inaperçu. Après tout, qui ne rêverait pas de faire d’elle sa partenaire d’une soirée ? À ses remerciements en italien, Adán reprit le même questionnement qu’elle. « Italienne ? » Il arqua un léger sourcil, un sourire au coin des lèvres. Deux étrangers de ce monde qui se retrouvent dans une ville qu’on aurait pu croire si inintéressante. Et pourtant, Bowen lui offrait surprise après surprise, depuis son arrivée. Visiblement, Anka avait vu juste en s’installant ici, et tous les mérites qu’elle avait vantés sur l’endroit n’étaient pas mal fondés. « J’ai perdu pas mal tout mon salaire de la semaine aux tables de blackjack et de poker. » Il eut un rire mi-amusé, mi-gêné de cette révélation. James Bond ne se serait sans doute jamais fait plumer de la sorte. « À voir le nombre de jetons qu’il vous reste, j’ai comme l’impression que vous vous débrouillez un peu mieux que moi. » Adán ne s’en sentait pas forcément complexé. Même s’il regretterait sans doute cette soirée quand viendrait le temps de couper dans son budget d’alimentation … Pour le moment, c’était peut-être les effluves de l’alcool ou le regard de l’italienne, mais Adán n’en avait que faire.  

Sicilienne, il y était presque, Adán. Comme elle toutefois, il n’avait su mettre exactement la provenance de son accent sur une carte, même s’il s’en rapprochait dangereusement. Ce n’était pas si facile de distinguer ces quelques détails qui pouvaient différencier l’une ou l’autre des nationalités, d’autant plus qu’Adán n’avait jamais vraiment voyagé, ce qui ne lui permettait pas d’avoir cette oreille. Peu importe. Il esquissa un simple sourire, charmé par l’exotisme de la demoiselle. Le trentenaire admit avec une toute légère pointe de honte qu’il n’avait pas été bien chanceux ce soir, dans ses différentes parties. Elle, de son côté, semblait prête à ramener chez elle un vrai butin. D’ailleurs, elle commença déjà à lui faire profiter en commandant deux nouveaux whiskys. Adán termina rapidement son verre, à son tour. « Personnellement, je trouve que ça a quelque chose de … terriblement sexy. » Une femme qui savait jouer aux cartes, qui savait bluffer, ça le séduisait à tout coup. Alors si en plus elle avait un tel physique, Adán perdait carrément la tête. Le serveur revint avec les boissons qu’elle paya, et il esquissa un sourire en hochant doucement la tête en guise de remerciement quand elle en poussa un vers lui. « Muchas gracias. » Il leva à son tour son verre. « Et à cette soirée qui est encore jeune. » Manière de lui faire comprendre que pour lui, ça ne faisait que commencer, si elle voulait bien qu’ils s’explorent jusqu’au bout de la nuit. Il prit une gorgée de son verre et le redéposa sur le comptoir, tournant un peu plus son corps vers elle, signe d’ouverture. « Vous êtes de passage à Bowen, ou résidente ? » Devait-il vivre ce moment en sachant fort bien que ce serait le seul et l’unique, ou serait-il amené à la revoir ? Dans tous les cas, Adán profiterait de chaque seconde de cette soirée.