bailamos (karel)

Karel éclata de rire alors qu'Adán disait qu'il ne devrait peut-être pas lui faire confiance. Certes, si c'était pour se retrouver avec un rein en moins, peut-être pas. Mais pour tout dire, ce n'était pas une situation qu'il envisageait. Karel était méfiant de nature et même s'il disait à son partenaire qu'il lui faisait confiance en terme de danse, il n'arriverait pas à l'endormir et à lui retirer un rein. Enfin, il y avait assez peu de chance que ça arrive. 


-Ça ne m'inquiète pas trop.

Le blond eut un sourire, mais peut-être pas de ceux qui faisaient plaisir à voir, il y avait peut-être un soupçon de suffisance à l'intérieur. 

Ils se dirigèrent tous deux vers la sortie, non sans passer par les vestiaires pour récupérer leurs affaires. A sa question, Karel eut cette fois un sourire légèrement amusé.


-J'ai une moto, ça marche aussi ? 


 Karel se déplaçait toujours en moto, parce que c'était bien plus pratique, et plus furtif aussi.

Même si de base, Adán aurait de toute façon admis bien assez vite que Karel avait davantage le profil à être celui qui le mettrait à terre le premier, son affirmation lui laissa un léger doute. Et si c’était plutôt le mexicain qui aurait dû se méfier de parcourir le bout de la nuit aux côtés de cet étranger qui avait cette lueur dans le regard ? Une lueur qui ne laissait peut-être pas présager que du bon, lorsqu’on prenait le temps de s’y attarder, lorsqu’on laissait de côté son indéniable charme qui laissait peu de place au reste. Sauf qu’Adán était le plus insouciant des hommes et s’il avait une idée derrière la tête, une envie indémontable d’aller au bout de celle-ci, alors peu de choses pouvaient l’arrêter. Les deux hommes arrivèrent au stationnement, où Adán demanda sans gêne si Karel avait un moyen de transport, sous-entendant évidemment qu’ils s’en serviraient pour se rendre à destination. « Si ça ne te dérange pas de m’avoir dans le derrière. » Lança-t-il en se rendant évidemment compte du double-sens, sans pour autant accompagner ses paroles d’une quelconque mimique pour en marquer l’évidence. « Ce n’est pas bien loin d’ici, dix minutes tout au plus. » Lança le jeune homme en suivant le néerlandais jusqu’à sa moto. « T’as un deuxième casque, ou bien je dois risquer d’y laisser ma peau ? » Pas qu’il n’avait pas confiance en les capacités de Karel, mais après tout, ils ne se connaissaient pas. Mais, comme dit, rien ne l’arrêterait dans son désir de les voir tous les deux s’abandonner. Au rythme. À la musique. À la nuit et à la vie.  

Un sourire amusé apparu sur les lèvres de Karel aux mots d'Adán.

-Je commence à avoir l'habitude.

Cette fois, c'était lui qui faisait un sous-entendu. Mais en réalité, il parlait bien du fait qu'il commençait à avoir l'habitude d'avoir quelqu'un derrière lui. Même si la fois où il avait ramené Jim, ce n'était pas vraiment glorieux. Enfin, il n'aimait pas que des innocents soient impliqués dans ses opérations. Et rater son coup l'avait particulièrement mis en colère aussi, même s'il avait corrigé le tir plus tard, c'était le cas de le dire.

-Très bien, hâte de voir ce que tu me prépares.

Enfin, où il voulait l'emmener plutôt, mais il l'avait sans doute compris. Karel prit le casque et le tendis à Adán à sa question.

-T'inquiète pas, je m'en passerai.

Il n'avait pas vraiment l'habitude de ramener des gens, donc il mettait rarement son deuxième casque dans le petit coffre de sa moto. Et puis, valait mieux pas ouvrir ça devant n'importe qui à vrai dire. Pas qu'il y cachait des parties de corps, mais de petites armes c'était tout à fait possible.

Ne connaissant pas les habitudes de Karel sur sa moto en matière de deuxième passager, évidemment qu’Adán interpréta le commentaire du blond comme sous-entendant qu’il avait l’habitude de l’avoir lui dans le derrière. Cette remarque l’amusa, et il ne se priva pas de rire, visiblement amusé par cette répartie. Adán appréciait qu’on n’ait pas peur de dire ce qui nous passait par la tête, et si lui le faisait sans gêne, il était toujours plus à l’aise quand son interlocuteur se prêtait aussi au jeu – au jeu de vivre et de laisser vivre. « Ne t’en fais pas, je ne nous laisserai pas tomber dans la routine pour autant. » Avoir l’habitude de quelque chose, ce n’est pas forcément une bonne chose, et Adán ne voulait pas devenir une habitude. Que ce soit pour quelque chose d’aussi anodin que ça, ou de bien plus important d’ailleurs. Lorsque le mexicain demanda pour un deuxième casque, Karel décida plutôt de lui laisser le sien, affirmant qu’il s’en passerait. « Sûr ? » Demanda Adán, ne voulant pas lui enlever cette sécurité des plus importantes. Il était pour l’aventure, Adán, mais pas quand c’était complètement irresponsable. Malgré tout, il haussa les épaules, enfilant le casque puisque le néerlandais semblait certain de ce choix. Il embarqua derrière l’homme et, quand la moto démarra, le mexicain posa ses mains de chaque côté de lui, pour s’assurer une certaine stabilité. Il lui indiquait les directions à prendre en allongeant les bras et en pointant les rues sur lesquelles tourner et, en moins de dix minutes comme convenu, ils arrivèrent à une sorte de club extérieur, en bordure de la plage, où des rythmes latins se faisaient déjà entendre. De nombreuses personnes dansaient dans une ambiance presque sauvage, la nuit étant tombée et la piste de danse sablonneuse n’étant éclairée que par des torches plantées autour. « Bienvenue dans le vrai monde.» 

Karel ne put s'empêcher de rire aux bêtises d'Adán, là-dessus, il était plutôt bon public de façon générale.

-Ah... surprends-moi !

Et il se doutait que c'était bel et bien l'intention de son partenaire de danse pour ce soir. Avant de partir, Adán s'assura d'ailleurs qu'il ne voulait pas du casque et Karel fit un geste de la main pour toute réponse. Il ne pouvait pas lui demander d'avoir confiance en lui, mais il avait confiance en lui-même.
Après un rapide trajet, Karel gara la moto non loin d'un... d'une... boîte de nuit de plage ? Ou quelque chose du même genre. Le néerlandais n'était pas très au fait avec les boîtes de nuit de façon générale, mais bon, ça n'empêcherait pas qu'il suivrait Adán malgré tout.

-Eh bien... Danser sur du sable, je ne l'ai jamais fait, je ne sais pas ce que ça va donner.

Il allait s'enfoncer dedans, ça allait être encore pire que tout à l'heure.

Adán était connu pour surprendre, étonner, se réinventer lui-même et les autres, recréer un monde à son image le temps de quelques heures au moins. On ne s’ennuyait que rarement avec lui, c’est le moins qu’on puisse dire. Du moins, il se plaisait à le croire. Lui ne s’ennuyait jamais, en tout cas. Il était toujours prêt à repousser les barrières, parce qu’au fond, on ne sait jamais jusqu’où on peut aller avant d’avoir dépassé la limite. Après quelques minutes sur la moto, les deux hommes arrivèrent à cette boîte de nuit en plein air un peu méconnue de la ville, puisqu’elle n’était ni sur les rues principales, ni sur la portion de plage plus populaire de Bowen. Un havre de paix reculé, aux allures latines. Un peu comme si Adán venait de découvrir un bout de chez lui à l’autre bout du monde. « Ça donnera ce que ça donnera. Personne ici ne va te juger, te critiquer ou se moquer. On est là pour s’oublier. » S’oublier, ou se retrouver. Se retrouver en tant qu’humains libres de bouger, libres d’aimer, libres de laisser leur corps épouser les autres sans tabou. Adán fit un signe de tête à Karel pour qu’ils cessent d’être spectateurs et qu’enfin, ils prennent part à la magie qui se mouvait devant leurs yeux. Le mexicain envoya valser ses chaussures dans le sable, sans trop regarder l’emplacement de l’atterrissage, et il se mêla à la quinzaine de danseurs. « Je ne veux pas savoir qui tu es. Je veux le voir ! » Lança un peu plus fort Adán au néerlandais, un grand sourire scotché aux lèvres.  

Adán lui fit remarquer qu'il n'avait pas à se préoccuper de ce que les autres pensaient de lui. Karel n'était pas du genre à s'attarder plus que de raison sur le regard des autres, mais pour la danse, il s'agissait un peu de son ego. Sans mentir, avoir l'air ridicule alors qu'il pratiquait quelque chose qui était une passion, ça pouvait être difficile.

-Peut-être, mais moi je risque d'avoir honte de moi-même.

Contrairement à son cavalier, Karel retira proprement ses chaussures et les posa à un endroit où elle espérait pouvoir les retrouver. A sa phrase, le néerlandais arqua un sourcil. Il n'était vraiment pas sûr de comprendre de quoi il s'agissait.

-Je ne suis pas certain...

Il ne finit pas sa phrase, il n'était pas sûr de ce qu'il voulait dire lui-même d'ailleurs. Il se mêla donc à son tour aux autres danseurs et danseuses, jaugeant du regard les autres pour pouvoir s'adapter.

Adán esquissa un faible sourire, ressemblant davantage à une moue déçue, quand Karel mentionna que c’est plutôt lui qui risquait d’avoir honte de lui-même. Pourquoi laisser place à la honte lorsque personne autour ne regardait ? Pourquoi se restreindre de vivre quand on est le seul à avoir les chaînes ? Le mexicain comprenait ce que c’était que d’avoir honte, mais à son sens, c’était un sentiment qu’on ne pouvait vivre qu’à travers le regard des autres, pas son propre regard. Karel aurait pu avoir l’air complètement ridicule devant tous ces gens, Adán était prêt à parier que personne ne relèverait quoi que ce soit. Ils faisaient un peu partie de sa nouvelle communauté et, au fil des soirées, il avait réussi à comprendre de quel genre de groupe il s’agissait. « Bien, dans ce cas, donne juste le meilleur de toi-même. » Conclut finalement le latino, ne trouvant pas de moyen de contredire quelque chose qu’il ne connaissait pas. Adán lança une de ses phrases un peu trop spirituelles en son genre, comme s’il avait le don d’apercevoir l’aura des autres et qu’il voulait voir les couleurs de Karel. Adán n’était ni devin ni magicien, et il ne verrait pas au-delà de l’âme de l’homme, et pas même son âme seulement. Par contre, à travers ses mouvements libérés, il aurait peut-être pu lire en Karel, d’une certaine manière. Mais ça, ça ne serait que si le néerlandais lui laissait la porte ouverte à son inspiration. Les deux hommes se mêlèrent finalement à la foule de danseurs, et Adán laissa un avant-goût de ce que c’était que de s’abandonner complètement à la musique, dansant parfois seul, parfois avec d’autres femmes qui croisaient sa route et qu’il faisait tournoyer dans une mince traînée de sable sous leurs pieds. Il faisait beau, il faisait chaud, et seulement enivré par l’ambiance effervescente, Adán s’approcha à nouveau de Karel et vint danser avec lui à nouveau, de manière moins chaste que dans le cours une heure plus tard. Ses lèvres effleuraient celles de l’homme, ses mains parcouraient son corps et l’air autour d’eux. « Can you feel it ? » Sentir quoi ? Il ne le spécifiait pas. Ressentir n’importe quoi.

Il se sentait comme un enfant qu'on devait encourager. Ce n'était pas toujours évident de sortir de sa zone de confort, mais ce soir il ferait un petit effort. Il hocha donc simplement la tête quand Adán lui dit de donner le meilleur de lui-même et ils se mêlèrent aux autres. Rapidement, il se perdirent de vue, sans pourtant s'éloigner beaucoup, et malgré ses pieds qui s'enfonçaient dans le sable le néerlandais réussi ses quelques pas appris plus tôt. Il dansa avec les autres membres du groupe, changeant souvent de partenaire avant de se retrouver de nouveau face à Adán. Il se crispa légèrement quand celui-ci approcha ses lèvres des siennes. En dehors de la danse, Karel était loin d'être un homme tactile, que ce soit avec les femmes ou les autres hommes. Mais il ne dit rien, plongeant son regard dans celui de son partenaire. Encore une fois, il ne fut pas tout à fait sûr de comprendre ce qu'il voulait dire quand il lui demanda s'il le ressentait. De quoi parlait-il ? D'une connexion ? D'un sentiment ? Une sensation ?

-Et toi, qu'est-ce que tu ressens ?

Adán, tout ce qu'il voulait, c'était de le faire sortir du moule. De montrer à Karel qu'une danse n'avait pas à se résumer à des pas logiques, rythmés et suivis dans un ordre appris par coeur. Qu'on pouvait s'abandonner à la musique et ne plus penser au prochain mouvement et c'était exactement à ce moment-là, d'ailleurs, qu'on renouait avec la vraie nature de soi-même. Et alors les mouvements s'enchaînaient naturellement, peut-être pas avec l'exécution la plus précise et la plus technique, mais avec une beauté inégalable, époustouflante, à couper le souffle. Toutefois, Adán savait aussi que ce ne serait forcément pas en cinq minutes que le néerlandais pourrait comprendre de quoi il parlait. Alors même s'il semblait le pousser, le motiver, l'obliger presque à suivre sa manière de faire, Adán savait également que certaines limites ne seraient pas franchies ce soir. Si ça pouvait lui donner un prétexte de revoir Karel dans un cadre autre que les cours structurés de l'école de danse, alors pour lui, c'était une victoire. Pour cela toutefois, il fallait que le mexicain ne pousse pas trop sa chance cette nuit. Ses lèvres qui effleuraient celles du blond étaient d'ailleurs un essai de regarder par-dessus les barrières, et voir ce qui se trouvait un peu plus loin du mur dressé entre eux. Le mur de l'inconnu. « Je ressens ... ta chaleur. » Commença-t-il. Il marqua une courte pause avant de continuer. « L'énergie, de tout le monde autour. La musique, ses vibrations dans mon corps. Ton souffle. La lumière de la Lune qui se perd dans la lumière des flammes. Tes muscles qui se contractent quand je te touche. Je ressens ... tout. » Conclut-il, se perdant dans tout ce que ses sens avaient à lui offrir et qui le transformaient en être presque philosophique. « C'est beau, non ? De se retrouver avec tellement de gens qui ne veulent que ça : connecter les uns avec les autres. Partager même ce qui ne se voit pas. » Il esquissa un sourire. Ça passerait ou ça casserait. Si ça se trouve, Karel avait juste envie de déguerpir.

Sortir du moule, quelque part, ce n'était pas la spécialité de Karel. Peut-être qu'il n'était pas un être tout à fait "classique" mais il lui fallait parfois du temps pour sortir des sentiers battus, une question d'éducation, d'habitude de vie, de caractère, sans doute. Mais il devait avouer que cet environnement particulier avait son charme, même s'il fallait surtout réussir à se lancer.

-C'est vrai que ça a quelque chose de magique.

Il n'était pas sûr de réussir à ressentir autant d'énergie qu'Adán, d'être aussi "ouvert" que lui, mais il ne regrettait pas l'expérience.
Ils continuèrent leur danse encore un moment avant que Karel, malgré l'emportement des sensations, décide qu'il était temps pour lui de rentrer chez lui.

-Merci beaucoup pour cette découverte. Peut-être que je me sentirai l'envie de revenir...

D’une manière sans doute un peu trop curieuse, presque voyeuriste, Adán se passionnait dans la découverte des autres à travers leur émancipation par rapport à leur zone de confort. Des gens pouvaient passer une vie toute entière à se cantonner dans les mêmes habitudes, à se confiner aux mêmes schémas et carcans. Adán voyait cela comme la perte de quelque chose de tellement précieux : la liberté de faire ou d’être ce qu’on veut. Tout le monde rêve. Mais peu avait le courage de pourchasser ses désirs. Lorsque Karel confirma que cet endroit, cette ambiance et ce bel amalgame d’âmes avait quelque chose de magique, le mexicain ne s’empêcha pas de sourire à pleines dents, ravi d’avoir pu le toucher, ne serait-ce qu’en ayant effleuré les fines frontières de son être. Malheureusement, toute bonne chose a une fin et, après avoir continué à danser, même dans sa retenue, Karel recula de quelques pas et, tout d’un coup, la foule et lui se dissocièrent. Deux entités distinctes. Adán le suivit, les pieds frôlant chaque grain de sable, jusqu’à la lisière de la piste de danse. « Tout le plaisir est pour moi. Ce serait avec joie que je te recroiserais ici, autrement, on se reverra sans doute aux cours ... » Conclut-il, le sourire toujours plus lumineux que les flambeaux autour d’eux. « Thanks for the ride. Je vais rester ici un peu encore, j’rentrerai par mes propres moyens. Sois prudent ! » Ce genre de danse énergisante avait le don d’euphoriser, par moments. Il ne faudrait pas que Karel se sente léger au point de se penser invincible.   

TERMINÉ