andreas. - take a deep breath.

C'était l'une de ces journées où le temps était beau. Mais à l'intérieur, il faisait froid. Glacial, même. Le genre de temps extérieur qui donne envie d'aller se balader. Le genre de temps intérieur qui donne envie de cesser d'exister. L'humeur de Wolf en ce jour était vraiment sordide. Son appartement plongé dans le noir, la seule lumière qui éclairait son visage était celle de la télévision qui diffusait un programme random. Programme qu'il ne regardait même pas. Ses yeux contemplaient le vide tandis que sa gorge se resserrait toujours plus. Il avait beau se laisser aller, ça ne servait à rien. Il sentait toujours ce poids dans son coeur et ces questions qui tournaient en boucle dans sa tête. Il avait essayé de se concentrer sur un dossier, ça n'avait rien donné. Se concentrer sur la télé, ça n'avait rien donné. Se concentrer sur ses cicatrices, ça n'avait rien donné.



sə cøиcəиŧяəя suя sɐ łɐmə, ça n'avait rien donné.



Alors, il avait préféré se terrer dans le canapé, les genoux ramenés contre lui. Assis en boule, il essayait en vain de taire ses pensées morbides. L'eau salée lacérait la peau de ses joues, il essuya ses yeux d'un revers de main. Il n'était pas temps de pleurer. Il fallait qu'il cesse. C'était plus fort que lui, cependant. Combien de temps était-il resté là ainsi ? Il n'en savait rien. Il avait complètement perdu la notion du temps. Ce fut lorsqu'il entendit frapper à la porte qu'il daigna relever la tête. Il écrasa alors à la hâte sa cigarette, ouvrit les fenêtres et volets pour se laisser aveugler quelques secondes, et rangea un peu tout ce qui serait susceptible de le trahir. « J'arrive ! » Hurla-t-il pour que le visiteur ne s'en aille pas. Il alla faire un tour dans la salle de bain pour se passer un peu d'eau sur le visage à grande vitesse, constata les dégâts de ses yeux : au pire, il prétendra ne pas avoir dormi. Après avoir reniflé, il alla ouvrir et fut surpris de trouver Andreas à la porte. Il s'appuya alors sur l'encadrement de la porte en arborant son sourire le plus réaliste taquin. « Tiens, qui voilà ! T'as enfin trouvé du temps libre pour venir me voir alors. »

Wolf avait beau être mal, avoir la tête dans le gaz à cause de sa journée merdique et glauque, il ne lui fallut qu’un seul regard pour savoir pourquoi son cousin était à sa porte. Sa voix mal assurée lui confirma ses doutes : il voulait voir s’il allait bien. Andreas savait que Wolf avait eu des périodes dépressives et s’il ne lui avait jamais rien dit à propos de ça ou même de ses scarifications, Wolf savait parfaitement qu’Andy s’en doutait un peu. Le fait qu’il ne porte que des manches longues, qu’il ne se dénude jamais, qu’il n’aille jamais à la plage, piscine ou autre endroit où il devrait enlever son haut, tout ça était un énorme indice sur ses maux. Mais Wolf préférait faire comme s’il ne savait rien de tout ça. C’était beaucoup plus facile et il n’était pas prêt à lui dévoiler ses tendances dépressives et d’automutilation. Et puis, maintenant qu’il est là, il allait peut-être pouvoir approfondir ses recherches sur son état aussi. C’était une occasion à ne pas rater, surtout que les deux étaient toujours très occupés. Alors, il plissa les yeux un instant et secoua la tête en soupirant. « Mais je t’en prie, entre donc dans mon humble demeure et fais comme chez toi ! »

Après s’être poussé de l’entrée pour laisser Andy passer, il referma la porte et croisa les bras sur son torse en avançant vers le salon qui sentait encore – à son plus grand malheur – la cigarette et le renfermé. Tout était pourtant débarrassé. Andy ne pouvait avoir aucun doute concernant ses activités précédentes. Encore un soupir, il alla s’installer dans le canapé d’une manière nonchalante et se ralluma une cigarette avant de poser les yeux sur son cousin. Il s’attendait à le voir aller se servir s’il avait soif, ou faim, après tout, Andy était ici chez lui. Ne venait-il pas de le dire à l’instant ? « Laisse moi te donner un conseil, sale môme : ne commet jamais de crime. T’es un bien piètre mauvais menteur. » Un sourire taquin étira ses lèvres. De ceux qui semblent tellement réels qu’on ne peut pas douter de sa sincérité, même si on le voulait. Il ouvrit sa table basse pour découvrir une bouteille de whisky et quatre verres à côté, il en prit un pour se servir. « Alors, il est pas cool mon appart ? Tu veux un verre ? »

La bonne humeur d'Andy sembla être contagieuse puisque le rire de Wolf résonna dans la pièce. Et ce n'était pas forcément faux, seulement, à ce moment-là, il ne pensait plus à son chagrin. Seulement à ce qu'Andy pouvait prononcer. « Fais donc ! Mais ce serait dommage de ne pas profiter de ma présence. » Lorsqu'Andy lui parla de Freja, Wolf haussa un sourcil. Puis il rit de nouveau. C'est vrai qu'avec Freja, Wolf avait cette proximité qui lui plaisait beaucoup. Dans le genre, ils étaient très tactiles tous les deux et Wolf tenait énormément à Freja. Sans parler de leur relation antérieure ou de leur attirance ... « Ah, je vais peut-être l'appeler alors ! Non, sans blague, je l'ai vue il y a peu. Lundi, en fait ! » Et c'était cool de la revoir, pensa-t-il. Évidemment, c'était Freja ... Elle lui manquait trop, parfois. Alors il prenait des nouvelles régulièrement, sauf que ce n'était pas évident pour lui de savoir si elle allait vraiment bien ou si elle lui mentait seulement par appel ou SMS.

Wolf voyait bien Andy faire son petit détective et intérieurement, il avait un fou rire. Il n'était vraiment pas, mais alors vraiment pas discret. Et en l'entendant, il leva les yeux au ciel. « Mais bien sûr. On te croit tous, sale môme ! » Il rit de nouveau, sa présence lui faisait un bien fou. Les nuages au-dessus de sa tête se poussaient pour lui donner un peu d'éclaircies et son coeur s'allégea le temps d'un instant. Puis, en entendant son cousin, il se leva rapidement pour lui asséner une petite tape derrière la tête et se rassit aussi vite. « Sale môme. » Bon, d'accord, il le cherchait un peu. Mais Andy lui tendait la perche aussi ! Enfin, il lui servit un verre de son whisky et soupira en s'enfonçant dans le canapé, après avoir bu une longue gorgée. « Oh bah, tu sais, je cherche encore mon bar de prédilection mais sinon, ça va. Je trouve que je m'en sors quand même plutôt bien. » Il leva un sourcil à son invitation et sourit en coin. « T'es sûr ? Non parce que si c'est pour venir et te regarder pioncer tranquilou, autant faire ça le week-end ! Mais je suis loin d'être contre. »

Son don à analyser les gens lui avait fait remarquer que Freja n’était pas si bien qu’elle pouvait le prétendre. Pour autant, il ne préférait pas y penser. Ni même en parler. Si Andy devait savoir quoi que ce soit à son propos, Wolf jugeait que c’était surtout à elle d’en parler. Alors, il haussa simplement les épaules. « T’inquiète pas comme ça, Andy. Si elle a besoin de parler, elle se tournera forcément vers toi. Y’a aucun doute à avoir là-dessus. » Il fut tenter de lui faire un sourire rassurant mais se ravisa en sachant parfaitement qu’il serait de toute façon raté. Il y avait des limites à son jeu d’acteur, limites qu’il ne préférait même pas tenter de franchir pour garder son image de gars toujours heureux. Même si Andy se doutait bien qu’il n’allait pas bien. Après tout, c’est la raison de sa présence ici.

Wolf l’avait démasqué. C’était clair et net, Andy n’allait pas venir pour voir son appartement. C’est pas comme s’il avait choisi un truc insalubre ou au contraire, assez luxueux. C’était juste modeste et ça lui correspondait bien. « Essaie donc, pour voir ! » dit-il en ricanant un peu. C’est vrai qu’Andy ne lui avait jamais attribué de sale surnom mais c’était pour le mieux. Il ne voulait pas de surnom. Son prénom en était déjà un en soi. Wolf, loup … C’était pas un prénom pour lui. Juste une blague de ses parents. Quand Andy signifia avec l’aide de son majeur qu’il pourrait porter plainte, Wolf leva les yeux au ciel et rit de nouveau. « Depuis qu’il me ment effrontément ! » C’est vrai qu’Andreas n’était pas crédible en menteur … Surtout pour Wolf qui a des facilités à déceler ce genre de choses sur le visage des gens. Il servit un verre à son cousin et but rapidement dans le sien avant de tirer longuement sur sa cigarette. « Ah ? Donne moi l’adresse, que j’aille voir ! Ca m’intéresse. » Il sourit en coin. Le sexe, c’était plutôt pratique pour éviter de penser à ses malheurs. Alors, Wolf ne ratait jamais une occasion d’en abuser. « On n’a qu’à se faire ça la semaine prochaine alors. Je te bloque un créneau dans mon agenda. »

D’un côté, Wolf aurait bien aimé lui parler de Freja. Mais d’un autre … C’était son problème. C’était à elle de le faire, il ne pouvait pas faire grand-chose d’autre à part essayer de le rassurer. Mais il voyait bien qu’Andy était touché par les paroles de la jeune femme. Il grimaça alors et secoua la tête. « Je suis désolé Andy, je peux pas parler à sa place. » Et puis, en même temps, il ne pouvait pas rompre sa promesse. Enfin, quand ses amis lui disaient des choses les concernant, il se promettait à chaque fois de n’en parler à personne parce que ça ne concernait personne d’autre. Pourtant, il eut un pincement au cœur de ne rien pouvoir dire à son cousin. Il avait l’air vraiment blessé, il aurait vraiment aimé pouvoir le rassurer davantage. « T’en fais pas Andy, elle finira par revenir près de toi. » Il lui sourit d’un air rassurant sans pour autant être certain de ses paroles. Il ne savait pas trop ce qu’il pouvait se passer dans la tête de Freja mais il savait quand même qu’Andy avait été important pour elle. Alors, forcément … Elle reviendrait. C’était logique.

Lorsqu’il lui demanda s’il pouvait lui apprendre à mentir, Wolf se mit à rire un peu. « Euh … Ben je sais pas si c’est quelque chose qui s’apprend vraiment … Et puis si je le fais, tu pourrais me mentir à l’avenir. Si t’en es déjà capable alors que t’es un mauvais menteur … Qu’est-ce que ce serait si t’étais bon ? » Wolf préférait largement déceler les mensonges chez son cousin plutôt que de ne rien voir venir. Et puis … Il ne mentait pas si souvent que ça. Enfin, c’était ce qu’il prétendait en tout cas. « Ouais, mais toi t’as un mec ! Je m’amuserais bien avec ce type … Il était sexy ou pas du tout ? » Il eut un sourire en coin. Il voulait au moins se faire une petite idée avant d’entreprendre quoi que ce soit qu’il pourrait regretter ! « C’est vrai, mais tu me connais, je tiens pas en place. J’ai toujours besoin de bouger ! » Et il ne s’empêchait jamais rien de ce côté-là, peu importe qu’il ait des attaches ou non.

Andy révéla alors la raison de sa visite, raison qui n’étonna pas le moins du monde Wolf. Il répondit d’un air détaché, comme s’il parlait de la pluie et du beau temps. « Tout le monde porte des manches longues. Et j’en ai toujours porté. » Son cousin avait beau être mauvais menteur, Wolf savait qu’il était quand même assez têtu et qu’il ne se laisserait pas avoir si facilement. Alors il rajouta d’un ton plus glacial, en se levant pour aller face à la fenêtre et ainsi cacher son expression faciale. « C’est bon Andreas. T’occupes pas de mes bras, mais plutôt de ton chagrin. » De nervosité, il gratta son bras gauche mais le lâcha aussitôt en se rendant compte que ses plaies étaient encore ouvertes et qu’elles risquaient de se remettre à saigner s’il les grattait de trop … Il soupira et fourra les mains dans ses poches. « Je vais bien. » articula-t-il lentement comme pour s’en convaincre lui-même.

Se battre à armes égales ? Wolf était bien loin de se battre. Enfin, il ne le voulait pas … A la base. Il se battait en réalité tous les jours, ne serait-ce qu’avec sa conscience. En effet, s’il n’aimait pas mentir, il le faisait depuis si longtemps que c’était devenu une habitude incrustée qui ne voulait pas partir. « On ne se bat pas tout court, Andy ! La violence, c’est mal. » dit-il avec un air de sage tibétain … Alors qu’il en avait abusé quelques minutes auparavant. Pour plaisanter. Jamais il ne se permettrait de le faire de colère ou de vengeance. Andy était trop précieux à ses yeux, c’était pourquoi il avait accepté la mission de sa mère : celle de s’assurer qu’il aille bien. « Ah super déhanché, je note. C’est donc pas toi qui me l’as dit … » Il lui fit un clin d’œil entendu. Il ne lui viendrait même pas à l’esprit de le balancer auprès de Lennox, bien au contraire en fait. Il était même plutôt du genre à le couvrir, peu importe ce qui arrive.

L’ambiance entre eux était vite devenue électrique. En effet, Andreas avait avoué le but de sa venue chez Wolf et ce dernier tentait tant bien que mal de dévier le sujet sur le chagrin de son cousin. Mais ça n’avait pas l’air de fonctionner. Wolf comprit alors qu’Andreas ne ressentait encore rien de particulier. Il était un peu dans le déni au niveau émotionnel et ça l’attrista davantage. Mais il n’eut pas le temps d’en dire quoi que ce soit qu’il vit Andy se relever rapidement. Il eut un mouvement de recul en le voyant arriver si proche de lui … Puis grimaça sans pouvoir le retenir. Et son bras entaillé fut révélé. Toute sa mise en scène de tout à l’heure tombait à l’eau. Ses yeux se mirent à s’embuer de larmes tandis qu’Andy le sermonnait violemment. Mais il ne comprenait pas. Il ne pouvait pas comprendre. Il n’était pas à sa place. Wolf le maudit intérieurement. Il se dégagea violemment, pas habitué à ce qu’on le voit dans cet état. Il baissa ses manches, dos à son cousin, incapable de prononcer quoi que ce soit à cause de sa gorge qui ne faisait que se resserrer. Il était tellement en colère et en même temps, abattu. Qu’Andreas sache pour sa dépression et ses mutilations était la chose qu’il redoutait le plus. La chose qu’il fuyait le plus. Et maintenant qu’il y était confronté d’une manière tellement brutale, il ne savait comment réagir. Pour une fois, il laissa son instinct répondre à sa place. « Parce que ça vous rendrait malheureux. Ca te rendrait malheureux. Tu t’inquiéterais pour moi. Et je veux pas. » Personne n’aurait de peine à percevoir la tristesse dans sa voix. Ce tremblement qu’il tenait à cacher à chaque fois. Mais son côté colérique reprit le dessus et il se tourna face à Andy, l’affrontant du regard. « Maintenant que c’est dit Andreas, je t’interdis de recommencer ce que tu viens de faire. Tu m’as fait mal. Physiquement et moralement. J’ai des raisons de ne pas parler de tout ça. Si je t’en parlais tu ne comprendrais pas. Alors oui, je suis resté chez moi aujourd’hui. Oui, j’ai passé ma journée à chialer tout seul dans le noir comme un gosse. Mais non. Ca te donne pas le droit de m’attaquer comme ça. Ma souffrance est privée. Je veux juste la porter seul. Comme je l’ai toujours fait … » Son ton avait été dur et froid jusqu’à ses dernières phrases. De là, il était devenu presque suppliant et il n’arrivait plus à retenir ses larmes. C’était comme un appel au secours sans en être un … Il lui demandait d’être là mais en même temps, de ne pas en parler avec lui. Seulement d’être là, physiquement. Et de savoir qu'il le soutenait lui était important, maintenant.