Let's be bored together •• Léo

"Mason où-est ce que tu vas ?" " Au bar...? Chercher un verre." murmurai-je à l'oreille de Joyce, ma femme. Elle soupire et me regarde un peu dépitée. " Un serveur va forcément venir avec du champagne, ça ne peut pas attendre ?" " Nop'. Je pense que j'ai besoin de quelque chose de plus fort qu'un simple champagne...!" Sur ces mots, je souris alors qu'elle me lance un petit regard dépité, puis me souris aussi. " D'accord...! Ne me laisse pas seule trop longtemps non plus, je sais que tu vas fumer après." "Je pense que tu sauras gérer tous les discours sur l'argent sans moi." Je pose la main sur son épaule et lui fait un bisou sur la joue avant de la laisser seule au milieu de tous ces vautours. Je ne suis pas inquiet pour elle, elle sait très bien s'imposer en fait. Je soupire longuement avant de m'adresser au barman un verre de whisky... Limite une bouteille si je pouvais, mais je ne suis pas sûr qu'il me laisserait faire. Je croise les bras et balaye tout ce monde autour de moi. Je fronce les sourcils en voyant un visage que je connais, juste à côté de moi. " Ah ben ça alors... Je ne m'attendais pas à te voir ici Léo." fis-je pour exprimer ma surprise. " T'as l'air d'être aussi joyeux que moi d'être ici." Ah ça oui, il suffit de voir la tête qu'il fait, je la reconnaîtrais entre mille: c'est la mienne quand je suis blasé. Je récupère le verre et m'approche de lui. " Tu es venu pour ton boulot ?"

Une énième soirée avec toujours les mêmes têtes, toujours les mêmes mains à serrer et toujours les mêmes sourires figés, factices. Des politesses pour brosser les uns dans le sens du poil, des hochements de tête pour ne pas dire ce que l'on pensait vraiment des autres. De la parade, que de la parade. Léo détestait ça, depuis toujours, il n'en pouvait plus de toutes ces mondanités, pourtant il était là, comme toujours, parce qu'il ne pouvait pas vraiment faire autrement, merci le patrimoine Emerson. Papa était d'un côté, à rire le plus fort et le plus faux auprès des grands de cette ville, il en faisait partie. Et maman était avec les autres femmes, à vider sa quatrième coupe de champagne, en toute élégance mais c'était déjà la coupe de trop, le classique. Le fils, dans tout ça ? Il était à sa place favorite, accoudé au bar, à observer la foule de gens friqués dans leurs tenues de gala, ça l'occupait, ça et son verre de gin, la nouvelle boisson à la mode qu'on disait, il n'aimait pas. Ce soir il était venu seul, Andeana n'avait pas pu se libérer pour une fois, il n'avait pas sa complice de soirée, elle promettait donc d'être longue, cette petite sauterie. Il regardait les gens sans vraiment les voir, l'esprit ailleurs, c'est pour cela qu'il n'avait pas remarqué l'homme venu se commander un verre juste à côté de lui. Quand il l’apostropha Léo mit quelques secondes avant de se retourner, priant pour que ce ne soit pas le Maire, il avait horreur de discuter avec lui. Mais c'était en vérité un homme bien plus jeune qui le regardait. Il avait l'air fatigué, le doc. On s'est déjà croisé à ce genre de soirée il me semble. J'ai salué ta femme tout à l'heure, elle est toujours aussi à l'aise dans ce monde. Il termina son verre et avisa celui qu'on venait de servir à Mason, lui aussi aurait dû choisir un whisky, il se demandait encore pourquoi il avait voulu changer pour un gin. Elle est bien plus à son aise que nous, c'est certain. Le serveur l'observa, voyant qu'il avait terminé. La même chose que mon camarade, s'il vous plait. Un petit sourire fade se dessina sur ses lèvres. Je suis toujours ravi de boire sur le compte du Maire ! Répondit-il ironiquement. Il leva son verre en direction de Mason et ne manqua pas de remarquer que le serveur avait laissé la bouteille devant eux, oublie ou non, ça ferait leur affaire. Puis avala une bonne gorgée, depuis quelques temps Léo avait une bonne descente, peut-être un peu trop bonne même. Je suis ici par obligation, parce que c'est bien de se montrer. Il mettait cette phrase entre guillemets, moquant sa propre situation de pauvre garçon riche. Et toi ? Il l'avisa d'un regard presque curieux de savoir comment on avait réussi à le traîner ce soir.

" Ah bon ?" fis-je en réaction quant au fait qu'on s'est croisé à une soirée précédente, je fronce les sourcils et adopte un air de dire: peut-être oui. La majorité des soirées, j'étais tellement ailleurs que je n'ai pas tilté. Des fois, quand je suis là, je l'ai été sans l'être. Surtout après mes gardes à l'hôpital, ce n'est pas évident d'enchaîner ainsi. " Oui, elle adore ça..." dis-je dans un soupir. Je n'aime pas ça, mais si ça lui fait plaisir, oui pourquoi pas. Je peux être là pour la soutenir. Tout comme elle a été là pour me soutenir. On est là l'un pour l'autre pour se soutenir en fait. On se met tous les deux à observer Joyce qui discute avec les hommes d'affaires, avec un grand sourire dans sa somptueuse robe que je lui ai fait confectionner par une styliste assez talentueuse. Je souris à la remarque de Léo et j'hoche la tête. Je récupère mon verre de Whisky alors que Léo en commande le même, sur le coup, le serveur s’exécuta de suite. Je ricane à son ironie. " C'est une des bonnes motivations à ma présence ici." fis-je en hochant la tête et je lève le verre aussi avant de boire une petite gorgée. Je fronce les sourcils devant la bouteille laissée devant nous et regarde le serveur occupé plus loin. Il a dû être pris pour une autre commande apparemment. Je me demande pourquoi Léo était là à cette soirée, j'ai cru avoir vu sa famille plus tôt... Ah oui, ils étaient venus nous saluer. Trop de monde pour moi, trop de têtes à retenir et pas assez de sommeil. Qu'est-ce que je donnerai pour dormir moi...! " Pour ça." fis-je en montrant le verre avec un petit sourire avant de reprendre mon sérieux et désigne du regard ma femme. " Joyce voulait absolument qu'on y aille ensemble. Elle cherche de nouveaux soutiens financiers pour l'hôpital. Elle a besoin d'une figure maritale pour bien se faire voir. Tu sais, les apparences... Je ressors à peine d'une intervention de six heures et je me retrouve là..." soupirai-je. Ça fait beaucoup pour moi et le bruit de conversation ne m'aide pas. " Je vais aller fumer dehors, si ça te dit." Histoire de s'échapper à cette mondanité pour un petit moment et discuter tranquillement. Enfin du moment où on ne parle pas de son article sur Svetlana.

Il hocha la tête pour toute réponse, oui ils s'étaient déjà croisé dans ce genre de soirée mais que Mason ne s'en souvienne pas ça n'était pas un soucis, Léo était tout aussi distrait que lui généralement. En fait ça n'était pas vraiment être distrait, mais plus s'en foutre royalement, des personnes croisées, des joues embrassées et des mains serrées, toutes les mêmes à force. Lorsqu'il venait dans un gala il essayait de saluer le moins de monde possible, ou seulement les personnes qu'il appréciait, il trouvait que c'était le plus juste, de ne pas avoir à se forcer, le reste c'était de l'hypocrisie pure. La femme de Mason était superbe dans sa robe de créateur, ça ne faisait aucun doute, sa chevelure flamboyante attirait toute la lumière, il pouvait être fier d'avoir une cavalière aussi charmante à son bras. Même si les rumeurs allaient bon train sur sa fidélité. Léo s'en moquait bien des ragots, que ce soit vrai ou faux, il savait que ce n'était que de la jalousie au final, un chirurgien à succès ça ne pouvait être qu'un coureur de jupons, enfin c'est ce qu'on disait. Levons notre verre à la santé du Maire alors. Toujours ironiquement parlant, évidemment. Léo ne portait pas cet homme, le Maire, dans son cœur, c'était de notoriété générale et il ne s'en cachait pas. Il sourit lorsque Mason dit être là pour la boisson, c'était un peu son cas, enfin clairement, si on ne pouvait pas boire à l’œil, Léo ne se laisserait pas traîner dans ce genre de soirée pénible si facilement. Il compatissait vraiment à la situation du pauvre médecin, mais ce que femme voulait, on ne pouvait leur refuser ! La figure martiale se retrouve vite accoudé au bar. Enfin je vois ce que tu veux dire, on en est tous là, il faut se montrer, parader, faire le paon. C'est comme faire le trottoir mais en version haute société. On est des escortes de luxe, rien de plus. Quand il parlait de son monde d’apparences et de façade, Léo n'était jamais tendre, il avait cette impression de ne pas y appartenir, de ne pas être fait pour ça. Et même s'il ne crachait pas sur les millions qu'il avait sur son compte en banque, il avait horreur de la mentalité de ce milieu. Il n'était jamais contre s'en griller une au calme alors sans un mot il se leva pour suivre son aîné, avant de se retourner rapidement pour attraper la bouteille qui lui tendait les bras, tant pis pour le barman. Puis il revint à la hauteur de Mason en haussant les épaules avec nonchalance. On a bien besoin de ça, non ? Une fois dehors Léo fut presque attaqué par le calme, sortant de tout ce brouhaha. Il sortit un paquet de clopes de sa poche, il en avait souvent sur lui dans ce genre de circonstances, en tendit une à Mason. Ça marche toujours bien à l'hôpital ? Après tout c'était là bas qu'il avait connu Anderson, qu'il l'avait retrouvé, même, quelques mois plus tôt.

" À la santé du maire." fis-je avec un petit sourire avant de boire une petite gorgée. On parle ensuite de nos présences à cette fête qui n'est pas pour nous, du moins, c'est pas mon monde et je me sens moins seul parce que cela ne semble pas être celui de Léo non plus. Je ne peux pas refuser à Joyce, elle fait bien des efforts pour moi quand il s'agit d'aller à des congrès ou des conférences qui l'ennuient au plus haut point. Pourtant, elle trouve de quoi s'occuper entre temps tout en discutant avec les neurologues ou autres professionnels de médecine. " Des escortes traînés dans un univers qui n'est pas le leur." soupirai-je avec un petit sourire au coin. " Qu'est-ce qu'on ne ferait pas à nos femmes hein ?" Je fronce les sourcils, ne voyant pas Grace quelque part. Je me rappelle de l'avoir vue à l'hôpital la dernière fois, ça n'allait pas fort alors je peux comprendre qu'elle ne soit pas venue. Ceci dit, ça fait un bon moment, faudrait que je lui demande de ses nouvelles. Le bruit étant oppressant, je décide d'aller fumer dehors et proposais de même à Léo, si ça lui faisait envie. Au moins, je lui donnais l'occasion de venir avec moi pour échapper un peu de ce monde. Je me retourne à demi alors qu'il fait demi tour. " Yep ! Bonne idée !" fis-je en lui faisant une petite tape amicale sur son épaule alors que nous sortions chercher l'air frais.

Je lâche un gros soupir en écoutant finalement le silence et j'ai l'impression que mes oreilles sifflent un peu avec tous ces voix qui restent encore. "Pffwaah.." soupirai-je. Je préfère largement le silence et le frais. Je remercie Léo pour la cigarette, je lui prête mon briquet pour allumer la sienne. " Mh..." j'expire la fumée avant de reprendre en hochant la tête. " Ça va, y a des hauts et des bas... Je ne suis pas dans la bonne période en ce moment, je perds plus de vie que je n'en sauve. Souvent dues à cause des accident cérébral ou encore d'autres qui atteignent le stade final de leurs maladie. Ça me plombe le moral... Au moins aujourd'hui, j'ai sauvé une vie, c'est ça qui compte." Je fais un geste du menton pour le désigner alors que je récupère la cigarette de ma bouche. " Et toi ? Comment ça se passe le journalisme ? Et Grace va mieux ?" Façon à moi de lui demander si ça va mieux après qu'ils aient perdus leur enfant...

Cet univers était celui de Léo, totalement, il y était né et y avait baigné toute sa vie. La tradition aurait voulu qu'il prenne le même chemin que son père, qu'il suive fièrement sa trace. Mais il en avait décidé autrement, il avait choisi un métier que Peter Emerson détestait, une maison discrète et il n'avait jamais épousé la fille qu'il aurait voulu pour lui, il s'était contenté de coucher avec le soir du bal de promo et de ne jamais plus lui adresser la parole. Il avait cet esprit contradictoire, un brin rebelle et carrément effronté qui avait le don d'agacer son paternel et qui faisait qu'ils étaient en froid tous les deux. Pourtant Léo ne pouvait échapper à tout et sur ça il rejoignait Mason, à chaque fois qu'il se rendait à un gala comme ce soir c'était toujours parce que sa mère l'avait supplié, qu'elle lui avait offert ce regard qui le faisait culpabiliser d'être un fils indigne, parce que s'il était ingrat envers son père, il ne pouvait résister à sa chère mère. Si Mason parlait de Joyce, Léo, lui ne pouvait rien refuser à une autre femme, presque aussi importante à ses yeux qu'une épouse. Elles nous font tourner la tête, c'est certain. Il sourit un peu tristement mais l'autre tournait déjà le regard pour chercher je ne sais quoi dans la foule, ne remarquant pas ce trouble dans les yeux du jeune Emerson alors qu'évidemment il pensait à Grace lui aussi. Cette tape amicale dans le dos et le sourire du médecin rappelèrent à Léo qu'ils n'avaient pas toujours été en si bon terme, ils avaient une relation étrange tous les deux, presque conflictuelle avec leurs deux forts caractères. Ils pouvaient tout aussi bien s'entendre que se mettre sur la gueule, Léo l'avait fait, des années plus tôt, pour des raisons infondées, il n'en était pas fier, il était con et il pensait tout savoir, du haut de son insuffisante jeunesse. C'était du passé tout ça, mais il ne pouvait s'empêcher de penser à Anna et ses yeux qui s'étaient fermés à jamais, à sa main froide qu'il ne pouvait lâcher. Oui, clairement ils auraient besoin de cette bouteille ce soir, avoir deux blondes en tête, deux histoires tristes, c'était un peu trop.
Cette cigarette avait un petit goût de liberté après avoir échappé au monde et Léo la savourait pleinement. Ça fait partie du job, j'imagine, perdre des vies. Il le savait bien, il avait été de l'autre côté, de celui à qui Mason apprenait la terrible nouvelle. On ne peut pas sauver la terre entière, c'est bien ça ? Il se souvenait encore parfaitement de ses mots, des années après. L'idée n'était pas de lui balancer son histoire et sa culpabilité à la figure une nouvelle fois, il avait digéré, il avait guéri, fait son deuil, celui-là au moins, c'était de l'histoire ancienne mais il se souvenait qu'à l'époque Mason avait tenté de justifier le fait de ne pas pu sauver sa fiancée, par des mots difficiles à entendre mais tellement vrais, il les comprenait aujourd'hui. Tu fais un métier difficile. Aujourd'hui tu as sauvé quelqu'un et c'est le principal, c'est ça qu'il faut garder en tête pour avancer. Son job à lui paressait si futile à côté, totalement inutile même. J'suis pas vraiment journaliste tu sais, je fais juste des photos. Ses articles étaient mauvais, comme pouvait en témoigner la belle Svetlana. Il eut une petite moue boudeuse. Ça se passe, en ce moment je ne voyage plus trop, j'ai plus tellement le goût à ça, mais ça reviendra, ça finit toujours par me manquer. La dernière fois qu'il avait vu Grace c'était la nuit des étoiles, nuit magique. Elle n'allait pas bien, il l'avait senti et ça l'avait brisé encore davantage. Il soupira doucement en baissant les yeux au sol. Elle va mieux, je crois. Il lui faudra du temps. Il n'avait pas le courage de dire clairement à haute voix que tout était terminé, ça lui faisait trop mal. Et encore plus mal de se dire qu'elle allait devoir se reconstruire sans lui. C'est là qu'il se dit que la bouteille de whisky serait la bienvenue et qu'il en but une gorgée avant de tirer nerveusement sur sa clope.