Tell me what's wrong ¤ CJ

Aston est revenu. Cette phrase, Tamsin la tournait et la retournait en boucle dans son esprit depuis des semaines. Elle qui pensait s'être débarrassé de son ex-mari - enfin, non, son mari tout court, finalement -, qu'il n'avait plus la tête qu'à sa nouvelle compagne et à ses courbes enchanteresses, avait débarqué à Bowen. Tout saccagé. Et la blonde avait fait le reste.

La troupe supportait de plus en plus difficilement l'intrusion de cet américain vantard, prétentieux et autoritaire dans la vie du Rosa Parks'. Pieds et poing liés par ces engagements qu'elle devait tenir à New York, sous peine de se voir retirer son cher théâtre, le temps qu'elle revienne, Aston avait déjà fait de beaux dégâts. Certes, ses amis la soutenaient toujours, loin de s'en laisser compter par un type aux cheveux gominés et trop bien rasé pour être honnête mais ... Jusqu'à quand ? Quand arriverait le moment où un panneau stop barrerait la route de la metteur en scène ? Où elle rentrerait dans un théâtre vide ? Elle connaissait suffisamment son ancien amour pour savoir que puisqu'il avait décidé de la détruire, il y parviendrait. D'ailleurs, cela avait déjà commencé. Peu de temps auparavant, Tamsin, pourtant de bonne composition, avait été forcée de demander à CJ, leur compositeur, de partir. Le facteur était arrivé ivre à l'une des répétitions. Et visiblement, ce n'était pas la première fois.

Elle lui en voulait moins qu'elle culpabilisait, en réalité. Si elle avait été là, si elle ne les avait pas abandonné, elle aurait vu les signes. Le gouffre dans lequel son ami s'enfonçait lentement mais sûrement. Elle n'avait pas eu de nouvelles depuis. Pourtant, ce jour-là, elle décida d'emprunter la voiture de son père et franchit les kilomètres qui la séparait du domicile du musicien. Quelques minutes plus tard, elle sonnait à sa porte, ignorant s'il serait chez lui. L'espérant, en tout cas. Finalement, le battant s'ouvrit. « Salut CJ. J'espère que je ne te dérange pas ? » Elle arborait une mine quelque peu défaite, bien qu'elle s'efforça de lui sourire. Aussitôt, elle brandit le petit paquet emballé dans du papier blanc et surmonté d'un petit ruban rouge. « J'ai apporté des ... Cupcakes ? » Un signe de paix venu tout droit de chez le pâtissier.

Seul à la maison, tu passais le plus clair de ton temps enfermé, à tourner en rond. Tu avais eu le temps de terminer les travaux de la maison. Elle était enfin prête. Le bémol ? Nevaeh ne voulait toujours pas entendre parler de toi. Tu ne pouvais l'y obliger, tu le savais. Il fallait vivre avec la connerie que tu avais faite. Un fardeau pas facile à porter. A tel point que tu avais trouvé un refuge dans la bouteille. Un refuge assez facile, somme toute. On sonnait à la porte et tu n'avais pas la moindre idée de qui ça pouvait bien être. Tu n'attendais personne. Pourtant, tu te levais rapidement pour aller ouvrir, curieux de savoir. « Tamsin ? » Tu étais assez surpris de la voir sur le pas de ta porte. Tu ne l'avais pas vu depuis que tu avais été congédié. Tu n'avais même pas cherché à lui donner des nouvelles, trop occupé à créer les tiens. Tu avais eu une dernière conversation avec Lou-Belle qui avait fini par t'achever. Tu avais glissé un peu plus profondément dans les abysses. Elle ne semblait pas être venue en ennemi, mais plutôt en amie et tu te décidais à la laisser faire. « Entres, je t'en prie ! » Tu lui offrais un sourire maladroit, l'invitant à te suivre dans le salon pour qu'elle puisse prendre place dans le canapé. Tu t'installais en face d'elle, un peu nerveux. Tu t'étais coupé du monde depuis des semaines que tu ne savais pas comment ça allait se passer. « Tu veux boire quelque chose ? » proposais-tu par politesse avant de la regarder quelques secondes. « Je suis désolé. » ajoutais-tu en coupant le silence qui commençait à peine à s'installer. Avant qu'elle ne puisse te demander comment tu allais. Tu n'avais pas vraiment envie de tourner autour du pot. Tu appréciais beaucoup Tamsin, tu croyais en son travail, dur comme fer. Et pourtant, tu l'avais déçue en faisant n'importe quoi de ta vie. Lui imposant ta descente aux enfers. 

Le sourire de CJ à son attention eut l'effet quasi-instantané de lui réchauffer le cœur. Le facteur ne semblait pas lui en vouloir. Ou, à tout le moins, pas suffisamment pour qu'il darde sur la blonde un regard de reproches. Voire, lui referme la porte au nez. Lui renvoyant son accueil plus chaleureux que prévu, elle s'exécuta, pénétra dans l'appartement et prit place dans le canapé. Un peu raide et empruntée, la Tamsin, avec son petit paquet sur les genoux. L'un comme l'autre marchait sur des oeufs. Après tout, cela faisait plusieurs semaines qu'ils ne s'étaient pas vus et les cris qui avaient accompagnés leur dernière rencontre n'invitaient pas à se sentir à l'aise. « Ça ira, je te remercie. » répondit-elle cependant à sa proposition. Un ange passa. Elle ne savait par quel bout prendre son intrusion soudaine. Tout à coup, la metteuse en scène d'habitude si éloquente en perdait tous ses mots. Heureusement, son compagnon la devança, entamant le perçage de ces abcès qui les embarrassait tous deux. Elle soupira. « Oh non, CJ ! C'est moi qui le suis ! » Elle avait même honte de son comportement. Elle n'avait pas essayé de comprendre, de le soutenir. Elle l'avait juste remercié avec pertes et fracas. « Mon attitude est ... Enfin, a été, injustifiable. Je n'aurais jamais dû me comporter de la sorte avec toi. Te virer sans essayer de comprendre, sans t'écouter, après avoir été si longtemps absente. C'était odieux. » s'excusa-t-elle à son tour, s'avançant légèrement pour déposer son fardeau pâtissier sur la table basse. « Du coup, j'aimerais te dire que tu peux te confier car quoi qu'il arrive, je suis ton amie, mais j'ai bien peur qu'après la dernière fois, tu ne me crois pas vraiment ... Pourtant, c'est la vérité. Parle-moi, CJ. » Le ton de sa voix avait perdu en octaves sur ces derniers mots, presque soufflés. Il n'était peut-être pas trop tard. Peut-être pouvait-elle encore se rattraper.

Elle était entrée, elle s'était assise puis il y avait eu un silence. Du genre un peu gênant quand deux personnes se retrouvent seuls, sans avoir le moindre sujet de conversation. Tu finis par prendre la parole pour t'excuser. « Mon comportement n'a pas été des plus exemplaires. » Elle s'était excusée elle jusqu'à elle se sentait coupable, tu le voyais bien sur son visage. Elle n'avait pas été l'amie dont tu avais eu besoin mais tu n'avais pas non plus été le pianiste qu'elle attendait. « Tu as fait ce que tu jugeais nécessaire, ce break m'a été bénéfique. » Tu avais eu le temps de boire de plus en plus, de sombrer plus profondément avant de te relever, d'arrêter toutes tes conneries. Surtout parce que Nevaeh était de retour, si tu voulais espérer avoir une chance supplémentaire, il fallait que tu retrouves une vie normale. « Tu sais je n'ai pas remis en cause notre amitié après notre dernière conversation, tu as agit en portant la casquette de metteuse en scène, tu as parfois des décisions difficiles à prendre. » Tu avais bien compris qu'elle avait fait ça autant pour elle que pour toi. Ça ne te servait à rien de venir complètement ivre, incapable de tenir trois notes. Ce n'était pas pour autant que tu avais pris la décision de ne plus lui parler et de lui en vouloir. Ce n'était pas ton genre, loin d'être rancunier. « Je venais de perdre la femme que j'aimais à cause d'une erreur, je pensais pouvoir m'en sortir mais l'alcool a été plus fort ! » ajoutais-tu doucement avec une légère grimace. L'histoire avait fait le tour de la toile, mais il était possible qu'elle soit passée à côté. Tout le monde ne lisait pas ce torchon, toi le premier. En général tu n'y pretais pas attention sauf que ça parlait de toi et tu avais voulu savoir ce qui s'y disait. Un tissu de mensonge brodé autour d'une infime partie de la vérité. « Tu sais, je ne suis pas fier de moi, de mon attitude. Je ne voulais pas briser la confiance que tu avais placé en moi. » avouais-tu assez honteux. Tu aurais aimé que ça se passe différemment. Tu ne pouvais pas revenir sur le passé mais tu pouvais changer le cours des choses à présent. 

A la fois, son discours la remplissait de soulagement et lui brisait le cœur. Le premier parce qu'il se confiait à elle, s'ouvrait et lui assurait qu'il comprenait son attitude, aussi inqualifiable fut-elle. Il ne lui en voulait pas. Il avait compris que sa démarche avait été guidée pour le bien de leur travail et n'avait rien de personnelle. Certes, elle s'était emportée plus que de raison sur le coup, le problème aurait dû être abordée différemment, toutefois, elle restait sa « cheffe », tout bénévole qu'il fut pour le moment.

Le second parce que ses révélations concernant sa rupture et les démons contre lesquels il luttait ne lui rappelait que trop un autre homme de sa vie. Elle n'imaginait pas seulement sa souffrance, elle l'avait ressenti. Lutter contre une addiction, perdre l'amour ... Bien qu'elle ait été de l'autre côté, celui de la spectatrice pour une fois dans sa vie, elle avait partagé la douleur de Jackson plus qu'à son tour. Et elle savait à quel point il était difficile de se défaire de ces plaies infâmes, lesquelles semblaient éternellement purulentes. « J'ai toujours confiance en toi, CJ. » répliqua-t-elle, avançant sa main par-dessus la table basse jusqu'à délicatement saisir la sienne. « Tout le monde commet des erreurs. Je suis bien placée pour le savoir. » continua-t-elle en serrant un peu plus fort ses doigts. Il fallait qu'elle le rassure, qu'il comprenne qu'il ne la perdrait pas. Pas de cette manière. Pas pour ça. « J'aimerais que tu reviennes, si tu en as envie et si tu t'en sens capable. Tu nous manques. Toi, tout ce que tu es mais aussi ta musique, évidemment. » Un faible sourire éclaira ses traits fatigués. « J'ai bien essayé de te remplacer au piano, mais tout le monde s'accorde à dire que je joue extrêmement mal. » Une petite touche d'humour dans ce monde de brutes.

Elle venait de te donner la seule information dont tu avais besoin pour avancer. Elle n'avait pas perdu confiance en toi. Elle aurait simplement voulu que tu t'adresses à elle. Tu avais été incapable de le faire, avec qui que ce soit. « Merci beaucoup Tamsin, c'est important pour moi. » Tu avais envie de te lever, de la prendre dans tes bras et de la remercier au moins une bonne dizaine de fois. C'était au moins ce qu'elle méritait. Elle semblait beaucoup plus compréhensive que ceux avec qui tu avais pu en parler. Ils n'étaient pas nombreux, mais à son regard, tu te demandais si elle avait connu pareille douleur, la descente aux enfers. « Il y a des erreurs plus grandes que d'autres, des qu'on ne peut pas pardonner, qu'on ne peut pas surmonter. » Tu avais merdé avec Nevaeh mais ce n'était pas la seule avec qui tu avais fait des bêtises. Il y avait Tamsin et la troupe de théâtre, il y avait Lou-Belle avec qui tu t'étais mal comporté. Et là c'était un euphémisme. Il y avait eu Théia aussi, tu avais perdu une de tes plus belles amies. Tu n'avais pas su te montrer présent pour d'autres. Au final, ta dépression dans l'alcool avait fait plus de mal que de bien. « J'aimerais revenir moi aussi et je te fais la promesse de ne plus jamais être ivre. » Du moins pendant les répétitions. Même si ça faisait plusieurs jours que tu n'avais pas touché une bouteille. Tu n'étais pas un alcoolique notoire mais tu avais eu des problèmes à lâcher une bouteille. Tu allais faire en sorte de t'y tenir le plus loin possible. « Et j'aurais bien aimé te voir au piano ! » aujoutais-tu en rigolant légèrement. Tamsin avait du talent pour gérer la troupe et la mise en scène mais elle n'était pas aussi bonne que toi pour jouer.