there is beauty in a failure, and there are depths beyond compare (freja)

Les yeux de Woody avaient été rivés sur son téléphone portable tout l’après-midi de la veille. Dès qu’il avait entendu parler des coups de feu tirés sur la plage, alors que lui se trouvait en sécurité dans sa clinique. Dès qu’il avait songé à toutes ces personnes qui se trouvaient à ce moment-là au petit festival local. Dès qu’il avait songé à sa famille, à ses amis. À Freja. Il avait envoyé des sms pour s’assurer que ses proches étaient sains et saufs, qu’ils ne se trouvaient pas sur les lieux de ce massacre. Un massacre, oui. Pour des raisons qu’on ignorait encore, par un individu toujours en liberté. Une menaçante liberté. Malgré tous les messages positifs reçus, un encore se faisait gravement attendre. Freja n’avait jamais répondu à l’appel. Woody avait beau lui téléphoner, rien. Il se frappait automatiquement à sa boîte vocale, sa douce voix mélodieuse n’arrivant même pas à apaiser ses peurs. Alors quand, tôt le lendemain, Woody avait reçu un sms d’Andreas l’avisant que Freja se trouvait à l’hôpital, comme il l’avait craint pendant toutes ces heures à demi-éveillé, il s’était précipité vers l’établissement sans même prendre le temps de répondre au norvégien. C’était l’heure de pointe, et sa voiture prisonnière des lignes blanches et jaunes au sol l’achevaient à petit feu alors qu’il la sentait lui glisser d’entre les doigts. Freja. Il ne savait même pas à quel point elle avait été touchée, blessée. Il ne savait pas à quel état il devait se préparer. Entre la vie et la mort ? Woody chassait cette pensée. Elle ne pouvait pas. Elle était une guerrière, une combattante, elle ne se laisserait pas abattre, encore moins par un homme, qu’il soit armé ou non. Woody atteignit enfin le stationnement de l’hôpital et c’est dans une vitesse alarmée qu’il avait payé à l’horodateur pour ensuite se garer à la première place venue. Il avait marché d’un pas accéléré les couloirs jusqu’à atteindre un comptoir où on lui indiqua, après dix minutes de désorganisation, où se trouvait Freja. Elle n’était pas la seule victime, et le chaos de la veille s’était transporté entre ces murs blancs. Une fois arrivé à la chambre, Woody aperçut d’abord Andreas. Il s’avança vers lui et, sans prévenir, contre toute attente, il l’entoura de ses bras et le serra contre lui. « Thank God you were there for her. » Souffla-t-il, relâchant l’ambulancier, ne laissant qu’une main sur son épaule le temps de le regarder, une fraction de seconde. « Merci de m’avoir prévenu. » Woody se dirigea vers Freja sans plus attendre. Il esquissa un faible sourire, heureux de la trouver dans une condition qui ne semblait pas trop mal dans les circonstances. Elle était là. C’était tout ce qui lui importait. « Hey. Comment vas-tu ? » Murmura-t-il, tentant de cacher l’émotion dans sa voix en la tamisant le plus possible. « Je suis désolé de ne pas avoir été là. J’aurais dû être là. » Parce que dans tous les moments de noirceur de la vie de Freja, Woody désirait être la lumière qui la sauverait du gouffre.

Tout s'est passé si vite et pourtant, tu as l'impression d'avoir vécu cette épreuve au ralenti. Comme si le temps sur cette plage s'était arrêté au moment où cette balle avait atteint ta jambe. Là-bas, tu n'aspirais qu'à une chose : vivre. Tu n'as jamais cessé de lutter pour ne pas t'endormir, te concentrant sur la voix d'Andreas qui tentait de rassurer Jan tout en prenant garde de te maintenir en vie. S'il n'avait pas été là, tu ne serais plus là pour en parler, ça ne fait aucun doute. Tu serais morte sur cette plage comme des dizaines d'autres personnes. La scène était effroyable, là-bas, des corps et encore des corps jonchés partout sur le sable. C'était horrible. Cette image restera gravée dans ta tête pendant un moment encore pour ne pas dire ancrée à tout jamais. Mais par miracle, tu t'en es sortie et maintenant que tu es tirée d'affaires, tu te rends encore plus compte à quel point la vie est précieuse. A quel point il faut profiter de chaque instant sans regrets, sans amertumes. C'est pourquoi à la minute où tu es montée dans l'ambulance, tu t'es jurée d'arrêter de te pourrir la santé avec de la drogue. Ou du moins d'essayer et de tout faire pour te sortir de là. Néanmoins, tu décides de ne pas en parler à qui que ce soit au cas où ce serait un échec cuisant. Tu sais qu'il va te falloir un moment avant d'être guérie mais tu es bien décidée à t'en sortir. En étant confrontée de si près à la mort, tu as pris conscience à quel point la vie est trop importante pour être gâchée. Après quelques minutes à discuter avec Andreas de son futur mariage, de ses projets et du bonheur de vous retrouver sains et sauf, il te quitte pour quelques minutes, le temps d'aller chercher à boire. Lorsqu'il revient, il ne faut que quelques secondes à peine pour que vous soyez rejoint par Woody. Une vague de soulagement t'envahit en voyant qu'il va bien, lui aussi. Deux des êtres les plus importants de ta vie réunis et en bonne santé, que demander de mieux ? Si ce n'est une réconciliation de leur part ? Quand Woody prend Andy dans ses bras, tu ne peux réprimer ta surprise mais un large sourire s'installe rapidement sur tes lèvres. Tu ne pensais pas assister à ça un jour mais c'est vraiment agréable à voir et très encourageant pour l'avenir. Enfin l'australien parvient jusqu'à toi, les traits tirés par l'inquiétude. « Je vais bien, je vais bien. » Répètes-tu pour que ça s'imprègne dans la mémoire de ton meilleur ami et qu'il arrête de s'inquiéter. Lorsqu'il s'excuse de ne pas avoir été là tu secoues la tête vivement. Heureusement qu'il n'a pas été là. « Tu n'as aucune excuse à me faire Woody. Et heureusement que tu n'étais pas là, c'était déjà assez difficile de m'inquiéter pour Andreas avec une balle dans la jambe. Je n'aurais pas été capable de m'occuper de toi en plus. » Parce que même dans les moments difficiles, toi aussi tu veux t'occuper de Woody à tout prix. Lui avant tout le reste, ça a toujours été comme ça. « Heureusement tu vas bien. » Dis-tu en souriant et en faisant signe au jeune homme de s'approcher pour s'installer à tes côtés. Tu as besoin de sa présence réconfortante à présent, besoin de lui, tout simplement. Tu vois du coin de l’œil Andreas s'éclipser et le gratifie d'un "merci" silencieux avant de te concentrer à nouveau sur Woody.

N’importe qui se serait considéré chanceux, béni du ciel, de ne pas avoir été sur cette plage alors que la vie de tant de personnes s’apprêtait à basculer. À chavirer, pour ne plus jamais retrouver son chemin jusqu’à la surface. De nombreuses lumières s’étaient éteintes, la veille, et de nombreuses bougies s’allumeraient ce soir pour ces âmes perdues. Mais parmi ces chances d’être encore en vie pour ceux qui tenaient encore debout, il y avait Woody qui se maudissait de ne pas avoir été là. À la place de ces gens, mais surtout à la place de Freja. Il aurait sans hésiter donné sa propre vie pour éviter que celle de Freja ne soit ne serait-ce qu’effleurée. Sa propre vie ne valait de toute façon pas grand-chose à ses yeux, pas en sachant ce qui l’attendait. Il était déjà condamné à s’éteindre à petit feu, quelle différence y aurait-il eu à s’éteindre tout d’un coup ? Oui, c’est la pensée qui avait habité les pensées du physiothérapeute pendant toute cette nuit sans nouvelle, pendant ces heures à regarder les reportages à la télévision. Pendant tout le trajet qui l’avait mené à Freja. « Tu n’aurais pas eu à t’occuper de moi. T’auras jamais à t’occuper de moi, Frej’. C’est moi qui devrais avoir à m’occuper de toi. J’aurais dû être là pour le faire. » Réitéra-t-il, et cet aveu allait bien plus loin encore que cette fusillade, s’il était possible d’aller au-delà d’un tel événement. Il parlait évidemment de ce qui les attendait tous les deux, du refus intarissable de Woody quant à son autonomie, son indépendance. Il ne les remettrait jamais entre les mains de qui que ce soit. « Oui, je vais bien. J’étais à la clinique, à des kilomètres de là. Je n’avais absolument aucune idée de ce qui se passait … je n’avais aucune idée que tu étais … que tu aurais pu … » Il baissa la tête, ferma les yeux, posant une main sur celle de Freja. Quand il releva la tête, il eut à peine le temps de voir le reflet d’Andreas s’éclipser de la chambre. Il posa son regard sur le visage de sa meilleure amie. « Je suis juste tellement soulagé de te voir. De te parler. Que tu t’en sois sortie. » On ne pouvait pas en dire autant de tous les individus présents au festival la veille. Woody pouvait se compter incroyablement chanceux de n’avoir perdu personne aux mains de cet ignoble meurtrier. « As-tu besoin de quelque chose ? N’importe quoi. T’as qu’à me demander. » Dit-il, ne sachant même plus où donner de la tête. Il voulait savoir ce qui s’était passé, ce qu’elle avait eu, quelles interventions médicales elle avait reçues, comment elle se sentait, ce dont elle avait besoin … Au bord de ce gouffre devant lequel on réalise que les vies ne tiennent qu’à un fil, Woody prenait pleinement conscience de l’impossibilité de vivre dans un monde dans lequel Freja n’existait pas, n’existait plus.

Evidemment que Woody n'aurait pas voulu que tu t'occupes de lui s'il avait été sur cette plage en pleine détresse. Tu te souviens encore du jour de la tempête où il était littéralement incapable de bouger, incapable de se mettre à l'abri et qu'il refusait toute aide de ta part. Vous aviez dû vous lancer dans une course improbable sur le sable pour qu'il daigne enfin se mettre à l'abri de tout danger. Vu d'extérieur, ça paraît sûrement ridicule de refuser de l'aide à ce point mais pour toi, qui connais l'étendue de la maladie de Woody, ce n'est pas une surprise. Et puis, étant accro à l'indépendance et à la liberté, tu préfères aussi te débrouiller par tes propres moyens. Mais sur cette plage, tu n'avais pas eu d'autres choix que d'accepter de l'aide pour rester en vie et si c'était à refaire, tu referais exactement la même chose. « J'aime bien m'occuper de toi. » Dis-tu en haussant les épaules.  « T'auras tout le temps de t'occuper de moi pendant ma convalescence. » Parce que même si les médecins semblent plutôt optimistes, il faudra un certain temps avant que tu retrouves toute ta mobilité. Bien que tu sois prête à tout faire pour être sur pieds le plus vite possible. Les paroles de l'australien paraissent encore si défaitistes malgré que tu sois en vie juste sous ses yeux. Il semble encore terrifié à l'idée que tu aies pu mourir sur cette plage mais tu peux le comprendre, si les rôles avaient été inversés, tu serais probablement dans le même état. « Comment aurais-tu pu imaginer qu'un cinglé allait débarquer sur cette plage pour tuer tous les gens sur sa route ? Arrête de te torturer alors que je suis là et que je vais bien. » Réponds-tu en faisant pression sur sa main pour qu'il cesse de s'inquiéter pour toi. « Je suis plutôt coriace, t'as oublié ? » Demandes-tu pour plaisanter et rendre l'atmosphère un peu moins pesante, moins lourde. Tu secoues finalement la tête lorsqu'il te demande si tu as besoin de quelque chose en particulier. A cet instant précis, tu n'as besoin de rien d'autre que lui pour t'apaiser, te soulager. C'est une certitude et tu ne t'en caches même plus, tu as fini par comprendre qu'il était inutile de lutter contre tes sentiments pour Woody. « Juste de toi. » Murmures-tu avec un sourire aux lèvres. Finalement, tu ajustes ta position pour être face à Woody et grimaces un peu en bougeant ta jambe. C'est sans doute trop tôt. « Tu as eu des nouvelles de Nev' ? » Demandes-tu en fronçant les sourcils, inquiète à l'idée qu'il puisse lui être arrivé quelque chose à elle aussi.

Elle aurait beau le répéter mille et une fois, Freja, qu’elle aimait bien s’occuper de lui, Woody n’accepterait jamais cette idée. C’était facile de le dire d’un ton aussi léger, c’était facile d’aimer prendre soin de quelqu’un pour quelques jours d’une maladie éphémère. Mais celle de Woody, elle était là pour rester, et pire encore, pour le dévorer morceau par morceau jusqu’à ce qu’il ne lui reste aucune dignité. Jusqu’à ce qu’il ne lui reste plus rien du tout. Freja, de son côté, aurait quelques semaines de convalescence tout au plus, beaucoup de réadaptation à faire sans doute. « T’auras même ton physiothérapeute privé, à domicile, et complètement gratuit. Qui accepte les paiements en nature, par contre. » Il esquissa un sourire. Plutôt que de demeurer dans la tristesse et l’accablement, Woody préférait jouer la carte de l’humour, encore et toujours. L’émotion s’était déjà trop faite ressentir sur son visage, et elle ne tarderait pas à revenir. Aussi bien profiter de cette légère et courte accalmie. « Quelles interventions ont-ils dû faire à ta jambe ? » Demanda alors Woody, prenant enfin le temps d’évaluer l’état plus spécifique de la jeune femme, maintenant qu’il la savait hors de danger. Malgré tout, la torture psychologique ne tarda pas à se frayer un chemin jusqu’à son esprit encore, parce qu’alors qu’elle lui parlait de la balle qu’elle s’était prise dans la jambe, évidemment qu’il pensa que cette balle-là aurait pu l’atteindre ailleurs. À un endroit qui lui aurait été fatal. Ça avait été le cas de bien d’autres, après tout. Sauf que Freja le disait elle-même : elle était coriace. Et sacrément chanceuse dans sa malchance. « Trop têtue, aussi, même face à la vie et à la mort. La faucheuse a sans doute eu peur de toi. » Lâcha Woody pour à son tour détendre l’atmosphère. Il déglutit difficilement, parce que malgré l’humour, malgré leurs sourires et leurs yeux presque rieurs, il n’oublierait pas, Woody. Il n’oublierait pas qu’hier, on lui avait presque volé sa flamme. « Je suis là. » Répondit Woody quand elle lui affirma qu’elle n’avait besoin que de lui. Il serra sa main dans la sienne et grimaça à son tour en voyant Freja faire de même, de douleur. Il souffrait de la voir souffrir. Il aurait tout donné pour être à sa place. « De Nev, de Felix, de mes parents. Tout le monde va bien. » Il sourit. « T’as été la seule à manquer à l’appel. J’ai essayé de te joindre toute la nuit. » Il secoua doucement la tête, baissant les yeux. Ça ne servait plus à rien de courir après cette angoisse. Freja allait bien. « Ça m’a beaucoup fait réfléchir … À toi, à nous. Et je voulais m’excuser. Pour tout ce que je te fais. À ton mariage, et puis avec Andreas, et … tout le temps, en fait … » Il haussa les épaules. « I was being a jerk. » Et il continuait à l’être, malgré cet intermède.  

« Ce n'est plus gratuit si tu demandes un paiement en nature. » Dis-tu en arquant un sourcil, taquine. « Mais tu sais bien que je ne dis jamais non à ce genre de remboursements avec toi. » T'empresses-tu de dire avec un sourire malicieux aux lèvres. Avec Woody, vous avez eu bien des problèmes, bien des obstacles sur votre route, mais en ce qui concerne le sexe, ça a toujours fonctionné. Sans doute que le jour où vous n'arriverez plus à être sur la même longueur d'ondes à ce niveau-là, alors, tout sera perdu. Heureusement, jusqu'ici, vous ne semblez pas prêts à tirer un trait sur cette histoire sans nom que vous partagez depuis des mois maintenant. « Tu crois que tu sauras supporter Concho' et Tahlia ? » Peut-être que Woody imagine que tu viendras chez lui durant ta convalescence mais toi tu vois plutôt cela à l'appartement, dans un endroit bien à toi où tu te sens bien. C'est aussi le cas chez l'australien mais ce n'est pas la même chose, ce n'est pas ta maison, après tout. Lorsque Woody te demande quelles interventions tu as subis, tu fronces les sourcils essayant de te souvenir ce qu'Andreas t'a expliqué et ce que les médecins ont dit à ton réveil. A vrai dire, tu n'écoutais pas tellement, bien trop concentrée sur le norvégien que tu étais heureuse de retrouver. Heureusement, tu te souviens de l'essentiel. « Pas grand chose au final. Les médecins disent que j'ai eu beaucoup de chance et que je devrais me remettre assez rapidement. La balle est ressortie sans faire trop de dégâts... aucune artère touchée. Ils n'ont fait que vérifier qu'il n'y ait pas de dégâts internes, puis nettoyer et soigner la plaie. Maintenant, c'est le suivi qui va être important. Je dois être surveillée régulièrement pour éviter qu'il y ait une hémorragie ou une infection. » Dans ce tragique événement, tu étais sans aucun doute parmi les plus chanceux. Tu aurais très bien pu finir sur la plage parmi les cadavres, toi aussi. Heureusement, avec l'aide de Jan et Andreas, tu étais sortie d'affaire bien que tu aies perdu pas mal de sang. « Têtue ? Je ne vois pas de quoi tu veux parler. » Dis-tu, de mauvaise foi. Tu sais pertinemment que tu as un caractère bien trempé mais tu sais aussi que c'est ce que Woody aime chez toi finalement. Tout comme toi, tu aimes autant ses défauts que ses qualités. Tu es immédiatement rassurée lorsque l'australien t'explique que tous ses proches vont bien, à commencer par Nevaeh. C'est le plus important dans tout ça, que tout le monde soit sain et sauf. « C'est super si tout le monde va bien. » Tu ressens un pincement au coeur en voyant l'inquiétude toujours présente sur les traits de Woody lorsqu'il parle de ses appels passés dans la nuit dans le but de te joindre. « Je suis désolée que tu aies dû subir tout ça... » Réponds-tu même si tu n'es pas fautive. Malgré tout, ça te fait du mal de voir à quel point il semble dévasté à cause de toi. Ou plutôt à cause de l'état dans lequel tu te trouves même si c'est bien moins grave que ça n'y paraît. Quand il s'excuse pour son comportement de ces derniers-temps, tu soupires plus longuement, complètement perdue face à tout ce que tu ressens à cet instant précis. Tu aurais bien envie de lui demander à quelle conclusion il est parvenu mais Woody est aussi peu bavard que toi lorsqu'il s'agit de ses sentiments. Tu te doutes bien que tu n'auras pas de vraie réponse. Alors à quoi bon insister ? « Je suis fatiguée de me battre contre toi, contre moi, contre nous, Woody... Je ne sais plus quoi faire pour qu'on arrête de se faire du mal. » Tu marques une pause pour détourner le regard afin de contenir ces larmes qui menacent de couler. « On est tous les deux des cons. Pas seulement toi mais nous... On agit vraiment comme des enfants. » Dis-tu en haussant les épaules, lasse. C'est ce que vous êtes quand il s'agit d'amour : des enfants. Toujours à renier ce que vous ressentez au fond de vous-même pour quoi au juste ?

« Mmm, je voyais plutôt ça comme un pourboire. Dans le genre que le service est gratuit, mais que tu peux, à ta discrétion, montrer ta reconnaissance … » Il esquissa un sourire, répondant tout aussi taquin à sa remarque. « J’t’offre la possibilité, juste parce que je sais fort bien que tu feras le bon choix. » Ajoute-t-il, arquant à son tour un sourcil, comme s’il la défiait d’une certaine manière alors qu’ils savaient aussi bien l’un que l’autre comment tout cela allait se terminer. Ils faisaient souvent les mauvais choix, Freja et Woody. Les mauvais choix de mots, les mauvais choix de sentiments, mais au lit, ils étaient constamment en parfaite symbiose. C’était à la fois beau et triste de se dire que c’était ce qui les maintenait le plus en place. La jeune femme lui demanda alors s’il serait capable de supporter ses deux colocataires, ce qui lui fit hausser les sourcils en même temps qu’il reculait légèrement la tête, de surprise. « Oh. » Lâcha-t-il d’abord, parce qu’il comprenait par là que toute sa réadaptation se ferait chez elle, et qu’ils n’auraient donc aucune intimité – après tout, ils étaient toujours un peu dans les parages, et ils étaient même à la recherche d’un autre colocataire. « Bien sûr que j’y arriverai. Surtout Tahlia. Pour Concho, je ne promets rien. Enfin, c’est surtout lui qui n’arrivera sans doute pas à me supporter. » Il esquissa un sourire. Ce n’était pas un secret que Woody pouvait parfois le trouver too much, mais surtout, il savait très bien que Concho éprouvait encore une certaine rancune à l’égard de Woody puisqu’il avait pu se montrer assez méchant à son égard, quand ils étaient adolescents. Ally se faisait d’ailleurs un plaisir de le lui remettre sous le nez, autrefois. Ne voulant pas trop se projeter dans cette situation qui ne serait sans doute pas toujours facile à vivre, Woody demanda plutôt à Freja quelles interventions elle avait eu, exactement. Ça lui permettrait déjà de songer à un plan de traitement pour la suite. Il hocha la tête quand elle parla des suivis réguliers. « Pour ce qui est de la réadaptation, ce ne sera donc que musculaire. Tu devrais pouvoir te remettre debout assez vite. » Les muscles avaient une belle et forte capacité de reconstruction, et avec quelques exercices bien exécutés, ce ne serait qu’une question de quelques semaines avant qu’elle ne retrouve sa mobilité habituelle. Après avoir rassurée Freja sur l’état de sa famille et de leurs amis, Woody mentionna qu’elle avait été la seule à l’avoir laissé sans nouvelle. Il y avait bien sûr eu Freja, mais il avait pu suivre les développements de sa chirurgie et de son rétablissement, parce qu’on l’avait tenu au courant. Il n’avait pas été complètement dans le noir, pas comme avec Freja. « Hé, sois pas désolée. T’as déjà bien assez de choses en tête comme ça. » Le traumatisme, les images qui devaient lui revenir en tête, sa douleur, son propre entourage, sa guérison. Woody ne voulait pas être un problème de plus, même qu’il tenta de se faire pardonner pour son comportement des derniers mois. Ça lui semblait être un bon moment pour être un peu moins con. Malgré tout, Freja soupira longuement, comme si elle aurait préféré qu’il se taise. Qu’ils n’aient plus jamais à en parler. Pour Woody, ça semblait inévitable. Elle l’avait dit elle-même : il y avait eu tant de non-dits. Sauf que les paroles de Freja lui laissaient croire que ça n’avait plus sa place. Quand elle disait qu’elle était fatiguée de se battre contre eux, lui entendait qu’elle ne voulait plus se battre pour eux. Ses épaules relâchèrent légèrement, comme abattu. « Où est-ce que tu veux en venir ? Qu’est-ce que t’es en train de me dire ? » Demanda-t-il, une boule dans la gorge. « Tu veux qu’on arrête … tout ? » Parce que ce serait la seule manière qu’ils arrêtent de se faire du mal, au fond, n’est-ce pas ? Que ça se termine, une bonne fois pour toute.  

Ton sourire s'élargit au fur et à mesure que Woody entre dans ton jeu, tout aussi taquin que toi. Il te connait par coeur et si tu n'y étais pas tant habituée, tu trouverais sans doute cela assez déconcertant. « Oh je vois... Alors je n'hésiterai pas à te montrer à quel point je suis reconnaissante. » Dis-tu en accompagnant tes paroles d'un clin d'oeil avant d'ajouter : « Je risque d'abuser de ton corps de bien des manières Rutkowski... peut-être que finalement tu regretteras tes paroles. » C'est peu probable, au fond. Parce que même après des mois de relation amicale mélangée au sexe, vous ne semblez pas rassasiés l'un de l'autre. Au contraire, même, vous semblez en redemander, encore et encore. Comme si consommer votre relation de toutes les manières possibles - à l'après d'une - n'était pas suffisant. Il reste bien la manière "relation amoureuse/couple" que vous n'avez pas encore exploré mais ça ne semble pas être dans vos plans. Vous risqueriez de perdre bien trop gros en vous lançant dans une relation de ce type. Alors, vous profitez de chaque instant que la vie a à vous offrir sans en perdre une miette. Tu peux remarquer la surprise sur le visage de Woody et dans le ton de sa voix lorsque tu lui fais comprendre que tu désires passer ta convalescence à l'appartement plutôt que chez lui. Tu adores l'intimité que vous partagez chez Woody mais en ce moment, tu as besoin d'avoir tes propres repères et il n'y a qu'à l'appartement que c'est le cas. Heureusement, il semble le comprendre ou du moins supporter l'idée, sans doute par égard pour toi. « Je sais que tu aurais préféré qu'on soit tous les deux, chez toi, mais j'ai besoin d'être entourée de mes affaires, d'avoir ce sentiment d'être à la maison, tu vois ? Ce n'est pas que ce ne soit pas le cas chez toi c'est juste que c'est... différent. » Peut-être parce que tu n'es pas la seule à partager les draps de Woody, finalement. Peut-être parce que cette maison a abrité bien d'autres femmes dont tu te passerais bien de connaître l'existence. C'est sans doute égoïste de penser de cette façon alors que tu ne te caches pas d'être volage, toi aussi, mais c'est ton sentiment. C'est plus fort que toi. « On a fait un pacte Tahlia et moi et il se pourrait bien que ton nom soit inclus dedans. » Dis-tu avec un air mystérieux et amusé. « Pour Concho', même s'il est un peu con parfois, tu verras, on s'y habitue vite et surtout, il est plutôt facile à vivre. Enfin non, mais il met de la bonne humeur dans l'appart' et c'est ce dont j'ai besoin en ce moment. » Après tout ce que tu as vécu ces derniers temps, les cauchemars, la drogue, l'attentat, tu as besoin de sérénité et de douceur. Simplement ça. « J'espère. Tu sais à quel point j'ai besoin de liberté. » Réponds-tu en soupirant. Oh oui, Woody le sait pertinemment parce qu'il partage ce désir de liberté plus que quiconque avec toi. Un jour, il en sera privé à cause de sa maladie et rien que d'y penser, tu sens une boule se former dans ta gorge, les larmes menaçant de couler. Tu balayes ces mauvaises pensées en secouant la tête pour te concentrer, à nouveau, sur ton meilleur ami. « Je sais mais ça me déchire de te voir malheureux. » Sans doute parce que tu ressens les émotions de Woody comme si tu les vivais en même temps que lui. Tu sais déchiffrer chaque geste, chaque parole - ou presque - venant de lui et en ce moment, tu vois qu'il culpabilise. Pour quoi, au juste, alors qu'il n'a rien fait ? Après un long soupir, tu fais part à l'australien de ta lassitude et de ton état de fatigue à force de te battre contre cette relation que vous entretenez, contre lui et surtout contre tes propres sentiments. Contre toute attente, la réaction de Woody te prend de court. Il imagine que tu baisses les bras alors que ce n'est pas ça du tout... Tu cherches simplement une solution mais existe-t-elle vraiment ? « Je ne sais pas... » Dis-tu sans oser le regarder dans un premier temps. « Je t'aime tellement que ça me terrifie, Woody. Je ne sais plus quoi faire pour oublier ce que je ressens, pour mettre de côté ces sentiments. Je sais que je ne suis pas assez bien pour toi et que nous deux... et bien ça n'existera probablement jamais... mais c'est ce que je ressens. Alors dis-moi ce que je dois faire pour arrêter d'être heureuse et malheureuse à la fois quand tu es là. » Parce que toi tu n'en peux juste plus. Tu ne sais pas si c'est les analgésiques qui font effet ou si c'est l'attentat qui te pousse à être transparente avec Woody mais maintenant, au moins, les choses sont dites. La bombe est lâchée et la question est : va-t-elle t'exploser en plein visage ou Woody va-t-il être assez fort pour la désamorcer ?

Peu importe dans quel état ils se trouvaient, même après avoir frôlé la mort ou presque, Woody et Freja arrivaient toujours à retomber dans ces vieilles habitudes, ces caractéristiques qui faisaient d’eux ce qu’ils étaient. Celles qui les rapprochaient tout en les éloignant à la fois, dépendamment du point de vue qu’ils empruntaient. Cet air taquin, ces paroles aguicheuses, leur rappelaient à tout coup à quel point ils étaient en symbiose au plan sexuel, mais aussi à quel point c’était bel et bien la seule sphère qu’ils savaient habiter ensemble. Du moins, sans se faire constamment mal, sans même le vouloir. « J’pourrai avoir bien des regrets, Ivanova, mais ces paroles-là n’en feront jamais partie, je t’assure … » Et si elles le devenaient un jour, un regret, ce serait quand Woody ne pourrait plus faire l’amour à Freja et qu’il regretterait de ne pas les avoir prononcées plus souvent, de ne pas y avoir mis l’emphase suffisante pour lui faire comprendre, à Freja, qu’il avait besoin d’elle, de son corps, de son sexe, de son amour … tout le temps. C’est aussi pour cette raison que Woody sembla aussi déconfit quand la norvégienne lui fit comprendre que sa convalescence se déroulerait chez elle, dans cet appartement qui avait vu et voyait encore passer bien trop d’âmes errantes. Ils ne seraient jamais tranquilles, ils n’auraient jamais cette intimité que sa maison leur permettrait d’avoir. Woody voyait toutefois bien dans le regard de la jeune femme que ce n’était pas négociable, et il savait alors que ça ne servait à rien d’insister. He knew better. Freja remarqua quand même sa déception et se justifia, alors qu’elle n’avait pas besoin de le faire. « Je comprends, t’en fais pas. » Et pour ses colocataires, Woody s’habituerait. Et puis, il n’aurait pas à être là vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sauf si Freja le lui demandait. Si c’était le cas, alors il resterait. Pour elle, il resterait. « Un pacte ? Quel genre de pacte ? » Demanda Woody, fortement intrigué, ne voyant pas pourquoi il serait impliqué dans une telle affaire auprès de Tahlia. Il arqua un sourcil en attendant la réponse, avant que son visage ne se crispe un peu en parlant de Concho. Woody haussa les épaules. « On s’évitera, c’est tout. » De toute façon, comme le jeune homme le mentionna à sa meilleure amie, sa réadaptation se déroulerait sans doute assez rapidement. Ils pourraient alors sortir plus souvent, s’évader ensemble, même si ce n’était qu’à quelques coins de rue de là. Vivre. Pendant qu’ils le pouvaient encore. Les dernières vingt-quatre heures leur prouvaient seulement à quel point on ne contrôle rien de la vie, et que tout peut basculer en une fraction de secondes. Cette pensée avait alors assombri le regard du trentenaire, replongé dans sa détresse de la nuit dernière. Mais ce n’était rien comparativement à la vague de désespoir qui l’enveloppa, le serra, manquant de le noyer en lui-même, quand Freja sembla baisser les bras sur lui, sur eux. C’était ce qu’il attendait depuis si longtemps et pourtant, Woody ne semblait pas prêt ni à l’accompagner sur cette voie, ni à l’encourager à s’y aventurer. Il n’avait pas eu assez de temps auprès d’elle, Woody. Mais ce moment-là arriverait un jour ou l’autre … « C’est vraiment ce que tu penses, Freja ? Que tu n’es pas assez bien pour moi ? » Il secoua la tête, n’arrivant même pas à en croire ses oreilles. Il soupira à son tour, las de tous ces mensonges, las de se voiler la face. « C’est tout le contraire. Tu mérites tellement mieux, tellement plus que ce que j’ai à t’offrir. Autant maintenant que plus tard. Tu sais … ce n’est pas toi le problème, Freja. Ça n’a jamais été toi. Je t’aime … je t’aime, plus que tu ne peux l’imaginer. Je t’aime d’un amour qui ne s’explique même pas. Mais pourquoi penses-tu que je n’ai pas pu m’engager auprès de Sara ? Pourquoi penses-tu que je l’ai laissée partir, que je l’ai même poussée à partir ? Je l’aimais aussi. Mais je ne pouvais pas lui faire ça, je ne pouvais pas la condamner à une vie avec moi. Tout comme je ne peux me résoudre à t’le faire à toi … Parce que tu mérites mieux. Tu mérites mieux, Freja. » Ses mains se séparèrent de celles de la norvégienne. « Alors peut-être est-il temps, pour te prouver à quel point je t’aime, que je te laisse enfin aller … » Elle cherchait le moyen de ne plus souffrir. C’était le seul que Woody entrevoyait.  

Et heureusement, finalement, que Woody ne regrettera jamais ses paroles car ça veut dire que ce que vous vivez, c'est quelque chose de vrai. D'indélébile. Quelque chose qu'on ne peut oublier ni regretter même lorsque les choses changent. Et peut-être qu'un jour les choses changeront, entre vous, mais au moins, les souvenirs resteront. Lorsque tu te justifies sur ton besoin d'être chez toi, à l'appartement, durant ta convalescence, tu vois que l'idée ne plaît pas tellement à ton meilleur ami mais qu'il est prêt à faire un effort si c'est ce que tu désires. Si les rôles étaient inversés, toi aussi, tu serais prête à tout pour son confort et son bien-être. Vous avez toujours fonctionné comme ça, tous les deux. Toujours à la recherche du moindre petit détail pour rendre l'autre heureux même maladroitement, parfois. A une époque, ce n'était que sur un plan amical mais très vite, l'évidence est parvenue jusqu'à vous. Et même si il reste beaucoup de non-dits entre Woody et toi, votre amour l'un pour l'autre n'en fait pas partie. Vous vous aimez, c'est indéniable mais ce n'est pas suffisant. Comme quoi, l'amour ne triomphe pas toujours. « Merci. » Dis-tu simplement lorsque Woody accepte de venir à l'appartement plutôt que chez lui. Quand tu amènes le sujet du pacte sur le tapis, tu peux voir à quel point l'australien est dérouté et curieux. Encore un code d'honneur entre filles que les hommes ne peuvent pas comprendre. Apparemment, entre eux, il n'y a pas de tabous. « Disons plutôt une liste. Pour Tahlia, t'es un peu comme le fruit défendu. » Dis-tu en arquant un sourcil, amusée. Sauf que pour ce fruit défendu-là, il n'y aura aucune boîte de Pandore. Tu sais que Tahlia tiendra ses engagements et respectera la liste. Tout comme toi, tu respecteras la sienne quand celle-ci sera plus remplie. Tu hoches finalement la tête lorsque Woody clôture le sujet "Concho" en concluant qu'ils s'éviteront, ce qui est sans doute la meilleure idée possible. Puis, sans crier gare, vous empruntez un chemin miné, un chemin des plus compliqués. Du moins, c'est toi qui l'empruntes la première, emmenant Woody par la même occasion sur ce chemin glissant. Tu veux que pour une fois, il t'ouvre son coeur et étonnamment, c'est ce qu'il fait. Même si ses mots sont difficiles à avaler pour toi. Difficiles à comprendre et surtout à accepter. « Oui c'est ce que j'ai fini par croire... » Dis-tu en baissant le regard sur vos mains entremêlées. Vous êtes si proches physiquement parlant et pourtant, là, tu as l'impression d'être à mille kilomètres de son coeur. Comme si c'était un objectif impossible à atteindre. Quand il t'avoue enfin à quel point il t'aime, ton coeur rate un battement et peine à redémarrer. C'est si brutal, si beau, si inattendu et pourtant, la suite anéantit tous tes espoirs. « C'est de toi dont j'ai besoin. Pas d'un autre, de toi. Seulement toi. Pourquoi refuses-tu de comprendre que je veux une vie avec toi peu importe ce qui t'arrivera, peu importe si la maladie finit par t'emporter ? Ça me tue de t'imaginer tout seul dans ta grande maison, malade et malheureux alors qu'on pourrait construire une belle vie, ensemble, tous les deux. Rien que toi et moi. » Réponds-tu en fixant son regard, jusqu'à ce qu'il détache sa main de la tienne. Lorsqu'il parle de te laisser partir, c'est tout ton être qui explose en mille morceaux. Bouleversée, tu détournes la tête, essayant de te mettre de l'autre côté du lit pour tourner le dos à Woody non sans peine. Tu retiens des sanglots autant que possible, ne voulant pas paraître faible devant lui alors qu'il vient de briser ton coeur une nouvelle fois. Il n'est pas prêt à s'engager avec toi et ça, ça ne changera jamais. Tu dois accepter l'évidence même si ça te paraît insupportable et insurmontable. « Pars, c'est ce que tu sais faire de mieux... » Murmures-tu plus bas, enfouissant ton visage dans la couverture pour cacher les larmes qui ruissellent sur tes joues sans plus s'arrêter.

C’est avec un sourire plutôt amusé que Woody apprit que son nom figurait sur une liste, et que de ce fait, il devenait un fruit défendu aux yeux de Tahlia. Eux qui s’étaient si souvent tournés autour. Eux qui avaient ponctué leurs conversations de sous-entendus qui devenaient, au fil du temps, à peine subtils. Eux pour qui les regards en coin et les sourires charmeurs n’étaient devenu que monnaie courante. Ils n’étaient jamais passé à l’acte, Tahlia et Woody, et ce jeu du chat et de la souris n’aurait finalement jamais d’issue, à en croire Freja. Ils seraient à jamais dans ce labyrinthe, à longer les murs sans jamais se trouver, sans jamais s’enfuir. « Il y en a d’autres, des noms, sur cette liste ? » Demanda Woody, une légère pointe de jalousie teintant sa curiosité. Il aurait aimé être le seul, il aurait aimé avoir le monopole de la jalousie de Freja. Être le seul homme à ne pas pouvoir être partagé. Malheureusement, très bientôt, ce problème ne se poserait même plus. Il n’y aurait plus rien à partager. Plus rien à protéger. Parce que Woody et Freja étaient sur le point d’exploser. Il fallait que ça arrive, tôt ou tard. Le trentenaire aurait juste préféré que ce soit un peu plus tard. Il pensait avoir encore quelques années pour se perdre dans les bras et dans le regard de sa meilleure amie. Il pensait pouvoir se voiler la face encore un peu avant que la raison ne les rattrape enfin et qu’ils cessent de jouer à ce jeu qui n’avait aucune règle, aucun but. C’était la première fois que Woody avouait réellement son amour à Freja et pourtant, ces paroles avaient un certain goût d’adieu. « Il n’y aurait plus rien de beau à cette vie, à un moment, Freja. Pourquoi toi, est-ce que tu refuses de comprendre que tu n’as aucune idée de ce qui t’attends si tu t’entêtes à vouloir de moi ? Moi, ce qui me tue, c’est de t’imaginer devenir prisonnière de cette vie que tu veux tant en ce moment. Quand j’essaie de me projeter avec toi, parce que oui crois-moi c’est à ces pensées utopiques que je m’accroche quand j’m’endors le soir, tout ce que je vois au fond c’est moi qui t’arraches ta liberté, c’est moi qui t’enchaînes à mon handicap, … c’est moi qui t’enlèves tout bon souvenir de nous. » Et il préférait tout arrêter là, Woody, plutôt que de risquer qu’elle se perde à ce point. Alors ses mains se dégagèrent des siennes, et un mouvement de recul plus tard, il la laissait aller. Ses paroles comme ses gestes lui rendaient cette liberté qu’elle aurait été prête à mettre en péril pour lui. Mais Woody aimait bien trop Freja pour la laisser s’oublier à ce point. Elle se tourna de dos à lui, et c’était tant mieux, parce que si elle cachait ses larmes, elle permettait également à Woody de laisser les siennes couler sans retenue quand elle lui demanda de partir. « J’aurais préféré être meilleur pour t’aimer que pour fuir, Freja, crois-moi. J’imagine qu’on aurait pu avoir la plus belle vie qu’il soit donné de vivre, si ça avait été différent. » Il soupira, et même son simple souffle entre ses lèvres tremblait de par ses sanglots. « Je veux que tu saches que je n’ai jamais voulu te faire souffrir, Freja. On s’est laissé emporter par un amour plus grand que nous, et je suis désolé de nous avoir laissés nous y perdre, parce qu’au fond, je savais depuis le début que ça se terminerait comme ça … » C’est alors que tous ces plans qu’ils venaient de faire, la convalescence de Freja chez elle, les aventures qui les attendraient après, toutes ces nuits sous les mêmes draps, toutes ces promesses qu’ils se chuchotaient à l’oreille depuis mois, tout venait de s’envoler en fumée. Et leur histoire se dissipait peu à peu dans l’air, comme de vieux journaux jetés dans un feu qui n’avait rien de joyeux.

Cette liste avait été réalisée sur un coup de tête mais la seule évidence à tes yeux, c'était que Woody devait figurer tout en haut. En première position. Ça n'a pas vraiment étonné Tahlia mais dans ton entourage proche, personne n'ignore qu'il se passe quelque chose entre ton meilleur ami et toi. « En fait non. Je crois qu'il n'y a qu'avec toi que ça me rendrait vraiment vraiment dingue. » Pire que ça, même. Tu ne répondrais sans doute plus de tes actes si ça finissait par arriver mais tu as confiance en Tahlia plus qu'en quiconque. Tu ne te fais pas trop de soucis à ce niveau-là mais tu es bien loin d'imaginer qu'ils ont déjà joué à des jeux de séduction tous les deux. Tu secoues la tête lorsque Woody peint un tableau bien horrible de la vie que vous pourriez partager si, enfin, vous décidiez d'admettre l'évidence. Si, enfin, vous décidiez de vous donner une chance. Evidemment, tu ne peux pas être d'accord avec ce qu'il dit parce qu'il n'envisage qu'une vie terne et malheureuse. Il n'envisage pas une seule seconde que les choses pourraient être plus belles qu'il ne l'imagine. Et c'est bien ça qui provoquera votre perte. « Je ne sais pas ce que sera la vie avec toi mais j'ai encore plus peur de la vie sans toi, Woody. Ma liberté ne vaut rien à côté de toi. On découvrira le monde autrement et si ce n'est pas le cas et bien tant pis, j'ai déjà vu bien plus que la plupart des gens sur cette terre. » Ça t'importe peu, au final, de garder une certaine indépendance, une certaine liberté, si Woody n'en fait pas partie. Mais tu pourrais dire n'importe quoi, ça ne changerait rien. Sa décision est prise peu importe ce que tu diras pour tenter de le convaincre. Alors, tu préfères éviter de croiser à nouveau son regard et finis par lui tourner le dos, cachant cette immense tristesse qui submerge à présent ton visage. « T'aurais pu être meilleur, t'aurais pu nous offrir une belle vie mais t'es trop borné et trop con pour l'admettre. C'est ta faute si on en est là. » Toi, tu aurais été prête à donner une chance à votre amour, à votre relation, peu importe ce qu'il se passera. Au moins, vous ne seriez pas condamnés à vivre avec des regrets. Tu te retournes le temps de quelques secondes, le visage tiraillé entre la tristesse et la colère, pour le regarder. « Tu le savais parce que tu te fermes à l'idée d'être heureux, un jour. Tu te fermes à toute possibilité de bonheur et pourquoi ? Pour des conneries ! J'espère que tu regretteras tes paroles, Woody, et vite, parce qu'un jour, il sera trop tard pour faire machine arrière. » Un jour, tu finiras bien par oublier cette souffrance et cet amour que tu éprouves. Un jour, tu finiras bien par passer à autre chose et là, il n'y aura plus aucun retour possible pour vous deux. « Va t'en maintenant. C'est trop dur si tu restes là. » Parce que tu n'en peux plus de sentir ton coeur exploser en mille morceaux encore et encore. Tu as besoin de reprendre ton souffle, besoin de prendre l'air, besoin de tout oublier. Il n'y a que la drogue qui puisse t'apporter tout ça à la fois mais étant dans un hôpital, c'est impossible. Tu es condamnée à éprouver cette immense douleur dans le coeur pour de longues heures encore. Et quelque chose te dit que ça ne se compte pas en heure mais bien en mois voire en années.

Comment un monde pouvait-il s’écrouler en une fraction de seconde ? Comment pouvait-on passer d’une telle légèreté à autant de tristesse même sans crier gare ? « Cet autrement dont tu parles, il sera loin de ce qu’on a présentement. Nous sommes heureux, là, maintenant, Freja. On s’aime, on repousse nos limites et celles du monde. Mais dans quelques années, on ne pourra plus vivre comme ça. On vivait sans se poser de questions mais peut-être aurions-nous dû nous les poser plus tôt. Je sais maintenant que t’es trop aveuglée par ce qu’on est devenus, pour penser clairement … » C’était la seule explication qu’il pouvait trouver, Woody, au fait qu’elle soit prête à s’enchaîner à lui au détriment de sa propre liberté chèrement acquise. « Je sais. C’est ma faute. Et entends-moi quand je te dis que je suis tellement désolé qu’on en soit arrivés là. » Il l’avait trop aimée dès le départ pour pouvoir se montrer assez fort et assez courageux pour ne pas profiter, ne serait-ce que pour quelques petites années d’amitié puis d’amour, d’une vie à ses côtés. Mais ne dit-on pas qu’il vaut mieux tard que jamais ? Woody ne se serait jamais pardonné de ne jamais lui avoir offert cette porte de sortie. De ne jamais l’avoir obligée à en passer le pas. Du haut de la liste de Freja, du numéro un, Woody venait sans doute de chuter en un instant, en un éclair de lumière juste assez aveuglant pour qu’ils ne puissent même pas s’aimer une toute dernière fois avant que la noirceur ne les enveloppe. S’il avait déjà expérimenté, quelques jours durant, ce que c’était que d’être aveugle, de ne voir que des ombres et des lumières, il n’avait jamais songé que la cécité du cœur le laisserait encore plus démuni. Woody n’avait plus aucune idée d’où aller. Freja lui demandait peut-être de partir, mais où ? Sans elle, il perdait le nord. L’aiguille de sa boussole tournoyait sans cesse, dans le tourbillon de sentiments que le cœur de Woody s’entêtait à pourchasser à coups de battements accélérés. Il s’y perdait, son cœur, entre l’amour, la peur, la colère, la tristesse, la culpabilité. Et l’espoir que peut-être, il pouvait revenir sur ses paroles et tout oublier. S’oublier. Mais pourquoi s’être autant battu contre Freja pour finalement lâcher prise alors qu’ils étaient au bord du gouffre ? Et pourtant, elle semblait lui dire qu’il n’était pas trop tard pour faire machine arrière, que ses regrets n’avaient pas à prendre vie, pas maintenant, s’il changeait d’avis. Il ne répondit rien, tout son bloqué à la sortie de ses lèvres. Alors, face à ce silence, elle lui demanda à nouveau de partir. « J’espère qu’un jour tu sauras me pardonner ces dernières minutes. Et que tu garderas un beau souvenir de nous deux. On mérite au moins ça, d’être gardés en belle mémoire. Je n’oublierai jamais à quel point on s’est aimés, Freja. » Sans doute parce que lui ne cesserait jamais de l’aimer, au fond. Et quand son temps viendrait, quand la vie lui prendrait tout ce qu’il avait, il aurait un sourire narquois et un doigt d’honneur dirigé vers le ciel lorsqu'il fermerait les yeux et prendrait fuite dans son exutoire inatteignable. Elle.
Et il s'en alla.

FIN.