i change the clocks back again † feat. elena

Deux semaines. Cela faisait maintenant deux semaines qu'Elena avait perdu son livre préféré : le fameux Roméo et Juliette de Shakespeare. Impossible pour elle de remettre la main dessus. Et elle en avait besoin pour un devoir à rendre à l'université. Elle avait mis son appartement sens dessus dessous, n'épargnant rien, pas même les tiroirs de sa colocataire, Aylin. Gaffeuse et tête en l'air comme elle est, l'ouvrage aurait pu se trouver n'importe où, même dans la salle de bain. Mais cette fois, la petite Anglaise abdiquait : après une bonne heure de recherches, elle ne le trouvait pas. Elle se sentit angoissée à l'idée de ne pas le retrouver, car terminer son analyse de l'ouvrage devenait plus qu'urgent... Elle s'arrêta alors de chercher, s'assit sur son lit, et souffla un coup. « Elena, ce n'est plus possible, cette fois ! Il faut vraiment que tu t'organises. » pensa-t-elle, dans un élan de désespoir. Ce livre, elle l'avait lu des dizaines de fois, et elle y tenait beaucoup, car chacune de ses lectures avait été différente : à chaque fois, elle avait compris un passage autrement que la dernière fois, s'imprégnant de l'atmosphère dans laquelle elle lisait. Elle aimait varier ses lieux de lectures, et Bowen lui offrait un tas de possibilités : de la plage aux petits bars, en passant par le très beau parc... Le parc !

Ni une, ni deux, elle enfila son manteau, attrapa son sac et se précipita dehors. D'un pas rapide, elle marchait. Parce qu'elle s'était souvenue de la dernière fois qu'elle avait lu son précieux ouvrage : au parc, un jour bien particulier d'ailleurs. Bientôt, elle atteignit le grand portail métallique du jardin. La nuit était tombée et le vent qui soufflait faisait tomber les dernières feuilles de l'automne. L'étudiante s'engouffra dans l'allée qu'elle avait empruntée la dernière fois, ayant dans l'idée de retrouver le banc sur lequel elle s'était assise deux semaines auparavant. A l'angle du chemin qui menait jusqu'à ce lieu précis, elle s'arrêta nette. Quelqu'un était, de la même façon qu'elle, en train de lire sur ce banc. Elle devinait une silhouette masculine, mais un peu trouillarde, elle hésita. Après tout, il faisait noir, le parc était sans doute désert, et elle connaissait des histoires effrayantes à propos de jeunes filles violentées pour avoir été imprudentes. Et elle-même était sans doute imprudente de se promener seule, dans un endroit vide, au milieu de la nuit. Mais tant pis pour cette fois. Elle reprit sa marche et arriva bientôt au niveau de l'homme mystérieux.

Une sensation étrange s'empara d'elle. Elle ne le voyait pas très bien, mais elle le connaissait. Oui... Elle l'aurait reconnu entre tous. Cet homme, elle l'avait aidé, conduit à l’hôpital, même. Elle s'approcha, attendit qu'il ne lève la tête vers elle avant de commencer : « Hé... Je vous connais... » Elle ne put dire un mot de plus, stupéfaite de retomber sur lui.

Le souvenir de l'après-midi où elle était venue en aide à cet homme revint à son esprit. Elena s'en souvenait parfaitement, et quand elle y repensait, elle trouvait cela particulièrement étrange. Elle l'avait vu de ses propres yeux, il avait semblé torturé, possédé, comme dans un mauvais film d'horreur. Au début, elle avait été effrayée, mais bien vite, elle avait ressenti le courage et la force de l'aider. Personne ne devrait souffrir ainsi. Au moment où elle se retrouvait devant lui, dans le parc, elle ne comprenait toujours pas ce qui lui était arrivé ce jour-là : était-ce récurrent ? Était-ce la première fois que cela lui arrivait ? Comment était-ce possible ? Autant d'interrogations s'imposaient à elle. Mais l'essentiel était que désormais, il semblait aller mieux, et elle fut rassurée de le voir ailleurs que sur un lit d'hôpital, comme au moment où elle avait été contrainte de le quitter.
Elle s'approcha timidement de lui, et se rendit compte qu'il était en train de lire le livre qu'elle avait tant cherché. A présent, elle se trouvait idiote de ne pas y avoir repensé plus tôt : comment oublier ce jour-là ? Mais c'est sans doute la précipitation et le choc liés à la crise du jeune homme qui lui fit oublier les détails. Il leva la tête vers elle, une expression heureuse dessinée sur son visage, avant de prendre la parole : il la reconnut et la gratifia de l'avoir en quelque sorte sauvé. Avec réserve, elle répondit alors : « On peut dire ça comme ça, oui... » Elena n'aimait pas qu'on lui attribue de faux mérites : d'accord, elle l'avait aidé, mais pour elle, c'étaient les médecins qui lui avaient sauvé la vie. Pas elle. Elle n'aimait pas vraiment se mettre sur le devant de la scène. « Je vous en prie, personne ne vous aurait laissé dans cet état, c'est impossible ! Disons alors que j'ai aidé » ajouta-t-elle avec un sourire bienveillant. Elle posa ses yeux sur l'ouvrage qu'il tenait entre ses mains : « Je l'ai cherché absolument partout... Vous aimez Shakespeare ? » Elle hésita un instant avant de s'asseoir sur le banc, aux côtés de l'inconnu. Mais elle se sentait en confiance désormais, et l'aspect lugubre du parc ne l'effrayait plus.