don't go wasting my time + maxwell

La journée avait mal commencé, comme si tu t'étais levée du mauvais pied. Tout allait de travers, c'était à croire que l'univers te tombait sur la tête. Puis, le comble, t'étais presque fait renverser par une bagnole sur ton chemin vers la boutique de tatouage. Tu avais vu ta vie défiler devant tes yeux alors que ce chauffard un peu trop con pour regarder devant lui n'avait pas réellement fait son stop. Toi, tu n'avais pas de voiture, mais ça ne t'empêchait pas de râler contre les automobilistes qui conduisaient un peu trop mal. En même temps, tu avais le droit : tu avais le permis, tu n'avais simplement pas le luxe de rouler en voiture. De toute façon, tu préférais la marche, c'était bon pour le cardio. Arrivée au shop, tu espérais sincèrement que cette voiture serait la seule chose qui te mettrait dans une humeur aussi massacrante que tu l'étais.
La boutique roulait un peu mieux ces derniers temps, mais tu ne pouvais tout de même pas te permettre de refuser des clients. Tu commençais tout juste à reprendre voile, il ne fallait certainement pas arrêter maintenant. Alors, bien trop souvent, tu te retrouvais à faire des heures un peu folles pour satisfaire tes clients. Tu travaillais très tard, voir même carrément la nuit, pour accommoder les horaires de tous, sauf le tien. Aujourd'hui, tu avais une petite journée prévue à l'horaire jusqu'à ce qu'un jeune homme te supplia de lui trouver un petit trou bien à lui. Tu étais brûlée, mais tu ne pouvais refuser. Surtout pour ses beaux yeux. Alors, la semaine dernière, tu l'avais booké et tu avais travaillé sur le croquis de son tatouage durant des heures. Il fallait dire que tu étais bien fière de ce que tu avais créé pour lui et tu avais bien hâte de pouvoir lui montrer. Cette partie était de loin ta préférée du processus, lorsque tes clients découvraient pour la première fois ce que tu mijotais pour eux et toutes les folles idées que tu avais eues en élaborant leurs pensées. Tu étais bien loin de te douter que, ce soir, ce ne serait pas à l'encre que l'homme serait marqué.

Ce matin tu avais rendez-vous dans un salon de tatouage de la ville. Tu avais eu une lubie ces derniers mois, l'envie de marquer ta peau d'une encre qui ne s'effacerait jamais. Tu avais envie d'avoir un symbole hindoue qui représentait l'amour, la liberté et l'espoir. C'était ce qui te représentait le plus, surtout aujourd'hui, tu avais les trois. Tu avais eu un créneau de libre, c'était le moment de te lancer. Tu passais la porte approchant doucement jusqu'à la voir. « Bonjour ! » Tu ne savais jamais si tu devais l'appeler par son nom, par son prénom ou d'une autre façon. C'était que la troisième fois que tu venais, normalement cette fois-ci c'était le moment où tu devais passer à l'acte. Tu n'étais pas très courageux. C'était bien beau d'avoir envie d'un tatouage, mais il fallait du courage pour se lancer et tu avais l'impression qu'à l'heure où on parlait, il t'en manquait pas mal. Tu avais peur des aiguilles, ce qui était assez fou quand on y pense. Tu prenais sur toi. Tu ne savais pas combien de temps tu pourrais tenir par contre. Il n'était pas improbable qu'au moment de devoir t'allonger sur la fauteuil, tu prennes tes jambes à ton cou et que tu partes à toute vitesse de la boutique. « Vous l'avez fini ? » demandais-tu avec un léger sourire, assez fébrile. Tu espérais qu'elle te dise non, de cette façon tu pourrais reculer le moment fatidique une fois de plus. Même si un jour il faudrait que tu arrêtes de lui faire perdre son temps.

Tu avais passé des heures à élaborer un croquis étalé sur quelques jours pour l'homme à qui tu avais octroyé une place, malgré ta non-disponibilité, dans ton studio. Au final, tu t'en fichais un peu du temps que tu avais passé à travailler sur son dessin ou même de l'heure à laquelle tu avais pris son rendez-vous rien que pour lui faire plaisir, tu aimais ton travail. Dessiner et rendre réel les pensées de tes clients était ta seule récompense. L'argent n'était qu'un gain de plus servant à abriter ta tête ou à aider ton frère qui en avait besoin. Lorsque tu le vis entrer dans ta boutique, ta mauvaise humeur s'éclipsa. Il fallait dire que ton travail te plaisait vraiment et que, la plupart du temps, les gens étaient contents de venir de rencontrer. Rares sont ceux qui sont forcés de venir te voir. Bonjour! Tu lui avais répondu sur le même ton, enjouée, mais avec une certaine politesse. À moins qu'ils étaient des clients de longues date, ou de ceux qui revenaient te voir fréquemment, tu gardais une certaine distance avec ceux qui réquisitionnaient ton travail. Alors qu'il te demanda si tu avais terminé ce qui serait tatoué sur son corps, tu lui souris en te dépêchant de sortir une grande filière intitulée par son nom, Maxwell. À l'intérieur se trouvaient des feuilles et des feuilles de croquis dont certains n'étaient seulement que des ébauches. Tu en sortis la version finale afin de lui présenter le fruit de ton travail. Il y a encore place à la modification, mais normalement tout est terminé. Qu'en pensez-vous ? Il était temps qu'il te le dise s'il y avait un truc qui clochait, puisque dans quelques minutes ce dessin se retrouverait sur son corps pour toujours.

Elle t'avait répondu avec une certaine distance, elle était très  professionnelle, ce que tu appréciais chez elle. Ce n'était pas pour rien qu'elle t'avait été chaudement recommandé, mais tu tairais le nom de ton ami. Elle attrapait ton dossier, qui devait contenir toutes les ébauches des dessins qu'elle avait dû dessiner pour arriver au résultat que tu attendais. Et en le voyant, tu étais satisfait. Tu affichait un grand sourire sur le visage tandis que tu tenais le dessin dans tes mains. « Non c'est parfait, vous avez su saisir mes idées ! » L' idée d'avoir un tatouage t'avait toujours séduit mais sans jamais vraiment savoir quoi te faire tatouer. Puis ta rencontre avec Fleur, votre histoire d'amour et l'annonce de son cancer t'avait poussé à te rendre une nouvelle fois dans un salon. Avec une idee, cette fois-ci. Tu voulais te faire tatouer une fleur, mais pas n'importe laquelle. Tu voulais une rose. Quelque chose d'assez fin, d'assez discret. Un tatouage relativement minimaliste et pas trop féminin non plus. Tu le voulais dans l'intérieur du bras, pour pouvoir le voir sans qu'il puisse être facilement vu. Blanche avait parfaitement su trouver l'équilibre parmi toutes tes demandes mais ce n'était pas le travail le plus important. Il fallait encore passer sur la chaise et sous l'aiguille. « Mais je dois vous avouer que j'ai toujours cette petite boule au creux de l'estomac.. » Après tout c'était faire une marque à vie sur ta peau. Si dans deux ans tu venais à regretter, si dans dix ans ça venait à mal vieillir ? Si ton corps faisait une grosse réaction allergique ? Tu ne pouvais pas rester coincé dans tes craintes avec des si, pourtant tu ne semblais pas pouvoir faire un pas de plus.

Faire le travail que Maxwell lui avait demandé était agréable pour Blanche. Il n'était pas ce genre de clients insatisfaits, difficiles à rejoindre, qui avaient toujours une critique à faire. Heureusement. Ce genre de clients, Blanche les laissait aux autres. Elle avait d'autres chats à fouetter que de recommencer son travail sans cesse. Cependant, elle tenait à ce que ses clients soient tout de même satisfaits du travail qu'elle effectuait. Ils allaient en être marqués pour la fin de leurs jours, alors il fallait que cela soit parfait. Je suis contente que ça vous plaises. Blanche referma le dossier contenant toutes les esquisses qui lui avaient servi à se rendre au résultat final, le rangeant dans sa pile de dossiers terminés. Aujourd'hui, elle bouclait la boucle pour Maxwell. Elle n'avait gardé que le dessin final sur son bureau de travail, prête à faire l'essai sur la peau avant de le marquer de son encre à tout jamais. Alors qu'elle commençait à couper grossièrement le contour du dessin, Maxwell lui confia ses craintes ce à quoi Blanche tenta de le rassurer. C'est tout à fait normal, surtout la première fois que l'on se fait tatouer. Ça paraît nettement pire que ce l'est au final, croyez-moi. Il n'était pas rare de voir des gens entrer dans son salon et tourner les talons. Parfois, le simple bruit de l'aiguille en marche suffisait pour en effrayer quelques-uns. Blanche respectait leur décision, il fallait être courageux pour se soumettre à une telle modification corporelle, il fallait le reconnaître et tant qu'elle n'avait pas commencé à travailler sur leur dessin, elle ne les retenait point. Ce qui l'énervait, c'était de travailler pour rien. De passer des heures sur une oeuvre sans qu'elle ne soit finalement apposée sur le corps de son propriétaire. Elle désigna à Maxwell l'endroit où il pouvait s'assoir, la chaise de tatouage qui reposait au centre de la pièce. On le fait où ? Blanche était prête à lui faire essayer, le dessin dans une main et le déodorant servant à transférer l'encre bleue du crayon qu'elle avait utilisé pour dessiner le croquis dans l'autre.

Après avoir remercié Blanche du travail qu'elle avait accompli pour arriver à bout de tes idées, elle rangeait la pochette pour ne garder que la dernière ébauche. Elle commençait à le découper, tandis que tu lui confiais tes craintes. Ce n'était pas facile à dire, pas facile de montrer sa peur surtout à une professionnelle de l'aiguille. Elle essayait de te rassurer du mieux qu'elle le pouvait. Tu la trouvais vraiment douce et à l'écoute. « Il y en a souvent qui rebroussent chemin en étant arrivé là ? Vous gérez comment ce genre de situation ? » demandais-tu, curieux. Après tout le client était roi, s'il hurlait de tout arrêter, tu ne doutais pas d'un iota qu'elle s’exécuterait. Ils devaient la payer pour la prise de temps aussi, même si le rendez-vous se terminait avant l'heure. Tu avais déjà payé une partie de ton tatouage, il y avait un versement à faire avant tout passage sur le fauteuil et cet argent là n'était pas remboursé. C'était un peu comme une garanti auprès du tatoueur et ce n'était pas plus mal. Parce qu'en ce qui te concernait, tu ne savais vraiment pas si tu aurais le cran d'aller jusqu'au bout. Et en un sens, ça te dérangeait de lui faire un tel coup parce que tu avais donné de ton temps et tu l'avais forcé à travailler plusieurs fois sur l'esquisse pour arriver au résultat que tu attendais. Ce ne serait pas juste pour elle, ça revenait à une perte de temps et tu n'aimais pas faire perdre du temps aux autres. Sauf quand tu jouais les détectives, là c'était tout autre chose. Tu menais une enquête alors il fallait bien que tu poses les bonnes questions. Mais de l'autre côté, tu avais peur et la peur était irrationnel, elle ne se contrôlait pas. Ou alors tu ne savais pas le faire. « Je voulais le faire sur l'intérieur de l'avant-bras. » ajoutais-tu en lui montrant l'endroit auquel tu pensais sur ton bras gauche. Assis dans le fauteuil, tu sentais tes jambes trembler comme jamais.

Blanche gloussa à la question de son client. Il y en a quelques-uns, oui, des gens qui croyaient être prêts mais qui ne le sont pas finalement. Et pour être honnête, quel autre choix ai-je réellement que de les laisser partir ? Avoua-t-elle alors qu'elle repassait toujours à l'encre bleue les contours du dessin sur lequel elle avait travaillé des heures durant. Elle leva la tête et lui sourit légèrement, l'observant qui prenait place dans le fauteuil de tatouage recouvert d'une pellicule de plastique servant à des mesures d'hygiène. Que les gens ne soient pas prêts, ça ne m'embête pas, vous savez. C'est surtout d'avoir mis du temps et des efforts dans un dossier un peu pour rien. Elle haussa les épaules, ne sachant pas trop quoi ajouter à ses confidences. C'était bien ça, en fin de compte, qui l'irritait. De travailler un peu dans le vide, pour rien, que ses oeuvres ne servent à rien finalement. Elle reprit son travail, recouvrant le crayon de plomb qu'elle avait utilisé par l'encre bleue de son stylo, prêt à faire le calque sur la peau de l'homme. Maxwell lui indiqua où il avait envisagé poser son tatouage, Blanche lui sourit à nouveau. Très bon choix, ce sera parfait. Elle recouvrit le papier de gel déodorant transparent avec lequel il était possible de transférer le bleu de l'encre sur la peau, avant de tatouer pour de bon. Cette optique servirait de guide pour l'homme. Vous en dites quoi ? On le replace ? Blanche s'assurait toujours que ses clients soient satisfaits de l'emplacement ou des moindres détails du croquis avant de le finaliser pour de bon sur leur peau. Perfectionniste, elle posait beaucoup de questions afin de cerner leurs envies. Elle l'observa hésiter devant le miroir qu'elle lui avait tendu une question lui brûlant les lèvres. Ça représente quoi pour vous, ce tatouage ?

Tu avais posé la question par curiosité mais aussi pour savoir ce qu'il se passerait pour toi si jamais tu décidais de faire marche arrière. Elle ne pouvait pas t'obliger à te faire tatouer de toute façon, ce ne serait pas très déontologique. « Je ne crois pas que vous ayez le choix en effet. » ajoutais-tu doucement en te mordant les lèvres. Elle ajoutait quelque chose en plus, quelque chose qui avait le don de te faire un peu plus culpabiliser si jamais tu faisais marche arrière. Tu ne voulais pas lui faire perdre son temps, surtout qu'en ce moment, elle t'avait expliqué qu'elle avait du travail par dessus la tête. Ce ne serait pas sympa de ta part de la planter. Sauf que la peur était difficile à contrôler, c'était une émotion puissante. « Je comprends bien. » Tu hochais doucement la tête, essayant de calmer la peur grandissante. Tu lui donnais la position où tu voulais faire ton tatouage et elle t'invitait à prendre place, une bonne fois pour toute. Tu y allais en traînant un peu la patte, mais elle ne te voyais pas, elle te tournait le dos. « Je crois que c'est le moment oui ! » Enfin assis, tu la regardais à l'action, elle s'approchait de toi avec ton dessin pour l'appliquer enfin sur ta peau. Tu sentais ta main trembloter, un léger spasme que tu n'arrivais pas à arrêter. « C'est pour ma fiancé, Fleur, elle est atteinte d'un cancer.. » C'était la première fois que tu le disais à voix haute et surtout à quelqu'un d'autre. Son état s'était aggravé et elle était à nouveau à l'hôpital. Tu ne savais pas combien de temps elle allait y rester, ou plutôt si elle allait pouvoir en ressortir. Le diagnostic n'était pas très bon mais tu ne voulais pas perdre espoir. Vous aviez déjà traversé sa maladie une première fois, elle pourrait peut-être vaincre son cancer une seconde fois.

[font=Georgia]Il était rare qu'un client s'intéresse aux opinions et aux fonctionnements de la tatoueuse quant à son commerce. Dans le monde du tatouage, les décisions se devaient d'être réfléchies. Une décision non éclairée se finissait inévitablement par une correction ou un retrait au laser, ce qui était le comble pour tout artiste tatoueur. Personne ne souhaitait voir son travail disparaitre sous les jets d'encre d'un autre, ou même pires disparaitre à tout jamais dans la brûlure d'un laser. C'était paradoxalement la pire phobie de ces travailleurs. Et alors que Maxwell posait beaucoup trop de questions, lui donnant un air incertain, voire même apeuré, Blanche commençait à douter de son réel désir à passer sous son dermographe. Mais alors qu'il semblait vouloir poursuivre la discussion et le travail, approuvant les esquisses ayant été faites, Blanche poursuivit son travail. Elle apposa le croquis sur l'avant-bras de l'homme, laissant transférer l'encre de son crayon sur sa peau et dévoilant ainsi un aperçu de ce que le produit final serait. Son bras tremblait, ses mains semblaient moites, et il racontant à l'artiste ce pour quoi il passait sous les aiguilles aujourd'hui. Blanche lui sourit, en attrapant son bras pour le calmer. C'est touchant, des fleurs pour une Fleur. Normalement, elle ne tatouait pas de noms. Il avait su contourner sa règle, choisissant quelque chose qui représentait sa fiancée, mais qui n'était pas son nom. Judicieux. Il accepta le travail de la blonde qui se tourna rapidement pour empoigner une bouteille d'encre. Elle en versa le contenu dans l'embout du dermographe, la tension dans l'air était palpable. Une fois l'intervention exécutée, Blanche mit en marche la machine. L'aiguille fit un bruit de vibration continu. La blonde s'avança de l'homme en annonçant ce qui allait se passer. Je vais commencer par la partie la plus près du coude, il y a plus de gras et vous ne ressentirez presque pas les vibrations de l'aiguille. C'est parti. Blanche empoigna l'avant-bras de l'homme, pressant sur la peau pour la rendre tendu et approcha l'aiguille de l'homme. Il bougeait son bras, visiblement nerveux. Faites attention de ne pas trop bouger, sans quoi les pétales seront asymétriques.. le prévint-elle.

Ton souhait n'était pas de regretter ce geste plus tard, tu avais pris le temps de mûrement réfléchir ton projet. Mais tu ne pouvais pas t'empêcher de penser que ça allait te faire mal, que tu n'allais pas réussir à surmonter une peur qui semblait pourtant si bête. En savoir plus te donnait l'occasion de mettre tout dans la balance et de savoir si tu devais ou non lui fausser compagnie. Même si elle râlerait probablement pour la perte de temps, elle n'aurait pas d'autre choix, tu en avais bien conscience. Au moment où tu lui parlais de ton projet de tatouage, tu te sentais comme remonté à bloc. Un fleur pour une Fleur, elle n'aurait pas pu mieux le dire. Pour toi, ce tatouage était la symbolisation de ton grand amour. Tu savais très bien que tu n'aurais pas la chance dans ta vie de vivre une histoire aussi forte que celle que tu pouvais avoir à présent. Peut-être que tout ça pouvaient ressembler à des inepties pour certains, mais pour toi c'était une croyance pure et dure. Il n'y aurait jamais une femme capable de pouvoir égaler Fleur. Elle était la douceur incarnée, si gentille, si patiente, et très aimante. Tu t'offrais à elle, corps et âme, sans aucune condition. Elle t'annonce alors qu'elle va commencer, elle t'attrape le bras et tu sens comme des petits spasmes. « Je dois vous avouer qu'avant de m'asseoir ici, je n'étais pas vraiment sûr de pouvoir le faire mais maintenant je sais que ça va bien se passer. » Tu affichais un léger sourire sur ton visage, soufflant un grand coup en fermant les yeux. Si tu ne le voyais pas, peut-être que la douleur psychologique prendrait le large. En tout cas, tu avais l'impression que ça avait plus d'effet. Et puis tu avais parfaitement confiance en son travail, sinon tu ne serais pas venu la voir. « Je vais tâcher de faire de mon mieux ! » Les petits spasmes s'étaient arrêtés et tu avais senti qu'elle posait l'aiguille sur ton bras. Tu gardais les yeux fermés, prenant le temps de faire de longue inspiration, de te concentrer sur les battements de ton cœur. 

Blanche était particulière dans toutes les sphères qui l'entouraient, sa vie personnelle était un chaos, et sa vie professionnelle n'échappait pas à la règle. Elle ne savait faire dans la simplicité, toujours vacante entre la complexité et l'impossible. Aux apparences douces et calmes, on ne pourrait pas s'attendre à un cas aussi particulier que le sien. La blonde avait ses manies, ses façons de faire, et personnes ne pouvaient en changer son naturel toqué. Dans le domaine du tatouage, elle faisait parler. D'abord, elle était l'une des rares femmes d'Australie à pratiquer ce métier : les hommes la regardaient de travers, elle et ses grandes boucles blondes et son visage angélique, croyant qu'elle se trompait de rassemblement. Elle se faisait souvent confiner aux moqueries; les adeptes de Barbie, c'est la porte d'à côté. Elle n'avait pas la tête de l'emploi et cela allait avec son absence de tatouage sur le corps. Alors que Léo se réjouissait que la belle n’ait toujours pas martyrisé sa peau de l'encre permanente, les autres hommes de son domaine snobaient la belle Cambridge entre autres pour cette raison. Mais elle était talentueuse. Elle dessinait bien, ce que beaucoup de tatoueurs ne faisaient pas, se contentant de recopier des oeuvres et des modèles déjà faits pris sur les internets. Blanche, elle, faisait tous ses croquis à la main, sans ordinateur, sans Photoshop qui était la nouvelle mode dans le monde du dessin sur la peau. Elle trouvait cette idée futile et était d'avis qu'elle enlevait tout le plaisir et l'excitation du processus d'un tatouage. Elle était particulière, non seulement parce qu'elle ne collait pas à l'emploi, mais aussi par ses règles précises. Elle ne tatouait pas de nom, elle ne faisait pas de recouvrement, elle ne reprenait pas le travail d'un autre artiste et elle avait horreur qu'on lui fasse perdre son temps. Que l'on se le dise, du temps c'était de l'argent. Et de l'argent, la belle blonde en avait besoin. Or, le commentaire de Maxwell fit reculer la blonde qui éteignit son dermographe avant de poser l'aiguille sur son plan de travail stérilisé. Il ne semblait pas à l'aise et ce n'était pas une fois la première ligne d'encre sur la peau qu'il fallait tout arrêter. Vous êtes certain ? Blanche soupira. Si vous n'avez plus envie de le faire, si vous avez changé d'avis, Maxwell, il faut m'avertir maintenant... Bientôt, il sera trop tard!

Il faut croire que ton ton n'avait pas pas réussi à la convaincre, le bruit s'arrêtait et en ouvrant les yeux, tu pouvais l'observer, te regardant, le dermographe posé sur le champ stérile. Elle ne voulait pas le faire contre ta volonté mais ta volonté était là, elle se faisait juste toute petite. Si Aino était là, elle se moquerait sûrement de toi, mais elle ne l'était pas. Tu étais seul pour traverser cette épreuve, comme beaucoup d'autres dans ta vie assez récemment. « Si je ne le fais pas aujourd'hui je crois que je ne pourrais jamais me lancer. » Tu soufflais un bon coup pour relâcher la pression qui n'était même pas présente puisqu'elle avait tout mis de côté. Tu ne savais pas pourquoi la peur était si importante chez toi, pourquoi elle t'empêchait chaque jour d'avancer dans ta vie. Même adresser la parole à une fille qui te plait ça devient compliqué pour toi parce que tu te sens toujours fébrile. Mais sans savoir ce qui était aussi compliqué pour toi de faire le premier pas. Tu ne savais pas ce qui avait pu clocher dans ton enfance pour qu'elle aussi présente et surtout aussi paralysante. Sauf que cette fois, tu avais décidé de ne pas la laisser gagner. Tout comme tu ne l'avais pas fait lorsque tu avais finalement invité Fleur à prendre un café, bien que c'était elle qui s'était plutôt lancée. Par contre quand tu lui avais demandé sa main, là, la peur n'était pas présente. « Faites-le Blanche, j'ai simplement peur de la douleur, mais c'est comme tout, ça va passer en l'affrontant. » Parce que tu n'avais pas peur de le regretter, ça non. Si tu pouvais avoir Fleur partout où tu irais avec toi, tu le ferais à n'importe quel prix. Celui de Blanche était raisonnable et ça serait assez discret, on ne le verrait que si tu étais sans t-shirt et les bras levés, autant dire que peu de monde pourrait le découvrir. Celui-là était pour toi, pour ne jamais oublier les bons moments, pour ne jamais l'oublier, elle, tout simplement.

Elle avait déposé de dermographe, tout s'était arrêté. La balle était dans le camp de Maxwell qui peinait à sauter dans le vide. Il fallait du laisser allé, beaucoup de laisser allé pour faire ce qu'il s'apprêtait à faire. Et il ne semblait pas encore prêt. Sa fiancée, ce cancer, il était encore trop frais. Blanche ne connaissait pas sa vie, elle ne savait pas si c'était incurable, mais elle pouvait lire dans ses yeux la détresse qui témoignait de sa peur. L'appel à l'aide qu'il lançait pour qu'on comprenne la douleur de son coeur. Mais il prit son courage à deux mains et, d'un ton ferme, il donna le feu vert à la tatoueuse qui reprit le dermographe dans sa main droite. Avec la pédale se trouvant à ses pieds, elle mit en marche la machine. Un regard d'encouragement se posa sur Maxwell avant que ce dernier referme ses yeux. Blanche commença la première ligne droite, l'encre se positionnait sur la peau de son client qui se crispait sous la douleur de l'aiguille. Elle traça la prochaine droite en raclant sa gorge. Je comprends votre peur, Maxwell. Les histoires de coeur, ce n'est jamais facile. Je suis désolée que votre fiancée soit malade. Elle tentait de le rassurer, de lui parler pour faire vaquer son esprit ailleurs le temps du tatouage. En essuyant les goutes de sang qui coulaient, elle poursuivit. Je suis amoureuse d'un homme qui ne m'aimera jamais. Et je n'ai pas même une once de votre courage pour le lui avouer. Elle concluait le tatouage qui avait pris forme. Vous vous en sortez bien, Maxwell.