Liam + Nothing is a matter of life and death except life and death.

S'il y avait un rendez-vous que je ne manquais jamais, c'était celui-ci. « Salut, m'man » fis-je en arrivant devant le caveau familial, où reposait ma mère depuis de très nombreuses années. Je venais la voir une fois par mois, je parlais dans le vide – comme si elle m'entendait – et je lui racontais les dernières nouvelles, ce qu'il se passait dans ma vie. Je lui avouais aussi les choses que je n'aurais dites à personne d'autre, et celles que je n'avais pas osées lui dire de son vivant. L'existence de ma fille, entre autres. Je restais une demi-heure, en général. J'en profitais pour fleurir sa tombe, et pour nettoyer celle-ci au besoin. J'arrosais aussi les fleurs, celles qui vivaient en pot – plantées par mon père, qui s'était converti au jardinage peu de temps après le décès de sa femme. Après ce rendez-vous, je repassais voir Glenn. C'était un camarade de longue date, perdu de vue quelques années après le lycée mais sur qui j'étais tombé à nouveau le jour de l'enterrement. Il exerçait l'étonnant métier de fossoyeur, ce qui lui convenait plutôt bien – je le sentais à l'aise, au milieu des défunts. Alors que je remplissais un seau pour retourner sur la tombe et y arroser les quelques plantes, je sentis une main dans mon dos et la voix de Glenn me salua. « En chair et en os, comme tu vois » répondis-je en me tournant vers lui, « on fait aller. Et toi ? Tu survis, à la lumière du soleil ? » plaisantai-je, comme s'il était un vampire – avec moi, il ne fallait pas se vexer, j'étais du genre à lâcher six vannes pourries à la minute. Il était habitué, depuis le temps. « Tu m'accompagnes ? J'en ai pour une minute » dis-je en lui montrant le seau. J'avais terminé ma visite de courtoisie, ne me restait qu'à arroser. « Alors, quelles nouvelles depuis le mois passé ? » Nos rencontres étaient aussi ponctuelles qu'une montre à gousset, puisque je ne loupais jamais l'anniversaire du décès de ma mère.  

Je ris à sa remarque, j’avais parfois tendance à oublier que Glenn avait mieux géré ses études que moi après notre passage dans le même établissement scolaire. Si je m’étais empressé de travailler – dès l’âge de 16 ans, d’abord en tant qu’étudiant pendant deux ans – il n’en était rien de mon camarade qui s’était tapé de longues années d’études pour… pas grand-chose. « On n’sait jamais, le jour où il y en a un qui se réveille, il sera content de te trouver là ». Le brun remplit son bidon, s’éclaboussa au passage puis me suivit dans les allées jusqu’à la tombe de ma défunte mère. Je lui demandai ce qu’il y avait de neuf, et faillis tomber à la renverse lorsqu’il me montra une alliance à son doigt. J’attrapai sa main pour la regarder de plus près, en lui lançant un regard interloqué : « arrêteees ! Tu t’es marié quand ? Espèce de cachotier ! » Je ne m’attendais pas à être invité à son mariage, notre relation étant un peu particulière – nous ne nous croisions qu’ici – mais j’étais surpris qu’il ne m’ait pas dit qu’il était fiancé. « Moi ? Mon vieux, rien qui arrive à la cheville de ta grande nouvelle ! » Ma vie était routinière, pour le moment… et aucune femme n’était là pour l’égayer de temps en temps, ce qui commençait à être pesant pour moi.

Au début, je trouvais la plaisanterie amusante et je faillis renchérir lorsque Glenn ajouta qu’il était spécialisé en pédiatrie – ce que je savais déjà. Cependant, lorsque l’image de petites tombes enfantines me vint en tête, je m’abstins. Je ne me sentais pas réellement parent, bien que j’avais une fille âgée de 18 ans. Toutefois, je pouvais assez bien imaginer la douleur de ces personnes qui devaient enterrer un enfant. Je demandai au fossoyeur ce qu’il y avait de neuf, et restai sur le cul lorsqu’il me montra l’alliance à son doigt. Je ne savais même pas que Glenn était en couple, puisqu’on ne se voyait jamais en dehors du cimetière. Pas vraiment le genre d’endroit où amener sa moitié. « Qui est l’heureuse élue ? » demandai-je, curieux. Je savais qu’il avait déjà été marié à une femme, et je me souvenais de sa relation de lycée qui était une jeune fille également – pas une seule seconde je ne me doutais que mon camarade était homosexuel, au vu de son passé. C’est pourquoi je lui parlais au féminin, et non par tradition moralisatrice ou que sais-je encore. Nous arrivâmes devant la tombe de ma mère, et j’arrosai les plantes en attendant sa réponse. Je ne me doutais pas qu’il allait me faire aller de surprise en surprise, aujourd’hui.

Il s'appelle Max. Mon oreille entendit, le son remonta jusqu'à mon cerveau qui accusa le choc en analysant les paroles de mon camarade du lycée. Quand – enfin – la pièce tomba, je ne parvins pas à me retenir : « il ?! Max ! Mais ! ... ça alors, Glenn, il s'en passe des choses chez toi ». Je n'étais pas choqué d'une manière négative, bien au contraire – j'avais toujours été ouvert, à ce sujet. Je laissai échapper un rire, lorsqu'il me précisa qu'ils étaient fiancés avant d'être en couple. « Je me souviens comme si c'était hier du jour où on s'est rencontrés. J'ai vite compris que tu étais un peu à part... mais je ne pensais pas que des années après, tu parviendrais toujours à m'étonner ! » En réalité, à l'époque, je ne pensais pas rester en contact avec cet adolescent qu'on m'avait quelque peu collé aux basques pour que je lui fasse visiter l'école. La vie avait quelque chose de surprenant. « Tu m'expliques ? », je ne saisissais pas bien comment c'était possible d'être fiancé avant d'être en couple – à moins d'un amour à sens unique, révélé au grand jour... ? Ou d'une émission de télévision, mais ce n'était pas le style de Glenn. Enfin, pas que je sache.  

Moi qui n'avais entretenu que deux relations sérieuses – en plus d'avoir mis enceinte la mère de ma fille, qui n'était que de passage dans ma vie – j'aimais entendre les autres parler d'amour. A mon âge, je commençais à ressentir véritablement l'envie de me poser, de connaître ce cliché dont me parlait mon camarade fossoyeur. Je n'étais pas réfractaire à l'amour. Du moins... je ne l'étais plus. « Je comprends, Glenn... la peur de l'engagement peut gâcher totalement une relation, je suis content que ça ne te soit pas arrivé. Tu sembles heureux, avec lui ». Je songeais notamment à Violet, qui était devenue une excellente amie à l'heure d'aujourd'hui mais qui aurait pu être bien plus que ça à une époque, si je m'étais investi correctement dans notre relation. « Je suis heureux pour toi ! » Je lui souris, sincère. Pour moi, l'amour n'avait pas de sexe, pas d'âge... pas de restriction, et c'était ce qui était beau. « Et en même temps, je suis un peu jaloux aussi » ajoutai-je en riant. Toujours avoir l'air de plaisanter, aussi et surtout lorsqu'on aborde un sujet un peu trop sérieux, qui nous touche d'un peu trop près.