Bienvenue à Bowen, petite ville côtière du Nord-Est de l'Australie, abritant moins de 7 000 habitants. Si vous recherchez le calme, la bonne humeur et la joie de vivre, vous serez au paradis. Tous les habitants vous le diront, Bowen est l'endroit idéal pour se ressourcer. Et puis ne vous inquiétez pas pour l'intégration, ici tout le monde se connaît et les habitants adorent accueillir les nouveaux. › suite.
Ah Bowen, cette ville merveilleuse où je ne pensais pas remettre les pieds avant un bon moment. Cette ville où j’allais quelques fois lorsque j’étais petit, pour passer quelques jours avec mes grand-parents. Cette ville où je n’étais pas allé depuis plus de dix ans, depuis la mort de mes grands-parents. Et cette ville que je déteste à présent car j’y ai été envoyé de force pour rejoindre mon frère aîné. Frère que je hais, bien évidemment, sinon ce n’est pas drôle.
Bref, afin d’éviter mon cher frère, je passe le plus de temps possible à l’extérieur de notre logement commun. Et aujourd’hui, joindre l’utile à l’agréable me semble être une bonne idée. Ainsi, j’avais pris rendez-vous à la mairie la semaine passée afin de faire refaire ma carte d’identité Australienne. J’ai la double nationalité, mais uniquement une carte américaine et comme je suis censé vivre ici pour au minimum un an, avoir une carte d’identité du pays me semblait être utile.
Au début, tout se passe bien. J’arrive avec un peu d’avance, la personne à l’accueil me dit que le service que je cherche est au troisième étage. Je prends soin de monter par les escaliers afin d’éviter l’ascenseur. Il faut dire que je suis claustrophobe et même les quelques secondes que durent une montée dans cet engin de malheur fait monter en moi une grosse angoisse. Tout ça pour dire que dès que je peux éviter ce genre d’endroit, je le fais sans hésiter.
Une fois au service recherché, une personne m'accueille de façon sympathique et je remplis les documents demandés. Un quart d’heure après être entré dans le bureau, j’en ressors avec l’assurance de recevoir ma nouvelle pièce d'identité sous peu. C’est à partir de ce moment-là que tout commence à dérailler. Lorsque j’arrive au niveau des escaliers pour les redescendre, je m’aperçois que le sol est mouillé. Je n’ai même pas le temps d’essayer de faire un pas de plus qu’une petite dame, l’air intimidant, arrive avec sa serpillère.
“J’espère que vous ne comptez pas prendre ces escaliers, jeune homme !” Fait-elle avec un air mécontent en me pointant de son balais.
Bien sûr, que je comptais prendre ces escaliers. Mais est-ce que j’ai vraiment envie de me confronter à cette femme juste pour éviter trente secondes d’ascenseur ? Probablement pas. Surtout qu’elle a raison de s’énerver, je risque fortement de saloper tout son travail. La décision étant prise, je m’excuse poliment et fais demi-tour pour prendre la direction de la boîte infernale. Je prends une grande inspiration avant de m’y engouffrer. Une jolie asiatique est déjà là, attendant que les portes se ferment. Je lui adresse simplement un signe de tête ainsi qu’un sourire.
J’attends à mon tour d’être enfermé là-dedans pour la descente qui va me sembler durer une éternité. Et rien que d’y penser, j’ai déjà froid dans le dos.
"La peur est une brume de sensations." ; Jules Renard
Avait-elle été grise ? Beige ? ... ou peut-être simplement bleu ciel ? Un ciel d'hiver, comme celui que l'on voyait par les grandes baies vitrées lorsqu'on prenait la peine de lever le nez. Ce qui n'était pas mon cas. Je me baladais dans les couloirs de la Mairie en cherchant à me souvenir de quelle couleur avait jadis été cette moquette, repère d'acariens à n'en point douter. Le nez au sol, j'avançais vers les ascenseurs – ma carte d'identité serait mise à jour comme demandé, au revoir et merci. Quelques doigts distraits passèrent dans ma barbe fournie, je n'avais pas encore la longueur de celle de Dumbledore mais je commençais à me dire qu'il était temps que je prenne rendez-vous chez le barbier pour élaguer un peu ce visage touffu. Perdu dans mes pensées, je parvins aux ascenseurs sans même m'en rendre compte et rentrai dans une cabine déjà occupée quelques secondes avant que les portes ne se referment. Inconsciemment, j'avais accéléré le pas – comme s'il était capital que je monte dans cet ascenseur, précisément. La taille de la cabine n'était pas loin de celle d'un placard à balais, mais je n'étais ni claustrophobe... ni asocial. Je saluai les deux personnes qui s'y trouvaient déjà, et appuyai sur le bouton de fermeture des portes. La cabine s'ébranla, mais le trajet ne dura pas plus de quelques secondes : elle s'arrêta dans un bruit sourd et nous fûmes secoués, sans doute par le choc lorsque les câbles s'étaient tendus. Je posai ma main sur la paroi à côté de moi, pour ne pas vaciller. La lumière ne s'en priva pas, de son côté : elle s'éteignit, se ralluma... grésilla pour finalement complètement nous abandonner. Tout à coup, il fit aussi sombre que dans les oubliettes d'un château du Moyen-Âge. Je soupirai, en cherchant déjà mon téléphone dans le fond de ma poche. « Hmm, mauvais karma aujourd'hui » lâchai-je sur un ton léger, destiné à rassurer les deux personnes qui se trouvaient en ma compagnie. Je ne trouvais pas mon portable, ainsi ajoutai-je donc : « l'un de vous aurait-il de la lumière ? Il fait aussi noir que dans le cul d'un dragon, et j'aimerais appuyer sur le bouton d'urgence de l'ascenseur ». J'étais en effet le plus proche du panneau de contrôle des étages.