Mon jour de congé. Enfin, du moins celui où je ne dois pas me rendre au lycée pour donner cours à des élèves qui n’ont strictement rien à faire de Marlowe ou d’Oscar Wilde, et je ne parle pas de Thomas Hardy…Bref, j’avais profité de cette journée off pour bosser sur mes peintures étant donné que je préparais une nouvelle expo. Sept heures, la tête dans mon châssis, mes couleurs et mes pinceaux. J’avais cruellement besoin de me détendre et avait décidé de descendre à la plage, en bas de chez moi, pour prendre un verre. En chemin, toutefois, je tombais sur une drôle de petit gars qui avait l’air sacrement mal en point. Le pauvre semblait avoir bu et broyai du noir, cela ne faisait aucun doute. Je ramassai le masque qu’il réclamait et pinçai les lèvres avant de m’accroupir près de lui.
— Je suis pas sure que ce soit une bonne idée, lui confessai-je. Si jamais tu vomis, tu risques de t’en foutre partout avec ce truc. C’est plus sûr que tu restes le nez à l’air libre.

Je n’aimais pas voir quelqu’un dans la détresse, et ce jeune garçon semblait clairement avoir besoin d’aide. Il ne semblait pas avoir vraiment compris où j’avais voulu en venir, pourtant j’étais à peu près sur d’avoir parlé un anglais correct. Je le vis se rouler par terre et riant et ne pus m’empêcher d’écarquiller de surprise. Je ne savais pas vraiment comment réagir. Lorsqu’il eut fini, il déclara n’avoir pas assez bu pour être malade, ce dont je doutais très fortement.
— T’es en train de te rouler par terre, lui fis-je remarquer, pour moi ça témoigne d’un taux d’alcoolémie plutôt avancé, sans vouloir te vexer. Quand au fait de ne pas vomir, crois-moi, dans toute cas, ce serait meilleur dehors que dedans.
Je pinçai les lèvres pour accompagner mon propos, puis déclinai poliment d’un geste de la main son invitation à boire dans une bouteille qui ne m’inspirait guère.
— Merci, mais je comptais aller me chercher quelque chose au bar. Tu peux m’accompagner si tu veux…
Je préférai cela, en effet, plutôt que de laisser ce garçon tout seul. Il avait l’air sacrément jeune, instinctivement je lui aurais donné dix-sept ans mais je doutais que ce soit cela. Les asiatiques faisaient souvent plus jeune que leur âge. En tout cas, il n’était pas un état normal ce soir, et je n’avais pas envie qu’il fasse une bêtise.
— T’as besoin d’aide pour te relever ?

— Une chute ? hasardai-je.
Je présumai que c’était ce qu’il avait voulu dire. Soit, il était tombé dans le sable, cela pouvait arriver ce n’était pas bien grave. Ses propos morbide du début m’inquiétait plus, même s’il semblait être sorti de sa morosité en un éclair. Je ne connaissais pas ce garçon, mais, quelque part, sans que je ne comprenne pourquoi, il m’attendrissait. Je lui avais proposé de m’accompagner au bar naturellement, sans forcé le trait. J’avais envie de comprendre ce qui l’avait mis dans un pareil état. Il s’appelait Key. C’était un joli prénom, sa signification en anglais l’était d’autant plus.
— Enchantée, Key, lui répondis-je. Je m’appelle Lys.
Je l’enjoignis d’un signe de tête à me rejoindre à l’intérieur du bar où je trouvais une table haute où m’installer. Après avoir parcouru rapidement le menu, je jetai mon dévolu sur des tapas. Saumon gravlax et tartines d’avocat. Pour la boisson, j’hésitai encore. Je tandis le menu à mon compagnon de la soirée.
— Tu veux quelque chose ?

Je souris au jeune homme et accueille son compliment avec plaisir. J’aime beaucoup mon prénom aussi, un peu moins le second qui est « Rosario », mon père me l’a donné en espérant que ma mère, qui se prénomme ainsi, s’impliquerait un peu plus dans ma vie. Raté. Je n’ai vu cette femme en vrai que deux fois dans ma vie et cela m’a vaccinée pour le restant de mes jours. Actrice mondialement connue, notamment pour ses penchants libertins et, désormais, qu’elle a passé les cinquante ans et préfère se taper des minets, de couguar. Je n’ai aucun lien avec ma mère, et c’est tant mieux. Bref…Lys, oui, c’est un joli prénom et j’en suis fière.
— C’est la fleur des rois selon mon père, racontai-je, et toi… « Key », c’est très joli aussi. En anglais, cela signifie « clef », une ouverture sur le monde, sur les autres. Belle métaphore.
Nous nous attablons et je souris en écoutant Key parler du menu. J’imagine que la nourriture occidentale n’est pas toujours abordable pour un asiatique, l’inverse étant vrai aussi.
— C’est dommage de prendre toujours la même chose, tu ne découvriras rien de nouveau comme ça. N’as-tu pas envie de tenter des expériences ? Les burgers sont, certes, excellents ici, mais on peut, par exemple, commander plusieurs petits plats et gouter à tout. Ca te tente ? Je suis australienne pure souche et je vendrais mon âme pour de la bonne nourriture, tu ne peux pas rêver meilleur guide !