J'te dis qu'j'ai rien fait putain !

Quelques jours auparavant, Tahlia avait croisé une tête connue au commissariat. C'était ce gars dont on soupçonnait qu'il frappait sa femme et que Jorge avait bien remis à sa place. Ce gars qui avait désormais le bras en écharpe. Installé devant le bureau de son collègue, il avait expliqué avoir vécu une agression. Un homme lui était tombé dessus, lui avait déplacé l'épaule et brisé les rétros de sa voiture. Tahlia, elle, avait tendu l'oreille et écouté toute la conversation, tout en faisant mine d'être absorbée par le dossier qu'elle lisait. Mais ce sourire sur le bout des lèvres trahissait son état d'âme. La roue finissait toujours par tourner, disait-on. Le fric n'avait pas pu le sauver, cette fois-ci. Quand son collègue demanda s'il avait eu un quelconque indice concernant son agresseur, Tahlia posa brièvement son regard sur la "victime" qui secoua la tête. Il n'en avait aucune idée, mais il évoqua quand même le 'mexicain pas clair' qui l'avait frappé la dernière fois. Comme s'il n'y avait pas d'autres personnes qui lui en voulaient ! La jeune policière leva les yeux au ciel, se retenant de dire "cubain", ce qui l'aurait clairement trahi. Jorge ne se serait quand même pas mêlé à cela, il n'avait rien à gagner. Mais malgré tout, cette idée resta dans la tête de la jeune femme, pendant les jours qui suivirent. Jusqu'à son jour de repos où, déterminée, elle voulut aller tâter le terrain auprès du jeune mécanicien. Arrivée sur place, elle le trouva à l'entrée du garage, en pleine pause clope. Elle le salua, esquissant un léger sourire quand il lui annonça que le patron n'était pas là. "Ce n'est pas grave si Nate n'est pas là. Je viens juste prendre rendez-vous pour changer la courroie de distribution de ma voiture. Mais finis ta clope, j'ai tout mon temps." Elle prit appui sur le mur, restant muette un instant, profitant de ces rayons de soleil qui réchauffaient sa peau légèrement hâlée. Puis elle porta son regard sur Jorge et reprit doucement : "Je ne sais pas si tu es au courant, mais le mec que tu as frappé la dernière fois, il s'est pris une bonne raclée, il y a quelques jours. On lui a démonté l'épaule." Elle garda son regard sur lui, guettant une quelconque réaction de la part du mécanicien.

Tahlia hocha la tête quand Jorge lui affirma qu'il y avait d'autres gars dans le garage, qui pouvaient s'occuper de son cas. A vrai dire, elle préférait avoir affaire à lui. Non pas parce qu'elle n'avait pas confiance en les autres, mais c'était surtout parce qu'elle avait un message à lui faire passer subtilement. Enfin, aussi subtile qu'elle puisse l'être... « Ok, j'irai les voir dans cinq minutes. » répondit-elle cependant. Mais elle se posa et enchaîna aussitôt sur l'affaire du gars que Jorge avait cogné. Quand le mécanicien parla de se trahir en demandant de « lequel » elle parlait, la brune posa ses yeux verts sur lui et sonda son regard, pour voir s'il plaisantait. Mais un sourire vint s'afficher sur les lèvres de la policière, qui haussa les épaules : « Ne me pousse pas à te poser des questions, Jorge. » Elle l'avait dit avec légéreté et amusement. Après tout, il ne lui devait rien. S'il voulait continuer à cogner des gars, qu'il le fasse, du moment qu'il ne se fasse pas choper par la police. Elle approuva donc d'un signe de tête quand il demanda si c'était bien le gars avec sa femme. « Oui, c'est bien ce con-là. » Et ça, c'était un vrai con, d'ailleurs. Il le méritait bien. Une pensée qui semblait rejoindre l'avis de Jorge, qui avoua que c'était bien dommage qu'il n'ait eu que l'épaule d'abîmé. Tahlia haussa les épaules et répondit : « C'est sûr que ça ne l'empêchera pas de continuer à cogner sur sa femme. Mais au moins, il aura eu le mérite de se prendre une bonne raclée. Il a réussi à s'échapper une fois, grâce à son pognon, mais c'est bon de se dire qu'il y a quelqu'un qui a eu le cran de faire justice, bien mieux que la police. On n'est jamais mieux servi que par soi-même, dit-on... » Elle lui avait dit ça, avec un sourire avisé. Tahlia ne devrait pas dire ça, mais elle connaissait les failles de la police et elle comprenait très bien que certaines personnes faisaient justice soi-même. Jorge en faisait-il partie ? C'était ce qu'elle essayait de savoir...

Tahlia s'était octroyée quelques minutes en plus en compagnie de Jorge pour se laisser le temps de lui parler de cet homme qui l'avait mené au poste, quelques jours auparavant. D'humeur légère, la brune se confrontait encore une fois au sale caractère du mécanicien. La brune laissa échapper un léger soupir, se contentant de répondre en haussant les épaules : « C'est de l'humour, Jorge. Tu vois bien que je ne suis pas là pour te poser des questions, de toute façon. » Du moins, pas en tant que flic. Elle voulait juste le mettre en garde sur cet homme qui avait encore une dent envers lui. Pourquoi le faisait-elle d'ailleurs ? Tahlia n'en savait rien. Elle se sentait peut-être redevable envers Jorge. Mais alors qu'elle expliquait ce qui était arrivé à cet homme, Jorge tenta de brouiller les pistes, en évoquant un simple cas de vol. La brune secoua la tête et rétorqua aussitôt : « Je ne pense pas. D'après ce que j'ai pu entendre, il n'y avait pas d'histoire d'argent. Le gars était là pour le taper. » Mais Jorge évoqua une deuxième piste. La piste du « être là au mauvais endroit au mauvais moment ». Tahlia regarda le mécanicien et reprit : « ça peut être plausible, même si j'en doute largement. Tu as beau être énervé, tu frappes pas un gars comme ça, sans façon. C'est forcément quelqu'un qui avait quelque chose contre lui. Vu l'énergumène que c'est, je me dis qu'il doit avoir pas mal d'ennemis dans le coin. » Mais ça, elle s'en contrefichait. Il l'avait bien cherché. Elle n'allait pas plaindre ce gars. Mais selon Jorge, ce n'était pas le genre de choses à dire. La brune arqua un sourcil et répondit : « Parce que je suis flic, je devrais me taire ? Ce n'est pas mon uniforme qui doit dicter ce que je dois faire. » Certes, il y avait le devoir de réserve, mais c'était bien une règle que Tahlia avait toujours eu beaucoup de mal à tenir. Elle était trop sincère pour arrondir les angles. Heureusement, elle avait la chance d'avoir Donovan comme chef, qui était bien plus direct qu'elle. « J'en ai marre de me taire pour des pourritures comme lui. Et puis, il n'y a aucun mal à dire qu'il méritait de s'en prendre une, non ? »

Il ne semblait pas la croire, mais à vrai dire, elle s'en fichait. Elle n'était pas là pour lui faire subir un interrogatoire. Lui dire de faire attention, peut-être, mais pas l'interroger. Elle haussa les épaules quand il lui affirma que ce n'était pas la première fois qu'un type s'en prenait plein la figure pour rien. Elle n'était pas d'accord. Les cas qu'elle voyait au commissariat relevaient soit d'un réglement de compte, soit d'un vol qui avait mal tourné. Pour le gars qui avait mené Jorge au commissariat, Tahlia était persuadée que c'était un règlement de compte. Il fallait dire que c'était une vraie saleté, ce gars. Quand elle entendit les paroles de Jorge, Tahlia secoua la tête : "Je ne parlais pas du fait qu'il violente sa femme. Je pense que la plupart des personnes de son entourage ne savent même pas qu'il la frappe. Un gars ne tape pas sa femme devant les autres. Il la tape dans la plus profonde intimité." Pour le coup, Tahlia savait de quoi elle parlait. Elias la frappait quand ils n'étaient que tous les deux. En public, il jouait le parfait petit ami. "Quand je dis qu'il a plein d'ennemis, c'est surtout parce qu'il a une belle tête de con. C'est le genre de gars à écraser les gens autour de lui, qui se sent supérieur à tous, sous prétexte qu'il est plein aux as." Tahlia avait vu clair dans son jeu. Elle avait vu comment il s'était fait passer pour une victime face à un Jorge au casier déjà rempli. il savait jouer avec les mots et savait sortir son porte-feuille quand il était en mauvaise posture. C'était le genre de fils à papa qui ne savait ce qu'était la réalité. Et rien que pour cela, il méritait de s'en prendre une. Une double quand on savait ce qu'il faisait endurer à sa femme. Tahlia ne l'aimait pas, cela se voyait, mais Jorge n'était pas convaincu qu'elle dise tout cela devant ce gars. La jeune femme le regarda et haussa les sourcils : "Tu me mets au défi ?!" Avant d'ajouter : "Tu sais, on m'a souvent mise de côté parce que j'ouvrais trop ma bouche au commissariat." Elle en avait eu des sanctions, Tahlia, mais à côté, elle faisait un super boulot, si bien qu'elle était encore en service. Elle savait qu'un jour, cela lui retomberait dessus, mais cela signifierait sûrement qu'elle n'aurait plus sa place au commissariat. Sa fougue lui coûtera forcément son boulot. Jorge énonça d'ailleurs cela, suspension, licenciement, ce qui fit de nouveau hausser les épaules à la brune."ça serait extrême de se faire virer pour avoir dit la vérité. Je passerai pour la mauvaise flic, tant pis." ça, c'était ce qu'on voyait dans les séries. Il y en avait toujours un qui jouait le mauvais flic à côté de celui, exemplaire. Mais avec Donovan, ça faisait deux mauvais flics. Et c'était probablement ce qui allait les faire couler. Alors que le mécanicien évoqua Wonder Woman, Tahlia se mit à rire : "J'ai toujours voulu être une super-héroïne. Dommage que ce ne soit pas possible dans la réalité." Et elle enchaîna, en haussant les épaules : "Et puis Wonder Woman n'agit jamais seule..."

  « … ou à moins de vouloir se faire attraper directement par la police. » ajouta-t-elle aux paroles de Jorge sur les hommes qui violentaient leurs femmes. C'était toujours dans le silence. Et même encore aujourd'hui, l'après était tabou. Dix ans plus tard, Tahlia avait toujours honte de dire qu'elle avait été violentée. C'était comme si c'était un mal que l'on combattait seule, dans l'ignorance la plus totale. Mais ça, Tahlia ne pouvait pas le dire aussi ouvertement. Alors elle préféra dévier la conversation sur le genre d'homme qu'était cette saleté qui avait atterri au commissariat, qui croyait que tout lui était acquis parce qu'il avait un porte-feuille bien rempli. Elle écouta Jorge s'emballer, approuvant ses paroles d'un signe de la tête, un sourire aux lèvres : « J'ai l'impression que tu connais bien ce genre de gars. » En même temps, face à Jorge et face à sa répartie, il y avait de quoi fermer sa bouche. D'ailleurs, s'il y en avait une qui ne fermait pas sa bouche, c'était Tahlia. Au commissariat, elle avait souvent été reléguée au second plan. Donovan s'était même demandé pourquoi elle n'avait pas son unité à elle, alors que cela faisait presque 10 ans qu'elle se terrait dans ce petit commissariat. La réponse était simple, elle était bien trop tête brûlée, trop fougueuse. Sans filtre. Et à cause de cela, elle ne se faisait pas que des amis. Il suffisait de voir l'agression dont elle avait été victime.Elle haussa les épaules quand Jorge affirma qu'elle cachait bien son jeu : « J'essaye de ne pas trop en dévoiler. » Un rire ponctua sa phrase, mais il y avait bien une part de vérité dans ce qu'elle disait. Rares étaient ceux qui la connaissaient réellement. Et cela l'arrangeait. Alors qu'il parlait de suspension et compagnie, Jorge se braqua légèrement, en disant qu'il ne connaissait rien à leur mode de fonctionnement. Tahlia aurait pu rétorquer, mais elle préféra ne rien répondre, se contentant de secouer la tête, pour lui donner raison. Non, il valait mieux parler des super-héros, c'était plus léger. La réponse de Tahlia était humoristique. Elle n'avait rien d'une super-héroïne et ne cherchait pas à l'être. Elle avait juste envie de faire son boulot correctement, même si cela était bien plus difficile de nos jours. Elle se mit à rire quand il continua sur sa bande de justiciers. « Bah oui, avec le slip au dessus de l'uniforme, histoire d'avoir la panoplie complète. » Plus ringard que ça, y avait pas ! Puis il évoqua de nouveau l'autre justicier, ce à quoi Tahlia répondit, toujours en plaisantant : « Non mais je le trouverai un jour, ce Captain Bowen. »  Elle en riait mais elle n'irait pas jusqu'à courir après un gars qui avait frappé un autre gars qui le méritait. C'était un cas bien trop isolé pour prendre en compte l'idée qu'un « justicier » parcourait les rues de Bowen. « Et toi alors, tu te ranges de quel côté ? Parce que soyons honnête, tu as tiré davantage de personnes d'une mauvaise galère que moi... » Pour ça, elle était la mieux placée pour dire que oui, il avait aidé à plusieurs reprises à se sortir d'une mauvaise situation.

Jorge, c'était un mystère à lui tout seul. Elle s'en posait des questions sur lui, sur ce qu'il avait vécu, même si c'était des questions qu'elle ne poserait sûrement jamais à voix haute. Mais elle se doutait qu'il avait dû en voir, des vertes et des pas mûres ! Elle hocha donc brièvement la tête quand il parlait des gars qu'il avait pu rencontrer au cours de son existence, sans en dire davantage. Après tout, l'un et l'autre ne disaient pas grand chose sur soi. Un fait sur lequel Tahlia plaisanta, en annonçant qu'elle ne dévoilait pas de suite ce qu'elle était dans la vie, ces traits de caractère qui la caractérisaient. Elle adressa un léger sourire quand Jorge lui donna raison. « Ce n'est pas faux. » répondit-elle simplement. En dire trop, c'était laisser la porte ouverte, donner sa confiance. Et il était toujours bon de garder son jardin secret. Puis, alors qu'ils firent débat sur les super-héros, leurs costumes etc., la jeune femme esquissa un sourire : « A poil, ça ne serait pas pour le même public, ceci dit. » Un rire ponctua sa phrase alors qu'elle haussa les épaules. Mais ce furent ses paroles suivantes qui l'intriguèrent. Il lui glissa qu'elle avait peut-être déjà trouvé le fameux Captain Bowen. Tahlia tourna la tête vers lui et soutint son regard pendant de longues secondes. Etait-il en train de confirmer ce que la jeune femme essayait en vain de mettre à jour ? Un fin sourire finit par se dessiner sur ses lèvres alors qu'elle répondit simplement : « Oui, peut-être. » Ni plus, ni moins. Au moins, ça lui montrait qu'elle n'était pas là pour lui causer du tord, si c'était vraiment lui qui avait refait le portrait de l'autre pourriture. Et alors qu'il lui répondit sur le côté dans lequel il se positionnait, Tahlia ne put s'empêcher de sourire en remarquant qu'il n'agissait que pour lui. « Tu as bien raison. ça cause pas mal de soucis en moins » . Mais sa dernière phrase la fit réagir. « Je te rassure, je ne me fais aucun film. Je constate simplement. » Après tout, qu'est-ce que ça lui faisait qu'il soit d'un côté ou de l'autre ? Tant qu'il ne finissait pas au commissariat, elle n'avait aucun mot à lui dire. Il lui annonça alors qu'il allait reprendre le boulot. « Ok, je vais aller prendre rendez-vous de suite. » Elle cessa de prendre appui sur le mur sur lequel elle était posée. « A bientôt, Jorge. » Elle ne doutait pas qu'ils allaient se recroiser, d'une façon ou d'une autre. Et elle tourna les talons, rentrant dans le garage pour prendre finalement ce fameux rendez-vous.