Hurt me once + Léace

Il y avait certains endroits qui vous rappelaient des souvenirs, bons, mauvais. Des endroits qui paraissaient banals pour les autres mais qui avaient une toute autre signification pour vous. Le bout de trottoir ou vous aviez donné votre premier baiser, le coin de rue ou vous aviez laissé une voiture filer alors que vous auriez pu la retenir. Le minuscule endroit, sur cette immense plage où votre fils avait rit aux éclats en voyant les vagues pour la première fois de sa vie. Et tant d’autres. Des endroits insignifiants, magiques ou maudits, des coins sur cette Terre immense qui voulaient tout dire. Cette intersection là, Léo n’y passait jamais, il l’évitait depuis plus d’un an, de peur qu’elle lui rappelle encore trop vivement l’accident qui avait tout changé dans sa vie. Il n’était pourtant pas présent, quand Grace s’était fait renverser par cette voiture et ce n’était pas à cet endroit exact qu’elle avait perdu leur bébé. Mais c’est ici qu’avaient commencé à mourir tous leurs espoirs et cette simple idée lui faisait mal quand il y pensait. Le temps était néanmoins passé, il avait lavé un peu de sa peine et réparé son cœur meurtrit, du mieux qu’il le pouvait. Depuis ils n’étaient plus, ils n’existaient plus, ensemble du moins. Grace était à l’autre bout du monde, depuis presque un an. Elle n’avait donné aucunes nouvelles à Léo et quand il y pensait, il lui en voulait un peu pour ça. Mais c’était peut-être mieux ainsi, elle avait eu besoin de s’éloigner de lui, de se retrouver et puis peut-être qu’à force de recoller les morceaux ils avaient fini par trop fragiliser cet amour qu’il espérait pourtant si grand, si fort. Peut-être n’y avait-il plus rien à sauver, auquel cas c’était la meilleure solution, qu’ils s’oublient.
En ce début de soirée Emerson revenait d’une séance photo pour le journal local dans un entrepôt non loin de là. Il n’avait pas eu d’autre choix que de passer par la fameuse intersection, à pieds, de surcroît. Il avait à peine regardé autour de lui, fixant droit devant lui pour passer plus vite. Mais au retour, deux heures plus tard, il fut frappé par la vision d’une silhouette assise sur son bout de trottoir. Il la vit de dos, ses cheveux ondulants dans le vent. S’aurait pu être n’importe quelle fille, il aurait même pu ne pas la remarquer du tout. Mais il fut parcouru par un frisson et le temps sembla ralentir sa course folle pour qu’il puisse mieux l'observer. Ne remarquant même pas qu’il était au beau milieu du passage piéton, ce fut le klaxon d’une voiture qui le fit revenir à la réalité. Il termina de traverser à la hâte puis hésita une seconde avant d’aller la rejoindre, ça ne pouvait être qu’elle. Plus il s’approchait plus son cœur cognait contre son torse. Elle ne le voyait pas, il pourrait toujours tourner les talons et s’enfuir comme s’il ne l’avait jamais vu. Mais elle était de retour alors il ne pourrait pas l’ignorer indéfiniment. Etait-elle vraiment de retour ? C’était peut-être une autre farce de son imagination, comme il en avait déjà eu plusieurs. Si on m’avait dit un jour que je te trouverais à faire le trottoir je ne l’aurais pas cru. Elle se retourna et Léo cessa de respirer, sa phrase d’accroche était de mauvais goût mais il n’avait pas su quoi dire d’autre, que dire ? Elle était là, face à lui, Grace.

Ses pieds s'animaient sur le sol australien depuis quelques mois, mais son euphorie du retour ne commençait seulement qu'à s'évaporer depuis quelques jours. Sa tête se promenait toujours sur les chemins du Bénin, ce pays qui avait ranimer son cœur, qui lui avait réappris à apprécier ce que la vie pouvait lui offrir. Dans le malheur des autres, la jeune femme avait à se débarrasser du sien. Grace renouait avec cette ville où elle avait tout vécue, tout découvert. Ce qui avait fait danser son âme et ce qui l'avait mis à terre. Quelques souvenirs l'avaient quittés, sa nouvelle vie se mêlaient à celle qu'elle avait laissée et pour le moment, c'était ce qui lui convenait. La joie que lui avait transmise ce pays rayonnait sur son visage, un sourire ancré depuis des mois qu'elle ne parvenait à faire flancher. Jusqu'aux premiers rayons du soleil de cette mâtinée, où son bonheur avait laissé un vide qui se remplissait de tristesse, de manque. Des images foudroyaient dans ses belles images et les larmes balayaient son sourire. Grace s'était éclipsée de son appartement avec du mal, se construisant un sourire lors de son travail qui s'était détruit à la sortie de celui-ci. Elle traînait son corps dans les ruelles de la ville, brisant son chemin habituel, pour se diriger vers une qu'elle esquivait volontairement depuis des mois, instinctivement. La châtaine s'arrêtait dans une pâtisserie, cédant à un caprice avant de reprendre sa route. À l'intersection, son cœur venait au bord de ses lèvres, son regard déviait et son souffle lui manquait. Mais son poids ne l'emportant au sol qu'au bord du trottoir où elle s'installait sans faire attention à ce qu'il y avait autour. Son achat à ses côtés, elle laissait ses émotions s'échapper. De sa pâtisserie, elle en coupait la moitié et sa première bouchée fut salé par l'eau qui ruisselait de sur joues. La fleuriste avait conscience qu'elle ne se faisait que du mal en revenant sur les lieux de l'accident. Mais cette journée était particulière et c'était une des seules que son cerveau n'avait pas éradiqué. Une voix venait l'extirper de ses pensées, d'une main elle balayait ses larmes et tournait le regard vers l'homme. Son homme. Ses poumons se bloquèrent et en une seconde, elle se relevait face à lui. Ne réalisant pas réellement qu'il était présent. Ils ne s'étaient pas quittés en mauvais terme, la jeune femme l'avait laissé partir toujours en amour pour lui, longtemps elle s'était imaginée leurs retrouvailles, espérer qu'il l'avait attendu. Mais peu de jours après son retour, elle avait entendu de la bouche curieuse d'un de ses clients que son prince ne l'attendait pas, qu'une autre blonde accompagnait ses jours. Et elle ne s'était jamais présentée à lui. « Si un jour on m'avait dit que je tomberais sur toi en les faisant, je les aurais fait plus tôt. » Ce n'était pas la phrase la plus charmante qu'elle avait pu lui sortir, mais c'était la seule qu'elle avait réussie à articuler pour ne pas installer une ambiance étrange et pour qu'il ne remarque pas ses yeux rougis par la tristesse. « Ça fait longtemps ... » Son esprit, trop surpris, n'arrivait pas à aligner une phrase possible à lui ressortir. « Qu'est-ce que tu fais par ici ? » Dans ses rêves, ce moment était des plus féeriques, les mots y étaient moins présents, laissant les gestes parler pour son cœur. Mais maintenant, elle ne pouvait que ressentir de la joie mélangé à ses émotions négatives avec une once de gêne et ce n'était pas un mélange dont elle raffolait.

Si elle avait cherché à chasser ses larmes avant qu’il ne les voit, Léo connaissait bien trop Grace pour qu’elle réussisse à lui cacher ce genre de chose. Elle releva sur lui des yeux brillants qui ne devaient rien au fait qu’elle soit touchée de le revoir, elle pleurait silencieusement avant qu’il n’arrive et cette idée suffit à briser le photographe un peu plus. Au moins elle n’avait rien perdu de sa répartie et sa réponse arracha un mince sourire à Léo. Je n’ai pas changé d’adresse… si tu voulais me tomber dessus. Il n’y avait aucun reproche dans sa voix, peut-être seulement le regret de voir qu’il avait fallu qu’ils se croisent par hasard pour apprendre qu’elle était de retour. La dernière image qu’il avait d’elle était son visage sereinement endormi dans le confort sommaire de leur lit au Bénin, la lumière du petit matin qui glissait dans ses cheveux blonds et qui illuminait celle qu’il allait laisser derrière lui sans même un au revoir digne de ce nom. Ce matin là il s’était sentit incapable de la réveiller et d’affronter son regard sans ça il ne serait sûrement jamais parti. Depuis que restait-il d’eux ?  Des souvenirs, quelques regrets et l’envie folle de la serrer dans ses bras tant elle lui avait manqué durant presque un an. Grace avait changé, derrière ses larmes dont il comprenait l’origine, il lui semblait qu’elle allait mieux, ses traits n’étaient plus aussi fatigués qu’avant. Et malgré ses yeux tristes il y avait en elle quelque chose de différent, elle avait l’air d’aller bien. Il  l’observa un instant. Un peu trop longtemps oui. Qu’as-tu fait de tes cheveux ? J’ai l’impression de revoir la Grace d’il y a dix ans. Celle qu’il avait rencontré dans leur toute première mission humanitaire, la Grace sage et fidèle à ses croyances, qui n’avait encore jamais touché à sa couleur de cheveux naturelle. Adieu les mèches décolorées et la blondeur qu’il aimait tant. Ca faisait pas mal de choses à encaisser pour un seul homme, le retour et le changement de tête, mais c’était elle et personne d’autre, fidèle à l’image de celle qui l’avait fait succomber sans artifices bien des années plus tôt. J’avais un shooting à quelques rues d’ici. Je rentrais chez moi pour tout te dire. Et toi, qu’est ce que tu fais là ? Il  ne savait pas bien lui-même ce qu’il voulait savoir, ce qu’elle faisait ici, assise sur ce bout de trottoir à fixer le vide en sanglotant ou ce qu’elle faisait ici, à Bowen, alors qu’elle ne l’avait pas prévenu de son retour. Quelque part il lui en voulait, c’est vrai, d’avoir laissé ce silence s’installer entre eux durant des mois jusqu’à les rendre étranger l’un pour l’autre. Mais il n’avait pas le droit de le lui reprocher, parce qu’elle l’avait quitté, elle avait été claire, elle n’avait pas besoin de lui, au contraire, elle avait besoin qu’ils se séparent pour pouvoir avancer. Et lui, de son côté, à force de l’attendre, avait finit par ne plus se reconnaître alors il avait avancé à sa façon, de la meilleure qu’il connaissait, dans les bras d’une autre.

“Eux”, une histoire compliquée qui s'était étalée sur plusieurs années, de l'attachement et des déchirements qui n'étaient pas nécessaires. Ils n'avaient jamais réussi à se tenir loin l'un de l'autre très longtemps, ils finissaient toujours par se retrouver, se pardonner et tout recommencer. Toutefois, certaines fissures qui ne pouvaient se colmater, celle de sa présence sur ce trottoir en étant la plus grande à ses yeux. Grace essuyait ses larmes et son regard larmoyant parcourait les traits du visage de son ancien amant. Elle aurait souhaité qu'il la voit dans un autre endroit, un autre contexte, qu'il puisse voir à combien elle avait avancée, que la mélancolie n'était plus son quotidien. « Je n'ai pas trouvé le temps ... » Du temps, elle en avait, du courage, moins. Sachant qu'il ne croirait pas à son excuse, elle s'engageait dans une autre piste de discussion, plus banal, lui rappelant presque leur conversation lorsqu'ils se sont retrouvés trois ans de cela. Presqu'un an et la jeune femme avait oubliée comment lui parler. Qu'étaient-ils devenus pour l'autre ? Grace ne savait comment le qualifier. Ancien ami, ancien amant. Et maintenant ? Son unique ex qui s'était trouvé des bras plus confortable si les bruits étaient vrais. Et cette idée lui laissait un sentiment d'inconfort. « N'était-elle pas meilleure, cette Grace ? Sa peine autorisait un sourire à se montrer sur ses lèvres. J'ai passée quelques jours chez mes parents à mon retour, j'ai trouvé des photos de moi plus jeune et ... le résultat. » Toutes des photos volées, parce qu'elle ne supportait pas faire la mannequin, sourire pour un appareil, surtout à l'époque où elle trouvait son physique non-avantageux. « J’aurais même dû le faire avant de partir au Bénin, difficile d’entretenir un beau blond là-bas. » Confessait-elle dans un rire. Le physique des autres ne la dérangeait pas, la fleuriste ne voyait que par le caractère. Mais pour elle-même, c’était une autre histoire. À sa question, ses mots ne trouvaient pas de sortie. Ses yeux essayaient de lui montrer le chemin, se tournant vers cette route. « J’ai pris quelques pâtisseries dans le coin et je n’ai pas pu attendre de rentrer chez-moi pour grignoter. Se trouvait-elle comme nouveau motif. J’en ai pris de trop, si personne ne t’attend chez-toi, je peux partager, si tu le souhaites. Prend ça comme un moyen pour moi de me pardonner pour ne pas mettre déplacée chez-toi dès mon arrivée. » En réalité, le surplus était volontaire, elle ne voulait pas réellement partager avec d’autres pour des raisons lugubres, mais elle se rendait compte que ce n’était pas le meilleur moyen d’oublier. « Un shooting à Bowen, hein … Cette ville est finalement plus intéressante que les autres autour du Monde ? » Grace aimait Bowen, elle y avait vécue toute sa vie et n’imaginait pas sa vie ailleurs, mais elle savait l’amour que portait Léo pour la découverte de cette planète, elle savait qu’il pouvait décider de prendre un avion pour se rendre à des milliers de kilomètres en quelques minutes et que s’il pouvait, il serait sûrement toujours en aventure.

Elle mentait mal,  Grace. Et Léo le savait. Il sourit en détournant le regard quand elle lui dit ne pas avoir trouvé le temps. Autant dire qu’elle l’avait évité, s’aurait été plus simple, mais il ne lui en tenait pas rigueur, ce n’était pas facile à avouer alors il ne releva pas, à quoi bon, elle avait ses raisons et ça ne changerait rien à présent. Emerson s’assagissait avec le temps, il apprenait à contenir ses réactions, à laisser couler lorsqu’il n’y avait pas besoin de se battre. Il s’était suffisamment battu pour Grace, contre elle même parfois, avant de comprendre enfin que ça ne servait à rien, elle était libre et tellement différente d’autres femmes, elle n’avait pas besoin qu’on lui court après, ça l’effrayait, elle n’avait pas envie qu’on se batte pour elle, il s’était dit que si un jour elle voulait revenir elle reviendrait. Et elle était revenue, certainement pas pour lui, mais elle était là. Sept ans après ou un an après, malgré l’évolution de leur histoire, la sensation était toujours la même lorsque Léo la revoyait, qu’elle soit blonde ou non ne changeait rien, son cœur s’emballait toujours autant, l’envie de la serrer contre lui était toujours aussi forte, tout comme la peur qu’elle s’échappe aussi vite qu’il l’avait retrouvée. Elle était différente, peut-être. Tout comme tu es différente de la Grace d’il y a un an, j’imagine. On change, c’est tout. Il sourit à sa réflexion, Léo n’était pas vraiment expert capillaire. Je ne pense pas que quelqu’un ait critiqué ta couleur là-bas, c’est au delà de leurs préoccupations ! Pour lui aussi, vraisemblablement, même s’il avait été attiré par Darwin, par son physique au départ, il ne voyait pas que ça, il la voyait tout entière, belle, tout simplement, blonde ou pas c'était un détail, elle restait elle, pour son plus grand malheur parce qu’à présent elle n’était plus sienne. La question de Léo ne reçut pas de réponse, il semblait que les mots s'étranglaient dans la gorge de son ex et le regard qu'elle lança à la route valu toutes les explications. Il lâcha un soupir, si lui pensait avoir fait le deuil de cette vie lorsqu'il était reparti seul du Bénin, visiblement ce n'était pas le cas de Grace et la détresse qu'il lisait sur son visage le brisa une nouvelle fois. Une mère qui perdait un enfant restait inconsolable, peu importe que le temps passe ou qu'elle aille mieux. Tu veux vraiment m'amadouer avec des pâtisseries ? Grace… Il lui lança un regard faussement réprobateur. Est-ce que c'était sa façon de se faire pardonner, ou bien est-ce qu'elle avait besoin d'une présence pour ne pas être seule face à ses souvenirs, difficile de le dire, Léo ne voulait pas vraiment savoir, elle lui proposait de rester et il ne pouvait pas refuser. Y a des muffins ?! Tu me prends par les sentiments là. Qu'on l'attende ou non chez lui ça n'avait aucune importance à ce moment là. Il s'assit à côté d'elle face à la route. Rien de très glamour, un projet pour la ville. Je ne peux pas toujours photographier les plages de sable blanc. Référence pour lui-même à son dernier shooting en date sur les plages de Bali. Bowen c'est ma maison, tu sais à quel point j'ai besoin de partir pour me rappeler qu'on n'est pas si mal que ça ici. Ils fixaient les voitures qui passaient, sans vraiment les voir, Emerson partagea un cookie en deux et donna la moitié à Grace. C'est bon de te revoir. Comment tu vas ? Il espérait avoir cet air faussement détaché, comme un vieil ami, pas comme l'amoureux fou qu'il était en vérité. Et il avait tellement de questions à lui poser. Tellement de choses qu'il ignorait sur elle et qu'il mourrait d'envie de savoir, mais il avait l'impression de ne pas avoir le droit de demander.

« J'espère bien, qu'elle est différente d'il y a un an. » Son esprit s'était fatigué à faire vivre ce qui n'était plus. Les mois précédents son départ avaient été des plus douloureux, cet endroit hantait sa mémoire, lui faisant revivre son accident qui lui avait arraché ses songes. Ce souvenir s'était évanoui dans le sourire des autres enfants, là-bas et après ça, il n'était jamais revenu. Jusqu'à ce que la chaleur des rayons dorés viennent s'échouer sur son corps, laissant ses rêves amorcer sa réalité. Grace ignorait si c'était le dégoût ou la tristesse qui l'avait guidé jusqu'ici. Comment s'était-elle autorisée à l'oublier ? Elle s'en voulait presque d'avancer sans sa présence dans son imagination. L'enfant n'était plus et ne le saura plus jamais. Elle devait apprendre à laisser ces instants qui la tourmentaient se faire emporter. Pour que la gêne n'emporte pas les deux âmes, Grace se lançait, l'invitant à se joindre à sa faute. « Je n'ai pas d'autres moyens de le faire. Elle espérait secrètement que ce n'était pas la raison qui le faisait s'installer à ses côtés. Rassure-toi, je n'ai rien à te demander, cette fois. » Il le savait bien, ce n'était pas son genre de quémander de l'aide ou des services. Grace avait beau être sensible et laisser les larmes lui venir aux bords des yeux rapidement, mais son être était bien indépendant des autres, elle avait appris à se débrouiller seule dans les situations, préférant s'épuiser à aider les autres qu'à pleurer pour en recevoir. « Tu n'as pas tort. » Ses manières de travail n'avaient pas dû changer depuis qu'ils s'étaient abandonnés. « C'est vrai, cette ville finit toujours par manquer. » C'était même la raison de son retour, ses attaches venaient à lui manquer, au Bénin. Ses proches, ses habitudes, ses envies, tout ce qu’elle ne pouvait pas accomplir en restant là-bas l’avaient poussés à prendre sa place dans la cabine d’un avion, affrontant sa peur seule pour la première fois. « Je vais bien, je vais mieux. Le dire à voix haute la soulageait. Mais, bien sûr, tu me vois la seule journée où … Je suis comme avant. » Avouait-elle dans un rire presque désolé. Elle avait été la pleureuse torturée qui l’avait accompagné, sans penser qu’elle pouvait l’emporter avec lui dans les tréfonds de sa misère. « J’ai finalisée ma formation peu après mon retour et maintenant je travaille dans une fleuristerie à quelques pas d’ici. Ça change, c’est mieux que de ne 'rien' faire de mes journées. » Que pouvait-elle lui dire de plus ? Lui avouer qu’elle commençait à renouer avec les cieux et ce qu’elle considérait comme Le Grand, qu’elle essayait de laver ses péchés depuis son arrivée. Elle avait peur qu’à ses yeux, c’était comme si elle se remettait les chaînes dont elle avait peinée à s’en défaire, qu’elle revenait de trop en arrière. « Enfin, tu sais bien que je ne vis rien de particulier et que je n’ai jamais quelque chose de bien intéressant à te faire entendre. » Grace savait rendre sa vie des plus plates pour éviter les autres problèmes, les seules fois où elle s’animait, c’était lors de ses activités illégales. Celles qu’elle ne pouvait avouer à Léo, parce qu’elle lui avait promis de changer, d’arrêter lorsqu’il avait découvert. Après ça, elle avait semblé assez bonne comédienne pour lui faire croire à lui et le reste du monde qu’elle était redevenue ange. Ses yeux emportés par le paysage dynamique la perdait et elle ne pouvait arrêter de s’en vouloir d’avoir été aussi distraite. «  Léo … Tu accepterais qu’on s’installe ailleurs ? » Si elle s’était assise à cette place, c’était pour se larmoyer seule, jamais elle n’aurait pensé croiser le chemin de l’homme qui lui faisait tourner la tête.

Quelque part Léo espérait qu’elle soit différente oui, qu’elle ait réussi à trouver la paix et un but à sa vie. Parce que la Grace qu’il avait laissé en Afrique semblait perdue, dévouée à une cause tellement immense qu’il craignait qu’elle se noie dans cet océan de malheur. Soulager la peine des autres c’était louable et ça faisait du bien, il en savait quelque chose, c’était une des raisons qui le poussait à s’investir dans des missions humanitaires. Mais il savait également qu’on était peu de choses et surtout qu’un maillon d’une chaîne immense et il ne voulait pas que Grace perde toute sève à se battre contre plus fort qu’elle pour oublier qu’elle souffrait, pour s’oublier elle-même. Et puis égoïstement, au plus profond de lui, l’homme blessé, éternellement amoureux espérait lui manquer un peu, pourquoi pas être une infime raison de son retour au bercail. Tous les deux face à la route, de dos on aurait dit deux ados qui attendaient le bus après l’école, mais c’était tout autre chose qui se jouait pourtant devant leurs yeux, ils étaient chacun replongés dans des souvenirs qu’ils auraient voulu oublier mais qui faisaient parti de leur histoire commune, de ce drame qu’ils avaient traversé et qui les avait ébréché définitivement. Avec des pâtisseries je dis oui à tout. Il sourit, instaurant volontairement un climat le plus léger possible parce qu’il ne fallait pas se mentir, ils étaient gênés tous les deux. Et il refusait d’être gêné en la présence de Grace. C’est donc le plus naturellement du monde qu’il lui raconta la raison de sa présence ici et qu’il concluait par le fait que Bowen ce n’était pas si mal. C’était chez eux et ils connaissaient aussi bien l’un que l’autre le pouvoir de ses racines, des amis, de la famille, pour se sentir bien. Je suis content de l’entendre. Et, à moins que la téléportation existe, je remarque que tu as pris l’avion toute seule. Bravo. Il connaissait sa peur panique de l’avion, ses bras se souvenaient de quand elle s’accorchait à lui pour tenter de se donner du courage. T’es pas comme avant. C’est sûr il y a les larmes qui font couler ton mascara mais derrière tout ça je vois que tu vas mieux. Tu as le droit de craquer en pensant à... sa voix se brisa alors qu’il était incapable de mettre des mots sur ce qui leur faisait tant de mal. En l’écoutant parler il réalisait qu’elle était revenue depuis un moment, on ne finalisait pas une formation en quelques jours. Cette nouvelle l’attristait, dans une ville si petite ils auraient pu se croiser mille fois en quelques mois et il fallait qu’il tombe sur elle au moment le plus critique, pour elle, et alors que sa vie à lui prenait un tournant différent également. Mais même s’il l’avait retrouvé plus tôt, ou si elle avait frappé à sa porte, comme elle le disait, est-ce que ça aurait vraiment changé quelque chose ? Il déglutit en fixant les voitures pour éviter son regard, pour ne pas qu’elle voit qu’il était déçu ou que ses yeux brillaient un peu trop. Si tu travailles près d’ici c’est normal que tu sois attirée par ce carrefour alors. Tu le vois tous les jours. Fleuriste ça lui allait bien, Léo avait été séduit par cette idée lorsqu’elle lui en avait fait part, elle avait la délicatesse suffisante pour savoir parler aux fleurs et comprendre leur langage, ça ne faisait aucun doute. Tu es sûrement la seule à ne pas te trouver intéressante. Il releva sur elle un regard emprunt de tendresse, les petits détails de sa vie soit disant insignifiante lui convenaient parfaitement, à lui. Et puis peut-être qu’elle ne lui disait pas tout, ils étaient autorisés, à présent, à se cacher des choses puisqu’ils ne se devaient plus rien. Il resta à la fixer, interdit, alors qu’elle avait posé cette question simple qu’il ne comprit pourtant pas tout de suite. Que lui demandait-elle ? Voulait-elle tout plaquer, à nouveau et partir avec lui ? Il fronça les sourcils alors que son cœur s’emballait… pour rien, elle ne demandait qu’à changer de place pour ne plus à subir le spectacle de la rue alors que son esprit à lui se jouait du photographe pour lui faire croire des choses impossible. Et quand bien même, si elle avait vraiment demandé à tout quitté, aurait-il dit oui au pied levé ? A présent il n’en était plus aussi sûr qu’à une époque. Oui… Oui. Il y a un petit café très sympa dans la rue derrière. Je n’y suis pas retourné depuis un moment… j’évite ce coin là depuis l’accident. Ils se levaient déjà et allèrent s’installer à la terrasse du café. Léo commanda une bière, il n’y avait pas foule à cette heure de la journée. Tu as repris ton petit appartement ? John parle de toi quelques fois. Ils reprenaient une conversation banale même si certaines questions brûlaient les lèvres de Léo.

Les voix des autres ne s'échouaient plus à ses oreilles, lorsque Léo se trouvait à ses côtés tout s'atténuait. Il n'y avait que lui. Pas de voiture qui pourrait l'effrayer, pas de conversation qui pourrait l'affecter. Rien que les mots de Léo qui la transportait, la faisant parfois rêver d'un avenir illusoire. La jeune femme l'aimait de la faire sentir ainsi, ce don qu'il avait pour la faire se sentir comme la seule personne importante à ses yeux. Pas de doute, quant au fait qu'une autre soit tombée dans ses bras. « Ne fais pas connaître ta faiblesse, alors. Tu pourrais tomber dans les problèmes très vite. » Est-ce qu'ils auraient agi différent, est-ce que leur conversation seraient les mêmes si elle était allée se présenter à sa porte, à son retour ? Est-ce que c'était déjà trop tard ? Grace n'en voulait même pas la réponse. Elle voulait croire, qu'ils n'étaient qu'eux, une nouvelle ombre ne s'était pas installé sur leur deux corps. « Tu ne me croirais pas si je te disais qu'on m'avait enseigné la magie là-bas, de toute manière ! » Religion et magie, deux idées qui ne pouvaient coopérer, les deux étaient bien trop distinct. Un côté, des gens qui servaient les forces divines, de l'autre, des gens qui s'en servaient. Les doigts de la blonde trouvaient leur chemin vers le dessous des ses yeux, essayant de balayer le mascara qu'il disait s'être échappé de ses cils. Léo n'avait pas à formuler les derniers mots, ils s'alignaient d'eux-même dans la tête de la fleuriste, laissant son sourire presque formé se détendre pour afficher une moue plus triste. Et son regard lui répondait une nouvelle fois en fuyant. Avant qu'elle ne flanche, il réparait son erreur, lui demandant de ses nouvelles. Sûrement un moyen de lui changer ses idées. Elle ne pouvait s'empêcher de mentir sur un détail peu important. Il n'allait sûrement pas la chercher à son travail, de toute manière. C'était plus facile pour elle d'avouer qu'elle travaillait proche d'ici, d'où sa présence, que dire qu'elle travaillait plus loin et qu'elle avait traîner des pieds de longues minutes avant d'atteindre son objectif. L'esquisse d'un sourire se formait au coin de ses lèvres. Depuis qu'elle s'était ouverte au Monde, la ligne qu'était sa vie connaissait quelques méandres qui l'empêchaient d'avancer tranquillement. « Je dois être une compteuse exceptionnelle, alors. » Parce que les histoires qu'elle vivait, hors ses voyages, n'étaient jamais joyeuses. Quelques secondes suffisaient aux deux partenaires pour se convaincre de changer d'emplacement. Elle ne prêtait pas attention aux allusions à l'accident, pour ne pas être blessé une nouvelle fois par son imagination. Grace se laissait guider, jusqu'à ce qu'ils s'installent à une terrasse où leur conversation pouvait se laisser porter sans que d'autres viennent les interrompre. S'il optait pour de l'alcool, la châtaine se contentait d'une limonade qu'elle ne toucherait, sûrement, pas beaucoup. Un pincement venait prendre son cœur au nom de l'enfant. Même si elle se l'était interdit pendant un temps, parce qu'il était la trace que la vie de Léo s'était accomplie sans sa présence, elle s'était liée d'affection pour celui-ci, sûrement de trop, parce qu'en son absence, parfois les traits de son visage lui revenait en tête et maintenant, elle ne pouvait plus rien n'y faire. « Je … oui … Non, pas vraiment. Bafouillait-elle presque avec les souvenirs lui sautait au visage. Elle prenait une longue seconde avant de se reprendre. Je n'ai plus le même appartement, non. Là j'en ai un temporaire, dans un quartier qui craint un peu. Grace n'avait pas voulu embêter Emrys plus longtemps en squattant son appartement plus longtemps. Tu pourras lui dire que je pense beaucoup à lui aussi. J'ai habité pendant un temps avec un garçon qui était dans les environs de son âge et je suis certaine qu'ils se seraient bien entendus. » Son sourire s'agrandissait en s'imaginant John et Marvin s'amuser ensemble. Du bout des doigts tournait machinalement la paille qui se trouvait dans son verre. « J'ai une quelque chose à te demander. » C'était plus une question. Une question qui avait fait naître pleins de réponses à Grace et elle n'avait jamais su laquelle choisir. Pourtant son esprit s'était envolé en s'en imaginant plusieurs, son cœur s'était enflammé et quelques fois, elle avait hésité à reprendre l'avion pour se fondre dans les bras de l'homme qui se trouvait fasse à elle. De son sac, elle sortait l'étui qu'il avait laissé dans leur tente avant son départ. « Qu'est-ce qu'elle signifie, cette bague, Léo ? » Son regard se noyait dans le bleu des siens, pour soutenir sa question. Elle ne voulait pas qu'il se défile, pas cette fois.

Ce qui était bon dans cet échange avec Grace c’est que malgré leur gêne et la tristesse manifeste qui semblait les animer, ils étaient bien l’un près de l’autre. La sainte posait sur lui un doux regard et il avait envie de se dire que c’était celui d’une femme toujours éprise, même un peu. Parce que chez lui c’était un sentiment évident, il aurait peiné à le cacher, il ne cherchait d’ailleurs pas à le faire. Mais il ne cherchait pas non plus à la séduire. Il avait déjà jouer ce jeu là avec elle, plus d’une fois, pour la faire tomber dans ses bras et ça avait fonctionné, bien plus que ce qu’il avait espéré. Aujourd’hui il savait qu’il ne servait plus à rien de lui courir après, de la courtiser, Grace connaissait ses sentiments, il les lui avait dit plus d’une fois et il l’avait laissé reprendre sa liberté, par amour. D’amour il ne manquait pas, mais il avait perdu ce courage de lui faire comprendre qu’il était peut-être l’homme de sa vie. S’il l’était vraiment, un jour elle lui reviendrait et ce serait tout aussi simple que ça. A force de provoquer la chance, le destin ou que sais-je, il avait surtout initié sa perte. Alors pour cet instant là il savourait juste le plaisir qu’il avait à l’écouter parler et à la regarder sourire, c’était déjà une chance en soi. Détrompe-toi, rien ne me surprend plus venant de toi ! Il sourit dans sa barbe, elle qui l’avait étonné plus d’une fois par ses choix, ses actions, ses attentions, par la détermination qu’elle avait parfois. Elle semblait si fragile, la belle, si effrayée face au monde qui s’offrait à elle, pourtant elle avait fait preuve de tellement de courage et d’envie d’embrasser tout ce qu’il l’attendait, alors faire de la magie, pourquoi pas, elle en avait déjà fait bien plus que ce qu’elle pensait. En effet, Léo n’irait pas vérifié s’il y avait vraiment un fleuriste dans le quartier, il ne comptait pas la faire suivre. Mais il se doutait qu’elle avait été attirée par cet endroit à cause des affres de son cœur plutôt qu’autre chose et il ne la jugeait pas, si elle ressentait parfois le besoin de venir se recueillir ici alors il n’avait pas à juger, c’était sa façon à elle d’avancer. Et il se doutait aussi que ces pâtisseries n’avaient pas vocation à être partagées au départ, c’est pourquoi il lui était reconnaissant de lui avoir fait une place sur ce bout de trottoir. Des années de lecture de la Bible aux pécheurs égarés ça doit aider ! Il sourit en grimaçant presque, se moquant avec douceur de la vocation de Grace. Il avait aperçu cette petite croix très discrète qu’elle avait autour du cou, fut une époque où elle l’avait quitté mais voilà qu’elle était revenue. Léo se retenu alors de demander des nouvelles du Tout puissant, s’aurait été abusé et la mettre mal à l’aise pour rien, mais quelque part il savait qu’elle n’avait jamais arrêté de croire et ça ne le dérangeait pas, elle était comme ça, Grace, certaines choses ne pouvaient pas changer. A sa demande ils quittèrent le bitume pour un coin un peu plus joyeux, cette terrasse de café était vivante, avec le serveur qui leur apportait leurs boissons et les passants dans la rue, Léo se sentit mieux, à regarder la vie s’animer devant ses yeux. Il laissa le temps à son ex pour retrouver ses esprits, visiblement sa question, ou l’évocation de Jonah l’avait déstabilisée. Le photographe n’aima pas qu’elle lui dise vivre dans un mauvais quartier, pour diverses raisons, sa sécurité, son rapport particulier à la drogue. Il grimaça mais ne dit rien, que pouvait-il dire, il n’allait pas décemment lui proposer de poser ses valises chez lui, elle refuserait et quand bien même, il avait déjà une colocataire un peu particulière. Nouveau haussement de sourcils, alors qu’elle évoquait le fait qu’elle avait vécu avec un autre petit garçon. Léo pensa tout de suite à Jeremy, on disait qu’il avait des enfants. Ca faisait beaucoup de choses qu’il s’empêchait de relever, juste pour éviter un éventuel conflit, juste parce qu’il ne se sentait plus légitime pour poser plus de questions sur sa vie sans avoir l’air suspicieux ou jaloux ou simplement inquiet pour elle alors qu’il n’avait plus aucun droit. La fleuriste aurait pu aller vivre chez ses parents ou sa sœur, mais visiblement elle se débrouillait autrement, peut-être avait-elle quelqu'un dans sa vie, cette simple idée pinça le cœur de Léo mais ça encore, il ne pouvait que le supposer et éventuellement avoir mal en silence. Je lui dirai. Il sourit mais en vérité il ne le dirait pas à son fils, parce qu’obligatoirement le garçon en viendrait à réclamer celle qui avait partagé un petit bout de sa vie et qui avait visiblement séduit l’enfant autant que son père. Et Emerson n’avait pas envie d’expliquer à son fils pourquoi elle ne venait plus dormir avec eux, un enfant de quatre ans ne pouvait pas comprendre ce genre de chose. Perdu dans ses réflexions intérieures, il ne releva pas ce que Darwin lui dit, ce ne fut que quand elle déposa l’écrin sur la table qu’il resta interdit. Cette boite il la reconnaissait bien trop, il l’avait pris et rangé tellement de fois, observé, ouverte, maudite parfois. Elle avait été l’objet de beaucoup de suppositions et de doutes, de quelques espoirs aussi. Et Grace l’avait dans son sac alors qu’elle n’espérait pas croiser son ancien amant aujourd’hui. Est-ce que ça signifiait quelque chose ? Etait-ce au moins positif ? Il releva sur elle un regard peu fier, il n’en menait pas large. Restant un moment à la fixer sans savoir quoi répondre, il laissa le temps s’étirer comme s’il espérait qu’elle trouve la réponse à sa question dans l’océan de ses yeux, cette réponse si évidente. Ca fait des mois que tu la garde près de toi et tu n’es jamais venue frapper à ma porte… Il soupira, soudainement triste en se prenant dans la figure tout le désastre de leur histoire. Il avala une gorgée de sa bière sans l’apprécier.  Je voudrais qu’elle signifie tellement de choses. Mais je ne sais plus. Il plissa ses yeux brillants qui regardaient Grace sans savoir ce qu’elle attendait comme réponse de sa part. Il n'était pas préparé pour ce genre de retrouvailles et face à elle il se sentait totalement désarmé.

Sa tête saturait de connaissances sur les mots, d'harmonie sur les liaisons pour affranchir les âmes, d'éloges pour assouvir une seule entité, celle du Tout Puissant. La Sainte avait donné de sa parole pour conseiller les esprits perdus sur leurs craintes, pour qu'ils finissent un jour par laver leurs péchés et se diriger vers la Lumière, celle qui était censée donner une vie pure, libre, celle qui garantissait une loge au Paradis. Les complaintes des pécheurs avaient réussi à intriguer cette âme vierge de caprices, à la faire réfléchir sur ce qu'était un Monde sans croyance, où les corps dansaient en liberté sans se soucier des règles, sans se questionner sur ce qu'ils pouvaient devenir à cause de leurs agissements, ils se laissaient conduire par leurs envies et n'en étaient pas toujours malheureux. Grace s'était idéalisé un autre paradis en dehors de ses barrières et avait réussie à s'évader pour goûter les plaisirs qui lui étaient inconnus. Son chemin l'avait amené à Léo et son cœur avait fait de lui son partenaire dans cette aventure. Celui-ci avait souvent été blessé par ses mots, mais ses plaies étaient devenues des cicatrices et aujourd'hui, en regardant ses yeux, elle ne revoyait que les moments qui avaient réchauffé son être d'un bonheur intense qu'elle pensait, à l'époque, invulnérable. Tout deux se retrouvaient face à face sur une terrasse d'un café qui manquait presque d'intimité pour elle. Parce qu'elle aurait préféré qu'ils ne se retrouvent qu'à deux, qu'ils s'échangent des paroles jusqu'à ce que les étoiles viennent les raisonner. Grace voulait l'écouter raconter sa vie pendant des heures, elle voulait en savoir plus sur ce qu'était devenue sa vie depuis son absence. Mais sa question venait déjanter ses idées et ses phrases ne donnaient plus de sens. Dans sa panique, elle perdait de vue son objectif et ses questions n'étaient plus tournées sur les journées de Léo, mais sur les réponses qu'elle n'avait pu se donner lors de son voyage. Sur la table, elle y déposait l'écrin, et son regard cherchait celui de son ancien amant. À sa réponse, un vent froid effleurait sa peau, son cœur chancelait et ses pupilles voyaient leurs éclats disparaître. Comment une simple réponse pouvait lui faire aussi mal ? « Tu ne sais plus ? Dans sa voix résonnait le grondement de sa déception. Tu peux pas me faire croire ça, Léo. S'il te plaît, sois crédible. Ses yeux visaient le ciel alors qu'un souffle s'échappait. Ça ne fait même pas un an. Qu'est-ce qui a réussi à t'effacer la mémoire ? » Même s'il ne pouvait que juger du contraire, Grace ne voulait pas commencer à se battre contre lui. Ils s'étaient déjà assez blessés. Une nouvelle image poignardait son esprit. Elle se doutait, de ce qui avait gagné son coeur. « Est-ce que les rumeurs sont vraies ? Dis-moi que je ne risquais pas de tomber sur quelqu'un d'autre en frappant à ta porte. Ses doigts rejoignaient la bague une dernière fois. Ne crois pas que je n'avais pas envie de te voir à mon retour. Mais imagine la honte que j'ai ressentie lorsque j'ai entendue, quelques jours après mon arrivée, que tu m'avais oublié dans les bras d'une autre. Comment trouver le courage de venir à ta porte, après ça ? Ce jour-là, cette bague avait rejoint son socle pour ne plus en sortir. Ta bague était à mon doigt à chaque jour, même là-bas. Je ne voulais pas croire que c'était un cadeau comme les autres. » Mais elle s'était trompée. Sûrement qu'il avait offert des similaires à d'autres femmes, qu'à la fin, elle n'était qu'une parmi les autres.

Si ces retrouvailles aussi soudaines qu'inattendues pour tous les deux avaient comme un goût doux amer, elles étaient malgré tout teintés d'une douceur qui allait bien à ces amoureux qui s'étaient trop manqués. Elles ravivaient quelques souvenirs que Léo avait préféré oublier mais elles lui rappelaient surtout tout l'amour qui ne l'avait jamais quitté lorsqu'il pensait à Grace. Et lorsqu'il la regardait dans les yeux, c'était toujours la même évidence, tout en ayant la sensation que c'était la même chose pour elle. Ils étaient presque bien, dans cette douce mélancolie qui les prenait comme une vague, comme pour leur rappeler combien ils se manquaient et tout ce qu'ils avaient perdu. Néanmoins la belle semblait en avoir bien plus sur le cœur que son ancien amant. Et la bague qu'elle posa sur ma table avec les questions qui l'accompagnait en étaient la preuve. Emerson ne trouvait pas ses mots face à celle qui semblait attendre quelque chose de lui. Il avait en tête les souvenirs de leur dernière nuit au Bénin, des mots de Grace quand elle lui avait annoncé qu'elle décidait de rester là-bas et le laisser repartir seul, mettant ainsi un terme à leur relation. En quoi tu veux que je sois crédible ? Il la fixait avec des yeux tristes alors qu'il lui semblait que c'était elle qui perdait la mémoire. Elle était revenue à Bowen depuis un temps qu'il ignorait encore, elle l'avait quitté, alors qu'espérait-elle ? Et pour couronner le tout il avait droit à une crise de jalousie qui le brisa d'avantage. Parce qu'elle n'avait pas tort, malgré tout ce qu'il pensait, toute la bonne conscience qu'il croyait avoir, il ne l'avait pas oubliée mais ça semblait être tout comme finalement, il s'était consolé dans les bras d'une autre, pire, il en était amoureux. Il baissa alors les yeux, portant la main à sa boisson avant de se raviser, un nœud s'était formé au fond de sa gorge. Le photographe ne s’énerva pas, il n’en avait pas la force et il était bien trop atterré pour ça. Tu m'as fait comprendre, là-bas, il y a presque un an, que tu vivrais mieux ta vie sans moi Grace. Je suis revenu seul ici, j'ai continué sans toi, comme j'ai pu. Il m'a fallu des mois pour réaliser que tu ne reviendrais pas, que tu m'avais quitté, parce que c'est ça la réalité, tu m'as quitté, une fois de plus. Il fronça alors les sourcils, le regard un peu plus dur levé sur la fleuriste. Ce n'est peut-être pas moi qui t'aurais ouvert, non, j'héberge une amie depuis quelques mois. Et elle est devenue plus qu'une amie, c'est vrai. Léo se redressa alors sur son siège, fixant les grands yeux déçus de Grace, il lui faisait mal, il le savait, en lui avouant qu'il y avait une autre femme dans sa vie. Mais elle lui en fit tout autant, en révélant à son ancien amant que durant tout ce temps elle avait porté cette bague et avec elle l'espoir de le retrouver à son retour en Australie. Ce n'était pas un simple cadeau, non. C'était une promesse, un rêve brisé depuis des mois. Je voulais ma vie avec toi, je te voulais toi, Grace. Et toi tu voulais le monde, tu voulais une vie qui n'était pas la mienne. Alors j'ai appris à faire sans toi. Il pris l'écrin et l'ouvrir pour regarder cette anneau porteur de tant d'espoirs. Elle était belle, il aurait été si fier que Darwin la porte à son doigt. Reposant la boîte face à eux, il lui offrit un sourire triste. C'est ce qu'on est à présent ? Juste deux ex qui se font du  mal ? Quel gâchis. Emerson se leva alors et commença à marcher un peu plus loin en enfonçant ses mains au fond de ses poches, incapable de soutenir le regard de celle qu’il aimait encore bien trop. Il avait attendu des mois qu'elle lui revienne et à présent qu'elle était bien là, face à lui, il ne pouvait plus l'accueillir à bras ouverts. Le plus dur étant de savoir qu'il l'attendait encore, au fond il l'attendrait toujours, quoi que ça lui coûte et qu'il le veuille ou non.

Un battement de son cœur y passait, à sa réponse. Cette bague ne signifiait pas plus qu'un bouquet. À l'intérieur, tout semblait se briser, son souffle s'arrêtait, tout semblait si vide autour d'eux. Sa réponse venait s'écrouler un monde d'illusion qu'elle s'était bâtie pendant des mois. Pendant quelques secondes, elle aurait presque cru que tout s'arrangerait entre-eux, qu'il lui annonce que ce n'était que des rumeurs, qu'il avait attendu son retour. Elle n'avait vu en lui qu'un Prince qu'elle idolâtrait de trop. Une image qu'elle s'était formée quand elle était seule, là-bas. Ses yeux posés sur la bague un sentiment, qu'elle ne connaissait que trop peu pour définir ce que c'était, venait lui caresser l'âme, l'emportant doucement dans cette émotion qui avait le goût d'un péché. La jalousie. Elle haïssait l'idée qu'il soit dans les bras d'une autre qu'elle quand il rentrait chez-lui. Elle détestait le fait que ses pensées allaient à une autre. Blanche. En une seconde, ce prénom la répugnait et en même temps, elle ne pouvait que l'envier. Il était là le problème. Toute sa vie, on lui avait éduqué que la jalousie était un faux-pas, qu'il ne fallait pas plongé dedans, sauf qu'à l'instant, elle s'y noyait. Si lui était la seule personne qu'elle pouvait aimer, lui pouvait en aimer d'autres et maintenant qu'il l'avait ancré sur une autre, elle ne pouvait plus le reprendre. Elle ne pouvait même plus y penser. Ses lèvres tremblantes commençaient à l'incendier de questions et reproches. Tout le long de leur relation, les deux amants s'étaient abîmés, déchirés et aimés, mais aucune douleur n'était similaire à ce qu'elle ressentait sur le moment. À ses paroles, elle restait aphone et secrètement, elle maudissait cette journée qui avait le goût d'un cauchemar. Grace ne savait quoi répliquer, fatiguée des disputes qu'elle créait et qu'ils devaient subir. Est-ce que ce n'était pas mieux qu'ils tournent tous les deux la page, s'ils ne faisaient que s'arracher ? Son rire fuyait nerveusement, lorsque le mot ‘amie' venue à ses oreilles. Elle n'en croyait pas un mot, elle n'arrivait pas à le croire. Savoir qu'elle était si vite oubliable lui faisait mal. Dans son crâne, elle trouvait des milliers de manières de répliquer, mais elle n'en avait pas la force. « Qu'est-ce que je suis censée te répondre ?  Il ne pouvait pas mieux décrire ce qu'ils étaient devenus l'un pour l'autre. Qu'est-ce que tu voulais qu'on devienne ? » Est-ce qu'elle attendait réellement une réponse ? Pas vraiment. Parce que depuis son enfance, elle s'était imaginée une unique histoire d'amour qui ne s'arrêterait pas. C'était sûrement pour ça, qu'elle l'avait attendue pendant toutes ses années. Le destin de deux anciens amants se dessinaient vite et elle avait toujours pensé pouvoir l'esquiver. « Ce qui me fait mal, c’est d’apprendre qu’il te faut moins de six mois pour oublier notre histoire. Je t’aurais attendue toute une vie moi, Emerson. » Son absence lui semblait si courte, considérant qu'elle purifiait son âme de ses pensées négatives, qu'elle se rebâtissait une identité. Peut-être que vu d'ici, tout était différent, mais elle ne pouvait s'imaginer. « J’espère qu’avec elle, tu apprendras réellement la définition de l’Amour. » Qu'est-ce qu'elle attendait, maintenant assise sur sa chaise ? Elle n'en savait rien. Ils ne pourraient plus refermer les plaies par des gestes tendres, ils ne pouvaient plus faire ce jeu-là. Pourtant, c'était si difficile de le quitter, alors quelque part, elle espérait que ce soit lui qui prenne la fuite.

Évidemment qu'elle signifiait tout, cette bague, autant d'espoirs en ce couple qu'ils avaient formé que de regrets de ne pas voir se concrétiser cette histoire. Pour Léo ce n’était pas un simple cadeau, pas un vulgaire bijou et encore moins un bouquet de fleurs, mais Grace ne semblait plus le croire, elle qui avait porté cet anneau comme un signe de promesses, d’avenir, elle semblait à présent le rejeter comme si tout ce que son ex lui disait n’était que mensonges. Parce qu’il avait osé avancer avec une autre. Elle n’avait pas tort la fleuriste, il lui avait fallu seulement quelques mois pour se consoler dans d’autres bras, pour que d’autres baisers que les siens le fassent sourire à nouveau. Il n’était pas comme elle, Léo, à attendre éternellement un rêve inaccessible, il se laissait séduire, il tombait facilement, bien plus facilement qu’elle, dans le péché et la luxure, dans l’envie, toutes ces choses qui semblaient être une abomination aux yeux de celle qui se voulait si droite. Mais il était humain, Léo et il n’avait jamais caché qu’il profitait des plaisirs que la vie avait à lui offrir. Et il était bourré de défauts, tout comme elle, sauf que lui avait l'honnêteté de les regarder en face et de ne pas les cacher. Elle pouvait lui reprocher son inconstance et tout un tas d’autres choses, néanmoins lui ne lui avait jamais rien caché. Ce que je voulais c’est que tu sois ma femme, Grace. Pas pour t’avoir dans mon tableau de chasse, mais parce que tu es la femme de ma vie, que ça me rende heureux ou misérable. J’voulais qu’on soit enfin heureux au lieu de se déchirer comme on l’a fait durant presque deux ans. Et qu’on devienne une famille, un jour, petit à petit, en acceptant notre passé, sans que tu ais besoin de revenir noyer ta peine en revivant l’accident en t’asseyant à ce maudit carrefour. Il regarda la boite vide qu'elle avait pos sur la table. Avec tes pâtisseries comme pour fêter un anniversaire funeste. Il ne s’en était jamais rendu compte avant, mais Emerson avait en lui beaucoup de peine et de choses qu’il n’avait jamais osé dire à Grace, des choses blessantes, mais nécessaires pour avancer. A force de vouloir la préserver et avec elle l’image du couple idéal qu’il aurait aimé qu’ils forment, il avait laissé grandir au fond de lui une colère sourde et douloureuse qui éclatait sans esclandre mais telle une vague qui le submergeait, il avait l’impression de se noyer en la regardant et c’était insupportable. Darwin sortit sa dernière carte, la plus dure peut-être, parce qu’elle s’attaquait à son histoire avec Blanche. Il lui lança un regard mauvais, parce qu’elle lui reprochait une nouvelle fois de l’avoir oublié alors qu’elle était la première à avoir mis fin à leur amour. Si elle le lui avait demandé il serait resté avec elle, là-bas, s’il lui avait seulement fallu du temps il aurait attendu, il avait attendu d’ailleurs. Mais sans signe de sa part et en voyant qu’il dépérissait il avait juste fait ce qu’il fallait pour ne pas se perdre totalement. Ce que Grace ignorait surtout c’est qu’il ne cesserait jamais de l’aimer, ni de l’espérer, même dans les bras d’une autre. Sur sa dernière phrase, celle de trop, parce que la belle ne se rendait pas compte à quel point elle était blessante ni combien elle se trompait sur le compte de son ancien amoureux, Léo se leva pour marcher, pour mieux respirer, pour ne plus à avoir à soutenir le regard accusateur de son ex. Lui d’ordinaire si bavard, n’avait plus de mots, il ne voulait plus se battre. A présent qu’il savait qu’elle était revenue à Bowen, tout changeait. Cependant il était incapable de savoir si c’était une bonne chose. Peut-être aurait-il aimé qu’elle le rattrape, qu’elle vienne se caler dans ses bras et s’excuser d’avoir été si dure, qu’elle lui fasse comprendre en un regard qu’elle l’aimait encore et qu’il ne la dégouttait pas totalement, parce qu’elle l’aimait, il le savait. Mais elle ne fit rien de tout ça et lui ne se retourna pas, ils venaient de se faire trop de mal pour aujourd’hui. Il continua finalement sa route en la plantant sur cette terrasse de café et il rentra chez lui, abattu.

Fin