well maybe I'm just dreaming out loud but, until then, come home (ally)

C’était le marché du dimanche, à la place de la ville. Les producteurs locaux venaient vendre fruits, légumes et autres produits du terroir. Isaiah ne ratait que rarement l’occasion d’aller s’y acheter sa nourriture pour la semaine, fraîche et biologique. Maintenant qu’il vivait chez Aisling, avec Siobhan mais aussi avec le frère d’Aisling, Aslander, ses courses se faisaient beaucoup plus élaborées. Il avait un peu été attitré comme le cuisinier de la maison puisqu’autrement, ils mangeraient du take-out à tous les soirs. Disons qu’il préférait s’en charger mais s’assurer que tout le monde mangeait convenablement. Surtout, il pouvait en profiter pour faire découvrir le mode de vie végétalien aux Callaghan. Pour lui, ça, ça valait bien tout le temps passé derrière les fourneaux. De toute façon, lui bossait depuis le garage de la maison dans son atelier d’ébénisterie improvisé, alors il pouvait plus facilement gérer les tâches comme celle-là. L’ébéniste avait donc les bras chargés de sacs réutilisables remplis à ras-bord, les feuilles de salade et les carottes dépassant de tous les côtés. Il peinait à se faufiler à travers les stands et commençaient sérieusement à se demander comment il ferait tenir le tout sur son vélo, mais ça ne l’empêcha pas d’avoir une réaction des plus enthousiastes lorsqu’il croisa, à travers la foule, une tignasse rousse qu’il reconnaîtrait entre mille. Sa demi-sœur, à Bowen ! « Ally Carmichael ! » Lança-t-il pour qu’elle se retourne vers lui. Un grand sourire s’afficha sur son visage. Il marcha jusqu’à elle. « Attends, attends. » Dit-il en se débarrassant de ses sacs qu’il laissa par terre, une pomme roulant à l’extérieur du sac. Il se releva et ouvrit les bras pour y accueillir Ally. « Oh, girl, ça fait tellement longtemps ... tu ne m’avais pas dit que tu revenais par ici. Que tu passais par Bowen. » Il la serra fort contre lui et, dans son oreille, il demanda : « Comment ça va ? » Elle avait perdu sa mère, Ally, et même si tout n’avait pas toujours été rose, elle demeurait sa mère.

Le marché du dimanche m’inspirait pas mal. On restait à l’hôtel depuis quelques jours et plus ça allait, plus j’avais l’impression que j’allais devoir trouver un appartement dans le coin vu tout le temps que ça mettait pour ce qui est en lien avec ma mère. J’avais envie de nous faire une salade bien garnie et des collations pour la semaine pour Maxwell et moi. C’est ainsi donc que Max et moi on était au marché depuis quelques temps déjà. Au départ, Max marchait à mes côtés, mais il s’est fatigué rapidement et s’était endormi dans sa poussette. Pour ma part, je me concentrais sur la fraicheur du coin et j’entendais mon nom soudainement. Je me relevais et je regardais autour de moi. Isaiah apparaissait alors qu’il me demandait d’attendre. Je le regardais déposer ses énormes sacs pour s’avancer vers moi. Un peu surprise, je me suis mise à rire doucement et à l’enlacer. Je resserrais mon étreinte lorsque je sentais son odeur; c’était instinctif. « J’étais pas sensée rester bien longtemps, en fait. » Admis-je alors en grimaçant. « Mais il semblerait que toute la paperasse ça soit pas si simple. » dis-je en levant les yeux au ciel. Je répondais à sa question avec un sourire en hochant la tête. « Ça va et toi? » Je n’avais jamais été réellement proche de ma mère alors ses mots ne sonnaient pas ainsi. À mon sens, ce n’était qu’une histoire de papiers et je reprendrais bientôt l’avion avec Maxwell. « Je te présenterai Maxwell un peu plus tard. » dis-je avec un sourire en pointant la poussette où mon fils dormait paisiblement en me demandant s’il l’avait même remarqué. Avais-je déjà dit à Isaiah pour ma grossesse, pour mon fils? Je ne savais plus trop.

En relâchant Ally de cette étreinte et en retrouvant son visage qu’il regardait avec son éternel sourire, Isaiah fronça tout de même les sourcils lorsqu’elle affirma qu’elle n’était pas supposée rester longtemps, mais que la paperasse était plus longue que prévue. « Et tu serais repartie sans passer me voir ? » Demanda-t-il, sa main enlaçant toujours l’avant-bras de la rouquine, comme incapable de croire qu’il la retrouvait enfin. « Tu heurtes mes sentiments. » Ajouta-t-il en posant une main sur sa poitrine, avant de rire. Il n’était pas du genre à se vexer pour autant, Isaiah, mais il devait avouer qu’une part de la déception était tout de même là. Ils avaient beau se parler sur une base régulière, s’envoyant des messages ou en se parlant au téléphone – pour Ally, Isaiah faisait de véritables efforts technologiques -, ce ne serait jamais la même chose que de l’avoir face à lui. Il relâcha enfin le contact de sa main sur son bras, laissant retomber son bras le long de son corps. Son sac de fruits et de légumes tenait en équilibre entre ses jambes. « Ça va. Il fallait justement que je te donne les dernières nouvelles mais maintenant que j’t’ai ici, je pourrai m’épargner une heure complète à essayer d’écrire tout ce qui me passe par la tête. » Il sourit. En plus, lorsqu’il écrivait sur un clavier, c’était une lettre à la fois, avec ses deux index. Un vrai dinosaure. C’est alors qu’Ally attira l’attention d’Isaiah sur Maxwell, son garçon. Un grand sourire illumina le regard de l’ébéniste alors qu’il s’agenouillait face à la poussette. Il dormait paisiblement, les poings fermés. « Il est adorable. Il te ressemble tellement. » Murmura Isaiah. Si Ally lui avait parlé de sa grossesse, elle n’avait jamais donné tous les détails et donc, l’artiste n’en connaissait que très peu sur lui. Il tourna la tête vers Ally. « Il faudra que Siobhan et lui se rencontrent. Ils pourront avoir de grandes conversations. » Lâcha-t-il en riant. La fille d’Aisling et le garçon d’Ally avaient à peu près le même âge.

« Je pensais pas passer plus que 48 heures. » avouais-je platement avec une grimace. « Avec le décalage horaire et tout le reste. » En désignant le bébé du menton. C’était la première fois que je parlais de mon fils en disant tout le reste. J’en ressentais une immédiate culpabilité qui se chassa immédiatement en me disant que je heurtais ses sentiments. « Non, mais je suis désolée. Je comptais réellement t’écrire dans les jours à suivre. » lui admis-je alors avec un petit sourire tentant de me racheter. Il me relâchait et me disait qu’il devrait me donner les dernières nouvelles et je pouffais de rire suite à son commentaire. « Un jour, Isaiah, un jour, ça te prendra 10 minutes. » D’ici là... il y avait encore du travail à faire! Mon ami s’abaissait pour voir ma progéniture et j’esquissais un petit sourire en entendant qu’il était adorable. « Encore heureux qu’il ait hérité du caractère de son père à rire et sourire pour un oui ou pour un non! » dis-je en secouant la tête, un léger sourire aux lèvres. « Tu trouves? » Lui demandais-je avec les yeux pétillants. Ce n’était pas un constat que j’avais beaucoup en Amérique en dehors des cheveux. « Oui, je devrai la rencontrer aussi! » Lui dis-je avec un petit sourire. « Il n’est pas encore très sociable, mais il fait de réel efforts. » C’était vrai, il ne partageait pas encore beaucoup et les autres le fascinaient plus que de discuter avec eux en langage obscur. « Et toi, tu vas comment? »

48h ou non, Isaiah aurait profité ne serait-ce que d’une minute pour revoir Ally, mais il se doutait qu’elle avait sans doute mille-et-une choses à faire avant de prendre le temps de souffler. Il ne pouvait donc pas lui reprocher de ne pas avoir planifié de passer le voir durant sa courte visite. Heureusement pour lui, et sans doute malheureusement pour elle, la jeune femme devait rester à Bowen pour quelques jours de plus. N’ayant pas le même rapport que les autres vis-à-vis de ses engagements, Isaiah voyait cela comme des vacances prolongées, en quelque sorte, pour Ally. Elle n’aurait évidemment pas la même perception. « Oui, je comprends, t’en fais pas. » Il sourit. « Je suis quand même ravi d’être tombé sur toi, pour le coup, ce matin. Tu me manques, ici. » C’était plus facile de prendre des nouvelles de quelqu’un chez qui il pouvait aller cogner à l’improviste, comme il le faisait régulièrement, Isaiah. Il préférait ce contact humain plutôt que des échanges de courriel sur lesquels il pouvait passer trop de temps en raison de son manque d’expérience en la matière. « Je crois que tu me surestimes. » Avait lâché l’ébéniste en riant. Surtout, il ne voulait pas qu’il prenne l’habitude, qu’il devienne aussi rapide que les autres. Ça voudrait dire qu’il s’était fait avoir à son tour dans la machine. Lâchant finalement le sac d’entre ses jambes sans trop se soucier du contenu qui menaçait maintenant d’en sortir à tout moment, Isaiah s’accroupit face à Maxwell. Il tourna un regard brillant vers Ally alors qu’elle lui parlait du père qui riait et souriait pour tout et pour rien. C’était la première fois qu’elle en parlait. « Tu es toujours avec lui ? Le papa ? » Demanda Isaiah, pas tant pour la curiosité mal placée mais surtout pour connaître la situation actuelle de sa demi-sœur. C’était un sujet relativement important, tout de même. « Bien sûr ! On ne te le dit pas tout le temps ? » Isaiah, lui, voyait toute la ressemblance. Les cheveux, le nez, et qui sait peut-être même ses magnifiques yeux, s’il les ouvrait à un moment. Il se releva après avoir parlé de Siobhan. « Ça lui viendra. » Ou pas. Pas tous les enfants n’étaient sociables et c’était bien correct ainsi. Il tourna la tête vers Ally lorsqu’elle lui demanda si ça allait, de son côté. Il hocha la tête. « Ça va très bien. J’faisais les courses pour ma grosse famille, là. » Dit-il en désignant ses sacs réutilisables bien remplis. « Je vis chez Aisling maintenant, avec Siobhan, et le frère d’Ais aussi pour un moment. » Et, sans doute, éventuellement, leur enfant à tous les deux.

« Tu me manques aussi! T’as toujours pas décidé de traverser l’océan pour de bon? » lui demandais-je un fin sourire aux lèvres, pleine d’espoir. Le jeune homme était beaucoup moins techno que bien des gens, que moi aussi entre autres Actuellement, il ne me restait plus beaucoup de vacances pour profiter du temps à Bowen et pour ma mère alors que de l’autre côté, le monde de l’édition était sans pitié. Quant à son commentaire sur le fait que je le surestimais, je pouffais de rire. « Tout est une question de perspective. » dis-je un peu plus légère. Je l’observais lâcher son sac et je pointais la poussette devant moi. « Si tu veux, il me resterait de la place pour un ou deux sacs. » Dis-je avec un sourire.

Isaiah abordait un sujet sensible. Je déglutissais avec difficulté. « Disons qu’il est resté derrière sans venir me rattraper... mais j’ai pas cherché non plus à revenir dans ses bras. Ça et puis, il n'est pas au courant. » Je secouais la tête négativement pour confirmer mes dires. « On me le dit... Mais quand on connaît le père, on se rend compte que tous ses traits sont presque identiques. » dis-je en haussant les épaules. « Au moins, il garde son roux! » dis-je en reprenant la pêche. « Tu as raison, tout vient à point à qui sait attendre. Et bien assez vite, il me demandera les clés de ma voiture. » Je levais les yeux au ciel à cette idée. Il m’expliquait sa situation actuelle. « Ta grosse famille? » demandais-je avec un petit sourire. Ce que j’appréciais d’Isaiah, c’était que je n’avais pas à lui tirer constamment les vers du nez. « Et tu es heureux avec tout ça? » lui demandais-je patiemment en reprenant un pas lent pour éviter que Max se réveille.

Ah, ce magnifique sourire d’espoir, bientôt réduit à néant alors qu’Isaiah grimaçait. « Quoi, moi, aux États-Unis ? Le american dream, très peu pour moi. » Il sourit. Ça avait l’air de tout sauf d’un rêve, à ses yeux. Et puis, il était finalement bien, ici. Après avoir passé le plus clair de son temps à se chercher, à découvrir, à errer, voilà que l’homme avait trouvé une place qu’il pouvait appeler sa maison, et ça relevait presque de l’impossible, le connaissant. Il ne savait pas s’il serait éternellement sur cette longueur d’ondes mais pour le moment, il y restait accroché. Il avait trouvé une paix qu’il ne pensait pas trouver dans un seul et même endroit. Alors que l’ébéniste s’accroupissait pour faire la connaissance – unilatéralement – du petit bonhomme d’Ally, son sac tomba sur le côté, ce qui incita sans doute sa demi-sœur à lui proposer d’en mettre quelques-uns dans sa poussette. Il tourna la tête vers le dégât et rit. « Je veux bien, merci. » Il déposa un seul sac dans l’espace disponible de la poussette, remerciant à nouveau Ally. Le reste était un peu moins rempli et surtout, tenait plus facilement en place sur le sol. Isaiah questionna finalement son amie sur l’identité du père de Maxwell, parce que ce mystère ne pourrait pas planer éternellement sans qu’il ne s’y intéresse. « Oh. Est-ce que tu vas le lui dire ? » Demanda-t-il. De ce qu’il comprenait des paroles de la jeune femme, il était resté ici à Bowen, alors forcément l’idée d’aller le voir avait dû effleurer son esprit. « Je pense que j’aimerais savoir, à sa place, qu’un p’tit bout d’homme comme lui est le mien. » Dit-il, pas tellement pour se mettre du côté de l’homme-mystère, mais surtout pour amener Ally à réfléchir. La décision lui reviendrait, au final. Isaiah se contenta de sourire lorsqu’elle lui parla de ses ressemblances avec ledit père, et rit à propos du roux. « C’est la signature Carmichael, j’espère bien qu’il l’a, oui ! » Isaiah hocha la tête quand il fut question de la voiture. Ils avaient eu cette conversation, avec Aisling, se projetant dix ans dans le futur lorsque Siobhan serait adolescente. Ça viendrait plus vite qu’ils le pensaient. D’ailleurs, en parlant de Sio, Isaiah expliqua un peu sa situation actuelle avec ceux qu’il considérait comme sa famille. « Vraiment heureux. J’ai l’impression d’être exactement là où je dois être. » Il marqua une pause, un sourire, puis marcha aux côtés d’Ally, ses sacs sur ses épaules. Il hésita quelque peu, avant d’ajouter : « Aisling a fait une fausse couche, il y a quelques mois. Je pense que ça nous a fait réaliser, à tous les deux, qu’on voulait vraiment des enfants ensemble … Et si elle n’était pas prête à ce moment, à essayer, maintenant, je crois qu’on est tous les deux à la même place. » Il en avait la certitude, même. Il espérait juste que le drame se tiendrait loin d’eux, désormais.

« Je t’ai pas dit de vivre le American Dream, juste de profiter des Etats-Unis! » Dis-je en riant doucement. Isaiah, vivre le American Dream? Je n’y croyais pas une seule seconde. Il n’était pas du genre à s’affubler de tout ça. S’il réalisait ses rêves à lui, c’était plus que suffisant. C’était même égoïste de ma part de lui proposer les Etats-Unis pour venir s’établir. « D’ailleurs, t’as voyagé beaucoup récemment ou pas du tout? » lui demandais-je un peu pour savoir où il en était. En attendant sa réponse, je bougeais un peu le tout sous ma poussette pour faire un peu plus de place. C’était complètement fou à quel point c’était spacieux quand on savait comment s’organiser! L’homme poursuivait son questionnement concernant le géniteur de mon fils. Je jouais maladroitement dans ma chevelure en quête de réponse. La réalité était que je ne savais pas. Le reverrais-je? Je n’en savais rien. Peut-être cela serait-il mieux de vivre dans le déni? Dans l’ignorance, même. « Il est déjà à 3 ans... J’veux dire, tu ne serais pas en colère de ne pas l’avoir su avant? » Demandais-je en quête de réelle réponse. Je pouffais de rire alors qu’il me parlait de la signature Carmichael. « C’est bien tout ce qu’il a de moi! » On poursuivait notre conversation sur le bonheur d’Isaiah. « Je suis contente pour toi. » lui admis-je alors avec un fin sourire qui tirait mes lèvres. Je l’étais sincèrement. C’était tout ce qu’il méritait : le bonheur pur et dur! Après, il était ébéniste, il ferait bien ce qu’il voulait avec la matière première. Il m’expliquait pour la fausse couche et je grimaçais. « Je suis désolée. » Puis, je regardais Max en me demandant comment serait ma vie actuellement si lui n’en faisait plus parti... Et je me rendais compte que c’était inconcevable. Il était là, il était toute ma vie ce petit bout d’homme. « Si vous êtes au même stade, c’est l’essentiel. Et puis déjà un ou plutôt une dans votre cas, c’est déjà quelque chose en soi. » Un seul petit humain pour ma part, ça me comblait amplement. Ajoutons le fait que j’étais monoparentale, voilà qui était plus que suffisant. Je ne me voyais pas en avoir un deuxième tout de suite. Puis après, il y avait la fameuse question : qui pourrait en être le géniteur?! Ma vie amoureuse était inexistante depuis plus de trois ans maintenant. Peut-être étais-je condamnée à n’avoir qu’un petit homme? Ça m’arrachait un petit sourire juste à y penser.

Isaiah haussa les épaules. Les États-Unis ne l’avaient jamais attiré plus que ça. Mais il était vrai que désormais, il avait au moins une raison de s’y rendre. Et une raison plutôt bonne. « Peut-être pour une p’tite visite à ma demi-sœur préférée, oui. » Il sourit. Au moins, Ally n’avait pas choisi de s’installer vers le sud du pays. La rouquine le questionna alors sur ses récents voyages, parce que quiconque connaissant assez bien Isaiah savait qu’il partait souvent pour de belles aventures, de grandes découvertes du monde. Malheureusement, il devait se rendre à l’évidence que le quotidien de la vie à Bowen était devenu un peu plus routinier pour lui, ces dernières années. « Hum … Tu peux même pas savoir à quel point ça me peine de dire ça, mais il faut que j’avoue que c’est pas du tout. » Il haussa les épaules, aidant Ally à faire de la place pour y pousser au moins un de ses sacs. Il se sentait déjà un peu moins encombré. « Je me suis tenu assez occupé, ici, faut dire. Mais c’est vrai que je suis dû pour partir, là. T’aurais pas des trips à me recommander ? » Qui sait, peut-être était-ce elle, la grande voyageuse, maintenant. Quoiqu’avec un enfant en bas âge et une carrière à NYC, ce n’était peut-être pas facile de voyager pour elle non plus. Après tout, elle était mère monoparentale. Un peu par choix, de ce qu’Isaiah en comprenait. Ils en parlèrent d’ailleurs, de ce fameux papa mystère. « Oui, oui, je pense qu’au début je serais en colère. » Et venant d’Isaiah, la colère était un concept assez intense, lui qui ne se fâchait que rarement. « Mais je pense qu’il vaut mieux tard que jamais. Et puis qui sait, si tu attends, c’est peut-être Max qui cherchera à le trouver plus tard et ça pourrait faire encore plus mal à tout le monde. » Son fils apprendrait que c’était sa mère qui n’avait jamais parlé de son existence à son père. Son ex apprendrait de par son fils qu’elle le lui avait caché. C’était un scénario très peu souhaitable, selon lui. Après avoir parlé de son bonheur actuel, Isaiah marcha auprès d’Ally, lui parlant de la fausse couche d’Aisling, survenue quelques mois plus tôt. « Merci. » Souffla-t-il lorsqu’elle fut désolée pour lui, pour eux. « Oui. Siobhan a une grande place déjà dans ma vie. Mais tu me connais, j’rêvais d’une grande famille y’a trois ans déjà. » Il sourit. Ezekielle et lui avaient souvent parlé de voyager avec leurs dix enfants. Puis elle était repartie et lui était resté ici, et son cœur avait fait de plus en plus de place pour Aisling. Sa vision du futur s’était quelque peu transformée, mais il n’en était pas moins enjoué. Le bonheur n’est pas statique.

Isaiah poursuivait en me disant que ça serait une bonne raison de me visiter puis je grimaçais. « Est-ce qu’on est encore demi-frère/demi-sœur en sachant que ma mère est plus de ce monde? » Philosophons, n’était-ce pas le temps idéal? L’homme poursuivait en m’expliquant qu’il avait de la peine concernant son aspect sédentaire. « C’est certain qu’avec des enfants, ça ne simplifie pas la donne. » Et je savais malheureusement de quoi je parlais. L’homme poursuivait en me disant qu’il s’était tenu assez occupé, mais que cela ne le tiendrait pas bien longtemps. Le jeune homme me questionnait concernant des destinations potentielles. « Si tu veux faire le Pacific Crest Trail, j’en ai fait une partie et c’était bien. » Et la raison pour laquelle j’avais arrêté après quelques semaines c’était bien parce que c’était le début de ma grossesse et que la fatigue persistante m’avait bien fait croire que j’étais malade.

L’homme poursuivait en me disant qu’il serait en colère et je baissais le regard. C’était grand de la part d’Isaiah. Il poursuivait en me disant que c’était mieux maintenant que plus tard parce que si Max venait qu’à le retrouver, ça se passerait peut-être autrement et ça ferait mal. Je soupirais en passant ma main dans mes cheveux maladroitement. « Entre l’arbre et l’écorce. Plus ça change, plus c’est pareil. » Que j’souffle plus pour moi que pour mon ami. L’homme poursuivait en me disant que Siobhan avait une grande place dans sa vie et mon sourire s’agrandissait. « J’crois plutôt que c’est depuis que tu sais rêver que t’as envie d’une grande famille. » lui dis-je avec un petit sourire. J’entendais Maxwell qui commençait à couiner. « Il va se réveiller bientôt, sans doute. » Lui dis-je avec un sourire.

C’était une bonne question. À quel moment cessaient-ils d’être demi-frère et demi-sœur, lorsque le sang n’était pas la source de cette filiation ? Sa mère étant décédée, le père d’Isaiah n’était plus son conjoint et donc, Isaiah n’avait plus de belle-mère. S’il n’avait plus de belle-mère, il n’avait plus de belle-sœur. L’ébéniste esquissa un faible sourire en regardant la jeune femme. « Dans mon cœur tu l’seras toujours. Ça a trop été la surprise de ma vie pour que ça cesse. » Constater que l’une de ses meilleures amies était effectivement passée au stade de la famille, ça avait été un choc pour Isaiah. Un heureux choc, au bout du compte. À présent, il considérerait toujours Ally comme une sœur, ce n’était pas le genre de sentiment qu’on effaçait du jour au lendemain. Alors que les deux adultes parlaient finalement de voyages, ou plutôt de l’absence de voyage du côté de l’ébéniste, Ally lui proposa le Pacific Crest Trail. Ce serait une belle manière de découvrir l’ouest des États-Unis, c’est vrai. En traverser tous les états côtiers à pieds, c’était un bel objectif. Il se souvenait évidemment qu’Ally en avait fait une bonne partie, même s’ils n’avaient jamais vraiment approfondi sur son expérience. « T’y avais trouvé ce que tu cherchais, d’ailleurs ? » Demanda-t-il. Elle avait voulu se retrouver, se recentrer, trouver des réponses à ses questions existentielles. Si cette randonnée avait réellement des effets bénéfiques de ce côté-là, peut-être Isaiah pourrait-il se lancer, oui. Mais pour le moment, ses décisions de vie semblaient bien moins cruciales que celles d’Ally. L’artiste se doutait fort bien que l’annonce d’un fils à son père n’était pas à prendre à la légère. Il se contenta de sourire tristement à la jeune femme lorsqu’elle se murmura des paroles pour elle-même. « T’as sans doute raison. » Enchaîna-t-il à propos du fait qu’il rêvait d’une grande famille depuis toujours. Leurs regards se dirigèrent automatiquement vers Maxwell qui semblait s’agiter. « J’vais enfin pouvoir le rencontrer officiellement, ce p’tit bonhomme. » Lâcha-t-il, excité à cette idée, même s’il contenait assez bien cette joie pour ne pas accélérer le réveil de Maxwell, justement.

La philosophie de l’homme m’impressionnerait toujours. Il poursuivait en me disant que dans son cœur je le serais toujours et je lui adressais un regard tendre. « C’était assez particulier, j’en conviens. » Dis-je en riant doucement. C’était vrai que ça avait été une belle surprise de savoir que tous les deux nous étions là, dans la même situation. Les sujets partaient d’un côté puis de l’autre et je soupirais à sa question, je passais une main maladroitement dans mes cheveux. « Oui et non. J’ai crié à m’en époumoner, j’ai fait sortir le méchant... J’ai marché, j’ai grogné, j’ai nagé... J’me suis épuisée et j’ai recommencé. Et quand j’te dis que j’étais épuisée, j’ai dû arrêter. Mon corps m’envoyait des messages nébuleux. J’étais enceinte et je ne le savais pas. Tout ce que je savais, c’était que j’étais épuisée de vivre toutes ces émotions mélangées. Et j’crois que c’est à ce moment là que j’ai décidé d’être une meilleure personne. Pour moi. Et j’suis partie... » Je me mordillais les lèvres. « Après, j’ai découvert que y’avait Maxwell... Et il est venu un peu pimenter l’équation sans même le savoir. » Dis-je en riant doucement. L’homme s’agitait en voyant que le mini rouquin semblait commencer à se réveiller. Je nous dirigeais vers un endroit moins agité, où nous aurions plus de place et je regardais mon fils. « Coucou... T’as bien dormi? » Lui dis-je en écarquillant les yeux. « T’as dormi longtemps, chaton. » Lui dis-je doucement alors que mon bonhomme prononçait quelques mots inaudibles. « Pardon? » répétais-je doucement en m’avançant vers lui. Il pointait Isaiah en demandant : « Papa!? » Je me pinçais les lèvres et je soupirais discrètement. « Non, c’est Isaiah. C’est ton oncle. » Mon fils balbutiait encore quelques mots. « J’ai TRÈS hâte de voir son père. » dis-je à mon frère de cœur en insistant sur l’adverbe. « Pipi, maman. » Que j’entends vivement en recherchant visuellement une toilette non-loin.

Il se souvenait, Isaiah, qu’Ally était partie faire cette grande randonnée d’une vie dans le but de se trouver elle-même, ou de trouver un certain sens à ce qu’elle vivait. Il se souvenait aussi qu’elle avait été discrète à ce propos, même en partant, mais maintenant qu’il l’avait devant elle en chair et en os, il osait lui poser quelques questions. Surtout parce que par écrit, on ne voit pas le non-verbal, Isaiah n’aurait pas senti si Ally était à l’aise ou non de se confier, si elle se serait sentie obligée de lui répondre par courriel. « Peut-être que tu ne savais même pas exactement ce que t’allais y chercher. Peut-être que c’était pas quelque chose de descriptible. Mais si tu veux mon avis, d’mon point de vue extérieur, cette randonnée t’a changée. L’arrivée de Max n’y est pas pour rien, d’ailleurs, mais toi en tant que personne à part entière, aussi, t’es différente. » Elle respirait différemment, une autre sorte de bonheur, plus léger. « It suits you. » Ajouta Isaiah, sourire aux lèvres, avant de donner toute son attention au rouquin qui s’éveillait. L’ébéniste suivit son amie vers un endroit plus isolé, à l’écart du marché de la ville. À sa plus grande surprise, Maxwell le pointa en demandant si c’était son papa. Le petit se posait déjà des questions. Ally avait peut-être à faire un choix plus vite qu’elle ne le voudrait. « Content de te rencontrer enfin, Max ! J’ai beaucoup entendu parler de toi. » Lança Isaiah au garçon, un grand sourire aux lèvres. L’homme reposa son regard sur la rousse lorsqu’elle mentionna avoir très hâte de voir le père. « Je pense que ça répondra à pas mal de questions. » Celles de Max, mais surtout celles d’Ally. Le petit les sortit de cette réflexion en mentionnant son envie de faire pipi. « Viens, y’a la toilette publique au musée qui doit être la plus proche. » Il fit un coup de tête en direction du musée à deux pas de la place de la ville au centre de laquelle se déroulait le marché. « Qui aurait cru que ce serait moi qui te guiderais à travers Bowen un jour ... » Il rit. Bon, il ne la guidait pas vraiment, elle savait très bien où elle s'en allait maintenant qu'il avait mentionné la toilette la plus près.

Les questions d’Isaiah étaient pleinement justifiées et c’est pourquoi je ne m’offusquais pas du tout lorsqu’il les posait... même si certaines d’entre elles me prenaient un peu par surprise, par dépit même. Isaiah poursuivait en me disant que je ne savais pas qu’est-ce que j’allais chercher et il n’avait pas tord. Il me disait que ça m’avait changée et j’étais un peu perplexe à ce propos. À son compliment, je ne pouvais qu’esquisser un sourire. « Merci, mais je pense sincèrement que le changement est dû à Max. » Et non pas à la randonnée sans fin que j’avais fait. L’homme semblait ravi de rencontrer le garçon et pour le prouver, il lui glissait un câlin rapido. Je soupirais à sa remarque concernant le père en hésitant à me cacher six pieds sous terre. Je hochais la tête positivement concernant les toilettes du musée. On se mettait en marche alors qu’Isaiah se prenait pour un guide, je pouffais de rire. « On va dire que je vais prendre ton offre de guide toiletistique pour aujourd’hui. » Je lui adressais un clin d’œil et on se dirigeait vers la salle de bain. « Tu m’excuses? » que j’lui dis en prenant la main de mon fils pour l’entraîner vers la salle de bain pour quelques minutes. On en ressortait les mains propres, évidemment et un pouce en l’air. « L’apprentissage de la propreté est maîtrisé par Monsieur Carmichael! » Que j’dis en bécotant mon mini. « Tu avais quoi comme projet aujourd’hui? » que j’demande à mon ami alors que le garçon s’accroche à la jambe de celui-ci.

Il était trop spirituel, Isaiah, pensant que lorsqu’on prenait le temps de se recentrer sur soi, de méditer un peu sur sa personne, on pouvait en venir à bout de bien des démons. Ally, en marchant tous ces kilomètres dans une solitude parfois peut-être lourde, n’avait sans doute eu d’autres choix que de se perdre dans des révélations probablement révélatrices pour certaines. Mais elle lui assura que c’était Maxwell qui l’avait changée, et comme elle se connaissait mieux que quiconque, il ne pouvait qu’acquiescer. « C’est vrai qu’il est dit que la maternité ou la paternité change une personne, aussi. » Il en avait la preuve avec Aisling, d’ailleurs. Même si elle n’oubliait pas qui elle était, elle avait aussi évoluée en tant que personne depuis qu’elle avait Siobhan. Et elle aussi, elle était magnifique à voir aller. Ally avait peut-être raison, donc. Peut-être que l’arrivée de son enfant était bel et bien la seule véritable variable de l’équation. Après que l’oncle qu’était maintenant Isaiah se soit présenté à Maxwell, éveillé, ils se dirigèrent tous les trois vers les salles de bain du musée. « Guide toiletistique ! C’est un très beau poste que voilà, je suis persuadé que je pourrais venir à la rescousse de pas mal de touristes, avec ce titre. » Mais ce qui était drôle à la base, c’était qu’Ally n’était pas une touriste, mais son départ de cette ville l’y avait un peu rendue étrangère. « J’vous attends ici. » Déclara l’ébéniste en s’appuyant contre le mur, surveillant la poussette laissée à l’extérieur. Lorsque la petite famille en ressortit, tout fiers de la propreté de Maxwell, Isaiah leva sa main pour lui faire un high five. « You’re the man ! » Lança-t-il en tapant doucement sa paume avant de sourire à sa mère. « J’allais cuisiner tout ça. » Dit-il en désignant les sacs de légumes frais et bio. « Mais ça peut attendre. Et si vous voulez, vous pouvez venir dîner à la maison, ce soir. C’est toujours mieux qu’un resto, non ? » Proposa Isaiah.