Trahison !

Je fais face à Jason dans le soleil couchant. Le train va bientôt partir. Son train va bientôt partir. Il me fait face, avec ses deux valises en main et il a presque l’air d’une victime quand il me dit que tout peut encore s’arranger, comme si c’était lui la victime sauf que c’est moi la victime, c’est moi qu’il a trahie. Je lui réponds d’une voix calme mais exprimant une telle colère froide qu’il recule d’un pas.

"Ne joue pas la victime, Jason, tu m’as trahie. D’abord, c’est à cause de toi si mes meilleures copines m’ont tourné le dos."

J’exagère à peine, il sait que c’est vrai. J’enchaîne :

"Puis tu m’as trahie en prenant cette pilule expérimentale pour homme pour ne pas avoir d'enfant, tu dois être content vu que ses effets secondaires t’ont rendu stérile, peut-être pour toujours."

Je me contiens pour ne pas crier en disant ça, de toute façon j’ai déjà assez crié comme ça et non, ni vaisselles, ni insultes, surtout que je garde la dernière trahison pour la fin si je puis dire :

"Enfin, tu m’as trahie en allant travailler en Amérique, et tu y vas sans moi. Je t’ai tellement aimé Jason, et toi tu m’as trahie !"

Je pleure alors sans discontinuer, je suis secouée de violents sanglots.

"Regarde bien ces larmes, parce que ce sont les dernières que je verse pour toi."

Je m’effondre en larmes, tombe donc à genoux et Jason fait mine de venir vers moi, se ravise puis tourne les talons et disparaît dans les volutes de fumée du train. Oui parce que c’est une locomotive qui tire les wagons, ce qui est tout à fait logique et là, j’entends "coupez" et je me calme peu à peu. Je soupire, c’est la onzième prise, j’espère qu’est la dernière. Oui, c’est le cas, ouf. Je me rends à ma loge ou mes maquilleuses me refont une beauté en louant mes talents d’actrice … Jason nous rejoint alors et attend qu’elles aient fini pour me parler. L’ambiance déjà assez fraîche semble alors chuter d’au moins cent degrés.

"Je crois qu’on s’est tout dits."

Je l’accueille froidement parce que si le décor de cette scène était faux, la rupture, elle, est véridique, elle a eu loin quasiment comme ça dans la réalité. Ces trois trahisons de Jason, je les ai subies et si dans la fiction, il trouvera un moyen de redorer son image plus que jamais auprès du public pour la fin de la dernière saison, il n’en ira pas de même pour nous, les acteurs. Pas de miracle, pas de deus ex machina, juste moi, seule, trahie et abandonnée par ceux que j’aimais. Il ne reste que moi, autant dire qu’il ne reste plus rien, même pas mon pseudo caractère de rebelle. Le vide, le néant.

J’aurais du partir de suite quand Ana me l’avait demandé, ce soir à la fête, j’aurais peut-être du ne pas y aller du tout mais peut-être pas. Peut-être que ça couvait déjà entre ses copines et elle parce qu’être à égalité dans le cœur de deux meilleures amies, c’est trop rare, on n’a qu’une meilleure amie et ses copines avaient se choisir l’une l’autre et pas elle. En même temps, s’il n’y avait "que" ça. J’ai surtout trahi Ana en prenant cette fichue pilule. Sans effets secondaires, ils disaient … Je n’arrive même pas à m’en émouvoir parce que je ne veux pas d’enfant, je n’ai pas la fibre paternelle, c’est comme ça mais Ana, elle, c’est différent, elle en veut alors elle en aura mais sans moi. Alors j’ai profité de la fin de la série pour quitter Bowen quelques années mais sans Ana … Après la scène, je la retrouve en coulisses, elle n’est pas ravie de me voir. Les maquilleuses finissent promptement leur travail et nous laissent.

"Ana, je ne te mentais pas quand je te disais que je t’aimais. Je n’ai jamais aimé une femme comme toi et je n’en aimerais jamais une autre comme je t’aime."

En même temps, lui faire revivre nos déchirements pour faire augmenter l’audience de la série, ce n’est pas spécialement grand seigneur mais ça permet à la jeune femme d’être bien immergée dans son personnage, non ? Non, vraiment pas, mon intention demeure carrément opportuniste.

Jason m’aime, il dit qu’il m’aime, qu’il n’en aimera jamais une autre comme moi. C’est pourtant clair, je me doute qu’il en aimera une autre. Une américaine blonde pas trop grande, pas trop reconnue par le public. Et moi, serais-je capable d’aimer ? D’abord, j’ai perdu Lena, Bella, jamais plus je n’entendrai leurs rires, leurs joies et leurs peines, elles vont vivre ensemble dans leur appartement mais sans moi. Puis je perds Jason, par sa faute, parce qu’il m’a trop aimée pour me dire la vérité. Non, il me l’a dite puis en voyant ma réaction pour le moins virulente, il a menti mais il n’est pas entièrement en tort du coup. Pas totalement. Par contre, l’Amérique, ça, c’est le coup de grâce. Je me retrouve même sans contrât et si les parents de Jason le veulent, ils briseront ma jeune carrière d’un claquement de doigts. J’ai l’impression d’avoir tout perdu, l’amitié, l’amour, ma passion d’actrice et si Jason a des mots qui se veulent réconfortants, je sens bien que sa phrase n’est pas finie.

"Vas-y, dis le ce "mais", ne ménage pas ainsi le suspense ..."

Parce que oui, je voir venir de loin le "mais", de très loin.

Effectivement, il y a un "mais" ensuite. Un mais de taille avec pas mal de … Texte. Non, pas de texte, ça n’est pas le bon terme parce qu’on n’est pas dans un film ou une série TV. Donc pas mal de … Bah, pas mal de texte. Autant appeler un chat, un chat, un chien un chien, voire un chat, un gato et un chien, un perro.

"Je t’aime Ana mais je ne suis pas celui qui te correspond, je ne suis pas ton âme sœur et si nous avons eu des moments extraordinaires ensemble, tu trouveras celui qui te donnera naturellement ce dont tu désires … Je t’en prie, c’est mon dernier jour à Bowen, ne nous quittons pas fâchés. Ou si tu es toujours fâchée, ne me hais pas, je t’en supplie. Je t’aime Ana et nos souvenirs d’amour resteront à jamais dans mon cœur."

Ceci dit, je lui ouvre mes bras avec panache, je dois dire.

"Je t’en prie, je t’en supplie, viens dans mes bras une dernière fois, ma chérie."

Je sais que c’est audacieux mais j’en ai besoin autant qu’elle en a besoin sinon elle ne pourra pas tourner la page. Façon de parler. Je me demande si ça ferait une bonne scène, ça.

Il y avait bien sur un "mais" sauf que Jason se donne là encore le beau rôle ? Il me brise le cœur pour mon bien ? Je le regarde de haut en bas et de bas en haut, je le "dissèque" du regard. Finalement, il est encore plus superficiel que moi, est-ce ce vide que j’ai aimé en lui ? C’est lui qui espère triompher en Amérique ? Un endroit où plus que n’importe où ailleurs, on ne lui pardonnera pas le fait de vieillir ? Ah, les enfants stars ! Et il me demande un câlin ! Je devrais lui mettre un coup de genou là où ça lui ferait le plus mal mais ce serait renier les bons moments passés avec lui, et puis ça ne me vengerait pas assez. Je suis une femme, je suis une femme bafouée, ma vengeance va être sans pitié ! Je reste donc là où je suis mais je lui voue tout de même un sourire très coquin.

"Je ne veux pas d’un dernier câlin mais je pense que je mérite qu’on fasse l’amour une dernière fois l’amour, où et quand je veux ..."

Je fais mine de réfléchir et c’est là qu’on voit que je suis une bonne comédienne !

"Ce soir, ici, dans le décor de ta chambre … Tu serais partant ?"

Je me doute qu’il va être d'accord, c’est un fantasme qu’il a toujours eu et que je lui ai refusé, beaucoup trop risqué mais à cette période de l’année, on ne risque rien bien sur !

Résumé des épisodes précédents : J’ai trahi la confiance d’Ana, nous avons rompu, même nos personnages ont rompu, je vais partir en Amérique parce que j’ai un moyen de pression énorme sur une certaine secte qui va donc me laisser tranquille et mon ex n’aura plus de rôle l’année prochaine. Or, elle refuse un simple câlin et me propose qu’on fasse l’amour une dernière fois ? Elle me propose d’assouvir un de mes fantasmes ? Et je trouve ça suspect ? Je réfléchis pendant une poignée de seconde, le temps de contacter mon cerveau qui est alors aux abonnés absents mais suis-je bête, j’ai fait appel en fait à mon cerveau secondaire, celui qui se trouve sous mon crâne alors que j’aurais du immédiatement utiliser mon cerveau principal, celui qui se trouve sous la ceinture et lui, il répond présent tout de suite !

"Bien sur que je suis partant, que ne ferais-je pas pour te faire plaisir !"

C’est mon coté grand seigneur. C’est ainsi que je me retrouve le soir-même dans le décor de ma chambre après m’être infiltré "à la ninja" par les coulisses, ce qui m’évite de passer par la zone réservée au public, même s’il n’y a évidemment personne à cette heure-ci. Je me dénude entièrement dans la quasi obscurité des lieux et me glisse sous le draps, attendant Ana qui ne tarde pas à venir me rejoindre. Comme elle manifeste de toute évidence le désir de ne pas se lover de suite à moi, je respecte sa volonté, pour le moment en tout cas, en me contenant de l’embrasser. C’est bizarre, ses lèvres n’ont pas tout à fait le même goût que d’habitude !

Faire venir une partie des journalistes couvrant la série TV et des spectateurs, le tout en secret et en faisant en sorte qu’ils se taisent tous, je peux vous dire que c’était un sacré défi ! Mais j’y suis arrivée ! Le rideau de scène s’ouvre alors et tous sont stupéfaits de voir Jason à poil dans son lit en train de rouler une pelle à un mec, mon complice bien sur ! Le tout avec une banderole qui se déploie au dessus du lit, et dessus il y a écrit : LE COMING OUT DE JASON !!!

Autant dire que tout le monde explose de rire alors que Jason fuit la queue entre les jambes pendant que les journalistes et plein de fans le filment, sans m’oublier ! Avec ça, mon ex va se faire plein de "copines" à Hollywood ! Ma carrière est foutue alors autant assouvir ma rancune et qui a dit que la vengeance était obligatoirement un plat qui se mangeait froid ? Ca c’est fait, il ne me reste plus qu’à changer de coupe de tifs et à aller me saouler. Une chose est sure, on ne fera pas de cet incident une scène dans la série, ça j’en mettrais ma main au feu !

Alors là, Ana m’a eue, mais pourquoi ai-je écouté mes bas instincts ! Elle m’a piégée, répondant à ma trahison par la sienne bien plus cruelle ! Mon humiliation est totale et pire encore, je me barre de suite alors que si j’avais bien pris la chose, j’aurais pu avoir les ligues anti homophobes avec moi. Maintenant, me voila étiqueté homosexuel qui ne s’assume pas, autant dire que je vais avoir tout le monde contre moi en Amérique, et encore, j’ai évité de frapper le complice d’Ana, pourtant ça me démangeait de lui faire manger ses propres dents. Il va me falloir des années pour me reconstruire après ça mais avant ça, je me rhabille et passe quelques coups de fils pour attaquer en justice toutes les vidéos de ce soir qui vont circuler sur le net parce qu’elles ont été prises sans mon consentement. Puis je retrouve mon ex en coulisses.

"Ana !"

En colère, je m’approche d’elle dans le but de lui demander des excuses sur ce piège d’une sournoiserie qui ne lui ressemble pas, je ressens alors une vive douleur et c’est le néant, comme si un rideau de théâtre venait de tomber, comprendre de me tomber sur la tête et de m’assommer. Je me réveille un peu plus tard, allongé sur un canapé avec une joue enflée, un de mes gardes du corps me regardant avec un air embarrassé. Au temps pour moi de leur demander "de me laisser respirer". Ana m’a assommée net d’un direct, mon ex a une bonne droite. Moi je sais juste faire des katas de karaté. Au moins, notre relation aura été sous le signe de la passion du début à la fin, c’est le moins que je puisse dire !