Tea time + Blanche

Le Tea'rese avait deux grands intérets pour moi aujourd'hui, il était placé à mi-chemin entre ma boutique et le tattoo shop de Blanche, ce nous évitait chacune de courir à l'autre bout de la ville pour se voir, moi ayant commencé ma journée avant l'aube et Blanche n'ayant qu'un peu de temps à m'accorder avant son prochain rendez-vous. Le second intérêt c'est que je voulais me faire ma propre idée sur leurs pâtisseries, on disait qu'elles étaient excellentes, que leur concept était sympa et qu'en plus la boutique chaleureuse donnait envie d'y rester des heures, tant mieux pour eux, mais ça n'aidait pas mes affaires. En bonne compétitrice, je devais voir par moi-même. J'avais été, voilà dix ans, la première à m'installer avec mon salon de thé à Bowen, mais les années étaient passées et depuis mon retour trois mois plus tôt, je remarquais bien que je n'étais plus tellement dans le coup. J'avais délaissé mes boutiques, elles ne fonctionnaient plus aussi bien, voir même presque plus du tout, à part celle de Jake qui ne désemplissait pas, mais il en avait plus fait une pâtisserie qu'un salon de thé à présent. Et pour cause, il n'y connaissait rien en thé. Il fallait que je trouves de nouvelles idées, que j'avance, que je surprenne mes clients, pour remonter la barre le plus rapidement possible. Mon but n'était pas de me lancer sur le marché Vegan comme ici, mais pourquoi pas apporter de la nouveauté et retrouver ma réputation d’antan. Pour aujourd'hui j'avais pris un thé au citron bio, évidemment, un cookie praliné et un muffin chocolat blanc matcha. Et j'attendais que Cambridge arrive, elle m'avait envoyé un message, elle était en chemin. Nous ne nous étions pas beaucoup vu depuis mon retour, elle semblait très occupée et moi également. Nous nous promettions de se prendre un moment rien que pour nous depuis des semaines mais le temps semblait passer trop vite. Pourtant j'étais persuadée qu'elle avait beaucoup de choses à me dire, du moins je l'espérais, de bonnes nouvelles surtout, pour ne pas à avoir à trop parler de moi, pour me changer les idées aussi. Lorsque je la vis entrer dans la boutique je lui fis un signe discret et elle me répondit par un sourire, en effet, elle semblait radieuse.

Le temps est une notion qui passe, qui passe et qui ne se rattrape pas. Il évolue, il fait grandir, il change. Il améliore, il perfectionne, il construit. Dix ans depuis que Blanche avait ouvert son salon de stage, dix ans déjà qu'elle s'était installée sur les rues commerçantes de la ville, sans trop savoir ce qu'elle faisait. Dix ans plus tôt, à vingt-deux ans, elle n'avait aucune idée de ce que gérer une entreprise voulait dire. Encore aujourd'hui, elle se demandait comment elle avait pu survivre dix ans dans l'entrepreneuriat de cette façon. Elle était la pire gestionnaire, Blanche, non pas parce qu'elle n'était pas une bonne patronne, mais parce qu'elle n'était pas une bonne publiciste. Ses clients, elle les attirait par le bouche-à-oreille, parce qu'on disait son nom en recommandation ou parce qu'on s'arrêtait devant le salon, curieux d'y voir les ébauches dessinées et encadrées sur les murs. Mais sa boutique avait tenu bon, malgré les lacunes de sa propriétaire dans le domaine. Dix ans qu'elle s'était installés à quelques boutiques de sa meilleure amie, Charlize, qui venait à peine de revenir en ville. Quelques mois, tout au plus. Mais depuis, elles n'avaient pas réellement eu le temps de rattraper le temps perdu. Elles s'étaient vues, quelques minutes, quand Charlize lui avait gentiment prêté sa camionnette pour trimbaler ses boites et ses articles entre son ancien appartement et son logement temporaire actuel. Temporaire. À présent, Blanche ne savait plus trop ce que ça signifiait. Combien de temps cela prenait pour que l'on désigne encore cette cohabitation de temporaire ? Ça avait pourtant été clair, entre eux, ce n'était rien de définitif, juste le temps qu'elle se trouve un nouvel appartement. Pourtant, elle n'avait pas cherché, Blanche. Et Léo ne lui avait pas demandé, non plus. Puis, il y avait eu ce voyage à Bali, ces aveux, et tout était toujours trouble pour la blonde. Mais ça, c'était une tout autre histoire. Avec Charlize, elles s'étaient promis de se revoir, quand le temps serait plus calme pour chacune d'elle. Cet après-midi-là, elles avaient concrétisé leur promesse, se donnant rendez-vous à mi-chemin entre leurs deux boutiques. Quand la blonde entra dans le salon de thé, elle scruta les environs pour trouver son amie et lorsqu'elle la vit, un énorme sourire se dessina sur ses lèvres. Elle s'avança vers la table qui leur était désignée, puis, à la hauteur de Charlize, elle lui accorda deux gros baisers sur ses joues avant de prendre place face à elle. Comment tu vas ?, s'enquit-elle en apposant ses avant-bras sur la petite table du salon, plongeant son regard dans celui de sa vieille amie.

Notre amitié remontait à l'adolescence ou quelque chose comme ça, je ne m'en souvenais plus bien. Blanche et moi avions quasiment le même âge et et nous nous étions suivi toute notre scolarité, croisées, vues, perdues de vue, nous avions suivi un temps le même court de danse puis finalement ce fut vers les seize, dix-sept ans que nous étions devenues de véritables amies. J'avais déjà l'ambition de devenir pâtissière et d'en faire une carrière, elle était passionnée par les aiguilles, deux métiers d'art totalement différents. Deux filles aux caractères différents également mais nous nous sommes rapprochées, soutenues et depuis même si nous passions des mois sans se voir nous ne pouvions nous empêcher de s'envoyer des messages, des bêtises sur les réseaux sociaux, on gardait contact, cela faisant que lorsqu'on se revoyait c'était comme si on s'était quitté la veille. Elle était probablement l'une des personnes qui m'avait le plus manqué durant mes deux années loin de Bowen, je savais qu'elle aurait pu me soutenir dans l'épreuve de la perte d'Axten, si j'étais restée, elle était l'épaule sur laquelle je pouvais pleurer, elle savait écouter et rassurer, mais j'avais surtout besoin de me tenir loin de cette ville et de me retrouver à ma façon. Durant ces deux années nous étions resté en contact mais un peu moins qu'avant je n'avais pas la force de commenter ses bêtises, ses petites blagues ou ses mots si doux, même si je n'en avais loupé aucun et chacun m'avait apporté du réconfort. Maintenant que j'étais bien de retour, j'avais besoin de rattraper le temps perdu avec elle et ce rendez-vous pour prendre le thé je l'avais attendu avec impatience. La blonde me pris dans ses bras et me piqua deux bises sur les joues avec une telle joie qu'il m'était impossible de ne pas lui sourire. Elle était solaire, Blanche, elle me faisait du bien même après seulement quelques secondes. Ca ne va pas trop mal, je crois. Et toi ? Tu es... splendide ! Tes cheveux ont encore éclairci ou quoi ? Mon dieu que tu es belle. Avec mes amis j'étais peu avare de compliments et ils le savaient bien, quand j'aimais je le disais, quand je n'aimais pas aussi et là, je ne pouvais que m'extasier, je me retenais même de lui demander si elle était amoureuse mais la réponse semblait s'imposer d'elle-même.

Entre elles, c'était ce genre d'amitié. Loin des yeux, non pas loin du coeur. Elles venaient et partaient, au gré de leurs vies mouvementées, mais jamais sans se quitter trop longtemps. Et quand, enfin, elles retrouvaient contact, Charlize et Blanche, c'était comme si jamais elle ne s'était quittée, comme si jamais leurs chemins s'étaient éloignés. Et elles pouvaient compter, l'une sur l'autre, bien plus que certains des amis qui constituaient le cercle de la blonde. Leur amitié était belle et longue et ensemble elles vécurent bien des premières fois, tant sur le plan personnel que professionnel, elles qui avaient ouvert leurs boutiques à quelques mois d'intervalle et à quelques mètres près. Puis il y avait eu cet écart, ce moment où Charlize avait eu besoin de se retrouver, de quitter la ville, les origines, pour mieux vivre la peine qui lui était forcée de vivre. Et même si elles étaient à des kilomètres de distance, même si la proximité de leurs boutiques ne se faisait plus ressentir entre elles, elles ne s'étaient pas complètement lâchées. Appels Skype, messages ici et là, partage de photo sur les réseaux sociaux, juste assez pour s’éviter de se sentier totalement éloigné. Et pourtant, malgré leurs tentatives pour se tenir aussi près qu'elles avaient pu l'être, loin l'une de l'autre, elles avaient tout de même bien des choses à rattraper. Charlize ne savait pas tout de la vie de son amie, du chaos dans lequel elle s'était fourrée, tant dans son coeur que dans sa tête. Tant de choses à se raconter, tant de choses à se confier. Et, pourtant, quand la blonde poussa la porte du salon de thé, quand elle aperçut les mèches châtaines de son amie, toutes ces choses s'envolèrent. Tout ce qui comptait, à cet instant, c’était elle, elle et leurs retrouvailles. Elles se serrèrent avant de se regarder, l'une l'autre. Et Blanche osa prendre de ses nouvelles la première, ce à quoi elle répondit vaguement. Tu crois ?, nota-t-elle en arquant un sourcil avant de rire aux propos de la brune. Certes, il y avait quelque chose. Quelque chose qu'il faudrait investiguer. Mais elle combla la blonde de compliments, lui faisant presque oublier sa réponse insatisfaisante, le rouge des joues de l'Australienne prenant toute l'attention sur son visage. Elle regarda la pointe de ses cheveux qui avaient effectivement pâli au soleil, les bribes restantes de son escapade balinaise, avant de reposer ses yeux sur ceux de Charlize. Merci au soleil balinais, confirma-t-elle dans un rire. Ça va, on vient tout juste de revenir, Léo et moi. Je suis encore un peu sur le nuage du voyage... Tu crois que je vais en redescendre un jour ? Nouveau rire. Charlize connaissait le passé de Léo et Blanche, elle avait été là dans ces moments où la blonde avait eu besoin de réconfort, mais elle ne savait pas encore que leur histoire avait repris. Du moins, pas officiellement. Mais à en voir les yeux de la belle, il n'était pas difficile de se l'imaginer. Tu veux que je goûte un truc en particulier, histoire d'espionner la compétition ? demanda-t-elle en lui accordant un clin d'oeil, sachant très bien que leur visite au Tea'Rese n'était pas totalement anodine.

Il m'était inutile de mentir à Blanche, elle le saurait, à force de se côtoyer depuis tant d'années on avait fini par se connaître par cœur, nos qualités comme nos défauts. Il ne lui faudrait pas longtemps pour voir que derrière mon sourire franchement content de la revoir, se cachait un mal-être que je traînait au quotidien. Mais si je savais que ne ne pouvais rien lui cacher, elle savait que je lui parlerai quand je l'aurai décidé, pas avant, inutile de me tirer les vers du nez, j'étais suffisamment têtue pour n'en faire qu'à ma tête. Je lui dirai tout, de ma tristesse, de mon désespoir, mais plus tard, pour l'instant je savourais le plaisir de retrouver mon amie, ça n'avait pas de prix, surtout dans une période aussi compliquée que celle que je traversais. Pour mieux noyer le poisson je la bombardais de compliments, ils n'étaient pas feints, je la trouvais radieuse et j'avais raison, elle rentrait de vacances. Bali ?! Et elle était amoureuse, j'avais doublement raison, néanmoins la suite de sa réponse me laissa dubitative et comme mon visage reflétait toujours ce que je pensais, elle pouvait probablement le lire dans l'expression que j'affichais. Léo, toujours lui, même des années plus tard, même après qu'il lui ait fait tant de mal, il lui ouvrait les bras et elle accourait, aveuglément. Qui d'autre que cet homme pour lui offrir un voyage aussi beau, pour la rendre si solaire ? Cette sensation d'être sur un nuage je l'avais bien connue, en vérité avant qu'Axten ne disparaisse la première fois, avant l'annonce de sa maladie, j'avais gardé ce sentiment en moi dès que nos regards s'étaient croisés, je n'en étais jamais vraiment redescendue. J'esquissait un mince sourire. Je te souhaite de ne jamais redescendre... ça dépendra de lui. J'étais dure avec le brun, je savais que Blanche en était follement éprise depuis toujours, mais j'étais celle qui la ramassais à la petite cuillère à chaque fois qu'il la laissait pour une autre. Je savais que Blanche avait emménagé chez lui, elle m'avait emprunté ma fourgonnette pour emmener ses cartons, alors la suite des choses était logique et cette fameuse cohabitation avait dû se transformer en relation plus intime. Mais moi je ne croyais pas en son sérieux et j'espérais qu'un jour Blanche rencontre un homme qui la rendre réellement heureuse pour qu'elle ouvre enfin les yeux. Je souriais un peu plus franchement alors qu'elle me gratifiait d'un clin d’œil entendu, mon intention était à peine déguisée et je ne voyais personne d'autre que la blonde pour être ma complice dans ce genre d'espionnage. Prends ce que tu veux, sauf les cupcakes, je sais que les miens sont meilleurs. Leur déco est sympa, il faut l'admettre. Je cherche un nouveau souffle pour Imogen. Sans que Jake m'accuse encore de copier son travail... Je secouais la tête, croyant à peine à ce que je venais de dire. Mon partenaire lui-même n'avait plus confiance en moi !

Blanche et Léo, qui ne connaissait pas cette histoire ? Charlize en avait subi les déboires, épaule encore humide de toutes les larmes que la blonde y avait versées dans leur adolescence et toujours un peu de celles plus récentes. Et, pourtant, elle n'avait jamais caché à son amie son mécontentement chaque fois qu'elle accourait vers le photographe, qu'elle se jetait dans ses bras dans ce qui semblait être sans réfléchir. Mais Léo et Blanche, c'était bien plus que ça, bien plus qu'une histoire charnelle, c'était, depuis toujours, des sentiments bien trop forts, non avoués, non complètement acceptés, qui pesaient si forts qu'ils nécessitaient leur union. Bien ou mal, ils finissaient par se retrouver. Les derniers mois avaient semblé aussi similaires que les dernières années, retour à la case départ, retour aux aventures qui ne mèneraient à rien de sérieux entre eux. Et, pourtant, cette fois était différente de toutes les autres. Emménagement, Bali, ils avaient fini par s'avouer ce qu'ils refoulaient depuis bien trop d'années, prêts, peut-être, à vivre enfin ce que la vie semblait avoir décidé pour eux. Et, dans le brouhaha de tous ces évènements, Blanche n'avait pas eu réellement le temps de prévenir Charlize de tous ces changements. Entre deux compliments, elle lui laissa comprendre que ce rodéo était à nouveau lancé. Quand elle s'interrogea sur Bali, la blonde hocha simplement la tête. Une semaine à Bali, oui, confirma-t-elle à son amie, le sourire à nouveau fendu sur son visage. Sourire qui se fana alors que sa interlocutrice ne sembla pas partager sa joie. Je l'espère aussi, finit-elle par avouer. Au fond, Charlize avait raison. Cela ne dépendait que de Léo. Blanche avait attendu trop longtemps pour se lasser de son amour, seul le brun en avait le pouvoir. Elle secoua la tête, tentant de chasser le sujet, sachant très bien que son amie ne manquerait pas de pointer son opinion peu positive au sujet de l'homme. Pour le moment ça va. Et, t'inquiètes, je ne viendrai pas pleurer sur ton épaule s'il me brise le coeur. Elle l'avait assez fait, Charlize avait assez donné à ce niveau-là. Comment ça, copier son travail ?, demanda la blonde, expression d'incompréhension sur son visage. Ça ne se passe pas très bien avec Jake ? Elle regarda le menu en y pointant une pâtisserie à la rhubarbe dont elle ne connaissait pas la provenance. Tiens, on va essayer ça.

J'aurais aimé partager la joie de mon amie, la féliciter pour cette histoire qui semblait la rendre si heureuse. J'aurais vraiment aimé et ce n'était même pas une histoire de jalousie, de bonheur perdu ou de la femme aigrie que j'étais peut-être entrain de devenir, non, ça n'avait rien à voir avec tout ça. J'étais encore capable d'être heureuse face au bonheur des autres. Mais encore fallait-il que je sois convaincue que ce bonheur était réel. Alors concernant Blanche il l'était, évidemment que le bougre la rendait heureuse, même après tout ce qu'il lui avait fait elle accourait dans ses bras ventre à terre. J'en venais à me poser la question, peut-être que c'était ça un véritable amour, sacrifier sa propre personne pour un sentiment qui nous dépassait. Je l'avais bien fait, à ma façon, je m'étais oubliée pour permettre à mon mari d'avoir la meilleur fin de vie possible, j'avais laissé mon cœur de côté s'étouffer de chagrin alors qu'il prenait la décision de mettre fin à ses jours. C'était sûrement ça, oui cette sorte d'abnégation face à un amour qui nous dépassait, quitte à en souffrir.  Peut-être que Blanche avait raison de s'accrocher, peut-être qu'un jour son photographe ouvrirait les yeux sur la chance qu'il avait d'avoir une femme pareille à ses pieds. Mais qu'est-ce que j'aimerais lui faire bouffer ses clichés, lui qui était, selon moi, si égoïste. C'est une semaine de rêve... Et il pouvait lui en offrir, du rêve, lui qui ne manquait de rien. Non, je n'étais pas jalouse, moi aussi je pourrais m'envoler pour des plages de sable fin si j'en avais l'envie, j'étais juste réaliste... et un peu cynique sur les bords. Mai je décidais d'arrêter là mes réflexions après la pique suivante, je ne voulais surtout pas arracher ce beau sourire qui rivait les lèvres de mon amie, si elle voulait rêver, qu'elle rêve, de toute façon j'avais compris depuis bien longtemps que je ne pouvais rien contre cette attirance bien trop forte. Ne dis pas ça Blanche. S'il y a bien une épaule sur laquelle tu peux pleurer c'est la mienne. Je lui avais fait promettre de ne jamais plus verser une larme à cause de lui, le soir où elle était venu me confier qu'elle avait avorté de son enfant à lui. Ce soir là j'étais dans une rage noire, j'en voulais à ce garçon d'avoir été aux abonnés absents, mais ils n'étaient que des gamins et quand elle était revenue vers moi après une énième rupture, je l'avais accueilli à bras ouverts, parce qu'elle m'était bien trop chère. Je n'en sais rien. Il m'en veux visiblement. Depuis mon retour il m'en fait baver et je ne comprends pas pourquoi. Je crois qu'il a peur que je lui demande des comptes ou que je reprenne ce que je lui ai laissé, quelque chose comme ça. Mais il se trompe, il est juste bien trop fier pour m'écouter et discuter avec moi. Mon visage s'était crispé, on sentait que cette histoire me chagrinait et je ne pouvais rien y faire, il fallait juste que je regagne la confiance de mon partenaire et ce n'était pas gagné. La rhubarbe... au mois de septembre... j'espère que c'est du congelé. Je sais, je suis odieuse ! Et comment va ton shop ? C'est toujours la folie des tatouages ?!

Évidemment qu'elle ne partageait pas cette joie, Charlize. Elle n'avait jamais approuvé cette attraction, jamais endossée les maintes et maintes fois où la blonde s'était ruée vers lui à la moindre démonstration d'affection. Parce qu'il avait été sa faiblesse, Léo, depuis la toute première fois où ils s'étaient autorisés à s'aimer. Et, depuis, jamais il n'avait quitté ses pensées. Au grand désespoir de la pâtissière. Aujourd'hui n'échappait pas à la règle, Charlzie si peu enchantée par les retrouvailles des deux amants éternels, qui mettait en garde son amie envers cette rupture qui, à son avis, serait inévitable. Et même si Blanche ne voulait pas lui donner raison, il fallait admettre qu'à ce niveau, Léo et elle étaient doués pour se déchirer sans cesse. Semaine de rêve, qu'elle lança. Blanche afficha un mince sourire sur ses lèvres, elle qui n'avait jamais voyagé, en effet, avait trouvé que c'était une semaine de rêve. Mais, leur définition de rêve, elle n'était en rien similaire, on sentait le sarcasme dans la réplique de la châtaine. Ce qui fit faner le sourire de la tatoueuse, laissant sur son visage une moue déconstruite. Elle filait le parfait bonheur dans cette relation nouvelle, mais la vie semblait vouloir la lui arracher, à commencer par les piques lancées par celle qui, pourtant, comptait tellement à ses yeux. Chaque fois, Charlize épongeait les chagrins de la blonde. Chaque fois, elle lui offrait son épaule sur laquelle verser toutes les larmes de son corps. Et ce, jusqu'à la prochaine récidive. Mais, cette fois, Blanche sentait qu'elle en avait trop fait, par le passé, que trop de pleurs sur ses épaules avaient été versés. Elle haussa les épaules à la réplique de la Polonaise. Tu en as assez fait pour lui et moi, conclut-elle, sans nécessairement avoir envie d'en rajouter et de jeter un froid sur leur échange. Elle questionna plutôt son amie sur ses relations avec son associé, elle qui semblait croire à un manque de confiance de la part de Jake. Je peux comprendre ses craintes, confia-t-elle en toute honnêteté, comme de vraies amies le faisaient. Il a sans doute peur que ton retour vienne tout changer, de tout perdre ce qu'il a fait de Imogen en ton absence, que tu en récoltes les bénéfices, lui dans l'ombre de toi, le nom et le visage de l'entreprise. Elle se mettait à la place de Jake et Blanche pouvait comprendre les peurs, elle qui était aussi propriétaire d'une franchise. Mais elle comprenait aussi l'irritation de son amie. Si Lilith venait à lui tourner le dos, à lui démontrer que la confiance n'existait plus entre eux, alors qu'elles étaient à présent associées, bon sang qu'elle en maudirait le ciel. Mais on sait toutes les deux que tu n'es pas comme ça. Laisse-lui un peu le temps de se faire à l'idée. Elle posa sa main contre celle de Charlize, voyant très bien que toute cette histoire la peinait. Et pas que. Blanche savait qu'il y avait autre chose. Autre chose que la brune ne cherchait pas à lui dire. Pas maintenant. Tu es impossible, lança Blanche en riant alors qu'elle critiquait non seulement le choix de son amie, mais aussi la disponibilité d'un tel ingrédient sur leur menu. Oh, tu sais, les tatouages, ça va et ça vient, confia-t-elle alors que Charlize s'interrogea sur sa boutique. Ce sera toujours une mode, heureusement pour moi. Blanche fronça les sourcils. Qu'est-ce que tu ne me dis pas, Charlize ?

Avec Blanche on s’était toujours tout dit, même les vérités qui fâchaient, elle avait toujours su ce que je pensais de Léo mais j’avais toujours respecté son choix de revenir vers lui malgré tout, de toute façon quelle amie aurais-je été si je lui avais tourné le dos pour si peu, après tout elle faisait ce qu’elle voulait de ses fesses, le problème étant que ça lui égratignait le cœur plus que de raison, mais ça, finalement c’était bien son problème et elle savait bien, malgré mes remarques et ma critique facile, que je serais toujours là pour elle. J’avais eu la chance, et je mesure mes mots parce que j’en suis consciente, la chance immense de rencontrer l’homme idéal dès le plus jeune âge, je ne m’étais perdue que dans quelques bras avant de tomber sur Axten et il avait été l’évidence, cette chance je la chérissais d’autant plus que les sentiments étaient réciproques, c’était un coup de foudre, comme on en voit au cinéma, de ceux qui faisaient sourire les gens en nous pensant naïfs à l’époque et pourtant le temps nous avait donné raison. Malheureusement nous n’aurions jamais pensé que ce bonheur nous était compté, que nous n’aurions que peu de temps pour s’aimer et qu’il me resterait une vie entière pour le pleurer. Alors il était évident qu’aux yeux de Blanche je pouvais bien lui donner des leçons ou la mettre en garde, je ne saurais jamais ce qu’elle éprouvait ni quelle était sa malchance d’être si éprise d’un homme quasiment insaisissable. Le sujet de son bonheur tout neuf fut rapidement clôt pour cette fois, j’espérais qu’elle me donnerait tort mais seul le temps le savais, pour le moment il était inutile qu’on se fâche pour si peu. C’était à mon tour de me confier sur ma relation totalement platonique mais néanmoins compliquée avec Jake, j’espérais le soutien de mon amie mais contre toute attente elle se rangeait plutôt du côté du pâtissier, je l’écoutais sans broncher, ce qu’elle me disait n’était pas plaisant à entendre, pourtant il y avait bien un fond de vérité dans ses paroles et comme on ne mâchait jamais nos mots l’une avec l’autre, je ne lui en voulais pas d’être si directe. Il aurait pu changer de nom à une époque, mais dans ce temps là Imogen était une enseigne qui rapportait alors il n’aurait eu aucun intérêt à le faire. A présent je suis celle qui gêne, parce je perds de l’argent alors que lui réussit. Mais je ne lui demande pas de remonter la barre à ma place, juste de ne pas m’enfoncer… c’est ça être partenaires, non ? Blanche conclut en me faisant comprendre qu’avec du temps il comprendrait qui j’étais et que je ne lui voulais pas de mal, elle avait raison, mais j’avais tellement besoin de soutien en ce moment qu’avoir un allié n’aurait pas été de refus. Je baissais la tête sur mes pâtisseries encore intactes. Tu as sûrement raison. Sa main sur la mienne suffit à me réconforter et j’enchaînais en faisant ce pourquoi j’étais venue ici, critiquer les lieux. Le problème c’est que ce café était agréable, je ne pouvais pas le nier, j’espérais au moins que leurs gâteaux seraient mauvais ! Je sais, c’est pour ça que tu m’aimes ! Souriant sincèrement à la blonde, je l’écoutais me parler de son commerce, de façon plus qu’évasive. Tu as bonne réputation, je vois ton travail sur plein de monde, c’est gratifiant. Et ton projet de reprendre tes études, ça tient toujours ? Je gagnais du temps mais le regard qu’elle me lança me fit grimacer, fini le papotage léger, elle voulait que je parle. Oh, y a rien, tu me connais, j’ai pas à me plaindre. Nouveau regard appuyé, on nous apportait la commande de Blanche. Je tournais ma cuillère dans ma tasse avant de la regarder de biais. Il me manque tout le temps. Je ne suis pas heureuse ici.

À peine s'étaient-elles retrouvées, l'objectif de leur échange n'était pas de jeter des froids sur leur amitié en abordant des sujets houleux comme l'éternelle relation, ou l'éternelle absence de relation, entre Léo et Blanche. Ça avait toujours été un sujet de discordes entre elles, pas du tout sur la même longueur d'onde par rapport au photographe. Il était la faiblesse d'un et le coupable de l'autre. Blanche vivait toujours sur son nuage balinais, sur les étoiles dans leurs yeux, les mots échangés intimement, les moments de tendresse partagés. Préservant cette bulle de bonheur, elle ferma la discussion, s'opposant à entendre la vérité qu'elle savait frappante. Aujourd'hui, elle préférait la fuir, la laisser l'atteindre au moment venu, plutôt que de la recevoir et la laisser lui briser son bonheur. Ce n'était pas contre Charlize, Blanche et elles n'avaient pas de secrets, elles se disaient les choses comme elles l'étaient, peu importe, même si elles pouvaient parfois être difficiles à entendre. Et Blanche ne lui tenait jamais rigueur. Ce n'était simplement pas le bon moment, pas alors qu'elle planait toujours sur les mots magiques qu'ils s'étaient dits, les je t'aime qui résonnaient toujours dans sa mémoire. Pour éviter le sujet, détourner la conversation sur autre chose, Blanche aborda le sujet Imogen et Jake. Il aurait pu, mais s'il ne l'a pas fait, appuya la blonde en croisant ses bras sur la table. Tu gênes pourquoi ? T'es-tu posée la question ? Lui as-tu demandé ? Jake était-il seulement au courant du sentiment de son amie face à toute cette situation ? Blanche croyait fermement en l'efficacité d'une communication claire, tant en affaire qu'en relation. C'était peut-être ce qui lui avait manqué, avec Léo, jusqu'à présent. Pour réconforter celle qui en avait besoin, la blonde posa une main rassurante sur celle de son amie accompagné d'un sourire triomphant. J'ai toujours raison, tu sais bien. C'était faux, sa relation avec Léo en était la preuve vivante. Et pas que, lança-t-elle avec un clin d'oeil avant que Charlize amène sur le sujet la boutique de son amie. Blanche restait évasive. Ces derniers temps, le travail au shop était devenu plus difficile. C'est gentil, dit-elle devant les compliments de l'Australienne. C'est un peu sur la glace, finit par avouer Blanche quand elle lui demanda comment se passait le retour aux études. J'ai bel et bien fait moninscription en graphisme, je devrais recevoir des nouvelles d'ici quelques semaines. Cependant, l'employée que j'avais et qui pouvait m'aider à tenir le fort est partie. C'était mon bras droit, j'avais l'intention de la nommer associée... Le départ de Lilith avait jeté un grand froid dans sa boutique, l'ambiance n'était plus pareille sans sa touche de folie. Et, surtout, Blanche en avait trop sur les bras pour se permettre de s'absenter. Sans elle, je ne vois pas comment je pourrais y arriver. Elle haussa les épaules avant de porter son attention sur Charlize qui semblait bien vouloir lui cacher la vérité, alors que la blonde, elle, se livrait en confession. Le serveur les interrompit le temps d'apporter la commande de la blonde, elle le remercia rapidement avant de reposer ses yeux vers son amie, terrifiée. Serais-tu plus heureuse ailleurs ?, demanda-t-elle sincèrement. Je ne crois pas, ajouta-t-elle avant que Charlize puisse répondre. C'est pas à Bowen que tu dois apprendre à être heureux, c'est ici. Blanche pointait l'emplacement de son coeur. Ça doit être affreusement difficile, Charlize. Je ne connais personne d'assez fort que toi pour vaincre tout ça avec ton sourire et ta quiétude. Blanche hocha la tête avant de reprendre. Mais quand ça ne va pas, il faut que tu en parles. Et je suis là, tu le sais ça, non ?

C'était beau à voir une femme amoureuse, une femme heureuse avec les joues rougissantes et le sourire aux lèvres qui portaient encore le souvenir des baisers donnés. Quelque part je l'enviais, mon amie, autant que j'avais peur pour elle. Mais dans les deux cas je n'avais pas mon mot à dire et j'espérais du plus profond qu'elle garde ce même sourire qui illuminait tout son visage et faisait ressortir ses tâches de rousseur encore très longtemps, c'était tout le mal que je pouvais lui souhaiter. Quant à moi, j'avais ma part de joie un peu gâchée par les retrouvailles plus que glaciales avec Jake. Blanche tentait de se montrer objective et même si ce n'était pas forcément ce que j'avais envie d'entendre, elle m'aidait à me raisonner sur cette histoire, peut-être que les choses finiraient par se tasser une fois que mon collaborateur aurait réaliser que je ne lui voulais pas de mal, bien au contraire. Mais encore fallait-il qu'on arrive à discuter et ça ce n'était pas gagné. J'ai essayé, plusieurs fois, je lui ai tendu des perches longues comme mon bras. Mais il est têtu, borné ! Enfin tu me connais... je suis au moins aussi têtue que lui ! Petit sourire en coin, je finissais toujours par obtenir ce que je voulais, même si depuis quelques temps j'avais perdu cette flamme qui m'animait et me rendait indestructible quand j'avais un but. Les affaires de Blanche n'étaient en fait pas aussi florissantes que ce que je pensais et malheureusement, malgré toute ma bonne volonté, je ne pourrais rien pour elle à ce niveau. J'espère que tu arriveras à retrouver quelqu'un de confiance. Pour quelle raison elle est partie ? C'était de notoriété que dans l'univers du tatouage les artistes allaient et venaient au gré de leurs folies, ils étaient des oiseaux rares et pas tellement attachés à un lieu. Je sais que tu t'en sortiras. Nos mains toujours l'une sur l'autre, ce fut au tour de la mienne de serrer celle de ma meilleure amie. Le serveur nous apporta la commande, maigre répit avant que je me confie finalement sur le mal qui me rongeait. Le sourire et la quiétude ce n'est qu'une façade. Même toi ça ne te convainc pas. Je baissais les yeux sur mon thé. J'étais heureuse à Varsovie, on était dans un cocon de douceur avec Romy. Ici la sollicitude des gens m’oppresse. Ma confession n'allait peut-être pas faire plaisir à Blanche, j'avouais sans détour que j'avais trouvé la paix ailleurs, sans elle, bien qu'elle m'ait manqué tous les jours. Tous les jours je me demandais pourquoi j'étais rentrée à Bowen.

Au fond, Charlize avait certainement raison. C'était comme si elle le connaissait mieux que la blonde, comme si elle avait prédit ses choix, ses décisions, ses débats. Comme si elle avait lu dans les pensées du brun ce que l'avenir pourrait leur réserver et que ça n'avait rien à voir avec ce que Blanche, elle, s'imaginait. Et, tout ça, Blanche ne le voyait pas. Elle était amoureuse. Et l'amour, ça rend aveugle. Aveuglée par ses sentiments, elle ne voyait pas tout ce que les autres, acteurs extérieurs de leur vie sentimentale, eux, pouvaient voir. Et lorsqu'enfin la vérité éclaterait, ce ne serait pas que le coeur de Blanche qui serait à recoller, mais aussi toute la confiance qu'elle avait. Le but de leur entretien d'aujourd'hui n'était pas de semer des froids et des freins à une relation que les deux filles entretenaient depuis des années maintenant. Seulement, amies comme elles l'étaient, proches comme elles l'étaient, elles avaient tendance, parfois, à se dire franchement ce qui en était. Charlize le fit concernant Léo, puis Blanche répliqua lorsque son amie lui parla de Jake. Elles s'étaient toujours promis la vérité, au travers d'une société où les mensonges blancs étaient mieux vus que l'honnêteté. Mais entre elles, ça avait été comme un pacte, une promesse à respecter. Et bien que la blonde supportait son amie dans toutes les décisions qu'elle avait prises, tant pour sa vie personnelle que pour ton entreprise, il était de son devoir d'adresser les choses comme elles l'étaient. C'était ça, leur relation, teintée par le caractère de la blonde et celui de la brune. Ça oui, tu l'es, gloussa Blanche pour ajouter un peu de légèreté à la conversation profonde qu'elles n'avaient sans doute pas prévu avoir dans le peu de temps qu'elles avaient pour se voir aujourd'hui. Laisse lui du temps, Cha'. Ça ne doit pas évident pour lui de te voir revenir comme ça. Mais ne lâche surtout pas. Le sourire de la blonde s'élargit, elle connaissait son amie comme une battante. Mais elle ignorait, au fond, qu'elle n'en avait peut-être plus la force. Comme si elle cherchait à clore le sujet, de la même façon dont Blanche avait clos celui de Léo, Charlize enchaîna sur la boutique de sa copine. Elle était jeune. Je pense que la vie lui réservait bien d'autres choses, de plus belles encore que rester cloitrer dans une toute petite ville comme Bowen, confia la blonde en perdant un peu de son sourire, sa jambe sous la table qui devenait tremblante. Je ne lui en veux pas, tu sais. Je pense qu'on aurait tous saisi la chance si on l'avait eu. C'est seulement que, maintenant, je dois réfléchir à ce qui est le mieux pour moi. Parce que financièrement, Blanche ne pourrait pas y parvenir seule. Il était impossible pour elle de travailler autant et de faire un retour à plein temps aux études, sans une aide quelconque. Et cette aide, cette fois, elle ne pouvait pas porter le nom d'Emerson. La main de Charlize se pressa contre celle de Blanche, son sourire revint se poser sur ses lèvres juste au moment où le serveur les interrompait pour leur apporter leur commande. C'est que je te connais depuis trop longtemps pour me faire berner, confia la blonde alors que son amie tâtait le terrain des confessions. Elle l'avait deviné, que les choses n'étaient pas complètement roses pour la pâtissière. Seulement, elle ne savait pas à quel point elle avait mal. À quel point elle se sentait seule. Le coeur de Blanche se serra. Elle pouvait facilement s'imaginer la douleur de perdre un être cher et celle de revenir dans un passé qui ne cessait de lui faire penser à cet homme qu'elle avait aimé. Et même s'il était douloureux pour la blonde d'apprendre que son amie se sentait mieux loin d'elle, elle pouvait tenter de le comprendre. Blanche hocha la tête lentement. Bowen te rappelle Axten, c'est ça ?

J'avais toujours été une battante, d'aussi loin que je me souvenais j'avais ce caractère bien trempé que l'on ne soupçonnait pas sous mon évidente douceur, une main de fer dans un gant de soie et ça m'avait plutôt réussi jusqu'alors, pour construire mon empire professionnel, pour me faire respecter dans un milieu principalement masculin. Alors Blanche ne devait pas douter, elle me disait de ne pas baisser les bras et je ne comptait pas le faire, Imogen c'était tout ce qu'il me restait pour rester une femme indépendante et épanouie. Je ne me voyais pas rester toute ma vie à m'occuper de ma fille, bien qu'elle soit ma plus grande fierté et bien que je lui voue un amour inconditionnel, j'avais besoin d'être heureuse dans mon travail pour être équilibrée. Mon retour à Bowen voulait donc dire retour aux fourneaux et je devais avouer que c'était bien la seule chose qui me rendait le sourire en ce moment, l'idée de sentir la bonne odeur de gâteaux, de sentir la pâte qui se travaillait sous mes mains et mon cerveau en ébullition en pensant à de nouvelles recettes, de nouvelles idées. J'étais passionnée, je l'avais toujours été et Jake n'allait pas m'enlever ça, même avec son fichu caractère. Je ne lâcherai rien, non. Assurais-je, déterminée, j'avais perdu gros ces dernières années mais je ne m'avouais pas encore vaincue. Il s’avérait que  mon amie partageait un peu le même genre de soucis que moi, son employée, celle à qui elle faisait confiance, son pilier, venait de la quitter et il était évident que ça l'ébranlait et ça jetait tous ses plans à l'eau. Oui je peux comprendre son envie d'ailleurs, c'est tentant quand on est jeune et sans attaches. Ecoute, Blanche, si c'est trop difficile financièrement ou si tu ne t'épanouies plus dans ta boutique alors tu peux arrêter pour te consacrer à tes études. Ce ne serait pas un échec que de tout recommencer, mais une preuve de maturité. Ce serait comme un nouveau départ, il n'est jamais trop tard. Et il y aurait toujours des solutions, je n'en doutais pas, encore fallait-il que Blanche soit prête à repartir à zéro. Mais je savais qu'elle avait besoin de soutient plus que personne, elle n'avait pas sa famille derrière elle pour l'encourager et je doutais que son mec soit assez ouvert pour s'occuper de quelqu'un d'autre que de sa petite personne, j'avais ce rôle là, moi, celui de l'amie, qui écoute, qui encourage et qui conseille. Les deux mains autour de ma tasse comme pour les réchauffer, comme si j'avais froid, j'avais surtout besoin de me concentrer sur autre chose que cette douleur qui tentait de pénétrer mon cœur alors que je commençais à m'ouvrir sur mon mal-être ici à Bowen. Un mince sourire triste se dessina sur mes lèvres, ça oui elle me connaissait depuis longtemps, Blanche, elle m'avait vu être la plus heureuse des femmes et elle m'avait soutenu lorsqu'Axten était parti la première fois et qu'il nous avait laissé seules Romy et moi, elle m'avait aussi empêché de m'écrouler lorsque j'avais enfin appris pourquoi il était parti et que cette raison c'était sa maladie incurable, à ce moment où j'aurais préféré qu'il ne revienne jamais plutôt que de m'annoncer qu'il allait, à terme, me quitter une seconde fois, de la façon la plus définitive qui soit. Elle avait toujours été là, Cambdrige et pour ça je l'en aimais, sûrement autant qu'une de mes sœurs. Il est partout ici, dans chaque restaurant où on avait nos habitudes, au parc où il faisait son jogging ou celui dans lequel Romy a fait ses premiers pas sous nos yeux. Dans la chapelle qui nous a uni... dans les maisons qu'il a sauvé des flammes. Il est partout et ça renforce le manque. Et dans notre maison, c'est le pire je crois. J'aurais envie de la voir brûler. Je reniflais doucement, sentant les larmes prêtes à déborder de mes yeux. Je te souhaite d'aimer autant et d'être aimée en retour... mais si c'est le cas alors je te souhaite de mourir la première. Le plus dur c'est pour celui qui restes. J'étais rarement aussi pessimiste, moi qui avait toujours le sourire et le mot pour plaire. Mais là je n'y arrivais plus et face à mon amie je n'avais plus à porter ce masque. Quelque par ça me faisait du bien.

Elles avaient toutes les deux ça en commun, Blanche et Charlize, leur témérité, leur apparence douce et posée, alors qu'elle cachait derrière ça un caractère propre à elles. Elles avaient leurs différences, ce qui avait toujours fini par les rapprocher, toutes les deux. Parce que si elles avaient été identiques, ciel qu'elles se seraient tapé sur les nerfs. Elles auraient été insupportables. Têtue, Charlize l'était. Quand elle avait une idée en tête, rien ne pouvait la lui faire enlever. Et bien que ce n'était pas nécessaire, Blanche le lui conseilla, à sa meilleure amie, de ne pas lâcher, de ne pas abandonner, que tôt ou tard, Jake finirait par voir que le retour de la Polonaise n'avait rien de menaçant pour lui, bien au contraire. Ça y est, je te reconnais là, fit-elle en souriant, dénotant le caractère persévérant de la brune qu'elle admirait. Comme pour changer le mal de place, Charlize divergea la conversation vers son amie, sa boutique et tout ce qui allait avec. Blanche finit par lui avouer la perte de son bras droit, celle qui lui était importante pour réaliser son projet de retour aux études. Elle sourit à la proposition de Charlize. C'est une solution parfaite, dans un monde parallèle, confia la blonde. Mais je n'aurais pas les moyens, financièrement, de fermer boutique et de payer mes études. Elle n'avait pas assez d'économies pour tout ça. Puis, la vérité, c'est que je ne me sens pas prête à renoncer complètement aux tatouages, ajouta-t-elle à la liste de confidences. Elle l'aimait, son travail, sa boutique, tout ce qu'elle avait bâti. Ce n'était pas facile tous les jours, mais il n'en demeurait pas moins un projet qui lui tenait à coeur. Puis la conversation revint vers la brune, sur un sujet beaucoup moins léger qu'un retour aux études ou qu'un voyage à Bali. Elle se confiait sur ce qu'elle ressentait depuis qu'elle était revenue à Bowen, dans cette vie qui lui rappelait bien trop son défunt mari. Blanche écouta sa meilleure amie se confier, sans intervenir, sans la couper dans son élan. Seul son regard doux qui la soutenait parlait pour elle, la suppliait de continuer à se confier à elle. Quand la brune renifla, les larmes prêtes à exploser, Blanche posa à nouveau une main sur la sienne, pour lui faire comprendre qu'elle était là. Elle ne remplaçait pas Axten, mais elle pouvait tenter de l'apaiser au meilleur de ses capacités. Elle pouvait l'écouter, lui tendre son épaule pour pleurer, débarquer chez elle avec une bouteille de vin et des magazines de décoration, s'il le fallait, pour lui faire reprendre un nouveau départ. Puis, quand elle parla d'aimer, d'aimer et d'être aimé, lui souhaitant d'être la première à quitter ce monde, si tel en était le cas, pour éviter de souffrir. Blanche pinça les lèvres, Charlize parlait avec douleur, parce que son deuil n'était pas complètement terminé. Le serait-il, un jour ? Tu sais, Charlize, bien que ton retour en ville soit la meilleure chose qui puisse m'être arrivée, si Bowen ne t'apporte pas de bonheur, si tout ici est trop douloureux, peut-être que c'est que tu dois rebâtir, que vous devez rebâtir, Romy et toi, votre vie ailleurs..., proposa-t-elle, au même titre que la brune lui avait fait une proposition sur son avenir. Tout ce que je veux, c'est ton bonheur, Cha'. Et s'il n'est pas ici, peut-être que tu le trouveras ailleurs. Seulement, si t'as envie de te battre, de lutter contre la douleur, que tu veux donner la chance à Bowen, saches que je suis là.