(#120) AZRAËL ∞ avoue. avoue. dit moi tout.

La météo annonçait une soirée particulièrement ennuagée. Risque d'orages violents, même. Heureusement que je n'étais pas seule. Comme à notre habitude, Azraël et moi partagions souvent nos soirées de solitaires ensemble. Ça faisait un peu moins déprimant que d'être chacune de notre côté. L'union fait la force, pas vrai ? Sébastian n'étant pas encore rentré de sa tournée, je demeurais seule et mon petit appartement me semblait encore bien plus grand. Ce soir, Azra était venue me rejoindre. Au menu du soir : films, café et discussions animées. Nous n'avions rien de bien précis en tête si ce n'est l'idée que de bien s'amuser. Pas besoin de sortir bien loin pour que ce soit le cas. Ensembles, nous trouvions toujours quelque chose à faire. Aujourd'hui, par contre, l'ambiance était différente des autres jours. J'ignore si c'est du au mauvais temps qui s'en vient ou simplement parce que nous sommes d'humeur un peu moins festive. La belle brunette près de moi semblait ne pas apprécier son café. Je m'approcha d'elle, sourire aux lèvres. « Qu'est-ce qui ne va pas, Azra ? »

J'entendais la pluie qui commençait à se fracasser contre la fenêtre de mon logement. Ça y est. Le déluge s'abattait sur nos vies. Au même moment, ma très chère amie se vida de ce qui semblait lui faire si mal. « Je crois que ce soir on n’est pas que nous deux. Il y a un habitant là-dedans ! » À ces mots, ma gorge se serra. Comment cela pouvait-il être possible ? En même temps... Je pris une grande respiration, sentant en moi monter l'envie de lui lancer à mon tour la même nouvelle. Toutefois, il ne s'agissait pas là de moi. C'était son cas. Et on commencerait par son cas avant de se préoccuper du mien. Après tout, je pense que les circonstances sont un peu plus différentes. « Je ne sais pas qui est le père Ay’ ! J’ai fait une belle connerie là ! » Ouch. Ça, c'est encore plus insupportable. Évidemment, en aucun cas je porterai jugement face à Azra. Je l'aime beaucoup trop pour un jour me laisser influencer par mes jugements... C'est une triste situation, je l'admets. Mais les choses sont ce qu'elles sont et il faut faire avec. Pourquoi s'obstiner à essayer de les changer quand c'est ce que l'on a en face de nous ? Je lui pris la main, me rapprochant un peu plus d'elle. Je voulais qu'elle sente à quel point elle pouvait compter sur moi sur ce coup là. J'allais être là, coûte que coûte. Et elle ne traversera pas cette épreuve seule. Quelle que soit sa décision. « Ma belle... » dis-je d'une voix douce et chaleureuse comme je savais si souvent faire. « Ne t'en fait pas... Ça va aller... Tu n'as pas besoin de tout faire toute seule. Je serai là. Et ensemble, on se soutiendra. » Je tenais à tout prix qu'elle comprenne qu'il ne fallait pas qu'elle s'isole et qu'elle fasse comme si elle était seule pour faire cette route. Et croyez-moi, je suis très bien placé pour comprendre comment elle se sent en ce moment et la dernière chose qu'elle a besoin, c'est d'être abandonnée.

Écouter les propos de ma meilleure amie, c'était comme entendre mes propres raisonnements. Ça me faisait mal qu'on soit toutes les deux dans cette même situation. Comme si le destin en avait fait ainsi pour que l'on puisse s'aider de façon encore plus prononcé. Évidemment, j'aurais aimé que les choses se fassent autrement, mais on ne choisit pas. Sinon, probablement que ça n'aurait pas été ainsi pour moi. Probablement que je n'aurais pas choisi de tomber amoureuse d'un homme de cinq ans plus vieux que moi et qui part la moitié de l'année en tournée avec le deuxième homme que j'aime le plus; mon frère. Je resta là, tout près de la belle Azraël. Elle s'était mise la tête au creux de mon cou et ma main alla danser dans ses cheveux. Je réfléchis à son dilemme. Le même que le mien. Toutefois, les choses étaient extrêmement différentes. Azra n'avait pas la moindre idée de qui pouvait être le père de l'enfant qu'elle porte actuellement en elle. Était-ce celui avec qui elle avait couché trois mois plus tôt ou l'autre, celui qu'elle s'était tapé il y a trois mois et un jour ? Je ne la jugerai jamais pour ce genre d'excès, mais si j'étais à sa place, je me sentirais sûrement aussi mal qu'elle l'est en ce moment. Elle ignorait ce qu'elle allait faire. Tout comme j'ignorais ce que j'allais en faire...

« Azra. Je penses que tu devrais prendre une chose à la fois. Premièrement, prendre ta décision quant à le garder ou non. Ou alors si tu avortes... Et après, tu pourrais peut-être en parler aux garçons. Quoi que c'est optionnel. Tout dépendra de la décision que tu auras prise à la première étape... » Je pris une grande respiration. J'avais vraiment l'impression d'entendre mes propres conseils s'appliquant à ma propre situation. C'était presque effrayant. « Merci d’être là ! Tu sais hein .. que je serais là aussi pour toi ! Toujours ! » Un sourire se dessina sur mes lèvres. « Ça me fait plaisir, ma belle. Mais on s'occupe d'abord de ton cas avant de passer au mien. » dis-je sans vraiment avoir d'arrière pensée. Je voulais plutôt m'occuper d'elle d'abord. Après tout, mon cas était sans doute bien moins grave et complexe que le sien.

Les mots manquaient pour dire à quel point elle pouvait tout représenter pour moi. Azraël était ma meilleure amie et, sans contredit, elle l'a toujours été. On entend souvent parler de ce genre d'histoires de filles. Celles où les deux gamines grandissent ensemble et où rien ne peut jamais les séparer, jusqu'au jour où le mec un peu macho se pointe et fasse tout planter entre les deux amies. Dans le cas d'Azra et moi, ça n'a jamais été ainsi. Premièrement, j'ai toujours été amoureuse de Seb. D'aussi loin que je me rappelle, en fait. Et je sais que les garçons dans ce type-là – et surtout un peu plus vieux – ne sont pas de son genre. Du coup, on pouvait d'or et d'avance rayé cette option de la liste des choses qui pourraient mettre fin à notre duo de choc. Ensuite, bien que nous soyons deux personnes aux personnalités complètement inverse – ou presque –, nous savons nous respecter l'une et l'autre. Nous ne nous jugeons pas sur notre manière de vivre notre vie et au contraire de certaine personne, nous ne sommes pas jalouse de ce que l'un peu avoir de plus que l'autre. Nous sommes, en tout point, deux personnes égales. Ce n'est pas parce que j'ai un diplôme universitaire et un deuxième en route que je suis nécessairement plus douée qu'Azra... Au contraire. Nous apportons chacune nos différences au monde dans lequel nous vivons et c'est ce qui fait de nous ce que nous sommes. Tout comme notre amitié. Bref, Azraël est ma meilleure amie. J'ai grandit avec elle et Manoé. Et pour rien au monde je ne les échangerais. Même si ma vie en dépendait.

« Oui tu as raison. Mais elle n’est pas des plus faciles non plus » Je fis un hochement de tête. C'est évidemment l'étape la plus difficile du processus; celle qui demande le plus de temps, le plus de réflexion, le plus de travail. On ne peut pas se décider en deux secondes sur un sujet qui pourrait influencer l'histoire du reste de notre vie. Un enfant, c'est un boulot à plein temps et qui durera au moins pendant vingt-cinq ans. Il faut être sûr et certain que c'est vraiment ce que nous souhaitons. Il faut aussi regarder notre milieu de vie, notre background. Serons nous seule à élever l'enfant ? Pourrons nous compter sur le soutient moral et financier – au besoin – de quelques personnes ? Aura-t-on assez d'argent à placer dans un compte en banque pour s'assurer de sa sécurité ? Il y a diverses questions existentielles rattachées à une telle décision. On ne peut pas juste se dire « Oh, mais je veux un enfant ! C'est chouette un bébé ! » Il y a de nombreuses conséquences dont il faut tenir compte avant qu'il ne soit trop tard... Surtout quand le bébé n'est pas prévu. Je fis un sourire à mon amie qui se releva tranquillement. Après ma petite réplique qui la laissa en suspend au bout de mes lèvres, elle s'empressa de me poser la question à un million... « Que veux-tu dire ? Qu’est-ce qui t’arrive ma jolie ? » Je roula les yeux, petit sourire innocent collé sur le visage. « Ce n'est rien, je t'assure. On va d'abord penser à toi. Moi, contrairement à toi, c'est une décision beaucoup plus facile... Quoi que... » je stoppa net mes explications, ne voulant pas trop en dire et ne sachant pas vraiment quoi dire. J'ignorais ce que j'allais en faire. J'ignore même ce qu'en pense Sébastian... Je fis un nouveau sourire. Un peu mal à l'aise d'avoir vendu mon " secret ".

Je pris une grande respiration. Je m'étais moi-même emmêlé les pinceaux en parlant un peu trop. Je n'avais pas souhaité que la conversation bifurque vers ma direction. Je ne veux surtout pas sembler être le genre de personne qui rattache tout à elle et qui ne prend pas le temps d'aider et d'écouter les autres. C'est tout à fait faux... Je suis sans doute une personne beaucoup trop ouverte, beaucoup trop généreuse et beaucoup trop attentive face aux autres. Ça me joue quelques fois des tours. Je ne veux donc pas, dans la situation présente, passer pour celle qui vole le cas de mon amie. On était lancé sur son problème à elle, pas sur le mien. Je fis une petite moue lorsqu'elle s'écriait « tu es enceinte ! ». Effectivement, elle avait raison... Ce que je m'étais donnée tant de mal à lui cacher depuis quelques jours venait de faire surface au moment où je ne m'y attendais le moins. Oui, d'accord... Peut-être aurais-je pu être un peu plus subtile dans mes propos, mais après tout, Azra est ma meilleure amie et il aurait bien fallu qu'elle le sache un jour où l'autre. Je ne souhaitais pas lui cacher cette part de mon existence tout comme elle m'avait prouvée qu'elle ne voulait pas non plus me cacher cette partie de sa vie. « Rien n’est jamais facile dans la vie ma jolie ! » À ses mots, je leva les sourcils et fit une nouvelle moue. Elle ne pouvait pas avoir plus raison qu'en ce moment. Je lui pris la main, la serrant encore plus fort. « Effectivement... »

Je repensa alors à Sebastian qui serait sûrement heureux d'apprendre que l'avortement n'avait pas porté fruit. J'entendais toutefois les grognements de mon père, trouvant que j'étais encore trop jeune pour mener ce genre de vie. Mon frère, quant à lui, je suis certaine qu'il adorera la nouvelle. Naïf comme il est, il ne pensera sûrement qu'aux plaisirs d'être un oncle gâteau. Je racla la gorge, ravala ma salive avant de dire « Pour en revenir à ton histoire, ma belle... Je pense que tu ne devrais pas l'avoir... Je ne veux pas t'influencer, mais ... C'est quand même ton premier enfant. Veux-tu garder le souvenir de ton premier bébé de l'avoir élevée toute seule et de ne pas avoir eue de visage paternel pour lui donner une meilleure qualité de vie ? » Je relâcha doucement sa main, poursuivant sur ma lancée. « Oui, c'est peut-être un meurtre que de faire avorter, mais pense à ton futur. Le regretteras-tu ? Aura-t-il une belle vie ? Je ne doute pas de ta capacité à l'élever, mais je pense que tu devrais attendre d'avoir un mec, une maison, un job stable... Une vraie vie, quoi. »