can i have this dance ? (concheva)

Quelle idée t’a passée par la tête ? Tu te regardes dans le reflet du studio de danse, leggings et débardeur ample, les cheveux remontés dans une queue de cheval bien haute sur la cime de ta tête, talons hauts dans les mains. Un cours de danse latine. Ouvrir tes horizons, tenter de trouver des passions. Survivre à un divorce qui, au fond, te fait bien plus mal que tu ne voudrais l'avouer. Ce n'est pas de perdre Marco, qui te rend comme ça. Non, parce que de Marco, t'étais plus amoureuse. C'est de réaliser que c'était un échec. Que ta famille se détruit. Qu'à quarante ans, alors que tes amies, elles, sont au summum de leur relation conjugale, toi, tu te retrouves toute seule. Et les rencontres, à cet âge, c'est plutôt difficile, tu dois avouer. Alors tu te tiens occupé. Et, là, t'as décidé, comme nouvelle occupation, de tenter la danse. C'était une bonne idée, oui, quand tu as vu la brochure, un verre de vin en trop dans le nez. Maintenant que tu as décanté, t'es un peu moins certaine de ton coup. Et, même, t'es un peu effrayée. Tu entres dans le studio, poussant la porte vitrée pour faire face à un homme dix ans plus jeune que toi certainement, tout sourire, qui t'accueille. Bonjour, lances-tu en te forçant à combattre ton stress. Je suis ici pour un cours de danse latine, expliques-tu, avec... Et tu fronces les sourcils, parce que t'avais pas retenu le nom de ton instructeur.

Parce que le million de dollars gagné à la loterie avait rapidement été dépensé au complet pour permettre à Head Ahead de prendre de l’expansion et parce que le salaire d’un directeur d’organisme communautaire n’était pas forcément des plus généreux, j’avais décidé d’ouvrir un peu mon offre en proposant des cours privés le soir, après la fermeture du centre pour les jeunes. Dès que les derniers adolescents quittaient la salle de danse pour rentrer chez eux, mes plages horaires s’ouvraient pour des adultes qui désiraient se remettre à la danse, ou s’y tenter pour la toute première fois. C’était le cas d’Eva, qui m’avait envoyé un courriel assez tard un soir, la semaine dernière, pour avoir un peu plus d’informations et éventuellement s’inscrire à un cours de danse latine. Je n’étais moi-même pas un as, ça n’avait jamais été dans mes styles et je ne descendais certainement pas d’une culture où j’aurais pu avoir ça dans le sang. Mais j’avais pratiqué dans la dernière année, et beaucoup exploré avec Harmonie, aussi. Le résultat ? Je connaissais pas mal de styles, assez pour donner des cours à des débutants du moins. Je ne serais pas chorégraphe de renommée demain, mais je me débrouillais. La clochette de la porte d’entrée du studio sonna et je sortis de mon bureau pour venir à la rencontre d’Eva. Je m’attendais à voir une femme de la quarantaine des plus normales, et je me ramassais face à une femme qui ne semblait pas faire son âge, mais alors pas du tout. « Bonjour. » Dis-je avec un sourire surpris au coin des lèvres. « Ouais, c’est avec moi ! J’imagine que votre cerveau a décidé d’ignorer le nom dans les échanges de courriel devant le ridicule de la chose. » J’eus un léger rire en lui tendant ma main. « Conchobáhr Rosenbach, enchanté de vous rencontrer officiellement. » C’était honnêtement la toute première fois que j’enseignais à quelqu’un de plus vieux que moi, moi qui avais l’habitude avec les jeunes de douze à dix-sept ans, surtout. J’avais comme l’impression de devoir être un peu plus sérieux et professionnel alors que la définition ne s’appliquait pas toujours à ma personne … !

Un cours de danse, vraiment ? De toutes les choses nouvelles que tu pouvais essayé, t'as choisi ça. T'étais un peu saoule quand tu as fait ton inscription et maintenant que tu te trouves à jeun, tu n'es pas vraiment sûre que ce soit une bonne idée. En fait, tu es convaincu que c'est une mauvaise idée. Parce que, la danse, tu n'y connais rien. Tu ne sais même pas si tu as le sens du rythme. Avec quelques verres dans le nez, tu sais que tu te permets de te laisser aller, mais pas quand tu es pleinement consciente de ce que tu fais, des gestes que tu poses. Mais tu t'es inscrite et tu te dis que te prendre au jeu ne pourrait être si mal que ça. Puis, si tu détestes ça, tu pourras toujours demander un remboursement. Tu entres dans le studio, un homme dix ans plus jeune que toi t'accueilles. Tu lui expliques ce que tu fais ici, ayant bêtement oublié son prénom. Si tu n'as pas retenu son nom, c'est sûrement parce qu'il est complexe. Parce qu'en mémoire de prénom, ton bagage d'enseignante t'oblige à être irréprochable. Sauf quand ils sont étranges ou compliqués. L'homme répond qu'il est ton enseignant et quand il se présente, tu comprends alors pourquoi le vin t'a fait oublier son nom. Conchobhar. Tu souris. Je ne voulais certainement pas insinuer que votre nom est ridicule !, tentes-tu de lui expliquer. C'est pas ça, c'est que tu n’étais pas dans ton état normal ce soir là. Enchantée aussi. Eva... Mais, du coup, vous le savez déjà, parce qu'il s'était très certainement préparé, lui. Je veux simplement vous informer que je ne suis pas du tout la meilleure danseuse du monde... J'espère ne pas vous faire honte. Et ne pas le dissuader, avant que tu prennes la décision toi-même de poursuivre ou pas tes leçons.