Tout ce que je pourrais faire pour toi [wooshka]

Tout le monde était désolé, tout le monde qui se souciait un minimum de Woody du moins. Mais ça ne suffisait pas, ça ne lui ramènerait pas son corps. Ce n’était que des paroles de politesse, des paroles qui ne voulaient plus rien dire et qui avaient été entendues trop souvent. Il ne le reprochait pas à Annushka, il ne le reprochait à personne, mais mots-là n’avaient plus aucun impact sur lui. He was too far gone. Woody se contenta donc d’hausser les épaules. « J’peux pas te promettre que je te laisserai être là, moi. » Il soupira légèrement. Il avait cette fâcheuse tendance à ne jamais vouloir laisser qui que ce soit le voir faible, vulnérable. Mais ce serait inévitable, un jour, et il savait qu’il ne pourrait s’en sortir seul. Pour l’instant, il s’entêtait encore. Annushka se leva alors pour déposer un baiser sur son front, geste doux, presque maternisant, qui rendit Woody inconfortable et encore plus lorsqu’il releva les yeux vers les siens. Son visage était juste au-dessus du sien, si proche. Mais Woody savait ce qui se produirait s’il s’abandonnait au moment. Il avait déjà fait l’erreur une fois. Il s’était promis de ne pas la refaire. « Heureusement. » Souffla-t-il à propos des macarons. « S’il fallait que la vie m’enlève ça aussi … » Il esquissa un faible sourire, même si ses paroles n’avaient rien d’heureuses.

Annushka ne s’attendait pas réellement à une telle réponse de Woody, même si, en y réfléchissant, ça lui ressemblait bien. Elle leva les yeux vers lui en esquissant un petit sourire alors qu’elle gardait sa main dans la sienne.

-Je ne te promets pas de te demander ton avis.

Annushka n’avait pas l’intention de le laisser seul chez lui. Elle ne voulait pas le laisser déprimer plus que ce n’était déjà le cas. C’était son devoir en tant qu’ami de le soutenir, mais surtout, c’était sa volonté la plus profonde. Elle voulait le tirer vers le haut, Annushka, elle voulait le voir sourire. Peut-être qu’égoïstement c’était parce qu’elle avait envie qu’il soit là quand elle aurait besoin de lui. Sans doute n’était-elle qu’un être humain comme les autres. Mais qu’importe les motivations quand le geste est louable ?

Alors que leurs deux visages s’étaient retrouvé à une distance si réduite, le coeur de la jeune femme avait raté un battement. Elle avait senti ses joues rougirent légèrement. L’idée s’était dissipée aussi rapidement qu’elle avait naquit dans son esprit, mais, même si elle semblait avoir disparu, elle ne manquerait pas de ronger ses pensées au moment où elle s’y attendrait le moins. Elle resserra légèrement sa main autour de la sienne à ses mots. Elle aurait tellement voulu faire plus pour lui.

-La vie nous enlève beaucoup de choses parfois…

Et la jeune femme était bien placée pour le savoir.

-Mais je pense qu’on sous-estime ce qu’elle nous donne.

Elle lui sourit. Elle ne pouvait nier qu’actuellement la vie avait prit beaucoup à Woody, mais peut-être qu’elle finirait par lui donner des choses formidables aussi. Même si elle n’avait pas vraiment d’exemples à lui donner.

-Est-ce que tu veux prendre un peu l’air ?

Woody semblait être resté enfermé, alors sans doute refuserait-il. Mais, peut-être que sa présence l’encouragerait aussi à sortir très légèrement de sa zone de confort.

Elle savait lui répondre, Annushka. Sans doute apprenait-elle à le connaître de plus en plus, à l’apprivoiser. Sans doute que derrière ses airs innocents et doux se cachaient une femme qui savait quels moyens prendre pour obtenir ce qu’elle voulait même si ce qu’elle voulait, ce n’était que de l’aider. Elle n’avait que des bonnes intentions mais elle n’était pas prête à laisser Woody lui tourner le dos aussi facilement. Elle n’était pas la première, elle n’était pas la seule. Il parvenait toujours à les éloigner. « On verra bien. » Se contenta-t-il de répondre, un faible sourire au coin de ses lèvres. Comme si c’était un jeu, pour lui. De tester les limites de ses proches. De voir jusqu’où ils étaient prêts à aller. Ce qu’il ne semblait pas comprendre, Woody, c’est qu’en bout de ligne il serait toujours perdant à ce jeu. Comme à tous les jeux. Surtout celui de l’amour. Lorsque leurs visages se retrouvèrent si près, il plongea son regard dans celui d’Annushka et s’imposa à lui-même des limites. Rare preuve de retenue et de contrôle de la part de Rutkowski. Il savait qu’à ce stade, le moindre faux pas pourrait faire fuir la jeune russe. Et s’il avait pourtant dit qu’il ne la laisserait sans doute pas l’aider à l’avenir, en ce moment, il avait encore besoin d’elle. Woody haussa les sourcils lorsque la brunette ajouta qu’on sous-estimait souvent ce que la vie nous donne. « Pour le moment j’ai surtout l’impression qu’elle m’a d’abord tout donné juste pour mieux tout m’enlever après … » Qu’il était défaitiste ! Il haussa les épaules. Annushka proposa alors de prendre un peu l’air. Le soleil était chaud et fort dehors. Ce serait sans doute mieux que les rideaux tirés. Il hocha la tête. « Dommage que tu n’aies pas de maillot de bain … La piscine n’attendait que ça. » Discrètement, il recommençait à jouer avec le feu.  

Annushka secoua la tête alors qu'il lui répondait simplement qu'ils verraient bien, sans doute pour mettre un terme au sujet de conversation.

-C'est tout vu, Monsieur Rutkowski.

Elle sourit. Son accent russe déformait légèrement son nom à consonance polonaise.
Le regard de la jeune femme se teintait de tristesse alors qu'il se confessait. Elle ne pouvait pas le blâmer, Annushka. Après tout, elle aussi avait pu toucher du bout des doigts les étoiles avant de s'échouer au sol tel un moineau auquel on avait coupé les ailes.

-Je... Je sais ce que c'est, un peu du moins mais... Je pense qu'il faut continuer de sourire.

Sans doute n'était-elle pas la mieux placée. Après tout, après sa rupture avec Xavier, elle aussi avait perdu son sourire pendant de longs mois. Mais elle guérissait, lentement mais sûrement.
Il sembla approuver son idée de sortir un peu ce qui fit sourire largement la jeune femme. Elle prit alors sa main pour l'entraîner avec elle à l'extérieur. Elle leva les yeux vers lui, un peu étonnée.

-Oh, je n'avais pas pensé que tu avais une piscine. La prochaine fois alors. Il va falloir que tu nous prévois des cocktails.

Elle ouvrit la porte et se glissa sous les rayons chaud du soleil. Elle n'avait pas une seule seconde pensée que les propos de Woody puissent être tendancieux. Malgré sa pudeur, paraître en maillot de bain devant lui ne l'intimidait pas trop.

-J'espère que j'aurais pied dans ta piscine.

Annushka avait apprit à plaisanter sur sa propre taille, qu'elle n'avait jamais vécu comme un handicape malgré son mètre cinquante-cinq.

Son nom de famille, sorti de la bouche d’Annushka, avait quelque chose d’encore plus beau, d’encore plus exotique. Ça lui arracha un éphémère sourire, le temps de passer à un sujet plus dur et plus lourd autant pour l’un que pour l’autre. Woody hocha la tête aux propos d’Annushka. « Je sais que tu sais ce que c’est. » Confirma-t-il, plongeant son regard dans le sien. Ce n’était peut-être que sa jambe et pas son corps tout entier, mais il n’en restait pas moins que la danseuse ne pourrait plus jamais être l’étoile qu’elle avait un jour été. La différence toutefois était qu’Annushka avait déjà été capable de sourire. Pour Woody, ça n’avait jamais été aussi simple. Il n’était pas un être au bonheur facile, à la base. Ça ne faisait que complexifier tout le reste. Heureusement qu’il avait des gens comme la russe pour lui rappeler, par moments, que tout n’était pas tout noir. La brunette lui attrapa la main et l’entraîna à l’extérieur, sur le balcon arrière de la maison de Woody, surplombant ladite piscine. « Un pool party rien que nous deux ? » Demanda le trentenaire avec un sourire en coin. Néanmoins, l’idée de repousser cette activité à plus tard le décevait. Il savait qu’à l’intérieur ou à l’extérieur, ses idées seraient les mêmes tant et aussi longtemps qu’il ne se décidait pas à les chasser. Alors, quand la jeune femme se demanda si elle aurait pied dans sa piscine, Woody esquissa un sourire amusé. « Il n’y a qu’un moyen de le savoir … » Et sur ce, il prit Annushka sur un côté de son corps et se mit à descendre les marches du balcon, d’un pas lent et tremblant mais capable, et prêt à sauter à l’eau en l’entraînant avec lui.  

Annushka lui sourit. Ce n'était peut-être pas la réaction la plus normale qui soit alors qu'ils parlaient d'un sujet si lourd. Mais c'est le message que la jeune femme voulait faire passer. Ils étaient deux dans cette situation qui semblait avoir brisé leur existence, mais Annushka voulait qu'ils soient deux à se relever.

La petite russe prenait les devants, l'entraînant sur le balcon. Même si Woody avait besoin de plus qu'un coup de pouce, elle lui donnerait. Elle acquiesça d'un signe de tête quand il insista sur le fait que ce qu'elle proposait, ce serait seulement pour eux deux.

-Pourquoi pas ? Et puis, si tu veux inviter d'autres amis, on fera une grande party !

Le sourire de la jeune femme trahissait son enthousiasme à cette idée. Elle voulait tellement le faire sourire, qu'il oublie tout ce que la vie lui prenait pour qu'il se rende compte qu'il était entouré de gens qui voulaient seulement son bonheur.

Annushka ne l'avait pas vu venir, et elle poussa un cri de surprise quand il l'attrapa, la faisant décoller du sol.

-Non mais qu'est-ce que tu fais ?

Elle n'osait pas se mettre à gesticuler de peur de les faire tomber tous les deux et partit dans un fou rire. C'était sans doute cette folie là qui lui manquait. Depuis qu'elle n'avait plus Xavier ? Non, avant ça même.

-Comment est-ce que je vais rentrer chez moi si tu me jettes à l'eau Woody ?

D’autres amis. Une grande party. Woody esquissa un sourire alors qu’il savait fort bien que la liste d’invités ne serait pas bien longue. Les amis de Woody se comptaient sur les doigts d’une seule main, en réalité. Pas de quoi en faire une très grande fête. Mais c’était ce qu’il avait cherché, au fil des années : à se départir de ceux qui l’entouraient pour qu’au final, il n’en reste que très peu à être là pour le regarder se faner. « J’préfère la qualité à la quantité. Et j’ai pas envie de gérer un gros bordel chez moi. » Se justifia-t-il, alors qu’autrefois, Woody était le roi de la fête. Il ne comptait même plus le nombre de fois où, plus jeune, dès que ses parents partaient en voyage, il transformait la résidence des Rutkowski en véritable maison de débauche. Les premières fêtes d’ados de son âge s’étaient souvent déroulée dans sa maison d’enfance. Ses sœurs et son frère avaient d’ailleurs probablement bu leurs premières gouttes d’alcool à ce moment-là aussi, en se confondant au reste des invités. C’était le bon vieux temps mais aujourd’hui n’avait plus rien à voir avec cette époque. Néanmoins, le trentenaire arrivait par moments à renouer avec la douce folie d’autrefois, et ce fut d’ailleurs dans un tel élan d’insouciance que Woody attrapa Annushka pour la soulever dans les airs et la traîner jusqu’à la piscine. Dans un fou rire, la jeune femme tentait vainement de le faire changer d’idée. « Y’a gros soleil, tu sécheras vite ! » Lança-t-il dans un rire, avant de la lancer à l’eau et de la suivre tout de suite après en plongeant. Lorsqu’il revint à la surface, il lâcha un cri d’amusement, de délivrance.

Woody ne semblait décidément pas emballé par son idée de Pool Party. Tant pis. Elle la trouvait bonne, elle, alors, peut-être qu'elle en organiserait une dans sa propre maison, qui sait ? Elle ne pouvait pas dire qu'il y aurait beaucoup de monde non plus, cela dit. Malgré qu'elle soit bien plus sociable que son ami, elle n'avait pas lié beaucoup de liens à Bowen. Sans doute que son état d'esprit post-accident, puis, post-rupture n'avait pas amélioré les choses.

-Tu deviens vieux Woody !

Elle le regardait avec un sourire taquin. Elle cherchait par là à le provoquer, et non pas à lui rappeler que sa maladie n'arrangeait pas les choses, mais peut-être était-ce un peu maladroit de sa part.

Comme pour la contredire, il l'attrapa alors, l'enlevant, direction la piscine. Annushka ne put empêcher un fou rire, ce qui limita grandement ses gestes pour se débattre. Il la jeta à l'eau, prétextant que le soleil la ferait rapidement sécher, avant de s'y jeter aussi. Elle se hissant hors de l'eau, toujours aussi hilare de la situation. Heureusement, malgré sa petite taille, elle n'avait aucun mal à avoir pied. Elle était trempée, de la tête au pied. Heureusement qu'elle était en short et débardeur et qu'ainsi, les parties de son corps restées nues sécheraient d'autant plus rapidement au soleil. Elle secoua légèrement la tête, projetant des éclaboussures sur Woody avant de se rapprocher de lui avec un simple brasse. Elle plongea son regard dans le sien, prenant un air faussement contrarié.

-Je te jure que si je n'étais pas convaincue d'avance de perdre, j'essaierai de te couler !

Elle lui tira la langue, se mettant sur la pointe des pieds pour essayer de paraître un peu plus grande.

Il devenait vieux dans son corps comme dans son esprit. Le passage du temps n’avait pas été doux, au contraire, Woody avait surtout l’impression que les récentes années de sa vie avaient été piétinées par un poids lourd. Le poids de sa conscience ou le poids d’un secret trop longtemps gardé, qui sait. « It appears so. » Conclut Woody avec un mince sourire sur les lèvres, croisant brièvement le regard d’Annushka qui le regardait avec malice. Il savait ses intentions bonnes et, surtout, il savait que c’était de sa faute s’il songeait en permanence à sa maladie, même là où elle n’avait pas lieu d’être appelée. Son fardeau physique prenait de plus en plus de place dans ses pensées et il était le seul à blâmer. Puis, comme pour montrer qu’il avait encore de la force et de la volonté, Woody attrapa Annushka et la souleva, de sorte à pouvoir la traîner plus ou moins aisément jusqu’à la piscine. Après l’avoir jetée à l’eau sans attendre une autorisation officielle de la part de la russe, Woody s’y lança à son tour, accueillant avec délivrance la sensation de l’eau contre sa peau. À ses sensations, Woody s’accrochait. Parce qu’il savait qu’elles n’étaient pas éternelles. Tout comme ce moment magique avec Annushka. Ils riaient, hilares, légers. La jeune femme se rapprocha, continuant sur cette lancée de taquineries entre eux. Une ambiance enfantine pour deux âmes esseulées comme les leurs. « Faudra te trouver une autre revanche, alors. Parce que j’suis tout aussi convaincu qu’toi que tu y arriverais jamais. » Lança-t-il avec un ton de défi dans la voix malgré tout. Il rit en la voyant se mettre sur la pointe des pieds, puis secoua la tête de gauche à droite. « Don’t even try. C’est juste embarrassant. » Dit-il en riant, se moquant gentiment d’elle, encore une fois.

Annushka fit la moue quand Woody confirma qu'elle n'arriverait pas à le couler. Malgré sa maladie, la jeune femme ne doutait pas qu'il avait encore l'avantage sur elle, physiquement. Après tout, elle était petite, et depuis qu'elle ne pratiquait plus la danse comme auparavant, elle avait aussi perdu en muscle. Avec sa cheville, elle avait même fondu comme neige au soleil.

-Et bien même si je dois réfléchir longtemps, je trouverai ! La vengeance est un plat qui se mange froid après tout.

Elle sourit, loin d'être réellement menaçante. Hissée sur la pointe de ses pieds, elle tentait de se retrouver à la même taille que lui, même si elle en était encore loin. Ce dont il ne manqua pas de se moquer, d'ailleurs. Visiblement d'humeur joueuse, elle passa ses bras autour de son cou et sauta afin de nouer ses jambes autour de la taille de Woody et s'accrocher ainsi à lui.

-Au moins comme ça, je suis à niveau.

Elle riait, mais elle était prête à reposer ses pied dans l'eau de la piscine au moindre signe de faiblesse de son ami. Est-ce qu'avec une quelconque autre personne elle aurait osé faire une telle chose ? Un tel contact physique ? Elle n'en était pas certaine. Elle ne s'était pas senti aussi à l'aise avec quelqu'un depuis bien longtemps. Et elle ne semblait pas troublée par ce que ça pouvait impliquer, ou plutôt, elle n'y pensait pas, sciemment.

Après les lourdes confidences, la légèreté reprenait sa place entre Annushka et Woody, qui accueillaient volontiers ce changement de ton dans l’ambiance. Il restait trop souvent noyé dans ses idées noires, égaré dans les méandres de son esprit assombri par le poids de sa maladie. Que la jeune femme réussisse à lui faire garder la tête hors de l’eau, même si ce n’était que pour une journée, que pour quelques heures même, le délivrait. Les moqueries lui venaient donc de plus en plus facilement. « Je surveillerai toujours mes arrières, à présent. » Conclut-il avec le regard brillant de défi. Il la défiait, oui, de le prendre par surprise et de le mettre en échec. Même après ses aveux, Woody reprenait rapidement cette façade d’égo surdimensionné. C’est alors que la russe, pour ne pas avoir à se tenir sur la pointe des pies plus longtemps, se hissa sur Woody comme un koala à sa branche. Lorsqu’elle noua ses jambes autour de sa taille, instinctivement, le trentenaire posa ses mains sous les cuisses d’Annushka, tout près de ses fesses. Pour la soutenir. Pour se tenir lui-même en équilibre. Woody plongea son regard dans celui de la brunette en secouant doucement la tête face au comportement de son amie. « Si tu me connaissais juste un peu mieux, Ann’, tu saurais que je n’apprends pas de mes erreurs … » Et sur ce, Woody avança de quelques pas dans la piscine, jusqu’à l’échelle qui permettait d’en sortir, et il vint asseoir Annushka sur l’un des barreaux. Au cours de ce même geste, il approcha son visage du sien et posa ses lèvres sur les siennes, dans un baiser qui n’avait cette fois aucune retenue.

Annushka semblait lavée de toutes ses préoccupations. Pour quelques heures au moins. Ce moment de folie lui faisait du bien, et le jeu auquel il jouait ne lui semblait pas dangereux, au premier abord. Elle sourit sournoisement à ses mots.

-C'est ce qu'on verra, je saurais faire en sorte que tu ne te méfies pas de moi !

Annushka, jouer sur une petite bouille innocente ? Peut-être... Dans tous les cas, le physiothérapeute devait bien se douter que sa vengeance n'aurait absolument rien de terrible. Elle était bien trop douce. Trop douce pour anticiper ce qui allait suivre. Elle ne dit rien alors qu'elle sentait les mains de Woody la soutenir et assurer un peu plus leur position précaire. Mais ses mots lui firent perdre son sourire insouciant.

-Quelles erreurs ?

Perdues pendant les quelques secondes où il la fit s'asseoir sur l'échelle, son cœur se mit à battre plus fort alors que son visage s'approchait du sien. Elle ne se débattit pas, ne le repoussa pas. A vrai dire, elle répondit même à son baiser alors que son cœur semblait prêt à exploser. Elle appuya une main contre sa joue, ne semblant pas vouloir que ce baiser prenne fin. Parce qu'une fois qu'il serait fini, qu'est-ce qu'elle pourrait dire ? Qu'est-ce qu'elle pourrait faire ? Ce geste tendre, elle avait l'impression qu'il lui avait manqué, infiniment manqué. A bout se souffle, comme si elle venait de mener la plus grande représentation de sa vie, elle appuya son front contre celui de Woody. Elle tremblait légèrement tandis que son regard était plongé dans celui de son ami.

-Je t'en prie Woody... Ne joue pas avec moi.

Elle se savait faible, naïve. Il n'était pas tout ça Woody, il n'avait pas son innocence. Lui-même le savait pertinemment, elle en était sûre, de l'état dans lequel il pouvait la plonger avec un geste qui lui paraissait, à lui peut-être, anodin.

Quelles erreurs ? Si Annushka ne semblait pas faire le lien, Woody, lui, n’avait jamais oublié cette journée-là après la thérapie de la russe. Ce moment durant lequel il avait bien failli foutre en l’air une amitié douce et pure avec une femme. Ce moment durant lequel il avait franchi les limites de la brunette, dans un flagrant manque de respect et d’écoute pour elle. Et comme il venait de le dire, il n’apprenait pas de ses erreurs, Woody. Quand venait le temps de ressentir ce genre de pulsions, il pensait avec sa queue et pas avec sa tête. Alors peut-être allait-il encore une fois risquer de perdre Annushka, mais sa raison avait détalé bien loin dès qu’il eut posé ses lèvres sur les siennes. Tous les deux à bout de souffle, après un baiser auquel elle avait participé contre toute attente, leurs visages se reculèrent jusqu’à ne garder que leurs fronts en contact. Woody ferma les yeux au moment où Annushka l’implora de ne pas jouer avec elle. Il recula un peu plus encore, pour mieux la regarder alors qu’il répondait : « T’es pas un jeu. » Elle n’était pas un jeu, la situation n’était pas un jeu, mais au final le résultat serait le même. Pire encore, ce n’était pas une partie qu’ils perdaient, c’était eux-mêmes. « Qu’est-ce qui a changé depuis la dernière fois ? » Demanda-t-il. Parce qu’avant de risquer de lui faire du mal, il voulait au moins savoir pourquoi elle était maintenant prête à le risquer elle aussi.

Annushka se souvenait très bien du jour où Woody l'avait embrassé, mais elle était simplement passée au-dessus de tout ça. Elle n'en voulait pas à son ami, c'était simplement un moment d'égarement, ils s'étaient expliqués. Mais aujourd'hui, les choses semblaient différentes. Pourquoi ? Vaste question. Sans doute parce qu'aujourd'hui la jeune femme était plus fragile, plus incertaine sur ce qui se passait dans sa tête, dans son cœur. Les yeux de la jeune femme ne quittaient pas ceux du physiothérapeute, même alors qu'il les fermait. Son cœur se serrait quand il finit par lui répondre qu'elle n'était pas un jeu, puis, sa question sonna presque comme un reproche. Le regard d'Annushka descendit sur l'eau transparente de la piscine. Elle y voyait son reflet qui disparaissait alors que l'eau se troublait. Ses poings se serrèrent doucement. Qu'est-ce qui avait changé ? Elle avait l'impression que dix ans s'étaient écoulés depuis ce jour-là.

-J'imagine que mon chagrin d'amour n'y est pas pour rien.

Elle était incapable de cacher son trouble et son émotion. Elle sentit une larme couler sur sa joue alors que son visage était toujours baissé. Elle tenta de l'essuyer rapidement de sa main, mais elle n'arrivait pas à gérer ses doutes, ses sentiments et sa raison qui semblaient se battre das un capharnaüm infernal.

-Je suis désolée, c'est de ma faute.

A trop jouer avec les limites de Woody, à être insouciante, elle n'avait même pas réfléchi aux conséquences et aux envies qu'elle pouvait susciter chez lui. Visiblement, elle non plus n'apprenait pas de ses erreurs.

Si elle prenait la question de Woody comme un reproche, ce n’était certainement pas l’intention derrière. Peut-être était-ce sa culpabilité qui lui faisait interpréter différemment les propos de l’homme. Le trentenaire, lui, ne cherchait qu’à savoir pourquoi elle baissait maintenant sa garde alors qu’elle l’avait repoussée la dernière fois. Si ce n’était pas un jeu pour lui, il ne fallait pas que ça en soit un pour elle non plus. Qu’elle l’embrasse ou non, ce n’était pas la question cruciale, pour lui c’était de savoir pourquoi maintenant. Ça n’avait pas d’importance, me direz-vous. Mais pour lui si. Parce que si c’était pour les mauvaises raisons, c’était là qu’il risquait de la blesser. Lorsqu’Annushka évoqua son chagrin d’amour, Woody ne put s’empêcher de penser qu’ils étaient des rebounds, l’un pour l’autre. C’était du moins ce que ça sous-entendait. Puis, alors qu’elle s’excusait et jetait la faute sur elle, le trentenaire fronça les sourcils et s’approcha d’elle. « Quelle faute ? Pourquoi ça doit être une faute ? » Demanda-t-il, s’approchant d’elle à nouveau. « Je t’ai demandé ce qui avait changé parce que j’voulais savoir si c’était vraiment ce que tu voulais cette fois. » Parce que la dernière fois, Woody avait eu l’impression de la froisser, de profiter d’elle, et il s’était détesté pour ça. On peut donc dire qu’il apprenait à moitié de ses erreurs, au fond.