Tout ce que je pourrais faire pour toi [wooshka]

Annushka était confuse, perdue. Elle avait l'impression de tout faire de travers depuis que Xavier l'avait quitté. Elle pensait, pourtant, avoir réussi à se remettre de ce chagrin, à aller de l'avant. Et pourtant, était-ce vraiment le cas ? Ou bien était-ce simplement qu'elle n'arrivait pas à combler le manque affectif qu'avait laissé son ancien amoureux ? Mais Woody ne méritait pas qu'elle l'utilise pour ça, juste pour combler un peu mieux sa tristesse et ce manque. Doucement, elle tendit sa main vers la sienne pour la prendre délicatement et la garder contre elle.

-Je ne suis pas sûre de savoir ce que je veux...

Elle souffla doucement avant d'oser lever son regard vers le sien.

-Ce que je sais, c'est que je ne veux pas te perdre. Je veux continuer à rester auprès de toi parce que... parce que j'ai besoin de toi.

Les yeux de la jeune femme étaient plongés dans ceux de Woody tandis qu'elle gardait sa main en otage contre elle.

Woody, de son côté, avait toujours tout fait de travers. Ce qui se passait actuellement avec Annushka n’était donc que la suite logique des relations du trentenaire. Que ce soit avec Brooke, avec Ally, avec Sara ou avec Freja, Woody avait toujours fini par faire du mal à l’autre, de manières toutes plus cruelles les unes que les autres. Et jamais de la même manière. Comme quoi, sur le spectre de la méchanceté, Woody allait et venait dans une fluidité remarquable. Et pourtant, Annushka tendit une main douce et délicate vers lui. « Je ne veux pas te perdre non plus. » Plus que jamais il avait besoin d’une personne comme elle à ses côtés. « T’as pas besoin de savoir ce que tu veux. J’le sais pas forcément non plus. Mais je sais une chose, Annushka, c’est que si tu cherches le prince charmant ce n’est pas ici que tu le trouveras. » Affirma-t-il, l’air grave. Elle le connaissait. Elle savait qui il était. Il n’avait pas changé pour qui que ce soit, il ne changerait sans doute jamais. Au moins, il avait la lucidité de le comprendre et de l’admettre. « Je ne peux sans doute pas te donner ce dont tu as vraiment besoin. » Parce qu’elle avait peut-être besoin de lui, pour le moment, comme ça, mais ça ne suffirait pas. Ça ne suffisait jamais.  

Les mots de Woody la rassuraient un peu, même si au fond de son cœur elle n'en avait pas douté. Si Woody se fichait d'elle, alors il ne l'aurait même pas laissé franchir le pas de sa porte dans un moment de vulnérabilité comme celui-là. Doucement, Annushka l'entoura de ses bras pour le rapprocher d'elle et posa sa tête contre lui.

-Je sais. Je sais que tu n'es pas... mon prince charmant.

Elle leva son regard vers le sien.

-Mais je ne suis pas sûre que ce prince-là existe vraiment.

Elle pensait l'avoir trouvé son prince, Annushka, mais il s'était envolé, et peut-être que les choses seraient toujours ainsi. Elle ne savait pas, elle essayait de guérir son chagrin, mais elle avait abandonné l'idée de raisonner. Gardant sa main serrée dans celle de Woody, ses yeux se plongèrent dans les siens.

-Comment est-ce que tu peux savoir ce dont j'ai vraiment besoin, si je ne le sais pas moi-même ?

Annsuhka ne demandait rien à Woody, n'exigeait rien de lui, en dehors de sa présence, de pouvoir sentir qu'il serait là pour sécher ses larmes et partager ses rires. Son cœur s'était irrémédiablement attaché à lui. Elle ne semblait pourtant pas souffrir du syndrome de l'infirmière, elle n'avait pas l'intention de changer Woody, et ne prétendait pas pouvoir le soigner de quoi que ce soit, d'aucun de ses traits de caractère, si ce n'était d'éponger son chagrin quand elle le pourrait.

Woody n’était pas seulement pas (? Ça fait aucun sens pardon Emma ) son prince charmant, mais il n’était le prince charmant de personne. Il était même le vilain dans tous les films de Disney, dans tous les comic books, il était celui qu’on devait fuir le plus rapidement possible et qui trouvait pourtant toujours le moyen d’emberlificoter les autres. Aux yeux d’Annushka toutefois, ce prince-là n’existait tout simplement pas. Était-ce de dire que tous les hommes de ce monde n’étaient que des vaut riens, que des bons à rien ? C’était le cas de Woody mais il espérait, du plus profond de son cœur, qu’il existait de bonnes personnes pour réparer les cœurs qu’il avait brisé sur son passage. « En tout cas, plus charmant que moi. » Il esquissa un faible sourire. Il n’était pas charmant, Woody, il était cruel et bas. Il se la joua encore surprotecteur en affirmant qu’il n’était pas ce dont la russe avait besoin. Qu’il n’avait rien à lui offrir d’assez bien. Woody prétendait toujours tout savoir des autres, il fuyait toujours en donnant cette excuse prémâchée. Annushka n’était pas la première et ne serait pas la première à être rejetée sous prétexte qu’il n’était pas à la hauteur. « T’as raison. J’sais peut-être pas ce dont t’as besoin mais j’sais ce dont t’as pas besoin, et t’as pas besoin de t’embarquer dans des histoires avec moi. Ça en vaut pas la peine. » En d’autres termes, il n’en valait pas la peine.  

Plus charmant que Woody, Annushka en avait rencontré, oui. Elle en avait rencontré un, surtout. Et il était parti. Alors la jeune femme, en ce moment, était assez incertaine sur ce qu’elle voulait ou même ce qui était bon pour elle. Elle en venait à remettre en question ses principes, ses convictions. Et Woody n’arrangeait rien en venant la chambouler. Et pourtant, elle ne lui en voulait pas, moins qu’il semblait s’en vouloir lui-même en tout cas.

-Sûrement, oui, mais je ne suis visiblement pas prête de le rencontrer.

La brunette était légèrement décontenancé par les mots de son ami. Elle ne pouvait pas dire qu’il avait tort, ou même qu’il avait raison. Son coeur était bien trop confus. Mais elle ne comprenait pas pourquoi il la rejetait alors même qu’elle n’avait pas fait le premier pas, et qu’elle n’avait, jusqu’à lors, rien proposé non plus.

-Woody… Je ne comprends pas… Pourquoi est-ce que tu m’as embrassé si c’est pour me dire de m’éloigner ?

La petite main d’Annushka était venue trouver celle de Woody, la serrant fort. La jeune femme finit par baisser les yeux, murmurant sur un ton à peine audible.

-Si tu ne peux pas passer du temps avec moi sans m’embrasser, les choses vont devenir difficiles.

Pas compliqué, parce que dans l’esprit de Woody, tout semblait être simple et limpide, mais difficile à supporter pour la jeune femme.

Il aurait pu lui sortir une bêtise comme quoi l’amour frappe à ta porte au moment où tu t’y attends le moins ou encore il se trouve peut-être sous ton nez mais Woody ne connaissait rien à l’amour, pas plus qu’aux relations humaines en général. Il était un être égocentrique qui n’en avait généralement que faire des problèmes des autres. En autant qu’il trouve son compte dans ce qu’il entretenait auprès de ces mêmes autres. « Et c’est vraiment nécessaire à ta vie ? » Demanda-t-il contre toute attente. L’amour, au fond, en avaient-ils réellement tous besoin pour vivre ? Woody osait espérer que non, lui qui se refusait toute relation sérieuse, et désormais toute relation tout court. On aurait pu croire qu’il s’agissait là d’un geste altruiste mais ce n’était encore une fois qu’une traduction de son égoïsme hors-pair. Il croyait que la Terre entière tournait autour de lui et qu’il se devait de couper les ponts puisque personne d’autre ne le ferait. La question d’Annushka le décontenança. Ses lèvres tremblèrent alors qu’il cherchait à faire de l’ordre dans ses idées dispersées. « Je ne sais pas. » Avoua-t-il. Il eut un léger rire gêné, étouffé, en entendant le murmure de la russe. « Ce n’est pas ça … » Il pouvait se contrôler, un minimum du moins. « J’imagine que … que je me sens très seul ces temps-ci. Et que je sais que tu te sens seule aussi … et j’ai eu besoin, ou plutôt envie … qu’on se sente un peu moins seuls, ensemble. » Il soupira. « Mais j’m’y prends mal. T’as pas besoin que je vienne foutre la merde dans ta vie à toi aussi. » Elle avait déjà assez de souffrance à gérer.  

Annushka se mordit l'intérieur de la joue à sa question. Nécessaire ? Ce n'était pas un besoin vital. Après tout, ce qui était nécessaire à sa vie, c'était boire, manger, dormir... Evidemment que l'amour n'en faisait pas parti. Et pourtant, elle en rêvait, elle en avait toujours rêvé.

-C'est comme ça que je me l'imaginais, ma vie. Partager mon quotidien avec un homme que j'aime, me marier, avoir des enfants... C'était ce que je voulais.

Est-ce qu'elle aurait vraiment dû s'attendre à avoir une réponse précise de la part de Woody ? Sans doute que non. Il faisait toujours ce qui lui passait par la tête, sans penser aux conséquences. Mais la jeune femme n'arrivait pas à lui en vouloir. Après tout, elle aussi, en ce moment, elle était perdue. Elle attrapa délicatement sa main, la caressant tendrement avant de lever son regard vers le sien, se mordant légèrement la lèvre inférieure.

-Peut-être que tu devrais me laisser décider de ça, de si j'ai envie que tu viennes tout chambouler.

Elle esquissa un petit sourire et se tendit légèrement pour venir déposer un baiser sur ses lèvres. Elle faisait peut-être une bêtise, mais elle avait besoin de cesser de réfléchir à ce qui était bien et mal, ce qu'elle devait faire ou non, si ça la blesserait ensuite. Elle voulait juste se sentir un peu plus heureuse.

Lui aussi, c’était ce qu’il avait voulu, à un moment de sa vie. Les autres auraient sans doute trouvé improbable que Woody Rutkowski s’imagine père de famille mais au fond, lorsqu’il était jeune adulte, c’était l’avenir qu’il s’imaginait. Puis, la vie lui avait peu à peu enlevé de morceaux qu’il ne pourrait plus jamais retrouver. Et ces rêves-là, d’enfants et d’épouse, de maison, de clôture blanche et de gazon vert, de belle voiture et de piscine creusée, s’étaient envolés avec. « La vie ne nous donne pas toujours c’qu’on veut. Et faut faire avec. » Il faisait avec ce qu’il lui restait, Woody. Il faisait donc très peu. Et il ne rêvait plus beaucoup. Peut-être était-ce pour cela qu’il agissait avec tant d’impulsivité. Il ne voulait plus penser au futur, alors au diable les conséquences de demain. Pourtant, lorsqu’il s’agissait d’Annushka, il arrivait à se ressaisir et à réaliser qu’il lui ferait bien trop de mal. Elle était trop fragile pour un monstre comme lui. La jeune femme décidait toutefois, par elle-même, de se laisser saisir par ses griffes. « Tu ne sais même pas ce que tu veux. » Elle l’avait dit elle-même. Elle ne savait pas ce dont elle avait besoin. Mais visiblement, là, maintenant, elle aussi avait besoin de briser sa solitude, de se sentir un peu aimée, tout comme lui qui se fermait aux autres au détriment de lui-même. Il ferma les yeux lorsqu’elle posa ses lèvres sur les siennes. Il ne s’arrêta pas, cette fois. Chacun leur tour ils avaient ouvert le bal, maintenant, il ne restait plus qu’à suivre la danse.

Les mots de Woody lui faisaient mal. Est-ce qu’elle était censée se résigner ? Et seulement subir ce que la vie avait décidé pour elle ? C’était ça que faisait Woody, subir ? Peut-être bien que c’était pour ça, qu’il éloignait les gens de lui, pour ne pas qu’ils subissent avec lui. Mais ce n’était pas une fatalité. L’accident de voiture d’Annushka, la maladie de Woody ne l’étaient pas non plus. Est-ce que le sportif avait seulement perdu l’envie de se battre ?

-Je n’ai pas l’intention de “faire avec”.

Elle attendrait le temps qu’il fallait, Annushka, pour trouver l’homme qui lui conviendrait. Pour le moment, elle savait qu’elle n’était pas prête à le rencontrer, elle avait besoin de temps, de se réparer complètement avant de s’ouvrir à nouveau. Actuellement, elle était même proche de penser qu’il n’existait pas, mais une petite voix lui soufflait que c’était la douleur qui parlait pour elle. Est-ce que c’était mal de se laisser aller dans les bras de Woody alors qu’elle savait pertinemment qu’il n’était pas l’homme de sa vie ? Elle n’avait pas l’intention de le blesser. Elle espérait ne jamais le faire.

Elle esquissa un sourire à ses mots, avant de l’embrasser à son tour. Elle ne savait pas, en ce moment elle n’était plus certaine de rien. Pour autant, devait-elle ne rien faire ?

-Chut…

Elle sentit son coeur se réchauffer doucement à son contact. Elle se blottit un peu plus contre lui, ne voulant plus lâcher ses lèvres. Elle voulait juste continuer à se sentir mieux, prés de lui. Quand le baiser prit fin, Annushka vint nicher son visage dans le creux du cou de Woody. Elle ferma les yeux, n’entendant plus que leurs souffles et les battements de leurs coeurs. Ses bras l’enlacèrent doucement pour le garder près d’elle quelques secondes encore.

-Peut-être qu’on va finir par devoir aller se sécher...

Les mots d’Annushka prirent Woody par surprise. Lui n’avait jamais cherché à confronter la vie. He knew better. Il ne pouvait rien faire contre elle, contre tout ce qu’elle avait prévu mettre sur son chemin. Et pour ça, Woody prenait les pires décisions pour lui, et pour les autres. De ce fait, il semait le chaos partout où il allait. Son destin, au fond, il se le créait lui-même en pensant que ses actes étaient les seules issues possibles. Il ne réalisait pas qu’il n’avait qu’à reprendre le contrôle pour que la roue tourne. Son corps ne guérirait pas miraculeusement, mais son mental, un peu plus. « Alors que comptes-tu faire ? » Demanda-t-il, défiant, mais aussi curieux. Comme s’il ne pensait pas qu’Annushka pourrait faire de la magie avec de la poussière. Dans tous les cas, il espérait que ce baiser qui suivit n’était pas une de ces tentatives de faire un doigt d’honneur à la vie et de modifier la trajectoire du destin. Woody n’était pas fait pour elle, il l’avait répété à maintes reprises, à voix basse et à voix haute. Pourtant, il la laissa faire et, surtout, il y prit goût. Lorsqu’enfin leurs lèvres se séparèrent, l’homme ferma les yeux alors que le visage de la russe vint s’enfouir dans le creux de son épaule. « T’es pressée ? » Lui ne l’était pas. Parce que s’ils sortaient se sécher, alors c’était signe qu’Annushka repartirait bientôt, et la simple pensée de se retrouver seul à nouveau le terrifiait.

Ce qu’elle comptait faire ? La jeune femme n’était pas forcément très douée pour les plans d’action. Elle n’était d’ailleurs pas certaine d’avoir toujours pris les bonnes décisions dans sa vie. Mais là c’était trop. Elle s’était trop laissé aller, elle avait trop subi, comme si elle ne pouvait rien faire, alors qu’elle pouvait agir. Elle le savait. Si elle voulait que les choses aillent mieux, elle devait faire quelque chose, quelque chose qui la rendrait heureuse.

-Eh bien… Je crois que je vais commencer par arrêter de me morfondre. Après tout, même si je ne suis plus ballerine, j’ai quand même un métier sympa, je vois du monde, j’ai un super patron…

Elle lui sourit en disant ça, après tout, il ne pourrait pas la contredire sur la question.

-Et puis, je crois que je vais faire du bénévolat dans un refuge. C’est important pour moi de prendre soin des animaux qui en ont besoin. Ca occupera le temps libre que je passe à trop réfléchir et à être triste, et puis je ferais quelque chose de bien. Ca me fera rencontrer de nouvelles personnes. Je pense que c’est une bonne idée. Ca me remontera le moral.

Qu’est-ce qui pourrait mal se passer après tout ?

-Et un jour, je le rencontrerai.

Lui, l’homme dont elle avait besoin, celui dont elle rêvait la nuit parfois, celui qui lui donnerait l’occasion d’avoir la vie qu’elle avait toujours souhaité, une vie de famille, heureuse, aimante.

En cet instant précis, elle n’était pas si malheureuse. Elle était blottie dans les bras de Woody et profitait sans scrupule du bien être que ça lui procurait. Elle esquissa un petit sourire à sa question. Elle était rassurée de savoir qu’il n’avait pas spécialement envie de la mettre dehors, malgré l’étrange situation.

-Non, mais ça m’embêterait qu’un de nous deux tombe malade.

Elle le regardait, souriante, venant appuyer son front contre le sien. Elle sentit son coeur s’emballer légèrement. Elle avait envie de profiter de lui, de la piscine, mais il aurait été complètement indécent de proposer quelque chose qui impliquait de retirer le moindre vêtement. Elle baissa les yeux, rougissant légèrement. Elle ne savait même pas quoi dire pour que ses pensées vagabondent ailleurs.

Il aurait aimé pouvoir se contenter de ça, Woody. De pouvoir relativiser les choses en se disant qu’il avait de bons amis, une clinique de physiothérapie à lui, une famille sur qui compter. Mais ce n’était pas assez pour le Grand Rutkowski qui avait un jour tout eu, et qui avait l’impression de ne plus rien avoir. Il ne s’était jamais contenté de peu, il avait toujours voulu avoir plus, et voulu avoir le meilleur. Être le meilleur. Alors quand ça n’avait plus été possible, il s’était égaré, et il ne pensait pas pouvoir un jour retrouver la voie. « Ça te remontera le moral de bosser pour ne rien avoir en retour ? » La conception de Woody du bénévolat n’était pas la plus belle. Bien sûr, il comprenait que c’était important, mais ce serait toujours les autres qui donneraient, pas lui. Lui avait toujours bien trop aimé construire son empire, voir son compte en banque gonfler. Pour lui, il n’y avait que de l’argent qu’on pouvait avoir en retour. Lorsqu’Annushka ajouta ensuite qu’un jour, elle le rencontrerait, l’homme de sa vie, Woody la trouva naïve. Magnifiquement naïve. « Je te le souhaite. » Dit-il sincèrement quand même. Puis, Annushka mentionna qu’il serait peut-être temps de sortir. Elle prétexta qu’un des deux pourrait tomber malade, ce qui arracha un simple rictus au trentenaire. « D’accord, allons sécher … » Il faisait chaud, il faisait soleil, il voyait mal comment ils pourraient tomber malades en restant un peu trop longtemps dans cette eau qui n’était pas froide, presque même pas rafraîchissante. Mais il ne savait plus, lui non plus, comment agir dans les bras d’Annushka, alors sans doute valait-il effectivement mieux de rompre le moment. Il se détacha d’elle et remonta l’échelle. « Je vais aller nous chercher des serviettes. » Dit-il alors que la russe sortait à son tour de l’eau.

Annushka pencha légèrement la tête sur le côté à la question de Woody. Elle ne comprenait pas, ne comprenait pas ce qui l’interpellait. Elle n’avait jamais rien fait pour l’argent, Annushka. Elle avait toujours suivi sa passion, ses sentiments, ses émotions. Elle marchait à l’envie, pas au calcul. La phrase “l’argent ne fait pas le bonheur” avait peut-être été prononcée par quelqu’un de bien naïf, mais c’était ce en quoi croyait la jeune femme. Certes, c’était difficile à dire pour des gens qui vivaient dans la misère et qui devaient sans cesse se restreindre pour finir le mois, mais pour quelqu’un comme elle, dans une situation correcte, ça lui semblait limpide. Elle avait vu la misère en Russie. Elle était bien lotie, elle n’avait pas besoin de plus.

-N’a-t-il que l’argent qui te rende heureux Woody ? Faisais-tu du vélo de montagne pour les prix des victoires ?

Elle était convaincue que non, Annushka. Ou en tout cas, elle voulait s’en convaincre.

La discussion sur l’homme qui comblerait la vie d’Annushka prit fin. Après tout, pourquoi parler pendant des heures de choses qu’on ne pouvait contrôler ? Elle sortit de la piscine à sa suite et acquiesça d’un signe de tête. Elle s’assit sagement en attendant qu’il revienne puis, une fois qu’il lui tendit sa serviette, elle l’étala sur le sol pour se coucher dessus.

-Je pense que c’est une bonne façon de sécher.

Elle lui sourit, voulant lui montrer qu’elle n’avait pas l’intention de partir tout de suite, ou du moins, pas tant qu’il ne l’inviterait pas à s’en aller.

Pourtant, Woody n’avait pas de mal à joindre les deux bouts. À son âge, on pouvait même dire qu’il était plutôt bien lancé dans la vie. Il était propriétaire d’une maison et d’une clinique, après tout. Ce n’était pas donné à n’importe quel jeune trentenaire. Son temps lui semblait toutefois précieux et égoïstement, il ne se voyait pas l’offrir à d’autres. Pourtant, avec sa maladie, Woody ne faisait plus grand-chose de ses journées. Ses hobbies appartenaient au passé. Se réinventer à travers le bénévolat aurait sans doute été une belle manière de faire la paix avec sa situation et pourtant, même là, ça ne lui traversa pas l’esprit. À la question d’Annushka, Woody réfléchit, mais au fond la réponse lui était venue assez vite, même si ce n’était peut-être pas celle à laquelle s’attendait son amie. « Je faisais du vélo pour les prix et la popularité. Pour avoir ce sentiment d’être le meilleur dans ce que je faisais. » En gros, la gloire, et toujours la gloire. « C’est ça qui me rendait heureux. » Conjugué à l’imparfait, puisque ces derniers temps plus grand-chose ne suscitait ce sentiment chez lui. Les deux sortirent finalement de la piscine et Woody s’éclipsa trois minutes, le temps de ramener deux grandes serviettes. Annushka étendit la sienne au sol et s’y coucha. Il sourit, puis l’imita, se couchant sur le dos, face au soleil. Il ferma les yeux puisque les rayons étaient de toute façon trop forts. « Si je m’endors, réveille-moi, j’ai pas envie de virer homard. » Il esquissa un sourire sans toutefois bouger.

Annushka ne pouvait pas désir que le désir d’être le meilleur, la meilleure dans son cas, lui était étranger. Surpasser les autres, ça lui semblait être une envie vile, malsaine, et pourtant, elle avait toujours été heureuse d’être prise en exemple pendant un cours de danse, d’être félicité et portée aux nues pour ses talents de danseuse. Elle avait ces compétences par un travail acharné, bien sûr, et il semblait naturel de le récompenser. Mais avoir un petit quelque chose en plus était tellement glorifiant. Connaissant Woody, sa réponse ne pouvait guère l’étonner.

-Le ballet, c’est différent d’une compétition sportive individuelle comme le vélo mais… Je comprends ce que tu ressens. On fond, nous sommes toutes inlassablement en compétition pour avoir le meilleur rôle, devenir danseuse étoile. J’aurais aimé atteindre ce rêve-là avant mon accident.

Peut-être que c’était ça qui faisait plus mal que le reste encore, savoir qu’elle aurait pu le devenir, avant que tout ne tombe à l’eau avec cet accident de voiture, voir son rêve devenir complètement inaccessible.

Les serviettes sorties, en activité plage improvisée, Annushka s’installa sur le côté, tournée vers Woody. Elle esquissa un petit sourire à sa remarque.

-Je risque de brûler avant toi.

Après tout, sa peau pâle était plus adaptée au froid polaire qu’à la chaleur australienne.

-Et puis je m’inquiète pas trop pour toi, en sautant dans l’eau tout habillé, tu ne risques pas d’attraper beaucoup de coups de soleil.

Et elle non plus, du même coup.