walking on a tightrope wire (sasha)

Ça faisait un mois que t’étais ici et si on te demandait des indications pour se retrouver en ville, t’aurais franchement eu aucune idée de quoi répondre. Tu n’avais pas vraiment pris le temps de t’imprégner de l’endroit, de découvrir ses coins les plus secrets, ni même ceux les plus visités même par les touristes. Entre le Starbucks, ton appartement partagé avec Alix et Bellamy, la boutique de Circé où tu bossais depuis peu et la plage, t’avais pas vraiment fait le tour de ce que Bowen avait à offrir. Alors ce samedi, t’avais décidé sur un coup de tête de sortir la liste des endroits incontournables des environs selon Trip Advisor. T’étais seul, t’avais une journée complètement libre devant toi, alors aussi bien te bouger le cul et t’occuper par toi-même. Un peu pour te prouver que t’avais pas besoin des autres, non plus, pour vivre. T’avais un peu le coup de blues à toutes les fois où tu te faisais chier dans ta solitude, et t’avais envie de t’affranchir de ça. Alors te voilà arrivé à ton premier stop de la journée, la grosse mangue de Bowen. Genre, littéralement, une gigantesque mangue érigée à côté de l’information touristique. T’eus un rire incontournable en la voyant. « What the fuck. » Lâchas-tu en portant ta main à ta bouche, impressionné par le ridicule de la chose. Tu tournas la tête pour regarder la jeune femme à tes côtés qui te dévisageais, probablement parce que t’étais en train de rire tout seul face à une mangue. Tu désignas cette dernière de ta main tendue vers elle. « Y’a vraiment des gens qui sont en extase devant ça ? » Demandas-tu, hilare et vraiment confus par une telle attraction touristique. T’avais pas vraiment pris le temps de lire l’histoire de la Big Mango ou les anecdotes qui y étaient liées, en fait. Tu t’étais juste rendu ici pour voir de quoi il était question et franchement, niveau surprise, t’étais servi.

Tu te baladais dans la ville histoire de te ressourcer et de reprendre goût à cet environnement que tu connaissais si bien. Tu n’avais rien oublié de cette ville mais tu aimais y passer du temps et te promener avant. Alors pourquoi ne pas continuer et faire ce que tu as toujours aimé faire dans cette ville. Puis tu te retrouvais devant la grosse mangue qui surplombait une des places de la ville. Ca te faisais du bien de retourner chaque parcelle de ta ville natale, mais cette grosse mangue te faisait toujours autant rire. Le jeune homme à côté de toi était totalement hilare et ne semblait pas connaître l’existence de cette statue ici. C’est vrai ue c’était très étrange pour quelqu’un qui ne connaissait pas la ville de voir ça ici. « Beaucoup de gens viennent sur cette place rien que pour voir ça, tu sais » répondis-tu au jeune homme en riant légèrement. C’est vrai que même toi tu ne trouvais pas ça extrêmement esthétique ou agréable mais ça faisait le charme de la ville. Tu avais une cigarette à la bouche, et tu n’vais pas très bien vu la personne avec qui tu parlais à cause de la fumée. Alors tu te retournais vers lui. Son visage t’était quand même assez familier. « On se connait, non ? » demandas-tu d’un air interrogateur. Des fois, tu avais l’impression de connaître les gens alors qu’en fait non. La drogue, l’alcool, tout ça n’aidait pas forcément. Même si tu étais toujours convaincu.

Toujours en train de rire, tu sortis même ton téléphone pour prendre la grosse mangue en photographie. T’avais juste l’air d’un touriste comme un autre, vu comme ça, mais la différence était que tu voulais marquer à jamais ce moment, ce moment durant lequel tu t’étais tenu debout face à une mangue quatre fois plus haute que toi, qui était la signature d’une ville australienne moyenne, pour une raison plus qu’obscure. Tu ne comprenais absolument rien à ce que t’étais en train de regarder, assez que tu partageas ton incompréhension et ton amusement à la jeune femme à côté de toi. Ton rire redoubla à sa réponse, mais pas parce que tu te moquais d’elle, non. Elle venait juste de te confirmer que c’était une réelle attraction touristique et que les familles qui se prenaient en selfie devant, là, elles ne rigolaient pas. « Mais … mais pourquoi ? » Fut la seule question qui franchit la barrière de tes lèvres, alors que ta tête pivotait de droite à gauche, sous la confusion. Puis, quand vos rires se fanèrent, que la fumée de sa cigarette fut assez élevée au-dessus de vos têtes, vos regards se plongèrent l’un dans l’autre. Tu semblas y voir une petite étincelle, dans le sien. Une lueur de souvenir. À sa question, tu la regardas un peu plus longuement, dubitatif. Son visage t’était familier, oui, mais de là à pouvoir mettre le doigt sur le temps, sur le moment. Tu secouas la tête. « J’en doute, je ne suis pas d’ici. Je suis arrivé y’a à peine un mois. » Et peut-être alors lâcherait-elle le truc, peut-être n’aurais-tu pas à fouiller ta mémoire de fond en comble. Des femmes, des hommes, de beaux visages, t’en avais touchés par centaines, dans tes tournées. Tu savais que ce ne pouvait être autre chose que ça. Des gens, tu n’en connaissais pas tant que ça, d’une autre manière que celle-là.  

La big Mango était un symbole phare de Bowen et tu te demandais toi-même encore pourquoi. Même si tu étais native de cette ville, tu ne savais pas trop d’où venait cette admiration pour cette statue en forme de mangue par les touristes. Le jeune homme continue rire en sortant son téléphone pour prendre un cliché de la statue et tu le regardais faire, riant aussi de ton côté. « Pourquoi est une bonne question. Me demandes pas, j’en ai pas la moindre idée » finis-tu par dire en riant à ton tour. C’était le comble pour une fille de Bowen de ne pas savoir d’où venait cet emblème. Puis, tu tournais le regard vers lui, et son visage t’interpella. Tu connaissais ce gars, mais impossible de te remettre d’où. Il t’expliqua alors qu’il n’était pas d’ici, qu’il venait tout juste de débarquer sur le sol australien il y a même pas un mois. A peu près à la même date où toi, tu avais fais ton retour dans ta ville natale. « J’étais à New-York pendant cinq ans, je viens juste de revenir en ville. Peut-être s’est-on croisé là bas ? » demandas-tu bêtement. La grosse pomme était énorme, et tu en avais croisé des gens là bas, alors c’était peut-être le cas avec lui. « J’m’appelle Sasha » dis-tu pour paraître polie en te présentant à ce garçon. Mais non, tu ne lâcherais pas l’affaire de savoir d’où tu connaissais ce type.

Pourquoi, c’était carrément la grande question du moment, pour toi, alors que tu te tenais face à cette grosse mangue qui attirait bien trop de touristes pour ce qu’elle était vraiment. Peut-être avait-elle une signification particulière. Peut-être aurais-tu dû lire plus attentivement l’écriteau. Mais non, toi, t’en avais rarement quelque chose à faire des explications. Tu trouvais ça ridicule quand même. Autant que la jeune femme à tes côtés, qui ne pouvaient pas te donner de réponse non plus. « Je pense qu’il faut juste que j’m’en pose pas, de question, alors. Y’a des trucs comme ça dans la vie … » Des trucs qui ne s’expliquent pas. Tu continuas de secouer la tête en riant de plus en plus faiblement. Puis, la demoiselle se tourna vers toi et s’interrogea sur ton idée. Apparemment, ta tête lui était familière. Et la sienne l’était aussi pour toi, en réalité, c’est juste que tu n’avais aucune idée de qui elle était et peut-être n’avait-elle que one of those faces. « The Big Apple, ouais, c’est possible. J’y ai été une fois ou deux, pendant quelques semaines. Ce serait une énorme coïncidence mais j’ai appris que le monde est plus petit que je le pensais. » Tu souris. Les nuits à New York, avec Cirkaös, avaient été fidèle au nom du cirque : chaotiques. Il s’agissait de la ville qui ne dort jamais et vous n’aviez pas beaucoup dormi non plus. Tu ne replaçais pas Sasha au point de comprendre que t’avais pas dormi en sa compagnie. « Jackson. » Répondis-tu à ton tour. Elle continua à te regarder, à te sonder presque. T’eus un rire. « You’re staring. » Lui fis-tu remarquer avec légèreté. C'était pourtant la mangue, le centre d'intérêt principal de la place.  

C’est vrai que la grosse mangue à Bowen ne t’avait jamais vraiment interpellé. Parce que tu la voyais tous les jours surement. Mais maintenant qu’on te posait la question, ça te titillait légèrement l’esprit. Ton frère doit savoir, lui le féru d’histoire. Tu lui demanderas à l’occasion, pour te renseigner un peu sur ta propre ville quand même. « C’est bien de se poser des questions… C’est mieux quand on arrive à apporter une réponse » ajoutas-tu en riant brièvement. C’est vrai que t’avais l’air stupide un peu. Habitante de Bowen depuis toujours et tu ne savais même pas pourquoi il y avait la statue d’un gros fruit en plein milieu de la ville. M’enfin bref. Tu expliquas au jeune homme que tu venais de revenir de quelques années à NYC, et que tu avais surement déjà croisé son visage là bas. « Qu’est-ce que tu faisais là bas ? » demandas-tu, surement un peu trop curieuse, mais t’avais vraiment envie de savoir. La curiosité te tuera un jour, Lambert. Le monde est petit, ça c’est certain, tu t’en rendais compte au fur et à mesure que tu te baladais dans Bowen. Parce que tu pouvais rencontrer des gens des Etats-Unis, comme là bas tu pouvais rencontrer des gens qui venaient de ta petite ville Australienne. Le brun se présenta à son tour et tu le regardais avec beaucoup d’insistance. T’avais surement l’air d’une folle comme ça. « Pardon… je suis un peu curieuse, et des fois ma mémoire me joue des tours alors… pardon » dis-tu en riant légèrement. C’est vrai que t’as l’air d’une tarée, mais depuis que tu prends toutes ces drogues, ta mémoire te fait défaut.

« Certes. » Avais-tu simplement répondu en haussant les épaules. Quand une question était trop complexe ou trop longue à amener une réponse, tu lâchais généralement prise. Tu avais bien d’autres chats à fouetter que de courir après des explications qui ne changeraient sans doute rien à ta vie. Après tout, qu’est-ce qu’une grosse mangue pourrait bien t’apporter de plus qu’une anecdote peut-être ridicule, peut-être insignifiante ? Une réponse qui valait visiblement la peine d’être obtenue, toutefois, c’était de comprendre d’où vous vous connaissiez, tous les deux. Sasha te demanda ce que tu faisais à New York City, dans cette ville de tous les possibles. C’aurait pu être considéré comme très insistant de la part d’une parfaite inconnue, mais t’avais de plus en plus cette impression que ce n’était pas ce qu’elle était. Son regard, son sourire, son corps même, ne t’étaient pas étrangers. « J’étais en tournée avec le cirque pour lequel je travaillais. On est resté quelques semaines, avec des représentations à tous les soirs. » Lui appris-tu, avant de retrouver le silence durant lequel elle te regarda, te fixa même, ce que tu ne te gênas pas de lui faire remarquer avec une touche d’humour. « C’est pas grave. C’est comme quand tu reconnais le visage d’un acteur dans un film et que tu sais que tu l’as déjà vu ailleurs mais que tu sais pas où. Ça hante, ce genre de mystère. » Tu souris. « Le cirque Cirkaös, ça te dit peut-être quelque chose ? Cela dit je doute que tu aies pu me reconnaître de là … Dans les airs, en collants serrés et souvent maquillé … » Alors les seules réponses qui restaient : soit vous vous ne connaissiez pas du tout, soit vous vous étiez plutôt rencontrés après un de tes spectacles. Et, avouons-le, ce ne serait pas surprenant que tu aies succombé aux charmes d’une femme comme Sasha.  

La ville de Bowen t’avait apporté tant de choses, tout comme celle de New-York. Mais tu ne pouvais pas répondre à la question bête de la grosse mangue. Il faudra songer un jour à envoyer un message à ton grand frère pour avoir des infos là dessus, et ne pas passer pour une idiote la prochaine fois qu’on te le demande. Le jeune homme t’expliqua alors qu’il avait été en tournée avec le cirque pour lequel il travaillait. « Je suis allé voir une représentation de cirque là bas… » dis-tu à voix basse, comme si tu parlais pour toi-même. C’est certainement là que tu l’avais rencontré. Il continua ses explications et sa première phrase te fit rire légèrement. « Oui, tu as raison » acquiesças-tu avec un sourire, lui rendant le sien. Puis, lorsqu’il te dit finalement qu’il était trapéziste et qu’il te donna le nom du crique dans lequel il était, tu hoquetas. Maintenant, tu te souviens très bien d’où tu connaissais ce type et pourquoi son visage t’était familier. Tu avais bien échangé une nuit avec ce gars là, alors que tu étais à New-York. « Maintenant que tu le dis, je me remet totalement ta tête » avouas-tu dans un sourire. « C’était un super spectacle, même si l’après-show était beaucoup plus plaisant » finis-tu avec un léger rire. Oui, tu étais quelque peu gêné, parce qu’à NY, tu n’avais pas toute ta tête. Mais tu ne l’as pas retrouvé en venant jusqu’ici non plus.

Cirkaös avait été extrêmement populaire, à une époque. Au sommet de sa gloire, vous vous étiez arrêtés à New York City. Le problème avec le fait d’être au sommet de sa gloire, c’est qu’après ça, tout ce qui reste, c’est le déclin. Le déclin de l’empire que vous aviez été, avec vos représentations à guichets fermés soir après soir. Les cirques old school comme Cirkaös avaient perdu en popularité, au profit des cirques à gros budgets. La fermeture complète de l’entreprise t’avait certes pris par surprise, mais au fond t’avais senti depuis quelques années que l’engouement n’était plus le même. L’inévitable était arrivé, t’avais juste pas voulu y croire. Vous, les artistes, vous vous étiez accrochés à l’espoir. Bref, tout cela pour dire qu’à l’époque où vous vous étiez arrêtés à New York, il n’était pas étonnant que les touristes du moment se soient tournés vers Cirkaös le temps d’une soirée. Sasha te parlait toutefois maintenant de l’après-show, alors qu’elle venait de te replacer. Tu souris. « Tu sais, c’est fou, t’es la deuxième personne que je croise à Bowen et que j’ai initialement rencontrée à un après-show … Je commence à m’dire que ça ne peut pas être que le hasard ou une coïncidence … » Mais si ce n’était pas ça, qu’est-ce que ça pouvait être ? Puis, tu te ressaisis. « Enfin, pas que j’passe mes tournées à m’taper des gens après les représentations, hein, j’voulais pas dire que … » En fait, c’était exactement ça. T’avais vécu à fond, à cette période de ta vie, vivant sans attache puisque tu ne pouvais pas faire autrement. « Peu importe ce que je voulais dire. C’est juste … fou, j’trouve. Que le monde soit aussi petit alors qu’on a l’impression qu’on est entouré de l’immensité. » Dis-tu, réellement impressionné par la force des choses.