give me something I can lay my head on that don't make me dizzy from believing in (adelaide)

Les pilules le matin, les pilules le soir. Gilenya. Tecfidera. Oxmolex. Ampyra. Des cocktails d’essais. Que ce soit pour contrer ses symptômes de fatigue ou pour aider à ce qu’il puisse marcher, Woody ingérait toutes sortes de médicaments depuis quelques mois. Certains donnaient quelques résultats, d’autres pas du tout. Alors on recommençait, on réessayait. Si Woody avait longtemps refusé tout traitement pour sa sclérose en plaques, vivant dans un profond déni et dans l’espoir que la maladie n’évolue pas trop rapidement à son jeune âge, quelques années plus tard lui avaient fait comprendre que ça le rattrapait. Désormais, il ne pouvait plus se voiler la face. Il n’avait plus le choix d’ajouter à ses traitements naturels quelques traitements médicaux. Le yoga n’était clairement plus suffisant pour maintenir son corps éveillé. Ce dernier s’endormait, doucement, à commencer par ses jambes qui ne le porteraient plus jamais aussi loin qu’autrefois. Alors, pour ne pas avoir à attirer les regards sur ce grand corps malade qu’il devenait, Woody sortait de moins en moins de chez lui. Des allers-retours pour aller travailler, de courtes sorties avec ses rares amis, et un rapide passage dehors pour que son vieux chien puisse courir dans la cour. La veille, il avait téléphoné à ses parents pour les aviser de son absence au repas familial. Ça arrivait de plus en plus souvent. C’était pourtant sacré, pour les Rutkowski. Alors évidemment, ce fut sans surprise qu’il entendit sonner à sa porte, le lendemain, et qu’il se retrouva nez-à-nez avec sa plus jeune sœur, Adelaide, après qu’il se soit traîné les pieds jusqu’à l’entrée. « Salut, Ade. J’aurais dû m’en douter. Nev’ et toi vous ne téléphonez jamais avant de passer. » Au moins, avec les voyages de Nevaeh, Woody savait au moins qu’elle ne risquait pas de passer à toutes les semaines. Elle était rarement à Bowen, maintenant. Elle lui manquait, certes, mais ça faisait au moins une Rutkowski de moins pour le surveiller presque en permanence.

J'ai parfois l'impression d'être une petite sœur trop envahissante. Bon, d'accord, ce n'est pas qu'une impression. Je suis une petite sœur un peu trop envahissante. Ce n'est sûrement pas Woody qui dira le contraire mais en même temps, je l'aime tellement que je ne peux pas faire autrement que de toujours m'immiscer dans sa vie d'une manière ou d'une autre pour savoir si tout va bien et depuis qu'il est malade, je sais que tout va mal. Je le vois, je peux même le ressentir, alors j'essaie de faire en sorte de lui montrer que je suis là, ce qui entraîne parfois des comportements trop envahissants. Lorsque j'ai appris qu'il ne venait pas au célèbre repas des Rutkowski, j'ai à mon tour décliné l'invitation parce que ce n'est pas un vrai repas de famille sans lui. Bien sûr, il y a toujours un vide avec l'absence de Nevaeh mais ce n'est pas pareil. Woody, c'est Woody. C'est ainsi que je me retrouve à sonner à sa porte et une fois celle-ci ouverte, sa réaction me fait sourire. J'avoue, je passe toujours à l'improviste en partant du principe qu'il est toujours prêt à accueillir sa petite sœur chérie. « Salut frangin. Je me suis dit que si tu ne venais pas au repas, le repas viendrait à toi. » dis-je en lui montrant le sachet plastique contenant un gros plat de lasagnes aux légumes parfaitement bien emballé. Je passe la porte d'entrée en n'oubliant pas de déposer un baiser sur la joue de mon frère. « Bon c'est pas moi qui l'ai préparé hein, c'est maman, je ne voudrais pas t'empoisonner. » j'ajoute en riant. Tout le monde sait que je suis une piètre cuisinière alors que ma mère, elle, nous concocte toujours des bons petits plats. Je me dirige vers la cuisine pour y déposer le sac puis me tourne vers mon aîné qui m'a suivie. «  J'espère que tu n'avais rien de prévu parce que je compte bien passer la journée ici, avec toi. » Je sais qu'il ne sort plus beaucoup et je n'ai pas envie qu'il broie du noir tout seul chez lui, alors je viens régulièrement pour essayer de lui changer un peu les idées même si ce n'est pas toujours évident.

Fièrement, Adelaïde brandit un sac de plastique contenant un gros plat de conservation, comme ceux qu’avait leur mère. Pour confirmer le tout, sous le regard dubitatif de Woody, la jeune femme avoua que c’était sa mère qui avait préparé les lasagnes. « C’est elle qui t’envoie, aussi ? » Demanda Woody en s’écartant et en ouvrant davantage la porte afin de laisser sa sœur rentrer. Autant il aurait voulu être seul dans ses ténèbres, autant il aimait trop Adelaïde pour la laisser sur le perron. En ce qui concernait leur mère, Woody savait pertinemment que cette dernière se faisait beaucoup de souci pour l’aîné de ses enfants. Elle n’osait toutefois plus s’inquiéter à ce point pour lui, lui qui se réfugiait sous sa carapace dès que les sujets trop sensibles pour lui étaient abordées. C’était alors ses sœurs qui étaient en première ligne pour intervenir lorsque leur frère se montrait distant et fermé. Parfois à la demande de leur mère, parfois de leur propre chef. Woody suivit Adelaïde jusqu’à la cuisine, où elle déposa les lasagnes sur le comptoir. Il la rejoignit d’un pas lent et lourd, tentant tant bien que mal de cacher la faiblesse de son corps tout entier. « T’as vraiment rien de mieux à faire ? » Demanda-t-il d’un ton qui aurait pu paraître assez mauvais. Il s’assit sur un tabouret longeant le comptoir et soupira. « J’veux dire … Non, je n’avais rien de prévu, et justement je ne planifiais pas faire quoi que ce soit de particulièrement … intéressant. Alors si tu as mieux à faire, Ade, t’as pas à rester pour moi. Je vais bien. » Mentit-il, pour ce qui était de la fin. Non, il n’allait pas bien, et ça en crevait les yeux et ça allait bien au-delà du physique d’ailleurs. Sauf qu’il avait passé les derniers mois à être la victime, Woody, et il en avait plus qu’assez d’attirer la pitié de tous ceux qui étaient désormais au courant de son état de santé. Il eut un spasme musculaire prononcé qui traversa son corps alors qu’il attendait une réponse de sa sœur. Il ne dormait plus, à cause de ceux-là.

« Pas du tout ! » que je réponds à la volée en entrant dans la maison pour me diriger vers la cuisine. « Tu crois que j'ai besoin de maman pour prendre de tes nouvelles ? » J'arque un sourcil en le fixant pour essayer de deviner s'il pense vraiment ça ou non. Notre mère s'inquiète beaucoup pour lui et parfois, elle passe par Nevaeh et moi pour veiller sur lui, mais je n'ai absolument pas besoin qu'elle me dise d'aller voir mon frère pour le faire. Il me suit dans la cuisine et me demande si j'ai rien de mieux à faire que de passer la journée avec lui. Le ton qu'il emploie est presque vexant, je pourrais mal l'interpréter mais je connais assez mon frère pour savoir qu'il ne dit pas ça méchamment. Je sais qu'il préfère rester seul, qu'il n'a pas envie qu'on ait pitié de lui. Ce n'est d'ailleurs pas mon cas et j'essaie de lui montrer tant bien que mal que je veux passer du temps avec lui parce que j'aime ça et non pas parce que je suis inquiète pour lui. Bien évidemment que je le suis, mais ce n'est pas la raison principale de ma venue. « Qu'est-ce que je pourrais avoir de mieux à faire que de passer la journée avec mon frère préféré, hum ? » dis-je en faisant mine de réfléchir. « Voilà, rien du tout. » Et c'est malheureusement bien vrai. Je m'abstiens de le dire, mais en réalité je ne vois pas ce que je pourrais faire de mieux. Je ne fais plus grand chose. Je ne vais plus au travail, je passe mes journées à l'hôpital et le soir, je sors pour me bourrer la gueule. Autant dire que ce n'est pas plus intéressant que ce qu'il avait prévu de faire aujourd'hui. « Sérieusement Woody, si je viens c'est que j'en ai envie. Si tu préfères être seul je comprendrais tu sais, tu n'as qu'à me le dire. Mais en tout cas, moi, j'ai envie de passer du temps avec toi. » Je lui adresse un tendre sourire  on ne peut plus sincère. J'ignore délibérément la partie où il dit qu'il va bien, parce que je sais pertinemment qu'il ment, mais je ne veux pas aller sur ce terrain-là, je pense qu'il n'y a rien de plus à dire. « Alors, quoi de neuf ? T'as bien un petit quelque chose à me raconter. » je finis par demander en m'accoudant au comptoir, sourire aux lèvres, curieuse de savoir ce qu'il se passe en ce moment dans sa vie.

En prêtant de mauvaises intentions à Adelaïde, Woody s’était un peu mis les pieds dans les plats. En même temps, avec leur mère qui se mêlait toujours de leurs affaires via des méthodes de moins en moins subtiles, c’était difficile de ne pas songer qu’elle puisse être derrière cette visite impromptue. Le trentenaire roula rapidement des yeux en soupirant, appuyant ses mains contre le comptoir de la cuisine en plongeant le regard dans celui de sa sœur. « Non. Bien sûr que non. Mais j’sais aussi que j’ai pas répondu à ses deux derniers appels et que c’est un motif suffisant pour faire débarquer l’armée Rutkowski. » Il vérifia d’ailleurs, au même moment, s’il avait de nouvelles notifications sur son téléphone. Pas de celles qu’il aurait voulu avoir. Il reposa l’appareil, écran vers le bas, avant de demander à sa sœur si elle n’avait pas quelque chose de mieux à faire que de passer la journée avec lui, d’humeur grognon. « C’est pas très gentil pour ton autre frère, ça. » Fit-il remarquer avec un sourire au coin des lèvres. Adelaïde revint en force en lui assurant qu’elle avait envie de passer du temps avec lui. Comment refuser, après ça ? De toute façon, de toutes les personnes qui auraient pu débarquer ici aujourd’hui, Ade était probablement l’une des seules avec qui il voulait bien accepter de partager sa solitude. « Tu sais bien que j’peux jamais te dire non. Même si j’voulais te kick out, j’en serais pas capable. » Façon de dire que ce n’était de toute façon pas ce qu’il désirait. Woody n’allait quand même pas lui faire le plaisir de lui dire qu’il avait lui aussi envie de passer du temps avec elle. Il n’était pas de ceux à avoir les marques d’affection faciles. Sentant ses jambes lourdes, l’homme prit place à un tabouret longeant l’îlot central, écoutant la question d’Adelaide. Il fixa ses mains un moment, ses doigts jouant les uns avec les autres, avant de relever un regard semi-honteux, semi-gêné, vers sa sœur. « J’ai couché avec Freja. » Face à la confusion possible, vu que ce n’était certainement pas la nouvelle du siècle, il ajouta : « Récemment. » Il soupira, sentant déjà le volcan préparer son explosion.

Je hoche la tête avec une mine désolée. Je connais notre mère et ses techniques pour avoir des nouvelles de Woody lorsqu'il ne répond pas à ses appels. « Je sais... Elle s'inquiète, faut pas lui en vouloir. » Je ne peux pas me mettre à la place de mon frère mais je comprends totalement qu'il n'ait pas envie qu'on lui demande toutes les cinq minutes comment il va ou qu'il veuille rester sans voir personne pendant des jours. Ce sont des décisions que je respecte, même si parfois je force un peu, comme aujourd'hui, pour qu'il accepte de passer du temps avec moi. Contrairement à ce qu'il pense, je n'ai absolument rien de mieux à faire. Je souris à sa remarque sur notre frère. « Il n'en saura rien. » dis-je en haussant les épaules. « Bon j'avoue qu'à lui aussi, je lui dis parfois que c'est mon frère préféré. Mais c'est surtout quand j'ai quelque chose à lui demander. » Je ris doucement. Il faut bien que je fasse preuve de persuasion et ça marche à quasiment tous les coups. De toute façon, ils savent tous les deux à quel point je les aime, je leur fais comprendre à ma façon, parce qu'on est pas trop du genre sentimental dans la famille. J'affiche un visage très fier de moi lorsqu'il me dit qu'il est incapable de me refuser quoi que ce soit. Si j'avais ce pouvoir-là avec tout le monde, ce serait beau ! Je souris donc à pleines dents en guise de réponse avant de lui demander un petit update de sa vie. Ce n'est pas nouveau, j'aime tout savoir de la vie de mon frère. Depuis toujours, on se confie l'un à l'autre sans trop de mal, sans tabous, c'est ce qui rend notre relation si particulière à mes yeux. Sa réponse ne tarde pas à arriver et me fait me redresser sur mes deux jambes, les yeux écarquillés. Récemment. Il a couché avec Freja récemment. Bon. Le temps que l'information arrive jusqu'au cerveau, je le regarde comme s'il venait de prononcer une phrase incompréhensible. Ce n'est que lorsque j'assimile enfin la chose que je peux ouvrir la bouche pour parler. « Encore cette fille ? Sérieusement Woody ? » Je secoue la tête, l'air exaspéré. J'en ai ma claque d'entendre parler de cette Freja. J'étais contente que ce soit enfin terminé entre eux - enfin, qu'ils fassent un "break" ou je ne sais quoi, et voilà qu'elle revient encore dans nos conversations. Je suis consciente que je ne devrais pas autant me mêler de la vie sentimentale de mon frère, mais c'est plus fort que moi sur ce cas-là. J'ai toujours pensé que sa relation avec Freja n'était pas saine et que cette fille n'est pas faite pour lui. « Comme d'habitude je vais me mêler de ce qui ne me regarde pas mais... » Je marque une pause, viens m'asseoir à côté de lui. Il est temps d'avoir une conversation plus que sérieuse. « Je suis sûre que tu sais aussi bien que moi que c'est une mauvaise idée. Comment elle fait pour toujours t'envoûter ? C'est une sorcière. » Non, je ne mâche pas mes mots quand je parle d'elle et Woody en a l'habitude, depuis le temps. « Je suppose que vous allez vous remettre ensemble... » Ce n'est pas vraiment une affirmation, ni une question, parce que j'ai peur de la réponse. J'ai peur qu'il s'engouffre encore dans le même tunnel sans fin et qu'il souffre.

Il était l’enfant borné, Woody. Peut-être celui qui avait donné le plus de fil à retordre à leur mère. Au lycée, c’était parce qu’il était un grand immature qui préférait sa popularité à son sérieux. Une fois adulte, c’était cette maladie qui avait commencé à gruger son être tout entier jusqu’à ce qu’il s’éloigne de tout le monde. « J’lui en veux pas. » Avoua-t-il dans un soupir. Au fond, que sa mère n’ait pas encore baissé les bras et qu’elle continue à l’appeler même s’il ne daignait pas lui répondre, ça signifiait qu’elle était toujours là. Aussi contradictoire cela puisse être, Woody avait besoin de savoir qu’il avait encore des gens sur qui compter même s’il tournait le dos à tout le monde. Avec sa famille, c’était bien la preuve que l’amour inconditionnel existait. Woody sourit à la réplique d’Adelaïde concernant leur autre frère, qui était lui aussi son préféré quand ça lui chantait. « J’espère que t’as rien à me demander. » Grommela l’homme alors qu’au fond, il aurait probablement tout fait pour sa petite sœur. C’est d’ailleurs ce qu’il lui fit comprendre en affirmant qu’il ne pourrait jamais lui refuser quoi que ce soit. Il lui retourna un mince sourire avant de soupirer quand Adelaïde le questionna sur ce qui se passait actuellement dans sa vie. Elle n’avait aucune idée de ce dans quoi elle venait de s’embarquer. Et lui non plus, d’ailleurs. Il aurait probablement dû se taire. Quand il était question de Freja, il devrait toujours se taire, en présence d’Adelaïde. Elle fixa son frère, les yeux gros comme des lunes, et lui attendit en détournant le regard. « Oui, sérieusement, Ade. » Répondit-il du même ton de voix. « Elle m’envoûte pas, je suis amoureux d’elle. Mais je sais que c’était une mauvaise idée, ça, pas besoin de me le rappeler. » Parce que cette page qu’ils essayaient de tourner, sans cesse, année après année, ne faisait que se noircir de plus en plus d’histoires inachevées. Des phrases qui demeuraient constamment en suspens. Des idées qui n’avaient pas de fin. « Non, on va pas se remettre ensemble. Et tu sais pourquoi. J’sais pas combien de fois je te l’ai répété. T’arrêtes pas de mettre tout le blâme sur Freja alors que tu sais très bien que c’est ma faute si ça dérape toujours entre elle et moi. » Woody ne comprenait pas cette haine qu’Adelaïde éprouvait envers la norvégienne. Parfois, cependant, ça le confortait. Parce que ça en faisait au moins une qui ne le poussait pas dans les bras de celle qu’il se tuait à repousser.

« J’espère que t’as rien à me demander. » Je secoue la tête innocemment, même si je sais que je peux lui demander n'importe quoi. Il a toujours été là pour moi, et moi pour lui et il n'a jamais refusé de me rendre service. Bien vite, je lui demande des nouvelles de ce qu'il se passe dans sa vie, mais je comprends rapidement qu'il ne fait que reculer au lieu d'avancer. Je ne sais pas si c'est une bonne idée d'aller sur ce terrain, il sait déjà ce que je pense de sa relation avec Freja, et de Freja tout court, mais je ne peux m'empêcher de demander des détails, de m'inquiéter pour lui. Je vois bien que ça l'agace quand je lui dis que c'était une mauvaise idée de remettre le couvert avec elle, comme s'il ne le savait pas déjà. Mais s'il le sait, alors pourquoi il le fait ? Je ne comprends pas comment on peut être autant dépendant de quelqu'un, ça fait presque peur. En même temps, en amour, en relations, j'y connais absolument rien, alors comment pourrais-je juger ? Pourtant c'est ce que je fais, parce que je vois bien que ça le détruit. « Et toi t'arrêtes pas de mettre tout le blâme sur toi, et ça m'énerve, parce que tout ça te rend malheureux et c'est tout le contraire que je veux pour toi. » Peut-être qu'il ferait pareil à ma place, ou peut-être pas, mais je ne peux pas rester sans rien faire, à le regarder foncer dans le mur avec cette fille. « Y en a pleins d'autres des filles, Woody, pourquoi tu t'acharnes ? » Connaissant déjà la réponse à cette question, je poursuis sans le laisser répondre. « T'es amoureux, je sais, mais c'est quoi le but de continuer une relation qui est vouée à l'échec, franchement ? A part te rendre triste, et t'as pas besoin de ça. » Je suis peut-être un peu trop directe, surtout à ce sujet, et Woody pourrait tout simplement me dire d'aller m'occuper de mes affaires, mais il sait très bien que je dis les choses comme je les pense. Même si ça consiste à m'immiscer un peu trop dans sa vie privée. « J'veux juste te voir heureux, c'est tout. Je m'inquiète tellement. » Parce que je sais que Freja a beaucoup de pouvoir sur lui.

Parler de Freja à Adelaïde, c’était dangereux, c’était un terrain glissant et il le savait. Il aurait probablement dû se fermer la gueule, Woody. Ça lui aurait évité une autre prise de tête avec sa sœur. Et pourtant, par moments, ça lui faisait tellement de bien qu’elle crache son venin sur la norvégienne. Comme si un jour, ça pourrait se rendre jusque dans sa tête et le convaincre qu’il ne l’aimait pas, qu’elle n’était effectivement pas la bonne pour lui. Certes, pour le moment, ça ne s’était jamais produit. Mais un homme avait le droit de rêver, surtout quand on lui avait enlevé tout ce qu’il avait un jour voulu. « T’auras beau vouloir le contraire y’aura rien à faire pour moi, Ade. J’suis une cause perdue alors mets tes efforts ailleurs. » Dit-il, las. Bien sûr que si les rôles avaient été inversés, Woody se serait battu pour que sa sœur ouvre les yeux et se tourne vers la lumière. Il n’aurait voulu que son bonheur. Mais lui n’avait pas de résilience, il n’avait jamais pu se relever après l’annonce de sa maladie. Il avait abandonné depuis fort longtemps, c’est juste que ça se faisait davantage ressentir ces dernières années. « J’veux pas des autres filles. Pourquoi j’serais avec des autres filles quand j’me laisse pas être avec elle ? » Si Woody s’autorisait un jour à condamner une femme à vivre à ses côtés de malade, ce serait Freja, parce qu’il ne se voyait pas donner à une autre qu’elle ce qu’il lui refusait de manière bornée. « Toutes mes relations seront vouées à l’échec, de toute façon. Et puis, Freja est pas facile à oublier, même si j’y mets tous mes efforts. Dès qu’elle revient dans le portrait, je flanche. » Comme cette nuit-là, au bar. Cette nuit où Woody et Freja étaient retombés dans leurs vieilles habitudes. Cette nuit qui avait déclenché cette conversation avec Adelaïde. « Ade … » Il soupira. Lui aussi aurait préféré être heureux. Lui aussi aurait préféré pouvoir se lever le matin avec l’envie de vivre. Mais tout ça s’était envolé. « C’est pas Freja, le problème à mon bonheur, tu le sais bien. C’est pas elle qui … qui m’rend aussi malheureux. Même si son absence de ma vie n’aide pas, tu sais bien que bien entouré ou non, j’pourrai jamais … j’pourrai plus jamais être heureux. » Défaitiste, il détourna le regard. Il détestait s’ouvrir de cette manière, se montrer aussi vulnérable, mais il n’avait plus la force de faire semblant.