coffee, because it's too early for champagne ♢ isaiah

Quand était-ce la dernière fois que vous avez fait quelque chose pour la première fois ? Ezekielle se posait souvent la question. Plus les années passaient, moins les premières fois étaient coutumes. Non pas qu'elle ne tentait pas sa chance, elle repoussait constamment ses limites et ne se mettait pas de frein à satisfaire son besoin de nouveauté, de découvertes. Elle savait qu'un jour, ces occassions se feraient de plus en plus rarissimes. La grande blonde s'y préparait lentement, mais sûrement. Elle acceptait cette réalité, elle chérissait toute les opportunités qui avaient croisé sa route. Elle avait voyagé, elle avait expérimenté toutes sortes de choses, elle avait observé les plus beaux paysages, mais surtout, elle avait rencontré les plus merveilleuses personnes. Chaque être humain qui avait croisé sa route lui avait apporté tellement de bien, tellement de bon. Elle ne pouvait qu'en être éternellement reconnaissante.

Revenir à Bowen, c'était comme de revivre une première fois. Deux années s'étaient écoulées et pourtant, les derniers jours qui venaient de passer lui montraient comment cette ville avait changé, à sa façon. De nouveaux habitants s'étaient installés, d'autres avaient plié bagage pour se reconstruire ailleurs. Quelques âmes maintenant en paix nous avaient quitté, au travers les naissances et les joies grandissantes. Pour certains, peu de choses avaient changé, pour le meilleur ou pour le pire.

Le soleil levant, Ezekielle avait entamé sa journée d'un air bien déterminé. Avant même que la plupart des gens normaux se soient levés, elle avait eu le temps de passer à la buanderie faire sa lessive, de faire un stop au marché et de déposer certains effets dont elle n'aurait plus besoin au centre d'entraide du quartier. Était-ce la bonne nouvelle qu'on lui avait annoncé au bout du fil qui la rendait si matinale, si joyeuse ? Peu importe. Il n'y avait rien, absolument rien, qui pouvait gâcher cette journée. Elle l'avait attendu patiemment, pour une simple et bonne raison. D'un pas décidé, elle suivit l'itinéraire qu'elle avait vaguement mémorisé en direction du petit quartier voisin, où elle chercha à repérer une porte en particulier. « 454, voilà », se dit-elle. La voyageuse toqua bien que mal à la porte, les mains chargées. La serrure se déverouilla et la porte s'ouvrit sur une silhouette bien connue. Isaiah. Il n'avait pas changé, ne serait-ce que ses cheveux lui paraissaient légèrement plus longs que dans ses souvenirs. « Un moyen café équitable noir, dans une tasse de transport réutilisable, pour Monsieur. » C'était ainsi qu'il avait toujours bu son café, puis après tout, il était bien trop tôt pour sortir le champagne. Un sourire sincère se traça sur ses lèvres, les yeux pétillants. Son visage avait peut-être accueilli quelques nouvelles rides en devenir, souvenirs des expériences passées. Ça ne faisait qu'ajouter au charme de la vie.

La réponse à cette question qu’Ezekielle se posait si souvent, pour Isaiah, c’était : il y a fort longtemps. Fort longtemps qu’il n’était pas sorti de sa zone de confort – même si en réalité, l’homme aurait pu être confortable à peu près n’importe où. Fort longtemps qu’il n’était pas parti à la découverte du monde et des autres pour expérimenter ces premières fois à tous les coins de rue. Fort longtemps qu’il n’était pas parti de Bowen. Lui qui avait pourtant mené une vie de nomade depuis qu’il avait eu l’âge de voler de ses propres ailes. Et il avait volé sur une distance impressionnante. Cependant, dans les sept dernières années, Isaiah s’était posé, d’abord en repartant quatre ou cinq fois par année selon ses envies, puis de moins en moins. Il avait trouvé, en cette ville australienne moyenne, une famille. Un endroit à appeler maison. Une personne vers qui revenir. Évidemment, traverser les océans et survoler les paysages lui manquaient. Isaiah n’était pas fait pour rester immobile bien longtemps, qu’il se sente à sa place ou non. Il ne ferait jamais une croix sur ce mode de vie qui avait animé sa jeunesse. C’était bien la plus grande peur d’Aisling : qu’il l’abandonne pour mieux repartir vers d’autres horizons. Ce qu’il aurait aimé, c’est qu’elle l’accompagne, qu’elle quitte sur un coup de tête pour le suivre, avec Siobhan. Mais ils ne se ressemblaient pas sur ce point-là. Et il arrivait à l’accepter. Cependant, quand Isaiah ouvrit la porte ce matin-là et découvrit Ezekielle, plantée dans l’entrée, un café noir équitable dans sa main tendue vers lui, c’est une vague de nostalgie qui déferla sur l’ébéniste. Des souvenirs, des regrets, des remords de s’être oublié, peut-être. Un sourire, puis un rire étouffé, Isaiah la regardait avec surprise, avant de lâcher presque dans un murmure : « My bluebird returning. » Leurs regards pétillants et rieurs ne se lâchèrent pas jusqu’à ce qu’Isaiah attrape le café, seulement pour libérer les bras d’Ezekielle puisqu’il ouvrit les siens afin de la prendre contre lui. Il la berça, doucement, de droite à gauche en laissant toute sa chaleur, toute son odeur, revenir à lui. « Je suis tellement content de te voir. » Il se recula, passa une main dans les cheveux blonds d’Ezekielle, avant de reconnecter un peu à la réalité. « Rentre ! Allons prendre ces cafés dans le jardin. » C’était une belle journée. Ils ne resteraient pas enfermés, surtout pas ces deux-là.

Ses joues qui s'étirèrent en un sourire, la lueur qui envahit son regard et ses lèvres qui murmurèrent presque quelques mots doux. My bluebird returning. Ils s'étaient perdus, ils s'étaient quittés et pourtant, se retrouver était aussi doux, aussi facile que ce l'avait toujours été. Bien vite, tout comme Isaiah, son sourire se transforma en un rire, en un sentiment de joie plus pur que jamais. Celui avec qui elle avait tant partagé lui libéra les mains en s'encombrant à son tour, puis la serra dans ses bras. Ezekielle glissa ses mains contre son dos. Même s'ils ne partageaient plus autant qu'à cette époque où l'univers leur appartenait, ce contact était rassurant. Enfin, peut-être, Bowen la ferait sentir un peu plus à la maison. « Ça me fait vraiment plaisir aussi, Isaiah. » La main du jeune homme glissa dans les vagues de ses cheveux, Ezekielle y joint la sienne un instant. « C'est comme si dix ans avaient passé, et pourtant, c'est comme si c'était hier. » Sur ces paroles plus philosophiques que romantiques, les deux aventuriers de l'âme sortèrent de cette bulle de bonheur alors qu'Isaiah l'invita à prendre leur café dans le jardin. Ezekielle accepta l'invitation et suivit l'ébéniste qui lui présenta le petit jardin ensoleillé. « Comment vas-tu, Isaiah ? » prononça la blonde avant de prendre une gorgée de son café. « Tu es ici depuis... tellement plus longtemps qu'à ton habitude », dit-elle d'un sourire sincère. Il paraissait heureux et c'est tout ce que la blonde désirait pour lui. Ils avaient correspondu un temps, puis les échanges s'étaient faits moins nombreux. Leur vie avait poursuit leur cours et c'était sûrement bien ainsi.

Tous les souvenirs revenaient, une apaisante vague lui rappelant toutes les belles années passées auprès d’Ezekielle. Autant celles durant lesquelles ils n’avaient été que deux voyageurs surfant la vague du hasard que celles où leur amour avait triomphé. Ces souvenirs-là n’étaient jamais complètement disparus, non, bien sûr que non. Ezekielle avait toujours occupé une place bien spéciale dans la vie et dans le cœur de l’ébéniste, et ce peu importe la distance de temps ou d’espace. Elle avait raison, Ez. On aurait dit que tant d’années s’étaient écoulées et pourtant, en la retrouvant, c’était comment si tout ce temps avait été en suspens. « Ça a toujours été comme ça, entre nous, pas vrai ? On se laisse et on se retrouve et pourtant, rien ne change jamais vraiment, entre nous. » Il sourit. Mais qu’en serait-il du présent ? Maintenant qu’Isaiah était dans un couple solide et même prêt à devenir père ? Il fallait que sa relation avec Ezekielle ait changée, parce que sa réalité n’était plus la même qu’avant. Son cœur ne fonctionnait plus tout à fait de la même manière. Avant de se plonger dans de telles questions, Isaiah invita la blonde à passer au jardin, où ils pourraient s’asseoir, profiter d’un bain de soleil et de la chaude brise. Lorsqu’elle releva qu’il était à Bowen depuis bien plus longtemps qu’à son habitude, Isaiah hocha doucement la tête en posant son café sur la petite table ronde extérieure. « Je vais bien. Contre toute attente, je vais bien, même en bougeant moins. » Il eut un léger rire. « Peut-être qu’en parcourant le monde j’étais à la recherche de quelque chose, je ne sais pas trop. En tout cas, ce que je sais, c’est que depuis quelques années, je ne cherche plus. » La preuve, sans doute, qu’il avait trouvé, même s’il ne savait pas de quoi il s’agissait exactement. « Et toi alors ? Tu n’es pas connue pour revenir plusieurs fois au même endroit. Tu es à Bowen pour combien de temps ? » Demanda-t-il, curieux de savoir ce qui l’avait ramenée jusqu’ici, jusqu’à lui.