Un gars c'est un jeune mec, et une garce c'est une pute. [ft. Tahlia]

Une recherche d'emploi pour ma laverie/discothèque retro, c'est rapidement que je trouve une employée pour remplir le rôle. Du moins, pour le moment même si ça prend de l'ampleur je ferais en sorte de trouver plus de personnel comme un DJ ou des emplois du genre. Je ne sais même pas vers quoi m'orienter, je sais juste que pour le moment, le Chiki Boom se fait connaître par du bouche à oreille. Peut-être aussi par des affiches publicitaires où j'ai casqué un max pour que ça apparaisse. Ca fait une semaine qu'elle est là maintenant, une femme enceinte qui trouve du boulot. Une femme. Qui devrait normalement rester chez elle derrière les fourneaux. Il n'y a qu'à cet endroit au moins où elle ne fout pas la merde dans la vie des autres; dans l'ombre. Mais je l'ai embauché. Rien ne vaut le travail d'un homme. Elle a beau faire pas mal de cocktail, jamais elle ne serait aussi bien payée qu'un semblable. Et puis quoi encore? L'égalité des sexes c'est des conneries de toute façon. Descendu par le toboggan en question alors que personne ne se trouve dans la laverie, je l'aperçois en train de préparer la salle. "Bonjour." presque aussi froid que mon coeur depuis que ce l'arrestation. "T'as récuré les chiottes comme je t'ai demandé?" lui demandais-je, ingrat. "Je veux que tu prennes du produit et que tu nettoies chaque coin de la discothèque avec des serviettes déjà utilisées mais propres. Je veux que tout soit nickel." lui dis-je en allant me servir un café derrière le bar. Je regarde le journal qui se pointe devant moi, tournant les pages tout en prenant une gorgée.

Un déni de grossesse. Un ventre qui s'était arrondi en l'espace de quelques heures. Un patron du club qui avait clairement crisé en la voyant enceinte jusqu'aux yeux. Un licenciement. Puis une annonce qui tombait à pic. En quelques jours, Tahlia avait bouleversé son existence. Depuis une semaine, elle bossait au Chiki Boom, comme barmaid et... femme à tout faire. Si elle avait signé pour le premier poste – sans avoir une réelle expérience, hormis les nombreux cocktails testés lors des fêtes à l'appartement – elle n'avait en revanche pas signé pour être le larbin du patron. Quand la boîte était ouverte et qu'ils étaient derrière le comptoir, ils assuraient le service avec brio, se comprenant sans avoir à communiquer énormément. Mais en-dehors de ces horaires d'ouverture, elle faisait face à un homme froid, distant, qui agissait avec elle à la limite de l'irrespect. Ce matin-là, quand Tobias arriva en passant par l'entrée secrète de la boîte, Tahlia lui jeta un bref coup d'oeil, répondant du bout des lèvres un « Bonjour. » par pure politesse. Elle continua d'essuyer les verres quand il s'adressa de nouveau à elle, afin de lui demander si elle avait bien récuré les chiottes. La brune garda un visage neutre, même si ses doigts se resserraient sur ce torchon qu'elle tenait fermement. Du calme, Tahlia, du calme.  « Evidemment. Comme à chaque ouverture. » Elle se mordait la langue pour ne pas lui rétorquer qu'il pouvait lui aussi les récurer, ces chiottes. Elle avait besoin de ce boulot, Tahlia, et c'était bien ce qui l'empêchait de dire tout haut ce qu'elle pensait tout bas. Des cons comme lui, elle en avait croisé au commissariat, quand elle avait débarqué dans son uniforme de policière à 21 ans, à peine. Elle avait dû montrer à tous ces hommes que, même si elle n'avait pas sa paire dans le caleçon, elle méritait tout autant sa place ici. Terminant d'essuyer son verre, Tobias lui ordonna de nettoyer le club. Ok, ça pouvait faire partie de ses tâches. Mais quand elle le vit s'installer sur le tabouret, journal et café posés sur le comptoir, la brune haussa les sourcils. Sans un mot, elle attrapa un torchon, le produit adéquat et s'attaqua au comptoir du bar. Elle frotta vigoureusement, avançant le long du comptoir jusqu'au moment où elle arriva à l'endroit où se trouvait Tobias. Là, avec un sourire un poil provocateur, elle souleva le journal qu'il lisait, en frottant le comptoir : « Désolée, il faut que je nettoie là aussi... » Et elle frottait, elle frottait, elle frottait bien, s'attardant longuement et minutieusement sur une toute petite tâche . Juste pour l'emmerder. Même si là, il ne pouvait rien dire puisqu'elle faisait simplement son travail. Reposant le journal du jeune homme, elle continua son nettoyage, profitant d'être proche de lui pour reprendre : « Je sais que le nettoyage, ça fait partie du boulot. Mais ça serait pas mal de discuter aussi de la carte des cocktails. Je suis là pour ça aussi... » C'était bon de lui rappeler qu'il l'avait aussi embauché pour être barmaid. Or, jusqu'à présent, il était le seul à monter la carte.

Les nouvelles n'avaient rien de bien croustillantes aujourd'hui, ni même sur le dernier article des The Writers. Des revenants. Peut-être que ça en faisait plaisir à certains mais vu que je ne les connais pas, autant vous dire que j'en avais clairement rien à carrer. Tasse de café dans la main, j'en bois quelques gorgées avant de me reculer avec ma chaise pour que Tahlia puisse faire son boulot. Je la regarde. "Oui bien entendu, fais ce que tu as à faire." répondis-je, sachant bien ce qu'elle essaie de faire en passant trois ans à nettoyer la même partie du bar. Mais je la regarde. C'es tout ce que je fais et il semblerait que ça lui permette de l'ouvrir un peu. Un sourire en coin avant de tourner sur place pour prendre un sous-verre que je dépose sur le bar, tasse de café dessus. Je soupire. "Et bien allons-y. Prends toi un café, prends une chaise, un papier et un stylo et propose moi des choses." lui dis-je en lui montrant le tabouret à côté de moi. Je m'accoude au comptoir. Si elle veut perdre du temps maintenant, qu'il en soit ainsi, ce n'est pas moi qui nettoie ensuite. "Donc je t'écoute. Tu as des nouvelles recettes à me faire essayer ou que tu as déjà essayé? Ça ne craint pas trop avec le gosse?" demandais-je, à moitié intéressé. Elle voulait se sentir légèrement importante. Oui elle était barmaid mais elle était surtout là pour servir. On verra bien si ses idées valent le coup d'être tentées bien que les cocktails de la carte soient de grands classiques, parfois revisités pour certains. Le top étant la carte de shooters que les jeunes s'arrachent. Des shooters à étages ou aux étranges textures, ils adoraient ça et je le voyais bien avec les bouteilles que l'on jetait tous les soirs.

Bien sûr que Tobias savait qu'elle s'acharnait sur cette petite partie du comptoir, uniquement pour l'embêter. Mais cela eut au moins le mérite de le faire prendre un sous-verre pour éviter de tâcher de nouveau le comptoir. Elle n'allait pas nettoyer le bar pour que le patron salisse tout derrière elle, tout de même ! En tout cas, cette obsession soudaine pour le nettoyage de ce comptoir permit surtout à Tahlia d'engager la conversation, de montrer qu'elle n'était pas là que pour récurer les toilettes, nettoyer le bar ou servir simplement les clients. Elle était aussi force de propositions et aimait s'engager dans les établissements au sein desquels elle travaillait. Sauf le club où elle travaillait juste avant le Chiki Boom, mais c'était simplement parce qu'elle ne se voyait pas finir à poil sur scène. Tobias semblait l'écouter attentivement et alors qu'elle pensait se prendre un refus catégorique – après tout, elle était enceinte jusqu'aux yeux et qu'elle allait sûrement s'arrêter dans peu de temps – le jeune homme l'invita à prendre place à ses côtés. « Euh... ok. » répondit-elle décontenancée. Mais elle ne se fit pas prier. Elle prit un papier, un stylo et fit le tour du comptoir pour s'installer sur le tabouret à côté. Elle redressa le regard vers lui quand il lui évoqua le gosse :« Ce n'est pas moi qui vais essayer les cocktails, mais vous... » A petites doses, évidemment. Elle ne voulait pas saoûler son patron, même si un peu d'alcool lui permettrait sûrement de se dérider un peu. Elle commença alors : « Quand on regarde la carte, on voit surtout des classiques. Je ne dis pas qu'il faut les enlever, loin de là, ça se vend bien. Mais je trouve qu'il manque la patte de l'établissement. L'établissement est atypique à souhait, ce serait bien que la carte colle à l'ambiance. » C'était risqué de donner son avis. Tobias avait dû mettre tout son cœur dans cet établissement, mais c'était des critiques constructives. « Pourquoi ne pas proposer une gamme temporaire, un peu Retro, avec les saveurs de de l'enfance comme le Bubble-gum, la Tagada ou le Carambar. Des cocktails très colorés, visuels, qui rappellent les années 80-90. » Le regard de Tahlia était songeur, son cerveau fonctionnait à plein régime, cherchant à associer diverses saveurs. « Et il faut agrandir la carte des shooters, ça s'arrache tellement bien... » ajouta-t-elle en souriant.