a christmas carol (terrence)

Noël c’était un moment que j’aimais beaucoup avant, quand j’étais petite surtout. J’avais encore l’illusion que ma famille en était une et que tout était bien dans le meilleur des mondes. On avait un grand sapin dans notre magnifique appartement d’Osaka, plein de cadeaux colorés en dessous. Le portrait de la petite famille idéale qui se lève le matin et enfile un pull de noël avant d’aller ouvrir tous les présents. Tout ça s’est perdu petit à petit. J’ai grandi, j’ai commencé à voir que mes parents ne s’aimaient pas autant que ce que je pensais. Je me suis éloignée, j’ai commencé à suivre les plus grands dans des soirées, à faire vivre des choses que la fille que j’étais à l’époque n’aurait pas dû vivre et expérimenter si jeune. Et puis un jour la vérité a éclaté, mon père était infidèle, ma mère est partie, moi dans son sillage. On est venu ici à Bowen. Les noëls n’ont plus été les mêmes. Nous continuions à nous voir toutes les deux, à quelques occasions. Puis avec son nouveau mari, ses nouveaux enfants. Je n’ai plus vraiment l’impression d’être la bienvenue chez elle. Je crois que je lui rappelle trop mon père, je suis ce qui la lie à lui. Du coup maintenant noël est une épreuve que je dois passer. Quelques uns de mes amis n’ont pas des relations familiales très épanouies non plus alors on passe cette période ensemble, sauf le soir où nous sommes avec notre famille. Malgré tout, j’aime toujours voir les décorations et la bonne ambiance, même si ça a toujours un goût amer. Je me balade dans les rues à la recherche de quelques cadeaux à offrir. Je n’ai pas envie d’arriver les mains vides chez ma mère, pourtant je ne sais pas quoi acheter à cette famille qui m’est étrangère. Sur un stand du marché de noël, je regarde des savons artisanaux bio, je réfléchis. J’en attrape un et me tourne vers le type à côté de moi qui n’a rien demandé « Vous pensez que ça ferait un bon cadeau ? » Je n’y crois pas vraiment moi-même et je n’ai pas la tête d’une personne enchantée à l’idée de faire ses achats de cadeaux pour noël.

Terrence avait toujours trouvé qu'un marché de Noël avec des sapins et de la fausse neige ça faisait tâche en Australie alors qu'on arrivait en été ici. Mais il ne le disait pas vraiment parce qu'il passait pour un vieil aigri qui n'aimait pas la magie des fêtes. En même temps c'était plutôt vrai, pas qu'il était aigri, enfin pas vraiment, mais il fallait avouer qu'il n'avait jamais compris cet engouement pour cette période. Il ne croyait pas en Dieu alors les histoires de petit Jésus ça le dépassait et puis ça faisait bien longtemps que sa famille n’avait pas été réunie à cette période. Du moins ça faisait des années qu’il n’était plus invité… en même temps il ne pouvait pas tellement leur en vouloir sa mère lui avait tourné le dos pour des raisons légitimes alors chaque Noël était un jour comme un autre. Généralement il le passait à faire l’inventaire dans sa boutique et comme ses amis surfeurs savaient où le trouver il arrivait quelques fois qu’ils viennent partager un moment avec lui, c’était sympa, une bière sur l’escalier de son magasin, face aux vagues, finalement il n’avait pas besoin de plus. Mais cette année c’était différent, cette année il avait renoué avec Lena et elle avait perdu sa mère, cette année il y avait Violet aussi. Les deux femmes de sa vie, il avait envie de leur faire plaisir. Alors voilà que pour la première fois de sa vie il était parti à la chasse aux cadeaux. Il avait fermé sa boutique exceptionnellement en se disait qu’il en aurait pour une demi-heure maximum mais finalement la tâche s’avérait bien plus ardue que ce qu’il pensait et il tournait dans le centre ville depuis bien plus d’une heure sans aucune idée. Il avait atterri par dépit dans le marché de Noël où les odeurs de sucre, de cannelle et de pin lui faisaient tourner la tête et l'écœuraient presque. Il s’était arrêté devant ce vendeur de savon sans grande conviction en se disant qu’il allait peut-être arrêter son choix sur des petits bijoux artisanaux qu’il avait vu un chalet plus loin. En plein réflexion il fut sorti de ses songes par une jeune femme, un pain de savon à la main. Il passa son regard du savon à cette fille en esquissant une moue dubitative. Si l’idée c’est de faire comprendre quelqu’un qu’il doit se laver… pourquoi pas. Il haussa les épaules. Enfin j’veux dire… c’est toujours utile j’imagine. Je suis mauvais pour les idées, ça se voit ? Nouvelle grimace. Ca fait une heure que je tourne sans rien trouver. Qu’il finit par confesser.

Un savon à l’eucalyptus à la main, je reste perplexe. Ma mère aurait sans doute un sourire forcé si je lui offrais ça mais je pense que ça serait le cas peu importe ce que je déciderai de lui acheter. Je n’ai aucune idée de ce qui pourrait lui plaire. Des graines pour son jardin peut-être ? Je suis sûre que je n’achèterai pas les bonnes. Je pourrais lui offrir des chocolats, je crois que c’est le cadeau classique mais je ne sais même pas ce qu’elle aime et je n’ai pas non plus envie d’acheter un truc complètement bateau. J’aimerais faire un minimum d’efforts pour le peu de famille qu’il me reste vraiment mais on s’est trop éloigné pour que j’offre un cadeau vraiment personnel. Je parle à voix haute, plus pour moi que pour les gens autour mais un type me répond. C’est vrai qu’un savon ça veut un peu dire qu’il faut que la personne prenne des douches plus régulières. En un sens ça pourrait le faire pour ma mère, elle passe son temps dans le jardin et à élever des animaux donc on ne peut pas dire que ça sente vraiment la rose dans la maison. Mais bon, ça serait un peu malpoli de ma part de débarquer chez eux alors que je ne viens quasiment jamais, en leur disant que ça ne sent pas bon et qu’il faudrait bien qu’il y fasse quelque chose. Après je pense que si je lui explique l’histoire de ce savon et que je trouve une explication rationnelle à ce choix de cadeau, ça passera peut-être un peu mieux. Nous sommes tous les deux dans cette situation de devoir trouver des cadeaux sans vraiment y arriver. Existe-t-il vraiment des gens doués pour les cadeaux ? J’ai l’impression que nous sommes tous dans la même galère mais que certains s’en préoccupent plus que d’autres. « Je pense qu’un cadeau utile c’est ce qu’il y a de mieux pour la personne à qui je veux l’offrir. » Ma mère n’est pas du genre à s’encombrer de choses superflues, il lui faut des choses utiles au quotidien. « Je pense qu’on n’est pas les seules dans cette situation. J’peux peut-être vous aider ? Fin je suis pas douée pour les cadeaux non plus mais bon, peut-être que j’peux avoir un œil neuf sur les choses et vous pareil ? » Je pense que j’ai plus à y gagner que lui vu que j’ai souvent que des idées nulles pour les cadeaux.

hj : sorry du retard

Sûr qu'il l'avait pris comme ça, Terrence, la gamine s'adressait à lui, c'était la moindre des choses que de lui répondre avec politesse, ça n'avait encore jamais tué personne d'avoir un brin de conversation. Enfin ce n'était pas vraiment le genre de Kelly, dans son commerce il n'avait pas le choix et puis la plupart du temps il parlait de choses qu'il aimait alors c'était même agréable. Mais quand il fermait sa boutique il redevenait cet ours qui faisait sa réputation, cet homme peu affable, voir bougon, que personne n'avait vraiment envie d'aborder. Mais il fallait croire que tout le monde ne connaissait pas le redouté Terrence Kelly, la preuve, cette jeune fille qui semblait tout aussi désemparée que lui. Et finalement il se prit presque au jeu. Il la regarda avec curiosité, elle avait quoi, vingt ans, peut-être moins ? Dans les âges de Lena certainement. Si tu veux faire un cadeau à une chef au travail ou bien à la grand-mère acariâtre que tu ne vois qu'une fois l'an, c'est idéal oui. Parce que ça ne pouvait pas être destiné à un homme, il ne l'imaginait pas comme ça du moins. Il haussa les épaules avec mollesse, preuve de son engouement pour cette tâche. Si je suis mauvais et toi aussi je crois que ça va surtout faire un beau carnage. En espérant au moins que les emballages seront réussis, ça sauverait les meubles. Ca passe toujours mieux avec un beau papier. Comme quoi... les apparences... Il réfléchit une seconde, ça faisait des années qu'il n'avait pas eu de cadeaux de Noël, ça remontait certainement à son adolescence, mais il ne s'en portait pas plus mal, puis que lui n'avait aucun intérêt pour cette fête, ce serait plus simple si le vrai but de cette journée c'était tout simplement d'être réunis ensemble plutôt que le but déguisé de recevoir un présent. Mais une fois encore il ne devait pas le dire trop fort au risque de passer pour un rat grip-sous. Tu ne crois pas qu'on serait mieux sans toute cette histoire de cadeaux ? On se prend la tête, tous les ans c'est la même chose, pour un sourire poli et un merci peu sincère... et un cadeau qui fini sur Le Bon Coin (hj :il doit bien y avoir l'équivalent en Australie ) Il soupira une seconde, voilà, il virait vieux con aigri face à cette gamine. Ouais... Le savon ce sera très bien.

Ma mère c’est un peu une grand-mère que je ne vois qu’une fois dans l’année. Enfin elle n’est pas méchante, ça va mais juste on vit pas dans le même monde, on n’a pas la même vie, on partage plus grand-chose au final. Quand le gars me parle aussi de cheffe au travail, je sens d’un coup une pression monter à m’imaginer un jour vraiment bosser, plus faire d’études. En ce moment je bosse dans les cuisines du Shake Shack mais c’est pour payer mes études et c’est seulement quelques heures par semaine. Un jour, tous les matins j’irais au boulot, faire je ne sais pas vraiment quoi au final. Je ne sais pas si je veux bosser dans des bureaux, sur des dossiers administratifs. Je sais que si je veux un jour atteindre des postes suffisamment influents pour partager mes idées, je dois d’abord faire gratte papier dans une administration mais je ne veux pas de ça. Je n’ai toujours pas trouvé ce que je veux en fait. Je hausse les épaules en gardant le savon dans ma main. Ça ira pour ma mère, au pire sa déception ne durera que le temps du repas avant que je reparte et qu’on ne se voit plus pendant plusieurs mois. L’homme me dit ensuite que si on est tous les deux mauvais pour des idées, il ne vaut peut-être pas qu’on s’associe, ça ne risque pas de faire sortir quelque chose de bon. Je hausse les épaules. Il a raison, on risque juste de s’influencer question mauvais choix. « Ma mère se fiche du papier cadeau, je ne vais pas pouvoir me rattraper avec ça. » Je pense même que si je l’emballe dans quelque chose qui n’est pas recyclé, elle sera énervée contre moi. Finalement il me demande si je pense que ça ne serait pas mieux un monde où ne s’offre plus de cadeaux à Noël. Je sens une tristesse m’envahir. « J’aime bien les cadeaux, offrir des choses. C’est juste que parfois j’aimerais avoir une famille qui soit un peu plus comme dans les films de Noël... » Je baisse la tête après lui avoir lâché ça alors que je n’aurais pas dû. Je tends un billet au vendeur pour lui acheter le savon que je fourre directement dans mon sac ensuite. Clignant rapidement des yeux pour tenter de calmer les larmes qui me montent aux yeux.