carry on my wayward son ft. lys

La soirée était plutôt tranquille, c'était le genre de soirée parfaite où on a toujours un truc à faire, mais qu'on est jamais débordé et où on peut prendre le temps de souffler entre deux tâches. J'avais mes clients habituels, certains que je connaissais, d'autres que je connaissais moins, mais c'est une jeune femme seule qui attira plutôt mon attention. La majorité de mes clients sont des hommes de trente ans en montant et les femmes qui viennent ici sont habituellement accompagnées ou elles viennent pour me voir. Celle-là je ne la connais pas. Elle vient s'asseoir au bar et ne cherche même pas à avoir mon attention. Elle garde la tête basse et attend simplement que je la remarque j'imagine. Je finis de couper des quartiers de lime, je met mon linge sur mon épaule et je m'approche d'elle avec un air perplexe. Je vous sert quelque chose mademoiselle? Dis-je pour la sortir un peu de ses pensées. Si ça se trouve elle est perdue, ou bien elle attend quelqu'un.

J’avais besoin de prendre l’air, besoin de sortir. Je tournais en rond, ruminais. J’avais tenté de peindre cet après midi mais le cœur n’y étant pas, j’avais rapidement abandonné. J’avais essayé de corriger quelques copies de mes élèves du lycée, mais cela m’avait déprimé plus qu’autre chose. Bref, c’était un jour sans. Un jour qui me donnait envie d’aller me coucher et de passer douze heures à dormir, sauf que cela n’était pas dans mon tempérament de me laisser abattre. Et je savais qu’il n’y avait rien de mieux pour chasser la morosité que d’aller prendre l’air, ce que je fis. J’enfilai une paire de jean’s que je piochai sur une pile de linge propre qu’il me fallait encore ranger – ah si, j’avais fait quelque chose de ma journée : j’avais fais tourné et étendue une lessive…youpi –, un t-shirt à col danseuse que j’adorai. Je trouvais que cela me donnai un air gracieux – cela adoucirait peut-être un peu la mine renfrognée que j’affichai ? On pouvait toujours rêver. Je marchai – assez vite, trop vite d’ailleurs pour une simple balade – et passai – ô malheur – devant le Hendrix. Dix-huit heures moins le quart, j’aperçus, à travers la vitre, Azriel en train de ranger quelques chaises. Une pointe sembla me percé le cœur. Je savais qu’il me suffisait d’entrer, de lui sourire, et d’accueillir son sourire à lui comme les rayons du soleil sur mon visage, lui demander de me prendre juste une minute dans ses bras pour que je me sente mieux. Helas, je savais aussi que cela me rendrait malheureuse. Après. Quand je devrais repartir et que je sentirais un vide immense m’envahir, ce sentiment horrible qu’on l’arrachait à moi. Je n’avais jamais ressentis ça, et je ne comprenais pas. Bousculée par ce flot de pensées incompréhensible et totalement absurde, je m’éclipsai vite, avant que mon meilleur ami ne m’aperçoive et, quelques mètres plus loin, entrait dans un bar, totalement au hasard. Machinalement je vins m’asseoir au comptoir, à demi-conscience de ce que je faisais. J’avais mal dans la poitrine, une envie soudaine de pleurer. Pourquoi ? Voir Azriel m’avait toujours apporté une très grande joie jusqu’à maintenant, pourquoi cette douleur à présent ? Et c’était pire encore lorsqu’il n’était pas là, il me manquait. Atrocement. Pouvait-on en même temps avoir envie d’être à côté d’une personne, tout en redoutant de l’être ? Quel était mon problème ? De quoi avais-je peur exactement. Pourquoi…
Tout d’un coup, une voix masculine me tira de mes pensées, quand je levai la tête, je découvrais le visage souriant du barman que j’avais, jusqu’alors complètement ignorée.
— Je…euh…pardon, je n’ai pas dis bonjour, je…hum…je vais vous prendre une pression. Brune si vous avez.

Les histoires de coeur, je n'en ai plus, par contre j'arrive très, trop, facilement à comprendre la douleur que ça procure. Ma dernière peine remonte à il y a presque dix ans, mais c'était loin d'être ordinaire. J'y avais en même temps perdu mon amour de jeunesse et ma fille. Depuis, je ne m'étais plus jamais autorisé à ouvrir mon coeur à qui que ce soit d'autre, je me contentais de partager mon lit le temps d'une soirée. Finalement, la brune remarque ma présence, elle semble avoir la tête dans les nuages, mais arrive tout de même à me commander une bière brune. Je sais que quelque chose ne va pas très bien et quand je tombe sur quelqu'un dans cet état, je ne peux pas m'empêcher d'être encore plus aimable que d'habitude, histoire de mettre un peu de joie dans leur vie j'imagine. La bière c'est ce qu'on a de mieux ici. Une brune pour la brunette. Je lui fais un sourire et tape le rebord de mon comptoir tout en prenant un verre long. Je tire le manche connecté au fut de bière en prenant bien soin de pencher le verre à l'angle parfait pour créer un beau col de mousse sur le dessus. Je pose un sous-verre devant la jeune femme et y dépose la bière. Vous attendez quelqu'un? À voir son air débité, j'avais plutôt l'impression qu'elle était venue seule pour noyer sa peine peut-être? En tout cas je n'aimais jamais voir des jeunes femmes boire de l'alcool alors qu'elle sont seules. On vit dans un monde bien triste où beaucoup trop d'hommes prennent avantages d'une femme seule et intoxiquée. Heureusement elle avait choisit mon bar, et je garderais un oeil sur elle. S'il le fallait, je lui payerait le taxi à la fin de la soirée histoire d'avoir la tête tranquille.

L’enthousiasme du barman me fit sourire. Cela me mettait au moins un peu de baume au cœur et je regrettai aussitôt d’être entrée dans son bar comme une âme en peine sans prendre le temps de le saluer au préalable. C’était pourtant la moindre des choses que de dire bonjour ! Et cela ne me ressemblait pas d’oublier. Je pensais être une personne plutôt aimable en temps normal, à croire que je n’étais vraiment pas dans mon assiette.... Je le remerciai quand il me servit ma bière ; j’aimais les bières brunes pour leur rondeur, leur onctuosité et y plonger les lèvres me réconforta un peu, jusqu’à ce que le barman me demande si j’attendais quelqu’un. La question me laissa mélancolique.
— J’ai beaucoup trop attendu, je crois, soufflai-je.
En étendant le ton que je venais de prendre, je pouffai de rire, en me pinçant le front de honte.
— Désolée, c’est un peu trop mélo ce que je viens de dire…

Je vois enfin un petit sourire sur les lèvres de la jeune femme, je me dis que rien n'est perdu, j'arrive quand même à la faire sourire malgré tout, mais lorsque je lui demande si elle attend quelqu'un, elle me donne une réponse digne d'une réplique de série dramatique. Elle s'excuse aussitôt. Je hausse les épaules, t'en fais pas, j'ai vu bien pire. Et vécu pire aussi, malheureusement. Un problème de coeur? Je m'en doute déjà, mais j'essaie simplement de la faire parler, histoire de lui faire vider son sac. J'imagine que parler ça fait du bien, après tout les psychologues se font une tonne de tunes. Moi j'fais ça gratuitement, plus ou moins, les gens qui viennent s'asseoir dans mon bar pour papoter et qui ne boivent pas, je les fous dehors. Je n'aurais jamais cru jouer le médiateur ce soir, mais ça ne me déplais pas après tout, vaut mieux qu'elle se soit retrouver ici que quelque pars où les gens se serraient bien foutus de ses états d'âmes.

Le cœur ? Etait-ce vraiment là que j’avais mal ? Cette boule, je la sentais dans mon estomac surtout. Dans la gorge aussi, parfois. C’était atroce à quel point c’était douloureux. C’était comme une balle qui se gonflait et qui m’étreignait le ventre.
— J’sais pas trop, avouai-je.
C’était la vérité. Toute cette histoire, ces sensations, la boule…c’était nouveau, et je ne comprenais pas pourquoi ça m’arrivait. Je ne voulais pas le comprendre. Parce que si j’admettais, à voix haute, que…oui, il était question du cœur, je devais admettre aussi que j’avais ma part de responsabilité dans l’affaire. C’était ma faute si Az n’avait rien remarqué, complètement ma faute si j’avais gardé mon cœur scellé. Je me mordillais la lipe, songeuse, puis inspirait longuement.
— Ca ne devrait pas en tout cas...
Non, parce que Azriel était mon ami, l'un des plus précieux que j'avais. Son bonheur me rendait heureuse et il était heureux de fréquenté cette fille, Sasha. Mais à moi ça me faisait mal et ça n'était pas normal.

Je me rendis compte que sa situation semblait compliquée, du moins c'est ce qu'elle laissait paraître. Parfois on a le nez tellement collé sur un problème qu'on arrive pas à en voir son ensemble et trouver une solution, cependant je ne connais pas la nature exact de ce qui se passe dans la vie de la jeune femme, je ne peux pour l'instant pas me prononcer. J'sais pas trop. J'te garantit qu'une peine d'amour, ça ne fait pas mal qu'au coeur. Un client s'approche du bar et commende des verres pour la table, je sors un plateau et lui dit que j'apporterai le tout directement à leur table, il repart en me remerciant. Ça ne devrais pas en tout cas. Je commence à comprendre un peu mieux ce qui se trame. Avec tous les éléments réunis, j'arrive quand même à comprendre que oui, il s'agit d'un problème de coeur, mais probablement un amour inavoué, la raison pour laquelle elle ne s'autorise pas à vivre pleinement sa peine. Et il le sait? Je lance ces quatre mots tout simple, mais qui voulait en dire beaucoup en même temps que je prépares les boissons pour ma table. Après tout, la communication c'est la clé. Si seulement j'avais été aussi sage quelques années auparavant...

Je levai les yeux vers le barman lorsqu’il me posa la question que je redoutais. Azriel savait-il ce qui se passait dans mon cœur en ce moment ? Non, probablement pas. C’était sûr que non, même. Je le connaissais bien et il y avait trop de bonté en lui pour qu’il ne fasse souffrir sciemment quelqu’un. Cette question, par ailleurs, me culpabilisait directement.
— Non, il sait pas.
Je haussai les épaules et bus une gorgée de bière. Je n’avais pas soif mais cela faisait moins passer la douleur dans ma gorge.
— C’est ma faute, j’imagine…
Oui ça l’était. J’avais réalisé trop tard que je tenais à lui plus qu’à un simple ami. Plus qu’à mon meilleur ami. Je soupirai longuement.
— Je suis désolée, je reste évasive, ça doit être très pénible.
Je tentais un sourire pour le barman, il était plus timide que ceux que je délivrais d’ordinaire à tour de bras, mais le cœur y était.
— Je suis un peu perdue, je crois. C’est comme si…tout d’un coup, toutes mes certitudes venaient de se casser la gueule. Puis bien en plus, genre tombées du quinzième étage et complètement écrabouillées sur le bitume.